Le Périgord cité dans les Chroniques du
religieux de Saint-Denis
contenant les règnes
de Charles VI de 1380 à 1422
Commentaire
préliminaire (F.B.) : Les différents livres
et chapitres de la chronique du religieux de Saint-Denys ne sont pas datés avec
précision. A partir de la table donnée en fin du tome VI on peut donner tout au
plus l’année des évènements.
Les différents chapitres
concernant le Périgord sont donnés avec le texte en latin de la chronique du
religieux de Saint-Denys suivi de la traduction en français réalisée par M.
Bellaguet (1839-1852)
Livre XIX, chapitre VI. (du 7 avril 1398 au 17 avril 1399)
CAPITULUM VI.
Comitatum Petragoricum
viribus acquisitum rex fratri suo concessit possidendum.
In toto regno
Francie cessantibus guerrarum voraginibus, civitatem Petragoricensem, regi sine
medio subjectam, comes Petragoricensis, vir iniquus et crudelis, adjunctis
secum predonum et nobilium ex furtivo concubitu descendencium catervis non
modicis, importabiliter vexabat sub pretextu annui pastus pluries sibi negati.
Videns namque quod per hanc exactionem injustam, ut et ceteri Acquitanie comites,
peccunias accumulare nequibat, ad tyrannidem se convertens, adjacentem regionem
annuis discursibus peragrando, nemine contradicente, quoscumque obviam
reperiebat ex civibus, vinculis mancipabat, ut redempcionis subirent odibile
jugum; in provincialesque libere debachando, messes aridas, quas in areas
conjecerant, dabat incendiis, nisi mox redimerentur; undique greges et armenta
ad sua oppida abigi precipiebat, et depopulabatur universa.
Jam jamque
intollerabiles excessus predicti cives compulerant regi Francie querimonias deferre.
Qui, subditorum molestias egre ferens, per consilium direxerat qui prefatum
comitem ammoneret ut resipisceret ab inceptis, apicesque regios presentaret hec
substancialiter continentes:
«Sermo gravis et
verbum valde absonum, inclite comes, communi fama referente, ad regalem nostram
pervenit audienciam, et quod nostris subditis enormes inferas violencias. Sic
clarorum progenitorum tuorum semitas deserens, qui fidelitatem inviolabilem
servaverunt erga coronam Francie, ejus offensam multipliciter incurristi,
utique vindicta dignam, ut universis notum est; quam tamen, antequam
excerceatur, clemencia et benignitate prevenire decrevimus, morem regium servando.
Resipiscendo igitur ab inceptis, precipe qui te sequuntur predonibus subjectis
nostris parcere; violencias, rapinas et incendia fac cessare, ad nostram
quantocius accedens presenciam, securus de multiplici honore et gracia nostra,
qua multipliciter te proposuimus prevenire. »
Monitorias
litteras comes inpacienter perlegit, spretoque salubri consilio, precepto quoque
regio vilipenso, pejora civibus minatus est, crudelitatesque conceptas in actum
produxisset, nisi rex obstare viribus providisset. Ad ejus sane superbiam
reprimendam, dominum Johannem dictum le Maingre, alias Boussicaudum, Francie
marescallum, ac dominum Guillelmum Buticularii, senescallum Alvernie, cum mille et ducentis pugnatoribus ac
trecentis balistariis misit.
Quorum adventum comes veraci relacione cognoscens, nec ad humilitatem sed ad resistenciam se preparans, oppidum
de Montegnac, septem miliaribus a Petragorico distans, cum suis introivit. In
loci fortitudme confidebat, et quamvis nonnullis inexpugnabilis videretur, Gallici tamen illum, per girum
constitutis agminibus, sic obsidione vallaverunt, ut nemo vel commerciorum
gracia, vel auxiliarium more, ad eos ausus esset accedere vel necessaria ministrare.
Quamvis inde multos assultus potenter et animose
intulerint, semper tamen deteriorem calculum reportabant; nam multos corum hostes
de locis superioribus in terram dabant precipites, ita ut confractis cervicibus
expirarent; resque in longum ibat, et in irritum desinebat, nisi ipse
marescallus difficultatem laboris taliter supplevisset. Sex namque jaculatorias
erigi machinas jussit, quas vulgo petrarias vocant, et
congruis stacionibus collocari, unde missi molares lapides graves et magni
muros cederent. Que cum oppidanis jactu suo decem ebdomadarum spacio dampna
plurima intulissent, comes attendens quod ad condiciones extremas continuata
miseria impellere solet, superbie sarcina deposita, super dedicione marescallo
prefato loquutus est.
Ex tunc
obsidendi finis voce preconia indicitur universis, transactisque deinde multis
argumentosis colloquiis, tandem comes, omnem possessionem suam regi Francie
submittendo, super sibi obiciendis promisit stare judicio curie Parlamenti.
Sicque Gallici ingredientes oppidum, super eminenciorem turrem signum victorie,
scilicet regis vexillum, erexerunt. Comite vero sic viribus humiliato, sicut
condictum fuerat, Gallici castra sua famosiora, videlicet Bourdille, quod
tribus miliaribus ab urbe distabat, inde Auberoche; et post Saulat, presidia
valde forcia, ceperunt et dicioni regis Francie subdiderunt.
Cum autem
Parisius adductus in camera Parlamenti se regis presencie obtulisset, quot et
quanta turpia et omni relacione indigna commiserat, quantumque lesam portabat
conscienciam, peroratis et finaliter probatis, comitatu et vita tandem adjudicatus
est privandus. Sed rex, victus assistencium precibus vallidis, ei
misericorditer vitam donans, fratri suo duci Aurelianis dedit dictum comitatum.
Sic cervicosus et intractabilis comes, dum monitis nescit acquiescere
melioribus, suo lapsus impetu, dum discipline militaris salutare nescit jugum
portare, viarum suarum fructus inutiles collegit, suis possessionibus privatus,
sicque perdidit omnes quas male acquisierat divicias, juxta quod proverbialiter
dici solet:
Non habet eventus sordida preda bonos.
Ne tamen in
desperacionis baratrum laberetur, dux Aurelianis, frater regis, ingentes
peccunias sibi dedit liberaliter pietatis intuitu; cum quibus circa finem hujus
anni fugiens, in Angliam transfretavit, et regi Anglie Henrico se submisit.
CHAPITRE VI.
Le roi s'empare
du comté de Périgord et en accorde la possession à son frère.
Le fléau de la
guerre avait cessé d'affliger le royaume. La seule ville de Périgueux, placée
dans la mouvance immédiate du roi, avait à souffrir de la tyrannie du comte de
Périgord. Ce seigneur injuste et cruel s'était mis à la tête d'une bande
nombreuse de brigands et de bâtards issus de nobles familles, et accablait
cette ville de maux insupportables, sous prétexte qu'elle refusait obstinément
de lui payer une redevance annuelle. Comme il n'avait pu, ainsi que les autres
comtes de l'Aquitaine, s'enrichir par cette inique exaction, il avait eu
recours à la violence. Il faisait chaque année des incursions dans le pays, le
parcourait sans obstacle, et emmenait prisonniers tous ceux qu'il rencontrait,
afin de les contraindre à payer rançon. Il exerçait aussi toutes sortes
d'hostilités contre les habitants de la province; il incendiait les moissons
entassées dans les granges, si l'on ne s'empressait de lui donner de l'argent,
faisait conduire dans ses places fortes le gros et le menu bétail, et
commettait mille autres dévastations.
Ces excès
intolérables avaient décidé les habitants à porter plainte au roi de France.
Touché des malheurs de ses sujets, le roi résolut de mettre un terme aux
entreprises du comte, et d'après l'avis de son conseil lui fit porter un
message, dont voici la substance :
« Un bruit
étrange et des plaintes graves nous sont parvenus sur votre conduite, illustre
comte; nous avons appris que vous exercez
d'odieuses violences contre nos sujets. Il est notoire qu'en vous écartant
ainsi des exemples de vos nobles aïeux, qui ont toujours montré une inviolable
fidélité à la couronne de France, vous avez encouru notre colère et mérité
notre vengeance. Toutefois, avant de l'exercer, nous avons résolu
d'user envers vous de clémence et de magnanimité, comme c'est notre royale coutume.
Renoncez donc à vos entreprises, et enjoignez aux brigands qui vous suivent
d'épargner nos sujets; faites cesser les violences, les déprédations, les
incendies, et hâtez-vous de comparaître devant nous; vous pouvez compter sur la faveur et la bienveillance avec lesquelles
nous sommes disposé à vous recevoir. »
Le comte lut
cette lettre avec un vif déplaisir; sans égard pour les injonctions et pour les
sages avis du roi, il menaça les habitants de maux encore plus grands. Il
aurait mis à exécution ses cruels projets, si le roi ne s'y fût opposé par la
force, et n'eût envoyé, pour châtier son orgueil, messire Jean le Maingre, dit
Boucicault, maréchal de France, et messire Guillaume Bouteiller, sénéchal
d'Auvergne, avec douze cents hommes d'armes et trois cents arbalétriers.
