Origine
de Ribérac, Mussidan, Saint-Astier,
Grignols, Mareuil,
Montagrier,
Montaut, Montignac, Castillon-sur-Dordogne.
Aymon Ier, Aymon II,
Comtes de Périgueux.
Légendes
inédites d'Aymon de Dordone ou d'Entre-Dordogne.
Origine
de la Légende de Renaud de Montauban.
Analyse
d'une étude historique
Par M.
Angel Fayolle.
RIBÉRAC
C. DELECROIX,
IMPRIMEUR-LIBRAIRE.
Août
1881.
p. 3
Origine
de Ribérac, Mussidan, Saint-Astier, Grignols, Mareuil
Auberoche, Aubeterre,
Montagrier, Montaut, Montignac, Castillon-s/-Dordogne,
Leur fondation ou leur rétablissement au Xe
siècle.
Un associé correspondant de la Société Nationale des Antiquaires
de France et de notre Société historique et archéologique du Périgord, M. Grellet-Balguerie,
publie en ce moment une ancienne chronique ou
légende latine qui fournit des détails historiques fort intéressants pour le
Périgord. A la suite de cette chronique, dont il a trouvé deux copies à Paris dans
les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, ainsi qu'au moyen d'autres
documents incontestables, en partie déjà connus; cet auteur établit l'Origine exclusivement française et
aquitanique de la célèbre légende des Quatre Fils Aymon. On a fait jusqu'ici de ces preux et de leur
père des héros Saxons, des Allemands: c'est là le dernier mot de la plus
savante critique contemporaine! M. Grellet-Balguerie a entrepris de la combattre
et poursuit avec patience cette œuvre de restitution historique et de revendication
nationale.
D'après ses recherches, en effet, ces guerriers légendaires
auraient eu leurs types réels dans l'histoire et dans l'histoire des Francs, et
leur origine en Aquitaine, dans le Périgord. Ils ne seraient nullement fils ou
petits-fils d'un Saxon, mais d'un seigneur franc: leur aïeul ne serait autre
qu'un comte du palais, Aimon Ier, devenu comte de Périgueux, après
la mort, ou la
p. 4
révocation ou la cessation des pouvoirs amovibles du comte Wibald (Guibaud), nommé comte de Périgueux
par Charlemagne, en 778. Cet Aimon Ier avait pour femme Aygua, Ayga (l’Aye des poèmes et des romans de
chevalerie, la mère des Quatre Fils
Aymon), celle dont la fille, comtesse
de Turenne, vers l'an 804, porta le même nom d'Ayga ou d'Aygane (fille d'Ayga). Le père de nos quatre
héros aquitains n'est autre que le fils aîné de ce même Aimon, comte de
Périgueux, Aimon II ou Aimenon, frère de Bernard et de Turpion, ce dernier,
plus tard, comte d'Angoulème et de Périgueux (839 à 863).
En 838, Aimon II, guerrier redoutable, comte de Poitiers,
osa lutter contre l'empereur Louis le Débonnaire, et proclama, malgré ses
ordres, Pépin II comme roi d'Aquitaine.
L'empereur l'expulsa de Poitiers en 839, ainsi que son
frère Bernard, qui s'enfuit auprès de son parent Rainaud l'Aquitain, comte
d'Herbauges (et plus tard de Nantes, 841); mais il poursuivit en vain Aimon,
pendant l'automne de cette même année, dans les montagnes voisines du château
de Turenne, au milieu desquelles ce redoutable rebelle s'était retranché. En
sortant de Poitiers, Aimon s'était d'abord réfugié auprès de son frère Turpion le Magnifique, nommé, cette année-là
par l'empereur, comte d'Angoulême, et qui était sans doute déjà comte de
Périgueux, du chef de son père Aimon Ier, ou à la place de son frère
Aimenon, devenu comte de Poitiers.
Turpion, secrètement attaché, comme son aîné et son autre
frère Bernard, à la cause de Pépin II, pour lequel il se déclara ouvertement
plus tard (844), ne pouvait refuser asile à son frère Aimon. Louis le
Débonnaire, voulant à tout prix faire couronner roi d'Aquitaine le jeune
Charles le Chauve, le fils de sa seconde femme Judith, poursuivit Aimon et
tous les partisans de Pépin II depuis Poitiers jusqu'à Périgueux ou Angoulême
et de là jusque dans la Marche, dans le Limousin et dans l'Auvergne. Là, il
emporta d'abord le château de Cartilatus,
Carlat, sur les rebelles, et fut les assiéger dans la forteresse de
Turenne où ils faisaient mine de résister. Mais, plus avisés, ces derniers
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en
sortirent pour aller camper et s'éparpiller dans les forêts et sur les
montagnes environnantes (1).
