Collection universelle des mémoires particuliers
relatifs à l’Histoire de France.
Tome VI.
Contenant
les Mémoires du bon Messire Jean Le Maingre, dit Boucicaut, Maréchal de France
XIVe
& XVe siècles
Chapitre XXIX.
Comment apres
le retour de Hongrie le Roy envoya le Mareschal en Guyenne, à belle campaignée
de gens d’armes sur le comte de Perigort, qui s’estoit rebellé contre luy. Si
le prit & amena prisonnier au Roy.
Aprés ce retour de Hongrie fut le Mareschal toute celle saison à repos. Car assez besoing en avoit. Si advint en celuy temps que le comte de Perigort[1] se rebella contre le Roy de France, & meit les Anglois dedans les chasteaux et forteresses sans qu’il eust nulle cause de ce faire. Et commença à faire grand guerre au pays du Roy en Guyenne, & à bouter feu, à occire gent, & a faire tout du pis qu’il pouvoit. De ceste chose feurent portées les nouvelles au Roy, pour lesquelles offences faire amender il envoya le Vicomte de Meaux & Messire Guillaume de Tignonville, avec bonne compaignée de gens d’armes. Et quand ils feurent là arrivez, le dict Vicomte de Meaux feit commandement au Comte de Perigort que il se rendist au Roy, & cessast de la guerre & des oultraiges que il faisoit : mais à ce ne voulut oncques obeir le dict Comte, ne du commandement ne fist force. Si s’en retournerent sans rien faire quand une piece y eurent esté. Et passa ainsi l’hyver. Quand veint au renouvel de la saison le Roy ordonna que le Mareschal iroit au dict pays, & avec luy meneroit huict cent hommes d’armes, & quatre cent Arbaletriers, & en prendroit deux cent qui estoient ja devant pour la garde du pays, & par ainsi feroient mille hommes d’armes qu’il auroit. Et avec ce luy fut baillé l’Arrest de Parlement qui avoit esté jetté contre luy pour ce que il ne s’estoit comparu à l’appel du Roy. Et ainsi se partit le Mareschal à belle compaignée, & avec luy allerent le Vidame de Lannois qui ores est grand Maistre d’hostel du Roy, Messire Guillaume le Boutellier, Messire Bonnebaut, Parchion de Nangiac, & plusieurs autres Bannerets & vaillans Chevaliers.
Si tost que le Mareschal fut arrivé en Perigort, il manda au Comte que il se meist en l’obeissance & volonté du Roy, & demandast pardon du grand mespris que vers luy faicte avoit. Et que si ainsi le vouloit faire, que luy mesme pourchasseroit sa paix vers le Roy, & le prieroit que il luy voulust pardonner. Mais de tout ce ne feit nul compte, ains espia sont point & saillit sur les gens du Mareschal à belle escarmouche. Mais toutesfois ce fut à son pis ; car il fut laidement rechassé en sa forteresse : & non pourtant y fut blessé Messire Robert de Milly, qui estoit & est de l’hostel du Mareschal. De cette desobeissance & oultrecuidance que le Comte de Perigort faisoit contre le Roy fut moult indigné le Mareschal, & dit qu’il luy vendroit cher sa folie. Si meit tantost le siege par tres-belle ordonnance devant le chastel de Montignac[2], qui est une tres-forte place, & sembleroit comme imprenable, & là estoit le dict Comte, & manda querre engins & trait de par tout, & en fit faire tant qu’il en fut bien garny. Puis les feit dresser : si prirent à lancer si grosses pierres d’engins & de canons contre les murs que tous les estonnerent, & si druëment que l’un coup n’attendoit l’autre, dont ils abatoient la muraille à grands quartiers. Tant que en deux mois que dura le siege furent furent si bien battus que mieulx ne pouvoient. Et bien veirent ceulx de dedans que tenir ne se pourroient, & que remede n’y avoit qu’ils ne feussent pris par vive force. Si conseillerent au Comte que il se rendist, laquelle chose quand plus n’en peut il feit, & se soubmist à la volonté du Roy et à l’ordonnance du Mareschal. Et aussi se rendirent au Roy tous ses chasteaux & villes[3], & le Mareschal comme faige Chevetaine y met tres-bonnes gardes & tres-bien les garnit. Et le Comte & ses sœurs qui avec luy feurent prises envoya en France au Roy lequel luy pardonna ses mesfeicts, pour ce que il luy cria mercy, & promist d’estre de là en avant bon François. De laquelle chose il se parjura : car assez tost apres se partit sans congé, & s’en alla en Angleterre, dont puis ne retourna. Le Mareschal demeura toute celle saison qui estoit hyver en Guyenne, en la garde du pays, & puis l’esté d’après s’en retourna vers le Roy.