Lorsque le comte
fut instruit de leur arrivée, loin de songer à s'humilier, il se prépara à une
vigoureuse résistance. Il s'enferma avec les siens dans le château de Montignac,
situé à sept milles de Périgueux. Il comptait sur la force de cette place,
qu'on regardait généralement comme imprenable. Cependant les Français
l'investirent et la bloquèrent si étroitement, que personne ne put y entrer
soit comme marchand, soit comme auxiliaire, ni y introduire les choses
nécessaires. Les assiégeants livrèrent plusieurs assauts; mais malgré le
courage et l'acharnement qu'ils montrèrent, ils avaient presque toujours le
désavantage; plusieurs d'entre eux étaient renversés du haut des murs et se
brisaient la tête en tombant. Le siège traînait en longueur, et peut-être n'eût-il
pas réussi, si le maréchal n'eût triomphé des obstacles par une nouvelle manœuvre.
Il fit dresser six machines, appelées pierriers, qu'il établit aux endroits les
plus favorables, afin de battre les murs à l'aide des énormes pierres et des
quartiers de rocs qu'elles lançaient. Pendant dix semaines ces machines firent
beaucoup de mal aux assiégés. A la fin le comte, craignant
d'être réduit par la prolongation de ces souffrances à accepter les plus dures
conditions, rabattit beaucoup de son orgueil et offrit au maréchal de
capituler.
Dès lors on fit
annoncer la suspension du siège à toute l'armée par la voix du héraut. Après de
longues et nombreuses conférences, le comte fit hommage de tous ses domaines au
roi de France, et promit de comparaître en la cour du Parlement, pour répondre
aux griefs qui seraient allégués contre lui. Les Français entrèrent dans la
place, et plantèrent en signe de leur victoire l'étendard du roi sur la tour la
plus élevée. Ayant ainsi humilié le comte, ils s'emparèrent de ses principaux
châteaux, savoir de Bourdeille, situé à trois milles de Périgueux, d'Auberoche
et de Sarlat, places extrêmement, fortes, et les soumirent à l'autorité du roi.
Le comte fut
amené à Paris, et comparut en présence du roi au Parlement. Là, toutes les
atrocités qu'il avait commises, toutes les infamies dont il avait chargé sa
conscience coupable, ayant été exposées et prouvées, il fut condamné à perdre
son comté et la vie. Mais le roi, cédant aux instantes prières de l'assemblée,
daigna lui faire grâce de la vie, et donna ledit comté à son frère le duc
d'Orléans. Ainsi cet orgueilleux seigneur fut dépouillé de sa puissance, pour
avoir dans son intraitable présomption refusé de suivre de sages avis et de se
soumettre aux lois salutaires de la chevalerie. Il fut justement puni de sa
coupable conduite par la privation de tous ses domaines et par la perte des
richesses qu'il avait usurpées, et justifia ce proverbe :
Bien mal acquis ne profite jamais.
Cependant le duc d'Orléans, frère du
roi, craignant de le réduire au désespoir, consentit par pitié à lui donner des
sommes considérables. Le comte s'enfuit vers la fin de l'année avec cet argent,
passa en Angleterre et fit hommage au roi Henri.
Livre XXV,
chapitre XVII. (du 30 mars 1404 au 18 avril 1405)
CAPITULUM XVII.
Castrum de
Corbefin captum fuit.
Superbiam
anglicanam in cunctis oris Francie maritimis sic pyraticam libere exercere
Gallicis plurimum displicebat, magisque indignabantur quod in Vasconia, prope
Burdegalensem urbem, cum ipsis Vasconibus pastu annuo non contenti sepius de
municipiis suis hostiliter erumpebant, invitis ruricolis regi Francie
subjectis, in areis congesta grana assidue predabantur, ut loca sua munirent;
non usquam greges et armenta tuta erant; agrestes accolas, velut vilia
municipia, incarcerandos abducebant, ut redempcionis subirent jugum odibile, et
sic in uberrima et habundanti tellure victualium penuria sepius pullulabat.
Ad tot vitandum
excessus conestabularium Francie, amplum circa patrimonium possidentem, pluries
requisierant ne amplius marcesseret ocio Parisius, sed succurreret patrie ad
strenuitatem acquirendam. Quam attendens hucusque non meruisse, hiis legacionibus
stimulatus, cum octingentis pugnatoribus electis illuc circa medium augusti
flectit iter. Jam multis exactis feriis, ut hic et alibi discursiones hostiles
facilius coherceret, quemdam notarium suum in habitu simulato Burdegalensem
urbem jusserat petere, ut cum quibusdam civibus de subdenda regi Francie
civitate secretissime tractaret. Sed rediens hiis diebus, infectum negocium
nunciavit et tractatores decollatos. Nulli ambiguum erat multos ex hiis
commercandi gracia subdi placere Gallicis, dum tamen sicut vicini jugum
exactionum non subirent. Nam Anglicos habebant odio, et regis Anglie
irrequisito assensu recenter senescallum Burdegalensem ab eo institutum ex urbe
expulerant, et dominum de Muscidan loco ejus substituerant de facto. Hic erat
avunculus captan de Beu, qui, mediante comitatu Fuxinensi dono dato, gallicum
se reddiderat; et ex tunc spem Franci habebant quod ejus opera civitas reddi
posset, cum tercie fere partis dominaretur jure hereditario et antiquo.
Hanc igitur
regionem conestabularius attingens, quid agendum sit deliberat in concione
militum. Qui attendentes patriam adjacentem hostibus municipiis refertam, et
quod ardua et forciora agredi virtus laudabilius reputat, castrum de Corbefin
accessu arduum capere statuerunt. Oppidum in colle situm in devexo, ex muro
solidissimo proporcionalem habente altitudinem, turribus frequentibus et ad
defensionem aptissimis equisque distinctis spaciis cinctum erat, et
pugnatoribus munitum, qui et dedicionem primo regis auctoritate imperatam
verbis derisoriis respuerunt, Vascones et Anglici hic degentes quadraginta
miliaria patrie sub jugo annui pastus, scilicet quinquaginta mille scutorum
auri, tenebant, ut incole pacifice agriculture vacarent. Qui
inde attediati summam illam conestabulario solvere pro sola vice promiserunt,
ut eos ab hac intollerabili servitute deliberaret1. Quo juramentis
firmato, mox afferri machinas jaculatorias, arietes, scrophas quoque et omnis
generis obsidionalia instrumenta et per ambitum comode collocari, vias quoque
publicas ubique precludi2, et observari ne oppidanis victualia deferrentur3.
Non diu manere
in obsidione sperabant Francigene, quamvis obsessi statuissent in excubiis
nocturnis continuas per successiones agere vigilias, ut semper ad resistendum
prompti essent; nam castrensium magna pars ad succurrendum Anglie sedicionibus
procellosis agitate profecta fuerat. Cum autem jam in mensem se obsidio
protraxisset, oppidani pro subsidio habendo regi Anglie miserunt, significantes
Gallicorum vires et animos singulis diebus ampliores, suorum defectum, alimentorum
inopiam et angustias importabiles, supplicantes ut necessitatibus succurrendo
et adjutores mitteret de municipiis propinquis; de quo tamen non curavit. Sic
tandem cum durum esset eisdem duodecim ebdomadarum spacio obsidionales assultus
pertulisse, jamque effractis antemuralibus, cum, destituti penitus consociorum
auxilio, victus rarescerent, eis spes amplius resistendi omnino subcubuit
enervata. Et ideo communicato inter se consilio, tractant quomodo imminentibus
malis possent finem imponere. Missis legacionibus ad conestabularium, sub
condicione spondent ei se resignaturos oppidum, dum tamen prius receptis
quatuordecim mille scutis auri indempnes possent recedere, et secum omneni supellectilem
deferre. Auditis postulacionibus, conestabularius, convocato consilio, utile
judicat eorum postulaciones acceptare. Placuit hoc et omnibus; prestitisque
utrinque juramentis et quod hostes infra triduum subsequens recederent, et quod
predicte convenciones eis sine fraude vel malo ingenio bona fide complerentur,
Gallici castrum recipiunt, introire volentibus aditibus reseratis.
Hiis ergo rite
peractis et subsidiariis relictis, quod satis esset ad castri presidium,
conestabularius prosequi successus prosperos dignum ducens, et ad tredecim oppida
propinquiora procedens, mandavit custodibus ut illa sibi reddentes inde recederent;
qui, videntes speciale suorum receptaculum huic sorti subcubuisse, obedierunt
precepto. Sic ex quo regio adjacens, que multis annis metu hostilitatis inculta
jacuerat, postquam agricolarum curam sensit, et, metu hostium propulsato, populus
libere terram exercere potuit, totam adjacentem patriam ubertate replevit. Diu
enim culture nescia, vomeris usum non sustinens, integris in se subsistens
viribus, postquam rusticam sensit adesse sollicitudinem, credita semina cum
fenore multiplici et fructu sexagesimo reportavit.
1. Var. : n° 5959, fol. 15
v., libcraret
2. II est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer
dans le manuscrit l'omission d'un mot tel que precepit.
3. Le mot deferrentur, emprunté au n°
5959, fol. 15 v., manque dans le n° 5958.
CHAPITRE XVII.
Prise du château
fort de Corbefin.