Aimon s'y maintint malgré tous les efforts des Francs. L'armée
impériale se fondit pendant cette campagne d'automne et dans la guerre
d'embuscades et de partisans qu'Aimon ou Aimenon dirigea contre elle. Les
fièvres et les maladies la décimèrent encore; l'empereur en ramena les débris
de Turenne à Poitiers. C'est alors peut-être qu'il en expulsa Aimenon.
Le château de Turenne
était alors en Périgord ou en dépendait, ou bien il appartenait depuis 824, à
ce chef rebelle ou à son père le comte Aimon Ier, dont la fille
Aygane ou Aimenane, la sœur d'Aimenon, épousa le comte Radulf, depuis comte de
Turenne (2).
Ces détails historiques, en grande partie inédits,
rétablissent ainsi la chaîne des temps et des faits.
Aimon II fut encore l'adversaire le plus puissant et le
plus implacable de Charles le Chauve, singulièrement métamorphosé en
Charlemagne dans tous les romans de chevalerie.
(1) L'une de ces montagnes offrait un
refuge presque impénétrable: c'est le mont appelé le Puy-d'Yssolu, devant
Saint-Denis (Corrèze), qu'on croit être la célèbre forteresse gauloise , l’Uxellodunum
de César. Cette position stratégique très-importante où l'on pourrait
établir sur une grande échelle un camp retranché et faire un simulacre de siège
en règle, se recommande à l'attention du Ministre de la Guerre, à raison de ses
défenses et de ses ressources naturelles, comme des prairies immenses et des
grands cours d'eau, qui s'étendent à ses pieds, devant ses vastes remparts de
terre ou de maçonnerie antique, presque à pic du côté de la Dordogne, et devant
ses flancs encore très-abrupts du côté de la voie ferrée. Un puits artésien y
réussirait.
(2) Une fille de Radulf de Turenne et
d'Aygane (fille d'Ayga, femme d'Aimon Ier, l’Aye des romans de chevalerie), abbesse de Sarrazac en Quercy,
portait aussi ce même nom significatif d'Aimenane ou d'Emménane, c'est-à-dire,
petite-fille et filleule d'Aimon Ier, ou filleule d'Aimon II ou
Aimenon, son oncle maternel.
p. 6
Aimon battit plusieurs fois les armées de ce roi; il .se
maintint malgré lui comme comte de Périgueux et d'Angoulêrne depuis 863, année
où mourut son frère Turpion, jusqu'en 866 où lui-même, grièvement blessé, périt
après avoir combattu et tué Landry, comte de Saintes. En 893, son fils Adhémar
reprit le comté de Poitiers, malgré le roi Eudes, son oncle, dont il avait un
jour écrasé l'armée. Telle est l'histoire réelle et peu connue.
Voici maintenant la légende:
Frère d'un autre Aimon (Aymo lo Bels) et d'Adhémar, un guerrier puissant, Alcher le
Sourd, l'égal de tous les seigneurs ses voisins, était arrivé entre les années
880 ou 900 et 920 à Périgueux, du temps d'un comte Talleran, son parent, comme
lui de la race royale carlovingienne. Wulgrin, nommé en 863, puis en 866, comte
de Périgueux par Charles le Chauve, était en effet parent ou cousin de ce roi.
Ce comte Talleran était sans doute Guillaume Ier, comte de
Périgueux, depuis la mort de son père Wulgrin (886), et le premier qui dût
porter ce surnom de Talleran, devenu
bientôt le nom patronymique de la branche ainée des Talleyran, ou bien le fils
de ce Guillaume, Bernard Ier. Ce dernier dût être aussi appelé Talerani, comme le fut sa soeur Emma,
épouse de Boson le Vieux, comte de la Marche et par elle, comte du Périgord. Un
autre comte de Périgord, nommé Guillaume (Guill. Talleran, petit-fils de
Bernard, dépossédé plus tard par Arnaud Manzer du comté d'Angoulême et
peut-être de celui de Périgueux (960-975), Guillaume Talleran, qu'on fait
mourir en 962, donna à Alcher, à ses frères Aimon et Adhémar, et à son neveu ou
cousin Arnaud Bresca, d'immenses domaines en Périgord, le pays d'Entre-Dordogne
et tout ce qu'ils voudraient ou pourraient prendre dans la forêt de la Double
ou conquérir sur ses ennemis alors en guerre contre lui.
Alcher le Sourd bâtit sur une hauteur dominant la rivière
de la Dronne, en un pays dit de rivière (ripeyra),
le château-fort de Ribérac, Castellum
Ribbairac, entre 920 et 940, au milieu ou aux confins des trois
paroisses de Faye, de Saint-
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Martial et de Saint-Martin. La
chapelle du château était dédiée à Notre-Dame. Les habitants se groupèrent au
pied et autour de ce château et constituèrent la ville (4).
La chronique publiée par M.