Les Français
voyaient avec un vif déplaisir leurs orgueilleux adversaires exercer librement
leurs pirateries sur toutes les côtes de France. Mais ce qui les irritait le
plus, c'est qu'en Gascogne, dans les environs de Bordeaux, les Anglais, non
contents du tribut annuel qu'on leur payait, faisaient avec des habitants mêmes
du pays de fréquentes sorlies hors de leurs places fortes, et
s'approvisionnaient aux dépens des campagnes soumises au roi de France en
pillant les grains entassés dans les granges. Ils enlevaient le gros et le menu
bétail, et emmenaient prisonniers les paysans comme de vils esclaves, afin de
les contraindre à payer rançon. Aussi la disette se faisait sentir à tout moment
dans cette contrée si riche et si fertile.
Les Gascons, désirant mettre un terme à
leurs souffrances, s'adressèrent à plusieurs reprises au connétable de France,
qui possédait dans le pays un vaste patrimoine, et le supplièrent de venir les
défendre et de saisir cette occasion de signaler sa valeur, au lieu de languir
plus longtemps à Paris dans un honteux repos. Le connétable, touché de leurs
représentations et jaloux de s'illustrer par quelque prouesse, partit vers le
milieu du mois d'août à la tête de huit cents hommes d'élite. Après avoir livré
plusieurs combats, il eut recours à un autre moyen pour réprimer les ravages de
l'ennemi; il envoya à Bordeaux un de ses secrétaires déguisé, pour traiter
secrètement avec quelques habitants et les engager à livrer la ville au roi de
France. Mais son agent revint bientôt lui annoncer que la négociation n'avait
pas réussi et qu'on avait décapité ceux qui y avaient pris part. Il était
constant que la plupart des habitants désiraient, dans l'intérêt de leur commerce,
rentrer sous la domination de la France et échapper aux exactions qui
accablaient leurs voisins; car ils détestaient les Anglais, et tout récemment
encore ils avaient, de leur autorité privée, chassé le sénéchal de Bordeaux
nommé par le roi d'Angleterre, et avaient mis à sa place le sire de Mucidan. Le
nouveau magistrat était l'oncle du captal de Buch, qui s'était fait français
moyennant le don du comté de Foix. Aussi espérait-on que, grâce à son
entremise, la ville pourrait être livrée; car il en possédait le tiers par un
droit d'héritage déjà fort ancien.
Quand le
connétable fut arrivé, il tint conseil avec ses chevaliers pour délibérer sur
ce qu'il y avait à faire. Ceux-ci, considérant que le pays était couvert de
forteresses ennemies et que la valeur aime à braver les difficultés et les
périls, résolurent de s'emparer d'abord du château fort de Corbefin, dont
l'accès était presque impraticable. Cette place, située sur le penchant d'une
colline, était entourée d'un mur haut et solide, flanqué de tours nombreuses,
qui étaient disposées régulièrement de distance en distance, et qui
permettaient de faire une longue résistance. Les Gascons et les Anglais qui en
formaient la garnison repoussèrent tout d'abord avec mépris les sommations qui
leur furent faites au nom du roi. Ils rançonnaient quarante lieues de pays, et
faisaient acheter aux habitants, par une contribution annuelle de cinquante
mille écus d'or, le droit de vaquer en paix à la culture de la terre. Ceux-ci,
lassés de cette tyrannie intolérable, proposèrent au connétable
pareille somme une fois payée, pour qu'il les en délivrât. Ces conditions ayant
été acceptées et confirmées par serment, le connétable fit dresser autour de la
place des catapultes, des béliers, des truies et toutes sortes de machines de
siège. Il en fit aussi intercepter tous les passages, pour qu'on ne pût y
introduire des vivres.
Les Français se
flattaient de ne pas rester longtemps à ce siège, malgré les efforts des
assiégés, qui, afin d'être toujours prêts à repousser les assauts, faisaient
bonne garde jour et nuit, car une partie de la garnison avait été rappelée en
Angleterre à cause des troubles qui y avaient éclaté. Après avoir prolongé leur
résistance pendant un mois, les assiégés envoyèrent demander des secours au roi
d'Angleterre, en lui représentant que les forces et le courage de leurs
adversaires croissaient de jour en jour, tandis qu'eux-mêmes voyaient leurs
rangs s'éclaircir, qu'ils commençaient à manquer de vivres et étaient aux
abois; ils le supplièrent de soulager leur détresse et d'enjoindre aux troupes
des places voisines de venir à leur secours. Mais le roi ne tint aucun compte
de leurs prières. Alors, épuisés par les fatigues d'un siège de douze semaines,
et voyant que leurs avant-murs étaient détruits, que personne ne venait à leur
aide et que les vivres devenaient de plus en plus rares, ils perdirent tout
espoir de résister plus longtemps, et se réunirent pour délibérer sur les
moyens de mettre un terme à leurs maux. Ils se décidèrent enfin à envoyer
offrir au connétable de lui remettre la place avec une somme de quatorze mille
écus d'or, à condition qu'il les laisserait sortir vie
et bagues sauves. Le connétable soumit ces propositions à son conseil, et
déclara qu'il était d'avis de les accepter; tout le monde se rangea à cette
opinion. Les ennemis promirent sous la foi du serment de sortir de la place
avant trois jours; le connétable jura de son côté que les conventions susdites
seraient fidèlement exécutées sans fraude ni mal engin. Après quoi les portes
furent ouvertes, et les Français entrèrent dans la place.
Le connétable
laissa dans la ville une garnison suffisante pour la défendre, et résolut de
poursuivre ses succès. Il marcha successivement contre treize places voisines,
et somma les troupes qui les occupaient de les évacuer et de les remettre en
son pouvoir. Elles s'empressèrent d'obéir en apprenant la soumission de Corbefin,
qui était la principale forteresse des Anglais. Alors toute la campagne
d'alentour, qui depuis tant d'années restait en friche par crainte de l'ennemi,
fut rendue à la culture; les habitants, délivrés de toute inquiétude, reprirent
leurs travaux avec confiance, et l'abondance ne tarda pas à renaître dans tout
le pays. En effet, la terre, dont le sein n'était pas depuis longtemps fécondé
par la charrue, avait concentré en elle-même toute sa sève et sa vigueur; dès
qu'elle eut senti la main du laboureur, elle rendit avec usure et au centuple
les semences qui lui étaient confiées.
Livre XXVII, chapitre IX. (du 11 avril 1406 au 26 mars 1407)
CAPITULUM IX.
A Gallicis Vascones vincuntur, et villa
de Brantomme capta fuit.
Frequens fama
circumvolabat et crebris divulgabatur nunciis quod primogenitus regis Anglie
filius, convocatis militaribus copiis, in Aquitaniam disposuerat transfretare,
ut consodalibus de Brantomme opem ferret et Gallicos debellaret. Ut superius
scriptum est, isti, onera obsidionis ferre non valentes, condiciones
interposuerant quales necessitas extorquere solet, videlicet quod nisi infra
festum Penthecostes eis subsidium ministraretur ab Anglicis1. Ad
securitatem quoque pacti obsides duodecim, qui capite luerent, si pacto non
staretur, ipsis dederant Gallicis. In vicinis circumadjacentibus spem reposuerant;
qui ad adventum Gallorum, cum vires eisdem non suppeterent ad continuandum
bellum, ideo mediis consiliis standum decreverant, et ut oppidis se tenerent,
nec lacessitis Gallicis causam belli apperirent, sed, si cujus oppidi
nunciaretur obsidio, undique ex municionibus obsessis ferrent auxilium.
Ad consonanciam
igitur redactis utrinque pactis, ad consodales nuncios et apices direxerunt
continentes: « Amici dilectissimi, res nostras tanta rerum mutacione et
sinistris eventibus et fere usque ad supremam exinanicioneni sic afflictas noveritis,
quod neque saltem spei residuum supersit, et jam animo consternati defectionem
timemus. Spei nostre anchoram in vestre dillectionis solliditate configentes,
quas passuri sumus erumpnas voce flebili et anxia sollicitudine referimus, exorantes
ut, si quid pietatis in vobis est, omni occasione remota, festinetis venire, et
nobis extremis necessitatibus involutis succurrere. Quicquid autem super hoc
facturi estis, sub festinacione per hunc eumdem quem ad vos mittimus nuncium
velitis manifestare, scientes quod dirum et ignominiosum dedicionis jugum coacti
erimus subire, et non sine dampno vestro, nisi nostris acquieveritis precibus.