Grellet-Balguerie indique donc Alcher le Sourd comme fondateur et premier vicomte
de Ribérac. Après lui, ses deux fils Adaïcius et Adalger, desquels il va être
bientôt encore question, furent co-seigneurs ou ensemble vicomtes de Ribérac. On peut fixer approximativement la
date de leur décès au plus tard vers 996; Adalger était sans doute mort avant
993, Alcher, leur père, vers 950 ou 960. L'histoire fait mention de
quelques-uns des successeurs de ces trois premiers vicomtes et du château de
Ribérac, appelé en 1090, Ribairacum (Cartulaire
de Cadouin). Archambault, fils du vicomte de Turenne, devint, vers la même
époque, vicomte de Ribérac. Le Cartulaire de Chancelade fait connaître un autre
vicomte, Raymond, Raymundus de Ribeirac et de Turenne (1116-1168). Une bulle du pape Innocent VI fait mention de l'église St-Martial
de Ribérac, Sancti-Martialis de
Ribbayriaco.
Les Archives de la Gironde, t. I, ont publié le testament de Rose de
Bourg, dans lequel Ribérac est appelé Arribeyrac.
Au XIIIe siècle, en effet, et antérieurement, la particule ar se plaçait devant un r initial ou les noms commençant par
un r:
(1) Peut-être Alcher le Sourd, le premier
fondateur connu du château et de la ville de Ribérac, n'établit-il que ce
château-fort au-dessus de la ville, ou ne fit-il que le relever, ou que
rétablir et fortifier la ville de Ribérac, qui aurait pu être détruite par les
Normands au IXe siècle, ou dans les premières années du Xe,
comme le furent Périgueux et Saint-Astier. Les paroisses de Saint-Martial et de
Saint-Martin possédaient la plus grande partie du territoire en deçà de la
grand'rue et des abords du château. — Celle de Saint-Martin partagea plus tard
la dîme avec le chapitre des six chanoines de Ribérac. — Le portail en ruines
de l'église de Faye a pour clé de voûte un curieux bas-relief du XIe
siècle représentant le Christ bénissant, assis sur un trône au milieu d'un
ovale aigu (Victhus), et
encensé par deux anges agenouillés à ses côtés, en dehors de l'ovale,
p. 8
ainsi Arramond pour Ramond,
Arrenaud pour Renaud; un
arroussin pour un roussin,
Arrostanh pour Rostanh, etc.
Au XVIe siècle, sous
son vicomte Odet d'Aydie (1), la ville est encore appelée Ribeyrac ou Ribeirac,
dernier nom qu'elle conserva jusqu'au XVIIIe siècle. — Revenons au IXe
siècle.
Alcher eut deux fils, Adaïcius et
Adalger. Avec le concours du comte de Périgueux, Guillaume Tallerani (sans doute Guillaume
Talleran, petit-fils de Bernard Ier, et comte de Périgueux et
d'Angoulême, chassé par Arnaud Manzer et mort en 962), Adaïcius et Adalger
fondent le château et la ville de Moysida,
Mussidan, entre les années 940 et 960. Ils les fondent ou les
rétablissent, car, d'après la tradition, les Normands auraient détruit Mussidan
ainsi que Montréal, au IXe siècle ou au commencement du Xe,
époque où ils dévastèrent Périgueux (904) et sans doute Saint-Astier. Il avait,
en effet, existé à Saint-Astier un monastère de religieuses brûlé par ces
barbares.
Les deux frères Adaïcius et
Adalger reçurent le château et
(1) Cet Odet d'Aydie, seigneur de Riberac,
eut un procès avec le roi de Navarre Jean au sujet des seigneuries de Larche et
de Terrasson. L'arrêt rendu par le Parlement de Bordeaux fut exécuté, en 1515,
par le conseiller commissaire Jean de Calvimont. Mais un accord intervint
bientôt relativement à ces mêmes seigneuries entre Henri II, roi de Navarre, et
Anne de Pons, dame de Ribérac, veuve d'Odet d'Aydie. Les Odet d'Aydie
revendiquèrent aussi, en 1497, la seigneurie de Fronsac. (Archives de Pau:
Analyse de M. Villepelet, Bulletin de
la Société historique et archéologique de Périgueux, t. VII.)
Cette famille avait encore des
représentants dans le Périgord. L'abbé
Gui François d'Aydie, mort en 1719, eut la même année pour successeur à
l'abbaye de Saint-Angel (canton de Champagnac, Nontron), l'abbé François Odet
d'Aydie, aumônier de Louis XV, vicaire-général et doyen de la cathédrale de
Tours. Ce dernier abbé, pourvu de riches bénéfices, se retira à Périgueux. Il
parvint à un âge fort avancé (88 ans en février 1790).
Louis XI avait donné la seigneurie de
Fronsac à Odet d'Aydie, seigneur de Lur et d'Uza, son grand sénéchal en
Guienne.
p. 9
le fief de Saint-Asticr en don de
l'évêque de Périgneux. Cet évêque pouvait être leur parent, Martin Ier,
évêque de 992 à l’an 1000, et
fils de Boson le Vieux et d'Emma Talleran, ou bien l'évêque Radulf de Cohalia (1000
à 1013), lequel établit à Saint-Astier dans son alleu une abbaye d'hommes.
Adaïcius et Adalger possédèrent
leurs fiefs en commun. Cependant, le château de Mussidan devint plutôt le
patrimoine des descendants d'Adalger, vicomte de Mussidan. Le second vicomte fut
Aimeric, guerrier puissant qu'Adhémar de Chabanois, appelle vers l'an 1028, duc
de Mussidan, dux Moxedanensis. Il
était frère ou cousin germain de Grimoard et d'Islon, l'un évêque d'Angoulême,
l'autre de Saintes. Il est déjà question de tous les trois en 993. Grimoard
l'évêque inféoda à son germain Aimeric
un bien ecclésiastique et l'église de Trérnolac (1). Grimoard assista en 988 au
concile de Charroux, avec Frotaire de Gourdon, évêque de Périgueux.
De 1050 à 1080, le vicomte Alger
ou Alquier, nom qui rappelle celui de l'aïeul Alcher, et qu'on métamorphosa
même en Auquier et Augier, était seigneur du château de Mussidan, Castrum Muxidanii (don du prieuré de
Sourzac à l'abbaye de Saint-Florent, repris et redonné en 1081 à l'abbaye de
Char-
(1) Si Adhémar appelle duc de Mussidan le
vicomte Aimeric, qui donna ces bénéfices à ses frères, ducibus suis, c'est que peut-être lui ou son fils ou sa fille
devint aussi, par conquête ou par mariage, maître de Rochechouart. Nous allons
voir la troisième fille d'Adaïcius, Ermengarde, devenir dame de Rochechouart
par son mari, sans doute Aimeric de Rochechouart. Le chapelain de ce seigneur
raconte qu'en l’an 1002, Aimeric se trouvant le vendredi saint dans la
basilique de Saint-Sernin de Toulouse, fut choisi, pour donner, selon l'antique
et absurde usage, un soufflet à un Juif, en représailles de l'outrage semblable
fait à Jésus-Christ. Aimeric colaphiza
ou souffleta si violemment le malheureux
patient que la cervelle lui en sortit et qu'il mourut sur place. Cette catastrophe
fit abolir cette cruelle et sauvage coutume.
p. 10
roux par Alquier et ses frères, Guillaume et Arnaud, ce dernier abbé, puis,
prieur de Sourzac). En 1094, les archives de Saint-Astier font mention de la
ville de Muyssida, appelé Moïsedanum en 1100, Moysidanum en
1115 dans une donation à
l'abbaye de Cadouin et à l'abbaye de Fontevrault par le vicomte de Mussidan
Alquier, par le seigneur Biron, etc. Le nom de Mussidanum, qui doit persister, se trouve dans une donation
faite en 1210 par le seigneur de Mussidan à l'abbaye de la Sauve. M. de Gourgues
mentionne ensuite les formes variées du nom de cette ville Muyschidanum, en 1319, Muschi et Moyschida en
1365 et 1376.
Le fils aîné d'Alcher, premier vicomte de Ribérac,
Adaïcius, épousa Sancia ou Brisca, fille de Guillaume Sanche, comte de
Bordeaux, duc de Gascogne, mort en 984. Sancia porta en dot à son mari le château-fort
de Fronsac (édifié par Charlemagne en 778, détruit par les Normands et relevé
alors de ses ruines), ainsi qu'une partie du fief du même nom. De ce mariage,
Adaïcius eut deux fils, Grimoard et Raymond Ier, ensemble vicomtes
de Fronsac, et trois filles appelées du nom de leurs maris, trois des plus
puissants seigneurs du pays: Alaaz de Granolh, Grignol (branche cadette des
Talleyran), Ermessende, vicomtesse de Mareuil, et Ermangarde de Rochechouart
(femme du vicomte Aimeric, son cousin, 1000 et 1002) (2).
(1) Ainsi est attestée l'existence au Xe
siècle du château et de la ville de Grignol, appelé aussi Granol, en 1072, dans le Cartulaire
d'Uzerche, Grainol, en 1099, Granolh, par Bertrand de Born (1175).
— Notre chronique mentionne aussi pour la première fois au Xe
siècle, le château de Mareuil, Marolh,
dont l'histoire connue ne parlait qu'au XIIe siècle (1109, Maroll, Cartulaire d'Uzerche).