»
Dum similibus
legacionibus uterentur, fuerunt quidam Vascones, insignes genere, qui favore
conestabularii Francie, quoniam inter eos amplum patrimonium possidebat, ejus
signa militaria sequi decreverant; inter quos Poncius de Lengac et Johannes de
Randon merito nominandi sunt, quia, quamvis estimata Gasconum inconstancia
ipsis modicum fideret, eorum tamen fidelitatem, durante induciali federe,
expertus est. Nam cum plerique scutiferi mente leves, et qui comitibus Clari
Montis et Alenconii familiarius astabant, locum prelii antea designatum, a
Brantomme quatuor miliaribus distantem, sepius visitarent, et ad noticiam
Vasconum vicinorum devenisset quod catervatim et incompositi, ac si sibi nil timerent,
huc peterent, in eos irruere fraudulenter et insidiose statuerunt. Accersitisque
vie ducibus iniquis, videlicet Archambaudo de Ransac ac Petro dicto le
Biernoys, quorum ope et industria sepe casus fortuitos soliti erant subire, ut
rapinis ditarentur, quarum prodigi hucusque fuerant, consodalesque hiis
artibus avidos fecerant, iter arripientes, prodicionem conceptam in actum procul
dubio produxissent, nisi tum compatriote prefati accessus eorum viribus
preclusissent. Premissis namque exploratoribus, ut cerciores facti sunt eos in
tricenario numero jam Sanctum Petrum de Lusarchiis in Lemovicino territorio
attigisse, et loco molestias jam inferre, ut viam suam quodam notabili facto
insignirent, letati sunt. Moxque tot secum assumptis ad unguem loricatis, illuc
laxatis habenis cursu continuato contenderunt. Ad primum quoque conspectum hostium
mutuo se exhortantes, ut virtutis tot in locis exercitate meminissent, pedestres
in eos sine cunctacione irruerunt, cum terribili clamore ingeminantes ad mortem!
Quamvis impetus repentini animos eciam forcium sepe concuciant, non tamen
defuit eis audacia resistendi; ymo cum gladiis et ensibus inchoaverunt certamen.
Tunc durissinio marte utrinque concursum est, et hostes superiores, ut qui
viderunt referunt, extitissent, si Perrotus le Byernois tanta magnanimitate, ut
consodalis, in acie perstitisset. Sed videns socios paulative decrescere, et
conscius sibi ipsi timens ne, si caperetur, redempcionem suam propriis humeris
ferret, et propter innumerabilia scelera in Aquitania perpetrata, ut proditor,
capite plecteretur, fuge presidio se salvavit, ceteros relinquens, qui tandem
animo consternati deficientes victi sunt.
Ex utraque
viginti novies gladiis cesi feruntur. Ex eis qui remanserunt hostibus, octies
viginti dirum et vituperabile jugum dedicionis subierunt cum prefato Archambaudo,
capitaneo castri fortissimi de Carlux, cui et predones patrie in cunctis
obediebant tanquam duci principali. De quo postmodum questione inter victores
exorta in tumultu militari, eum multi asseruerunt morte dignum, quia
recenter dominum de Commarque cum uxore et filiis in proprio oppido ceperat et
fraudulenter teterrimis ergastulis detinebat sine causa. Tandem tamea pro
redempcione ablata restituens, castrum proprium cum tribus aliis que rapuerat
sociis restituit, promittens quod eis adhuc solveret viginti mille scuta auri.
Et hoc
infortunium cum quidam raptus equo velocissimo cursu precipiti festinans apud
Brantomme sociis nunciasset, in baratrum desperacionis se dederunt, et animo
consternati querere mutuo inceperunt quid agerent. Successum autem prosperum
Gallici audientes, quasi jam arram tenerent triumphi, gavisi sunt, et inde spem
concipientes agrediendi congressum mutuum jam juratum, sollicitudine non pigri,
omnem arguentes moram, et tota nocte insistentes itineri, ante solem exortum in
armorum fulgore erectis vexillis anticipaverunt condictum campum pugne.
Monentibusque lituis cohortum iustruunt agmina, seseque mutuo exhortantur ut
contra Anglicos et Vascones hostes fortiter dimicarent, quos venturos in
proximo indubitanter credebant. Cum autem eos quatuor horarum spacio pede fixo et
ordinatis aciebus expectassent, tandem affecti tedio miserunt qui sciscitarentur
quam mentem gerebant oppidani. Sed hii velociter redeuntes omnes attonitos
admiracione reddiderunt, asserentes quod res longe se aliter habebat quam
credebant, et quod fraudati a desiderio res non procedebat ad votum. Sane, quod
nunquam sperassent, retulerunt incolas et subsidiarios pugiles de Brantomme
crebris legacionibus et vallidis precibus Anglicos evocasse, eosque litteris
instruxisse ut, Francis prospere succedentibus rebus, nonnulla oppida Anglicana
ad dedicionem coegerant, et id odiosum onus subire opportebat, nisi eis
succurrerent. Vicinos eciam rogaverant ne pigritarentur ad eos venire,
pollicentes non esse absque emolumento et condigno fructu, si sibi ministrarent
subsidium.
«Et quia,
inquiunt, ipsi omnes, omni rubore postposito, petita quasi sub quadam dissimulacione
pretereuntes opem ferre neglexerant, ideo facientes de necessitate virturem,
festinant quod promiserant complere.»
Hiis auditis,
adhuc meditabundi herentes et relacionem ambiguam reputantes censebant iterum
mitti, qui rem cercius referrent, cum mox supervenerunt oppidanorum nuncii,
qui, flexis genibus, impenso debite salutacionis affatu, ville claves
obtulerunt, supplicantes ut secundum formam pacti restitutis obsidibus eis
liceret recedere sine dampno et alibi transmigrare ad sedes novas querendas. Id
velut racionabile nostri annuerunt, gaudentes se brevissime et absque cruento
congressu quod periculosum et operosum hucusque crediderant2. Sed
ingredientes partam urbem, paucos graves et invallidos viros et nil prorsus
alimentorum aut predabile repererunt. Inde nonnulli prede avidi attendentes nil
ibi repertum nisi migratu difficile, id direptum est et inter eos divisum; et3
nil ibi penitus superesset quod valeret ad remuneracionem laborum militarium, indignacione
moti impetraverunt ut ville muri destruerentur solotenus, ne amplius essent
receptaculum hostium. Ad abbaciam autem propinquam, solum a prefata villa
quatuor distantem stadiis, accedentes, quia semper erga ipsos extiterat
obsequiosa et fidelis, nil penitus nocuerunt.
Sicque rebus
rite peractis et ad votum, omnes auctoritate precellentes ad urbem Lemovicensem
redierunt, mutuo deliberaturi si redire vel ulterius progredi et urgere
successum prosperum videretur. Tunc votorum magna dissonancia non fuit. Nam
major pars et sanior unanimiter decrevit ut, interim dum Vasconia anglicano
carebat subsidio, instabatque tempus messis tritticie, et ubique pabula pro
equis reperiebantur habunde, expedicionem suam bellicam obsidionibus castrorum
et infestacione urbis Burdegalensis insignirent. Ut sequencia docebunt, hec
agredi laudabiliter potuissent. Sed illi a quorum aliorum sentencia dependebat,
super hoc dominos duces Francie dignum duxerunt consulendos, ut siscitaretur ab
eis si hoc agere personaliter optarent. Quod attendentes de Claro Monte et de
Alenconio comites, et sic in longum ibant negocia, Parisius redierunt, ibi
Francie conestabularium et dominum Buticularium relinquentes cum ingenti copia
scutiferorum et militum, quos tunc elegerunt sub se militare.
1. Cette phrase est incomplète
dans le manuscrit; il faut y ajouter ces mots : villum et oppidum
resignarent. — Voir
ci-dessus, liv, XXVI, chap.
XXIX, p. 366.
2. II faut supposer ici dans le manuscrit l'omission d'un
mot tel que obtinuisse.
3. Le mot cum est
omis dans le manuscrit.
CHAPITRE IX.
Les Français
battent les Gascons et s'emparent de la ville de Brantôme.
Il n'était bruit
partout que de l'arrivée prochaine du fils ainé du roi d'Angleterre en
Aquitaine; on disait qu'il se préparait à venir à la tête d'une nombreuse armée
secourir la garnison de Brantôme et combattre les Français. Les assiégés, ainsi
que je l'ai dit plus haut, ne pouvant faire une plus longue résistance, avaient
souscrit aux conditions que leur imposait la nécessité, et promis de rendre la
ville et la citadelle, si les Anglais ne leur envoyaient des renforts avant la
fête de la Pentecôte. Ils avaient même livré aux Français douze otages, qui
devaient répondre sur leur tête de l'exécution du traité. Ils comptaient sur
les secours des places voisines. Mais ceux qui y tenaient garnison, ne se
sentant plus assez forts, depuis l'arrivée des Français, pour continuer les
hostilités, avaient décidé prudemment qu'ils s'enfermeraient dans leurs places,
afin de ne point fournir par leurs attaques un prétexte de guerre à leurs
ennemis, mais que, s'ils apprenaient le siège de quelque forteresse, ils
s'empresseraient tous de lui prêter assistance.
Les conditions
du traité ayant été consenties de part et d'autre, ceux de Brantôme adressèrent
à leurs compatriotes des lettres et des messages conçus en ces termes : « Très
chers amis, l'état de nos affaires est bien changé; des revers cruels nous ont
réduits à une telle extrémité.
qu'il ne nous reste
plus aucun espoir, et que nous craignons de succomber. Votre affection est
notre seule ancre de salut. C'est au milieu des plus vives alarmes que nous
vous exposons d'une voix plaintive les malheurs qui nous menacent. Nous vous
supplions, si vous avez quelque sentiment de pitié, d'accourir en toute hâte à
notre aide et de nous assister dans notre détresse. Quoi que vous décidiez,
veuillez nous le faire savoir sans délai par le messager que nous vous
adressons. Mais n'oubliez pas que, si vous repoussez nos prières, nous serons
réduits à la triste nécessité de nous rendre, et que vous compromettrez ainsi
vos propres intérêts. »
Pendant qu'ils sollicitaient ainsi du
secours, quelques seigneurs de Gascogne, parmi lesquels on remarquait Pons de
Langeac et Jean de Randon, vinrent se ranger sous les drapeaux du connétable de
France, qui possédait de vastes domaines dans le pays. Ces deux seigneurs inspiraient
peu de confiance au connétable, à cause de l'inconstance naturelle aux Gascons.
Cependant ils lui donnèrent des preuves de leur fidélité dans une rencontre qui
eut lieu durant la trêve. Les écuyers des comtes de Clermont et d'Alençon, qui
étaient pour la plupart de jeunes étourdis, allaient souvent visiter le lieu
désigné pour la bataille, situé à quatre milles de Brantôme. Les Gascons
d'alentour, ayant appris qu'ils s'y rendaient en désordre et sans prendre
aucune précaution, résolurent de tomber sur eux à l'improviste et par
trahison. Ils choisirent pour chefs deux aventuriers, Archambaud de Ransac et
Pierre dit Le Biernois, qui les avaient souvent guidés dans des entreprises de
ce genre, et qui excitaient leur cupidité par le riche butin qu'ils leur
abandonnaient. Ils se mirent en marche, et leur trahison aurait sans doute
réussi à leur gré, si les deux seigneurs dont j'ai parlé plus haut ne s'y fussent
opposés. Informés par leurs espions que les Gascons, au nombre de trois cents,
étaient déjà arrivés à Saint-Pierre d'Uzerche en Limousin, et qu'ils
commençaient à signaler leur présence par leurs brigandages accoutumés, ils
saisirent avec empressement cette occasion de les combattre. Prenant avec eux
trois cents hommes armés de pied en cap, ils coururent sans s'arrêter et à toute
bride à leur rencontre, et les chargèrent en criant d'une voix terrible: à
mort! à mort! et en
s'exhortant mutuellement à déployer le courage dont ils avaient fait preuve en
tant d'occasions. L'imprévu ébranle souvent les cœurs les plus intrépides.
Néanmoins les Gascons ne se laissèrent pas effrayer, et repoussèrent les
Français à coups d'épée et de poignard. On se battit de part et d'autre avec le
plus grand acharnement, et au dire de ceux qui furent témoins de la mêlée, les
Gascons auraient obtenu l'avantage, si Pierre le Biernois eût montré autant de
résolution que son compagnon; mais lorsqu'il vit que les rangs des siens commençaient
à s'éclaircir, le souvenir de tous ses méfaits lui fit craindre d'être puni
comme un traître, s'il était pris, et de payer de sa tête les crimes qu'il
avait commis en Aquitaine. Il chercha son salut dans la fuite, et ses
compagnons effrayés de sa désertion furent défaits sans résistance.
Il y eut,
dit-on, cent quatre-vingts morts tant d'un côté que de l'autre. Cent soixante
Gascons furent obligés de se rendre avec ledit Archambaud, capitaine du château
fort de Carlus, qui était reconnu par tous les brigands du pays comme leur
principal chef. On assembla à la hâte un conseil de guerre pour délibérer sur
son sort; quelques uns furent d'avis qu'on le mît à mort, pour avoir depuis peu
surpris par trahison dans son propre château le sire de Commarque avec sa femme
et ses enfants, qu'il retenait sans aucun motif en prison. Cependant on lui
permit de se racheter, à condition qu'il livrerait son
château de Carlus et trois autres places dont il s'était rendu maître, et qu'il
paierait une somme de vingt mille écus d'or.
Un des fuyards était allé en toute hâte
porter la nouvelle de cette défaite à ceux de Brantôme, qui en furent
consternés et qui se demandèrent avec effroi ce qu'ils devaient, faire. Les
Français au contraire en ressentirent la plus grande joie. Ce succès leur
sembla un gage assuré de la victoire, et augmenta l'impatience qu'ils avaient
d'en venir aux mains. Ils partirent sans plus tarder, et marchant toute la
nuit, ils arrivèrent enseignes déployées sur le champ de bataille avant le
lever du soleil. Ils se formèrent en bataille au son des trompettes, s'encourageant
les uns les autres à attaquer vigoureusement les Anglais et les Gascons, qu'ils
comptaient voir bientôt paraître. Mais ils les attendirent vainement pendant
quatre heures de pied ferme et en bon ordre. S'ennuyant à la fin de cette
longue attente, ils envoyèrent demander aux habitants de la place quelles
étaient leurs intentions. Leurs messagers revinrent promptement et les
étonnèrent beaucoup en leur apprenant que les choses étaient loin de se passer
au gré des assiégés, qui se voyaient tout-à-fait frustrés dans leurs
espérances. Ils rapportèrent en effet que les habitants et la garnison de
Brantôme avaient adressé aux Anglais de fréquents messages et de pressantes
sollicitations pour implorer leur secours; qu'ils leur avaient écrit que les
Français avaient déjà forcé plusieurs places à capituler, et que pareil sort
leur était réservé, si l'on ne venait à leur aide; qu'ils avaient aussi prié
leurs voisins d'accourir en toute hâte pour les délivrer, et leur avaient
promis de payer convenablement un tel service. « Mais, ajoutèrent-ils, comme on
n'a tenu aucun compte de leurs prières et qu'on les a lâchement abandonnés, ils
se soumettenuà la nécessité et se résignent à exécuter les conditions qu'ils
ont proposées. »
Les Français
pouvaient à peine croire au rapport de leurs envoyés; déjà même ils se
disposaient à faire partir d'autres personnes pour savoir plus sûrement à quoi
s'en tenir, lorsqu'ils virent arriver les députés de Brantôme, qui, après les
salutations et les compliments d'usage, leur offrirent les clefs de la ville et
demandèrent qu'on leur rendît leurs otages, conformément au traité, et qu'on
les laissât sortir vie et bagues sauves, pour aller chercher ailleurs de nouvelles
demeures. Les Français acquiescèrent à cette demande; ils étaient ravis d'avoir
obtenu en si peu de temps et sans effusion de sang un succès qu'ils avaient cru
plein de périls et de difficultés. Mais quand ils furent entrés dans la place,
ils n'y trouvèrent que des vieillards et des infirmes; il n'y avait ni vivres
ni butin; à défaut d'autre chose, quelques pillards se jetèrent sur les objets
qu'on ne pouvait emporter et les mirent en pièces. Furieux de n'avoir pas de
quoi s'indemniser de leurs peines, ils demandèrent et obtinrent de raser les
murs de la place, afin qu'elle ne servît plus de repaire aux ennemis. Ils se
dirigèrent ensuite vers une abbaye voisine, qui n'était qu'à cinq cents pas
environ de Brantôme; comme ils n'avaient qu'à se louer de la soumission et de
la fidélité des religieux, ils ne leur firent aucun mal.
Après la
réduction de Brantôme, les principaux chefs de l'armée retournèrent à Limoges,
pour délibérer s'il convenait de quitter le pays ou de marcher en avant et de
poursuivre le cours de leurs succès. Il n'y eut pas de grands débats à ce
sujet. La plupart furent d'avis qu'on profitât de l'absence des Anglais et de
l'approche de la moisson qui devait fournir des fourrages en abondance, pour se
signaler soit par le siège de quelques châteaux forts, soit par des courses sur
le territoire de Bordeaux, et la suite prouvera que ce parti était le plus sage
et qu'on aurait pu réussir. Mais les membres les plus influents du conseil
voulurent que l'on consultât à ce sujet messeigneurs les ducs de France, et
qu'on leur demandât s'ils désiraient diriger en personne cette expédition. Les
comtes de Clermont et d'Alençon, voyant que l'affaire traînait en longueur,
revinrent à Paris, et laissèrent dans le Limousin le connétable de France et
messire le Bouteiller à la tête d'un corps nombreux d'écuyers et de chevaliers.
Livre XXVI,
chapitre XXIX. (du 11 avril 1406 au 26 mars 1407)
CAPITULUM XXIX.
De Francorum exercitu trifarie diviso ad
obsidendum Brantomme, servandum Picardiam, et debellandum Lothoringos.