Cependant, il devait exister antérieurement puisqu'il y eut et qu'il y a deux
Mareuil presque voisins, le Vieux-Mareuil, Vetus Marolium, ville près de laquelle nous avons visité de
curieuses cavernes préhistoriques, et la ville plus récente de Mareuil-sur-Belle,
où l'on voit les belles ruines d'un château-fort du XIVe siècle,
modifié aux XVe et XVIe siècles. Cette châtellenie de
Mareuil avait le titre de première baronnie du Périgord: elle s'étendait sur
onze paroisses. Le Vieux-Mareuil était de haute antiquité le siège d'un ancien
archiprêtré du même nom, comprenant 22 paroisses environnantes, entre autres
le nouveau Mareuil.
p. 11
De sa seconde femme, N., de la
puissante famille des Montaut, Adaïcius a un sixième enfant appelé comme lui
Adaïcius, premier abbé de Saint-Astier (1000 à 1013) (1).
On voit ainsi que notre chronique
constate l'existence au Xe siècle de Mareuil, Montaut, Montignac,
Grignols, Rochechouart, etc. Elle concorde parfaitement en cela avec d'autres
documents historiques certains, imprimés ou encore inédits (Manuscrits et
collections de l'abbé de Lespine, que l'auteur a soigneusement compulsés à la
Bibliothèque Nationale). Il y est en effet question, et vers la même époque, de
Montignac, de son château-fort et de son farouche seigneur, oppresseur des
paysans, grand détrousseur des voyageurs et des riches marchands, comme le
furent aux XIIIe et XIVe siècles les plus puissants
seigneurs anglo-gascons, au premier rang, les sires d'Albret, à l'égard des
marchands français (voir Froissart). Ce premier sire de Montignac, le premier
connu du moins, fut subitement frappé d'un mal mortel dans l'église, pendant la
messe, à l'élévation, alors qu'il semblait défier Dieu et le saint patron
Sacerdos (Vita sancti Sacerdotis, XIe
siècle).
(1)
Abbaye établie entre les années 1000 et 1012 sur les ruines du monastère de
nonnes détruit par les Normands. Le lieu ou la ville close de Saint-Astier
tirait son nom et son origine de la grotte de saint Astherius ou saint Astier,
solitaire au VIIe siècle. Il est question en 1013 de la chapelle,
puis en 1172, de l'église collégiale de Saint-Astier, ainsi qu'en 1178, dans la
bulle du pape Alexandre III, confirmant les bénéfices du chapitre de
Saint-Astier. Les églises de Limeuil,
Neuvic, les deux chapelles de Monpont (Mons
Pavonis, Castellum Montpao, 1170), etc., y étaient
comprises. Le chapitre avait, en 1276, en paréage avec le comte de Périgueux,
la haute justice sur la ville et la châtellenie de Saint-Astier. (Voir
l'excellent Dictionnaire topographique
du département de la Dordogne, par M. le Vte de Gourgues).
p. 12
Dans la Vie de sainte Foy on parle aussi pour la première fois de
Montagrier et de son seigneur Hélie, qui sollicita et obtint, dit la légende,
par l'intercession de la sainte qu'il vénérait, des héritiers dont il était
désespéré d'être privé jusqu'alors.
Les Annales périgourdines nous
apprennent que vers la même époque, Frotaire de Gourdon, évêque de Périgueux,
qui assista au Concile de Charroux en 988, et fut assassiné par son diacre à
Mourcing, paroisse de Coursac, le 8 décembre 994, avait fait construire quatre
châteaux forts pour défendre le pays et Périgueux contre les Normands par
lesquels cette ville avait été presque détruite en 904. Ce sont les châteaux d'Auberoche
(Albaroca,
Auberupe, roc blanc), d'Agonac (Castrum Agoniacum) et de
Chateau-l'Evêque.
Autour du château de l'évêque,
près de la motte d'Agonac, s'élevaient quatre autres châteaux: Chabans,
Chambarlhiac, Bruzac et Montardit. La châtellenie d'Agonac s'étendait sur 42
paroisses au XIIIe et au XIVe siècles; celle d'Auberochc,
sur 14 paroisses. (Nous empruntons ces renseignements à M. de Gourgues).
Aubeterre (Alba
terra, terre ou montagne
blanche, même signification que
Auberoche, Montalba ou Montauban), était primitivement dans l'ancien diocèse de
Périgueux et dépendait, comme châtellenie, de la sénéchaussée d'Angoumois (Charente
aujourd'hui). Cette ville possédait un château-fort dès le Xe
siècle, une abbaye séculière et trois églises: celle de Saint-Sauveur; l'église
collégiale de Saint-Jacques, ruinée dans les guerres de religion, qui avait 42
chanoines et 13 dignitaires; l'église Saint-Jean taillée dans le roc au-dessus
duquel s'élevait le château dont on voit les ruines remarquables.
L'historien franc Aimoin, mort
vers 1012, dans la Vie de saint Abbon,
abbé de Fleury-sur-Loire, tué en 1004 à La Réole, parle de Gérard,
seigneur du château d'Aubeterre et oncle d'Aimoin lui-même. Ce châtelain d'Aubeterre
courut avec ses gens ou ses cavaliers après Aimoin et saint Abbon pour leur
p. 13
offrir l'hospitalité. Gérard était frère d'Annétrude, mère
d'Aimoin, chez laquelle celui-ci et saint Abbon furent reçus le lendemain dans
sa villa d’Ad Francos, Francs
(arrondissement de Libourne), autrefois en Périgord, comme Castillon-sur-Dordogne,
Saint-Christophe de la Double (forêt qui s'étendait alors jusque là et vers Guîtres),
etc.