Ut superius
tactum est, Anglici, hostes regni, ab insidiosa piratica ad Picardie, Britanie,
Normanie littora sepius prosilientes lupina rapacitate, cum incolis vinculis
alliguatis greges et armenta undique contrahentes, in Calesium omnimodam alimentorum
opulenciam abduxerant. Sed cum sic sepissime grassarentur, ut indigencie sue
alleviarent inediam, in Acquitanie partibus rex Anglie dampna non paciebatur
minora a Gallicis, qui sub vexillis conestabularii Francie et Armeniaci comitis
militabant. De sexaginta namque tam villis muratis quam oppidis Guascones et
Anglicos partim viribus, partim peccuniali tractatu expulerant, qui a
compatriotis pastum annuum ducentorum milium aureorum extorquebant, ut sic
secure valerent agriculture vacare. Dum autem sic procurarent patrie libertatem
ubique discursus liberos exercendo, audientes quod de quadam villa forti non
longe ab eis distante, in Petragorico territorio sita, Brantomme nuncupata,
hostes sepius erumpentes, circumadjacentes incolas intollerabiliter
opprimebant, eorum victi precibus ipsam capere decreverunt. Premittunt igitur
qui dedicionem auctoritate regis Francie irnperarent. Qua cum superbia
denegata, villam obsidione cinxerunt, per gyrum obsidionalia instrumenta debite
collocantes, que die noctuque incessanter ingentis ponderis lapides emitterent,
statueruntque introitus et exitvis ipsius diligentissime servare, ne obsessis
victualia defferrentur. Octo ebdomadarum spacio, nostri arcubus et balistis et
quolibet missilium genere hostes tanto studio et tanta instancia vexaverunt, ut
nec manum auderent extra propugnacula ponere. Oppidani autem, quo majorem
nostrorum videbant instanciam, eo diligencius in contraria se attollebant
argumenta, ut et vim viribus et artem simili refellerent artificio. Tandem
tamen, cum pati assultuum asperitates nequirent, habita mutua deliberacione, et
ea usi que miseris et afflictis rebus solet adesse sollercia, condiciones
quales necessitas extorquere solet postulacionibus interponunt: videlicet quod,
nisi infra festum Pentecostes eis subsidium ministraretur ab Anglicis, villam
et oppidum resignarent. Quod poscebatur diu Gallici renuerunt, cum sperarent in
brevi rem fine debito et laudabili terminandam. Sed egre ferentes sibi
improperari quod id ex pusillanimitate procedebat, cum adversarios timerent,
tandem petitum annuentes, campum ad dimicandum aptum concorditer elegerunt,
obsides recipientes qui capite luerent, si pacto non staretur.
Dominis ducibus, qui, rege solito morbo detento, regni
ardua disponebant, tractatus valde placuit; sed audientes ad diem
dictam regem Anglie filium suum missururn in multitudine gravi bellatorum, huc
eciam dominum Buticularium insignem militem ad supplementum exercitus mittere
statuerunt. Ad probitatis et strenuitatis titulum acquirendum preclari comites
Clari Montis et de Alenconio, regis Francie cognati, ejus vestigia sunt sequti
cum tribus milibus loricatorum ad unguem, sperantes certissime ibi reperire
materiam triumphorum. Et quoniam in ambiguum veniebat ne hostes innata astucia
expedicionem hanc fingerent, ut caucius et liberius per Picardiam grassnrentur,
ex hiis oris sexcenti pugnatores domino de Sancto Georgio dicti duces
commiserunt, qui patriam ab eorurn discursibus tuerentur.
In consistorio
principum, dum tractarentur predicta, insignis marchio de Ponte, filius ducis
de Baro, regis Francie consobrinus, graves querimonias retulit super injuriis
sibi a duce Lothoringie illatis, que revera in regis et regni dedecus vertebantur.
Et ut occasionem ordiar aliquantulum alcius, dux ipse a Metensibus in auxilium
evocatus, quos comites de Saumes et Salleburie cum nonnullis aliis militibus
Alemanis opprimebant intollerabiliter, cum ipsum in protectorem et custodem
precipuum elegissent, mox collecta suorum vallida manu, diu terras hostium
rapinis et incendiis devastavit. Hoc utique genus guerre, quia utrisque
contendentibus consuetum, Lothoringi irreprehensibilem reddidissent, nisi in
vicinos bene sibi meritos et nichil sibi timentes crudelitatis sue vestigia
dilatassent. Nam terram ducis de Baro hostiliter subintrantes, castrum ejus Antegardia
vocatum, sed sub dicione regia tunc detentum propter discordiam motam super
possessione ipsius, viribus occupantes, destruxerunt in parte, ab
eisque in gentes regis usque ad internicionem fede sevitum est, parvipendentes
se sic crimen lese majestatis incurrisse.
Enormitatem excessus ipsi duces cum displicencia, nec immerito, audierunt. Tandem tamen attendentes quod non
solum regium est hostes repellere, ne regnis noceant,
sed et eorum scelera vindicare ad cohercionem malorum, hoc marchioni commiserunt,
auxilium sibi mittendum promittentes tempore opportuno. Non
expediens dicebant tunc triphariam dividere miliciam gallicanam. Sed
huic oppinioni modis omnibus resistit dux Aurelianis, et
ut ferebant nonnulli, quia custodiam Metensium in vanum procuraverat. Quapropter
dilectos sibi magistrum domus regie precipuum dominum Johannem de Monte Acuto
et novum admirallum Francie illuc misit, qui predicti marchionis vestigia sunt
sequti. Qui, cum villam populosam de Castro Novo, quam dux Lothoringie a rege
Francie tenebat in feodum, attigissent, et introitum pre potencioribus precibus
impetrassent, comperientes patriam adjacentem flamma voraci consumptam bonis
omnibus carere, ibi dignum duxerunt manere, quousque deliberassent quid inde
agere possent.
CHAPITRE XXIX.
L'armée française se divise en trois
corps pour assiéger Brantôme, défendre la Picardie, et combattre les Lorrains.
Les Anglais, ces
éternels ennemis du royaume, ne cessaient, comme il a été dit plus haut, d'infester
de leurs pirateries les côtes de Picardie, de Bretagne et de Normandie, sur
lesquelles ils se jetaient comme des loups affamés. Ils emmenaient de tous
côtés les habitants chargés de chaînes, le gros et le menu bétail, et
rapportaient à Calais des provisions de toute espèce. Mais, pendant qu'ils
cherchaient à remédier à leur disette par ces déprédations, les Français, qui
servaient sous les ordres du connétable de France et du comte d'Armagnac, ne
commettaient pas moins de dégâts en Aquitaine dans les possessions du roi
d'Angleterre. Ils avaient déjà enlevé, soit par force soit par composition,
soixante villes closes et places fortes aux Gascons et aux Anglais, qui
faisaient acheter aux habitants, moyennant une contribution annuelle de deux
cent mille écus d'or, le droit de cultiver leurs terres. Tandis qu'ils
travaillaient ainsi à la délivrance de l'Aquitaine, et qu'ils couraient la
campagne sans obstacle, ils apprirent que les ennemis sortaient souvent d'une
ville du Périgord appelée Brantôme et située dans le voisinage, qu'ils
infestaient le pays d'alentour et l'accablaient de toutes sortes de maux. Sur
la prière des habitants qui implorèrent leur secours, ils résolurent de prendre
cette place. Ils la sommèrent d'abord au nom du roi de France de se rendre à
eux. Cette sommation ayant été repoussée avec mépris, ils en commencèrent le
siège, dressèrent leurs machines autour des murs et lancèrent nuit et jour sans
relâche d'énormes pierres contre la ville. En même temps ils s'emparèrent
soigneusement de toutes les issues, pour intercepter les vivres aux assiégés.
Pendant huit semaines les Français firent pleuvoir sur leurs ennemis une grêle
de traits, de flèches et de toutes sortes de projectiles, et les assaillirent
avec tant d'acharnement, qu'ils n'osaient plus se montrer sur leurs remparts.
Cependant, plus nos soldats déployaient de vigueur dans l'attaque, plus les
assiégés mettaient d'opiniâtreté dans la défense, s'efforçant de repousser la
force par la force et la ruse par la ruse. Mais enfin, voyant qu'ils ne
pouvaient plus soutenir de si rudes assauts, ils se consultèrent entre eux pour
aviser aux moyens de se sauver dans leur détresse, et firent aux assiégeants
des propositions telles que les leur imposait la nécessité: ils offrirent de
rendre la ville et la citadelle à la fête de la Pentecôte, si les Anglais ne
leur envoyaient du secours avant ce temps. Les Français rejetèrent d'abord ces
conditions, dans l'espérance de mener le siège à bonne fin. Mais bientôt,
piqués du reproche des assiégés qui attribuèrent leur refus à la crainte de
l'arrivée des Anglais, ils acceptèrent les conditions proposées, choisirent de
concert avec eux un lieu pour la bataille et reçurent des otages, qui devaient
répondre sur leur tête de l'exécution du traité.
Messeigueurs les
ducs, qui dirigeaient les affaires pendant la maladie du roi, approuvèrent
cette convention. Mais ayant appris qu'au jour marqué le fils du roi
d'Angleterre devait arriver avec des troupes nombreuses, ils envoyèrent au
secours de l'armée française un chevalier de grand renom, nommé messire le
Bouteiller. Les illustres comtes de Clermont et d'Alençon, cousins du roi de
France, jaloux de signaler leur valeur et espérant en trouver l'occasion dans
cette guerre, le suivirent avec trois mille hommes armés de pied en cap.
Cependant, de peur que l'ennemi n'eût voulu les tromper et n'eût supposé cette
expédition dans le dessein de courir plus sûrement et plus librement la
Picardie, lesdits ducs envoyèrent six cents hommes d'armes sous la conduite du
sire de Saint-Georges, pour protéger cette province contre leurs attaques.
Sur ces
entrefaites, l'illustre marquis du Pont, fils du duc de Bar et cousin du roi de
France, se plaignit très vivement dans le conseil des princes des injures que
lui avait faites le duc de Lorraine, et remontra que la honte en rejaillissait
sur le roi et sur le royaume. Je reprendrai de plus haut le récit de ce differend.