Mais revenons à la chronique latine que publie M. Grellet-Balguerie
et aux enfants d'Alcher, vicomte de Ribérac, ou de son fils aîné le vicomte
Adaïcius, co-seigneur de Ribérac et de Mussidan avec son frère Adalger.
Les fils d'Adaicius, Grimoard et Raymond restaurent l'abbaye
de Saint-Astier où fut inhumé leur frère, l'abbé Adaïcius, et la basilique de
Guitres (existant, en effet, avant l'an 853). De sa femme, N. d'Angle, Raymond
eut un fils, Raymond II, qui lui succéda comme
vicomte de Fronsac. En effet, son oncle Grimoard ne laissa de sa femme Déda ou
Déa de Montignac (maison déjà ancienne et illustre), que deux filles: Amélie,
comtesse de Périgord, comme femme de Boson II ou plutôt de Bernard II de la
Marche (1010-1039), comte de
Périgueux et d'Angoulême, fils et héritier du célèbre Audebert, l'adversaire de
Hugues-Capet, et Alaaz, comtesse d'Angoulême, femme d'Alduin II, qu'elle
empoisonna, en 1032, de même que la femme de Boson II avait empoisonné ce dernier
en 1010.
Ici s'arrêtent, dans la chronique publiée par M. Grellet-Balguerie, les principaux
renseignements qui peuvent intéresser le
Périgord et son histoire. Cependant, il y est encore question de seigneuries et
de contrées ayant jadis appartenu au Périgord, par exemple, de Saint-Vivien, de
Mons et surtout de Castillon-sur-Dordogne ou en Périgord. Dans cette ville
antique nommée d'abord Castellion, de
Castellum, et par les Anglais Chastellion ou Chastillon, s'élevait un château fort
ou palais construit avant 844. L'auteur y place le Palais de Dordonne, dont il est si souvent question dans les
poèmes et les romans de Renaud de
Montauban et des Quatre Fils Aymon.
Dordonne
p. 14
fut on effet le nom de la Dordogne
Jusqu'au XVIIIe siècle. Ce château-fort de Castillon était très
formidable. Un Aymon l'avait possédé: d'après l'histoire réelle, il appartenait,
à l'époque où se termine la chronique latine (996 à 1025), à Renaud ou Arnaud,
fils d'Aymon, Arnaldus Aymonis, proconsul
ou vicomte de Castillon. Ce dernier eut pour successeurs Olivier Aymon, avant 1080,
et l'an 1080 le vicomte Pierre de Castillon, qui s'illustra en 1096 dans la
première croisade, comme Raymond, vicomte de Turenne, et le vicomte de Fronsac,
Raymond II ou III. — (Michaud, histoire des Croisades, appelle Raymond, le
seigneur de Castillon, ami d'un autre chevalier célèbre, Raymond Pelet).
On trouve en Périgord, dans l'ancienne
seigneurie de Castillon, un village des Aymon,
derrière Vélines; près de là, le Champ de Mars, le Moulin des Aymon, etc. (1).
Une curieuse gravure représentant
les ruines du Palais de Dordonne ou du Château de Castillon-sur-Dordogne au XVIe
siècle, et que M. Grellet-Balguerie a tirée d'un ancien dessin conservé à la
Bibliothèque Nationale, accompagnera sans doute son intéressante étude
historique.
La topographie, les synchronismes et le poème de Renaud justifient l'identification de Dordone avec Castillon sur Dor-
(1) Les immenses fiefs de
la vicomte de Castillon ou d'Entre-Dordogne furent partagés entre les
membres de la famille des Aymon. De nombreux seigneurs portèrent ce nom du XIe
au XIVe siècle. Dans sa belle
Sigillographie du Périgord, M.
Ph. de Bosredon cite, p. 233, le testament de Géraud Aymon, acte de 1286,
scellé du sceau de Pierre Lévida, chapelain de Salignac. En 1269, Guillaume
Aimoini (fils d'Aymon), chevalier de Belvez, léguait sa justice aux archevêques
de Bordeaux (Lesp.). Un des archevêques de Bordeaux, Arnaud de Canteloup,
acheta en 1305 les seigneuries de Belvez, Montravel, La Mothe Saint-Paixent
(Montravel), prieuré fondé par Charlemagne. Belvez avait des consuls, des armes;
un sceau reproduit dans la même Sigillographie,
p. 23. — Un Aymon fut premier abbé de St-Emilion en 1110.
p. 15
done, résidence du roi Pépin II en 844. Ainsi, un messager dit à Charlemagne
(lire Charles le Chauve) qu'il a vu Renaud à Dordone (ou à Trémoigne) avant-hier, comme il en partait pour
Montauban sur Dordogne où est le roi. Dordone (ou Trémoigne) était donc à une
journée de Montauban et en Gascogne, comme ce dernier château (1). Berceau des
quatre fils Aymon, Dordone ou Trémoigne est si bien en Gascogne que Renaud
refusant la couronne de Jérusalem dit, d'abord en patois gascon : Iou (je) n'en penroie mie...