Les habitants du pays de Metz, se voyant exposés aux attaques des comtes de Salm
et de Saarbrück et de quelques autres chevaliers allemands, appelèrent à leur
secours le duc de Lorraine, sous la protection duquel ils s'étaient placés. Le
duc rassembla une troupe nombreuse et mit à feu et à sang les terres de
l'ennemi; car c'est ainsi qu'on fait la guerre en ce pays. Aussi les Lorrains
n'eussent-ils mérité aucun blâme, s'ils n'eussent, étendu leurs ravages jusque
sur les Ierres voisines, dont les habitants étaient étrangers à cette querelle
et ne devaient s'attendre à aucune attaque. Ils entrèrent, en effet dans le
duché de Bar, où ils commirent toutes sortes d’hostilités, et s'emparèrent d'un
château nommé l'Avant-Garde, qui appartenait au duc, mais qui était alors en
séquestre entre les mains du roi. Ils le détruisirent presque complètement, et
ne craignirent pas de se rendre coupables de lèse-majesté en maltraitant et en
tuant même les gens du roi.
A la nouvelle de ces excès, les ducs
éprouvèrent un juste mécontentement. Considérant que le roi ne pouvait se
contenter de repousser les ennemis et de les empêcher d'infester le royaume,
mais qu'il devait encore tirer vengeance de leurs crimes, pour intimider les
méchants, ils chargèrent le marquis du Pont de marcher contre les Lorrains, et
promirent de lui envoyer des renforts en temps et lieu; car ils n'étaient point
d'avis qu'il fallût pour le moment diviser l'armée française en trois corps. Le
duc d'Orléans combattit cette opinion de toutes ses forces, parce qu'il en
voulait, disait-on, à ceux de Metz qui avaient refusé de lui confier la garde
de leur ville. Il fit partir aussitôt deux de ses familiers, messire Jean de
Montaigu, grand maître de l'hôtel du roi, et le nouvel amiral de France, qui
rejoignirent le marquis du Pont avec des gens de guerre. Ces deux chevaliers,
étant arrivés à Neufchâteau, ville très peuplée que le duc de Lorraine tenait
en fief du roi, eurent bien de la peine à s'y faire admettre. Comme tout le
pays d'alentour avait été incendié et qu'il n'y avait pas de quoi vivre, ils
prirent la résolution de rester dans la ville, jusqu'à ce qu'ils eussent avisé
à ce qu'ils pourraient faire.
Livre XXVII, chapitre X.
De villa1 et castris occupatis in Guyenna a manu modica
Gallicorum.
Quamvis omnes
quotquot ibi remanserant bellatores reputarentur egregii, instantem tamen
estatem sub umbraculis, proc pudor, transegerunt, octies viginti ex hiis
dumtaxat exceptis scutiferis, qui sub quodam milite picardo, ut perennem sibi
acquirerent apud posteros gloriam, quedam feliciter aggressi sunt, que felicius
consummarunt, scriptu digna. Ocio namque marcescere domi, quieti indulgere et
cotidie epulari splendide sedereque sub popinis desides, mulierum ritu, summam
infamiam reputantes, de licencia majorum sumptis secum
gregariis et levis
armature servientibus ducentis, explorandi gracia regionem adjacentem, et fortunam
experiri rerumque eventum, qui pro tempore et loco occurreret, ab aliis sunt
divisi. Igitur sic adunati per patriam adjacentem hostiliter grassari statuerunt,
mutuo se non regressuros fide media firmantes, donec castrorum obsidionibus vel
debellacione hostium iter suum insigne reddidissent. Et quia opus tam grandi alea
plenum temeritati ascribebat vulgalis oppinio, attendentes tamen sepe magnas
parvis principiis res effectas, in hostes apud Capellam degentes statuerunt insurgere,
velut a justo titulo inchoantes, quia vicinis suis de Brive la Guallarde, qui
Francis favebant, rapinas intollerabiles et continuas inferebant. Ab eisdem igitur vallidis precibus evocati, castrum in
agro
Sic loco sociis ad custodiam commisso, ut pro comperto
habuerunt ex indigenarum narracione fideli quod in vicino aliud esset oppidum,
Malemort nuncupatum, in rupe ardua situm, illuc adire statuunt celeriter. Sed
itineris medio custodem obviam habuerunt pacificum, qui reverenter impenso
salutacionis affatu se et sua eis submisit humiliter, condicione addita quod,
prestito juramento de fidelitate servanda erga regem, oppidum deinceps ejus auctoritate
servaret. Quo concesso, eos apud Florac duxit, dicens ibi residere copiam subsidiariorum
pugilum, qui pastum annuum a vicinis Gallicis extorquebant. Unde
merito indignati, post dedicionem derisorie denegatam, cum auxilio
superveniencium incolarum hostes expugnare totis viribus statuerunt. Ipsos tamen imparatos minime repererunt; sed fortiter resistendo
multos ex invasoribus graviter vulneraverunt; qui tandem terno reiterato
assultu oppidum impetuose ingressi sunt, invitis defensoribus, quos omnes
postmodum jugum redempcionis subire coegerunt, locum fideli custodie
committentes.
Post hec
agredientes majora, villam de Limeil, bellicoso refertam populo, muris et
turribus sublimibus et valde dempsis opere sollido compactis insignem admodum
et munitam capere statuerunt. Quod audientes incole mox octoginta ex suis emiserunt,
qui in insidiis latitantes eos transire permitterent, ut sic inopinate a tergo
insurgentes saltem eorum maximam partem exterminarent facilius; sed quod
excogitaverant effectu caruit. Nam a ruricolis vicinis commento fraudis
detecto, mox nostrates insidiatores celeriter prevenerunt et ad urbem fugere
coegerunt, sexdecim ex eis captis, qui precurrentes lencius sequebantur, quos
in oculis sociorum affîgi fecerunt patibulo. Nec tamen contenti ignominia illata,
ymo vicinis Francie benivolis in auxilium evocatis, cum crebris sagittarum
immissionibus et omnis generis missilium impetuosis ictibus diros inchoaverunt
assultus, quos introrsum manentes potentissime pertulerunt fortiter resistendo,
donec triduo exacto muros jam multis in locis cum celtibus et fossoriis
subfossos persenserunt. Tunc ad peticionem burgensium utrinque invasiones prohibentur,
et tandem celebrato super agendis consilio, quod nuper affectaverant, ut cum
aliis Gallicis deinceps conversari possent liberius, et ex rebus venalibus
commodum mutuum reportare, Gallicis victoribus introitum pacificum
concesserunt. In urbe reperientes habundanciam bonorum, sibi et equis pastum
benignius indulserunt. Et cum per aliquod tempus quieti et recreacioni
induisissent, et a majoribus natu sacramenta
fidelitatis recepissent, attendentes cum quanta perplexitate continuarent
promissa, si in vicino constructa castra fortissima de Morucle et de Penac eis
hostilia essent, mox illa adierunt; sed nil ibi certaminis fuit. Nam hostes improviso
adorti, primo clamore atque impetu illa ceperunt.
Tam clarorum
defectionem qui Boursac, Temolat et Jognac servanda susceperant audientes, eorum
exemplum sunt sequuti; et breviloquio utens, terror gallici nominis tunc hostes
longe lateque degentes sic invasit, quod postmodum Ruppem Sancti Christofori,
Sanctum Chamant, Autefort, Teno, Montem Regalem, Longuebrunet, Foisac, nundum
post elapso mense, eisdem absque resistencia reddiderunt. Tunc placuit de
universorum consensu nonnulla de ipsis municipiis funditus everti, cum sine
multis sumptibus, labore continuo et multo transeuncium periculo non viderentur
a Francis posse conservari, in aliis vero fideles capitaneos auctoritate regia
deputando.
Sic rebus
strenue gestis, ut earum exitus fine commendabili clauderetur, attendentes quod
feliciori ut ita dicam concomitante fortuna hostiles discursus usque ad villam muratam
de Muscidan, insignem admodum et munitam, quam et fortissimum castrum tuebatur,
peregerant, mutuo consuluerunt si hanc viribus expugnarent. Ibi relicta quondam
domini de Muscidan residebat, que in illis partibus et usque ad Burdegalensem
urbem amplas hereditates possidebat. Ad quam protinus mittentes qui auctoritate regia dedicionem
imperarent, cum eam contemptibiliter denegasset, mox accitis
pugilum copia jam subacta, quam secum traxerant, et adjacentibus incolis, qui
eis favebant, eam obsidione cingere decreverunt. Opus vires procul dubio
excedebat; cujus tamen difficultatem supplere posse sperabant, si, tritticee
messis anni elapsi annonu defîciente, in sata adhuc telluri herencia et huc
illucque per campestria manipulatum dispersa nec in areis nundum congesta sevirent;
et id ab universis conclusum est. Vineas eciam extirpare ad maturitatem tendentes et
dare incendiis decretum est, ut saltem hoc dampno urbani desperarent. Quod conceptum fructuoso non caruit effectu.
1. Var. : n° 5959, fol. 42 v., villis.
CHAPITRE X.