Car je veul en Gascongne retourner où fui né!
Dordone ou Trémoigne en Gascogne
ne pouvait ôtre que sur la Dordogne et la même chose que Castillon sur Dordogne
(autrefois Dordone). En effet, Charlemagne partant de Montauban pour assiéger
Trémoigne ou Dordone vient camper en face de cette ville; où? à Montravel! (voir la carte). — A Montravel,
Itant si près Dordone que l'en en vit la ruel.
Itant si près Trémoigne que l'on le vit à
l'oeil
A Montrevel est l'ost logiez
lès la rivière.
L'ost,
l'armée campe donc
près de la rivière, a Montravel, en face de Castillon!
Donc, Trémoigne ou Dordone n'est autre que Castillon sur Dordone, ville non
loin de laquelle se trouvent aussi Monbadon, Montfaucon. La vérité éclate: la fraude
se trahit par la maladresse des trouvères du Nord ou des copistes voulant
identifier Dordone ou Trémoigne en Aquitaine avec le Truttmona de Charlemagne
(789) ou le Dortrnundt d'Allemagne.
(1) Les manuscrits, sauf un, mettent
Trémoigne au lieu de Dordone. Mais ou Trémoigne (tresmongies?), fief patrimonial de Renaud, est la même chose
que Dordone, ou si l’on y voit Truttmona,
Dordmundt en Westphalie, c'est une impossibilité; Dordmundt sur l'Ems,
en Allemagne, ne pouvant être voisin de Montauban en Gascogne. On aurait en ce
dernier cas frauduleusement substitué Trémoigne à Dordone: on va voir en effet
que Trémoigne est en Gascogne.
p. 16
Ce n'est certes pas par système
ou de parti pris que d’éminents auteurs contemporains ont adopté cette
identification erronée, et qu'ils semblent ratifier les prétentions des Allemands
et des Belges. C'est faute d'avoir bien lu ou retenu ces paysages aussi
significatifs du poème et d'avoir consulté la topographie de ces mêmes
localités, qui pourtant ont joué dans notre histoire un rôle important.
Posté à Montravel sur une hauteur
(Montorgueil, Orguilh, 1084, aiguille, c'est-à-dire sur l'un des
coteaux qui dominent Castillon), le roi Charles dirige le siège de Trémoigne défendue
par les Vasco-Aquitains; remarquons que le poème les appelle des Gascons et que
ceux-ci traitent d'Allemands les soldats ennemis. L'armée des Francs forme
autour de la place un cercle d'investissement en occupant toute la plaine qui
s'étend à droite du pied des coteaux contigus jusqu'aux bords de la Dordogne.
C'est dans celte plaine de Montravel
(dite de Castillon ou de Coly), en face de la ville, qu'une sortie des assiégés
amena une grande bataille dans laquelle Renaud fut forcé de se replier, après
des prodiges de valeur, devant les royaux,
dix fois supérieurs en nombre et cependant rudement malmenés par le
héros gascon.
Coïncidence étrange! Cette même
région semblait prédestinée à servir tour à tour de champ de bataille au
moyen-âge. C'est là, en effet, dans cette même plaine de Montravel ou de Coly,
à deux kilomètres et en face de Castillon, que les Français remportèrent sur
les Anglais, le 7 juillet 1453, la célèbre bataille, dite de Castillon, dans
laquelle périrent l'illustre Talbot, son fils, l'élite des chevaliers anglais
et gascons, où, de l'armée ennemie, décimée d'abord par l'artillerie si bien
postée et dirigée par les frères Bureau, il ne se sauva pas 2000 hommes. Cette
victoire détermina la conquête de la Guienne et l'expulsion définitive des
Anglais. Pourquoi n'en restera-t-il bientôt que le souvenir et pourquoi n'en
trouve-t-on plus aucun monument ou qu'à peine des vestiges du tumulus ou du
tombeau
p. 17
provisoire, de Talbot et de la chapelle
dite de Talhot ou de Coly! (1).