Quelques Français s'emparent d'une ville
et de plusieurs châteaux forts en Guienne.
Les hommes d'armes qui étaient restés
dans le Limousin, quoique tous renommés pour leur valeur, ne laissèrent pas de
passer l'été dans un honteux repos. Cent soixante écuyers seulement, jaloux
d'acquérir de la gloire par quelque action d'éclat, se mirent sous la conduite d'un
gentilhomme picard, et firent des prouesses dignes de leur courage. Regardant
comme le comble de l'infamie de languir ainsi que des femmes dans l'inaction et
l'oisiveté, et de vivre au milieu des plaisirs et de la bonne chère, ils
prirent avec eux, du consentement de leurs chefs, deux cents hommes tant de
troupes légères que de gens de pied, et se séparèrent de leurs compagnons, pour
aller explorer les environs, et chercher les occasions de combattre. Ils
jurèrent entre eux de ne point revenir sans s'être signalés par le siège de
quelque place ou par la défaite de quelque corps ennemi, et se mirent à courir
le pays d'alentour. Ils n'ignoraient pas qu'on blâmait généralement comme téméraire
une entreprise si pleine de difficultés; mais considérant que souvent une
affaire commencée avec de faibles ressources se termine par un succès éclatant,
ils persistèrent dans leur dessein. Ils attaquèrent d'abord la garnison de la
Chapelle, afin de tirer vengeance des dégâts intolérables qu'elle commettait
sur les terres voisines des habitants de Brive-la-Gaillarde, qui étaient
attachés au parti de la France, et qui avaient vivement imploré leur secours.
Le château de la Chapelle était situé en rase campagne, mais entouré d'une
bonne muraille. Le commandant de la place était un bâtard, issu d'une noble
famille de Gascogne, qui, comptant sur la force de sa position, repoussa les
sommations qu'on lui fit au nom du roi. Les Français, irrités de son refus,
commencèrent aussitôt l'attaque et tuèrent beaucoup de monde aux assiégés. Le
capitaine, n'ayant avec lui qu'une faible garnison, n'attendit pas un second
assaut; il capitula, remit sa forteresse et sortit à la tête des siens, vie et
bagues sauves.
Après avoir
laissé une garnison dans la place, les Français, informés qu'il y avait dans le
voisinage une autre forteresse nommée Mallemort, située sur un roc escarpé, s'y
dirigèrent en toute hâte. Mais chemin faisant ils rencontrèrent le gouverneur,
qui venait à eux avec des paroles de paix, et qui, après les avoir salués
humblement, offrit de remettre entre leurs mains sa personne et ses biens, à
condition qu'il garderait désormais sa forteresse au
nom du roi, en lui prêtant serment de fidélité. Cette condition ayant été
acceptée, il les mena devant Florac, où il y avait, leur dit-il, une compagnie
de gens de guerre qui levait une contribution annuelle sur les
Français du voisinage. Justement indignés de ces exactions, ils sommèrent la
garnison de se rendre, et sur son refus ils attaquèrent vigoureusement la place
avec un renfort des habitants du pays qui s'étaient joints à eux. Les assiégés
s'étaient mis en mesure de résister; ils combattirent vaillamment, et
blessèrent un grand nombre des assaillants. Mais enfin, après trois assauts
successifs, les Français entrèrent de vive force dans la place, mirent à rançon
tous les vaincus et confièrent la forteresse à une garnison fidèle.
Enhardis par ces
succès, ils se dirigèrent vers la ville de Limeuil, qui renfermait une
population belliqueuse, et qui était défendue par d'épaisses murailles et de
hautes tours solidement construites. A cette nouvelle, les habitants
ordonnèrent à quatre-vingts hommes d'aller se poster en embuscade sur leur chemin,
pour les attaquer à l'improviste par derrière, quand ils seraient passés, et
pour en tuer le plus qu'ils pourraient; mais leur stratagème échoua. Les
Français, avertis par les paysans du voisinage, prévinrent cette embuscade par
une marche rapide et forcèrent les quatre-vingts hommes à rentrer dans Limeuil.
Ils en prirent seize qui étaient restés en arrière, et les pendirent sous les
yeux de leurs compagnons. Non contents d'avoir ainsi insulté les habitants, ils
appelèrent sous leurs drapeaux tous les partisans qu'ils avaient dans les
environs, et commencèrent à faire pleuvoir sur la ville une grêle de flèches et
de toutes sortes de projectiles; les assiégés résistèrent vigoureusement et
tinrent bon pendant trois jours. Mais s'étant aperçus que les murs étaient
minés et sapés en plusieurs endroits, ils demandèrent une suspension d'armes et
tinrent conseil pour aviser à ce qu'ils feraient. Comme ils désiraient depuis
longtemps établir entre eux et les Français des relations commerciales dont ils
espéraient tirer profit, ils résolurent d'ouvrir les portes de la ville aux
assiégeants. Les vainqueurs y trouvèrent des provisions de toute espèce et des
vivres en abondance pour eux et pour leurs chevaux. Ils s'y
dédommagèrent pendant quelques jours de leurs fatigues et de leurs privations,
et après avoir reçu le serment de fidélité des anciens de la ville, ils
allèrent attaquer les châteaux forts de Mareuil et de Paunac, situés dans les
environs, dont la réduction leur paraissait nécessaire pour la sûreté des
engagements pris de part et d'autre. Ils s'en emparèrent sans coup férir;
l'ennemi, pris au dépourvu, se rendit à la première attaque.
La soumission de
ces places importantes amena celle de Bussac, de Trémolat et de Journiac; et
bientôt la terreur qu'inspirait en tous lieux le nom français fut telle,
qu'avant un mois l'ennemi leur livra sans combattre la Roche Saint-Christophe,
Saint-Chamant, Hautefort, Thénon, Montréal, Longuebrunet et Foissac. On fut
unanimement d'avis de raser quelques unes de ces places, qu'il eût été
impossible de conserver sans d'énormes dépenses, de continuelles fatigues et de
grands dangers; les autres furent confiées au nom du roi à des capitaines
fidèles.
Pour terminer dignement une expédition
déjà marquée par tant de succès, les Français, qui avaient poussé sans obstacle
leurs courses victorieuses jusqu'à Mucidan, grande ville, bien fortifiée, et
défendue par un château presque imprenable, résolurent de s'en emparer. La
veuve du sire de Mucidan, qui possédait de vastes domaines dans la province et
dont la seigneurie s'étendait jusqu'aux portes de Bordeaux, y faisait sa
résidence. Ils l'envoyèrent sommer au nom du roi de se rendre. Sur son refus,
ils joignirent aux hommes d'armes qu'ils avaient tirés de toutes les places
conquises et emmenés avec eux les habitants du voisinage qui leur étaient
dévoués, et commencèrent le siège de la ville. C'était une entreprise au-dessus
de leurs forces; néanmoins, comme la récolte avait manqué l'année précédente,
ils espéraient réussir en détruisant les blés qui étaient encore sur pied, ou
qu'on avait entassés en gerbes dans les champs pour les rentrer dans les
granges. On s'arrêta d'un commun accord à ce parti. On décida aussi qu'on
arracherait et qu'on brûlerait les vignes, déjà presque arrivées à leur
maturité, afin de réduire les habitants au désespoir. Ce projet réussit au delà
de leurs espérances.
La dame de
Mucidan, ayant eu avis des intentions des Français, assembla ses familiers afin
de délibérer avec eux sur ce qu'il convenait de faire dans une conjoncture si
critique. Ils lui conseillèrent de mander le sire de Harpedanne, brave
chevalier breton, qui avait épousé sa fille, et de se servir de son entremise
pour échapper au danger qui la menaçait. Ce seigneur arriva en toute hâte, et
pria les Français de suspendre leurs attaques et leurs dévastations, promettant
sur l'honneur de travailler de tout son pouvoir à faire remettre la ville entre
les mains du roi de France. Conformément à sa promesse, il essaya pendant
plusieurs jours d'amener ladite dame à une capitulation; mais ses efforts
furent inutiles. A la fin pourtant, elle se rendit aux conseils de son gendre,
de peur que ses sujets, fatigués d'un long siège et épuisés par la faim,
n'acceptassent les conditions qu'elle refusait. On conclut un traité qui fut
juré de part et d'autre, et dont les principales clauses étaient que la dame de
Mucidan sortirait de la place avec soixante hommes armés de pied en cap, et
irait fixer sa résidence ailleurs, mais que sa vie durant elle percevrait les
revenus et profits de la châtellenie, et qu'il lui serait permis de demeurer
sous l'obéissance du roi d'Angleterre. Quand elle fut sortie, les Français
prirent possession de la ville et de la citadelle au nom du roi, y mirent une
bonne garnison, et afin de prévenir toute attaque, ils prirent les deux
châteaux de Sendrens et de Champagne situés dans le voisinage; après
quoi, ils retournèrent à Limoges. Leurs compagnons, qui attendaient encore la
réponse de messeigneurs les ducs, les reçurent avec beaucoup d’honneur, et les
félicitèrent de leurs succès, non toutefois sans éprouver quelque dépit de
n'avoir pas pris part à cette glorieuse expédition.