Les exploits des fils d'Aymon ont
eu dans le midi de la France leur principal, et même leur unique théâtre. Par confusion
ou homonymie, à l'aide des noms d'Ardenncs, de Trérnoigne, de Montfaucon, de
Château-Renaud, les habitants du Nord, les Belges, les Allemands ont prétendu
que ces exploits s'étaient exclusivement accomplis en Flandre, en Allemagne, et
nullement dans le Midi de la France. De là, le système identique de Paulin
Paris qui, séduit par des apparences et trompé par des falsifications de
textes, conclut étrangement aussi que les hauts faits des quatre preux dans le
Midi ne sont que la contrefaçon de leurs aventures dans le Nord, dans les
Ardennes, en Flandre, en Westphalie! Le contraire est justement la vérité. Les
Belges ont en effet altéré une légende pieuse, la vie d'un saint Reynold, en y
ajoutant deux paragraphes, et l'ont contrefaite dans un rythme de 400 vers (XIVe
siècle ou sur la fin du XIIIe siècle) pour faire de Renaud un
brabançon, un caro-
(1) Une tradition locale place également
dans cette même plaine de Montravel, dite de Castillon ou de Coly, la défaite
d'Eudes, duc ou roi d'Aquitaine, par les Sarrasins commandés par Abdérame, qui,
de là, fut ravager Périgueux, en se dirigeant vers Poitiers. On sait qu'Eudes
vengea sa défaite en contribuant puissamment au gain de la bataille de Poitiers.
On sait aussi qu'en 722, ce même duc ou roi Eudes avait surpris et presque
anéanti, en ne perdant lui-même que 1500 hommes, la formidable armée des
Sarrasins au nombre de 375000, non loin de Toulouse, ou sans doute près de
Lavaur, au Camp-Maurel, au bord d'un grand ravin et du ruisseau de Nice
profondément encaissé. Les historiens arabes ont conservé au théâtre de cette
immense boucherie le nom de Chaussée ou
plutôt de Fosse des Martyrs, el Balâh (balat,
fosse auprès du Camp-Maurel, le lit torrentiel du Nice). D'après une autre tradition, Eudes aurait aussi remporté
la victoire sur un corps de Sarrasins, aux bords de la Dordogne, au lieu dit als Sarrazis, non loin de Bergerac,
près d'un village où l'on célèbre encore chaque année une fète locale en
mémoire de ce triomphe, nous dit M. de Gourgues.
p. 18
lingien, fils
de Bertha, mère de Roland et sœur de Charlemagne! Ils ont à dessein confondu
l'aquitain Renaud (Arnaud, fils d'Aimenon, vainqueur des Normands en 864,
sanctifié par le peuple), avec
saint Reynold, moine architecte
de Saint-Pierre de Cologne, tué
par des maçons vers 695 ou 747, au plus tôt
en 746. Ce Reynold lui-même n'était pas de Dormundt, où son corps fut
transporté seulement en 1075, les
habitants de cette ville demandant à l'archevêque Hannon les reliques d'un
saint quelconque; (alicujus sancti!). Les
Allemands, profitant de la contrefaçon belge imaginée par un moine belge de
Huy, après 1211, ont voulu
faire de Renaud un Westphalien. Nous avons vu que des écrivains français, même
des plus éminents, Paulin Paris, Gaston Paris, Tarbé, A. Longnon, trompés par
des textes falsifiés, ont par mégarde adopté ces conclusions erronées et
démenties déjà par le poème (1)!
, |
Le Montefort de Renaud doit être le château de Montefort ou
Montfort sur Dordogne, fief de Turenne (Castrum
Monte-forti, 866, lettre de Nicolas I à l'abbé de Sarlat, Lespine, chatell.
de Montfort), rasé en 1244 par Simon de Montfort sur Raymond VI de Turenne.
Montauban sur Dordogne est sans doute le château de Montauban, assiégé en 1206 par le roi Jean qui, dit Mathieu
Paris (mort en 1289), « prit en quinze jours cette forteresse assiégée
vainement par Charlemagne pendant sept années! » Le lecteur peut ainsi juger la
théorie de MM. Paulin Paris, Gaston Paris, Tarbé qui ne voient dans les
aventures de Renaud dans le Midi qu'une contrefaçon de ses exploits dans le
Nord,
(1) Discours de Renaud à ses frères pour
délivrer le roi Yon: « Bertholay tué, exilés, dessevrés de France, Yon nous accueillit en Gascogne. » —
Discours de Charlemagne aux pairs : « Exilé, Renaud s'est fortifié au ciel de Terrasse (Terrasson,
dépendant de Périgueux ou de Turenne, ou Montfort?); de là, il s'est réfugié au
cœur de la Gascogne. » — II y a construit Montauban, après avoir perdu le
château de Montessor ou plutôt de Montefort.
qu'une superfétation! et qui prétendent,
contre toute vérité, que les souvenirs des quatre frères et de leur légende, la
seule encore populaire dans le Midi, s'y sont perdus depuis des siècles; qu'on
n'y retrouve aucun des lieux dits célébrés par le poème ou que si quelques noms
sembleraient les y rappeler, ce ne serait qu'une fausse ressemblance! Ces
auteurs ont oublié de consulter des habitants du Midi ou la géographie locale,
de relire Mathieu Paris, Froissard, Belleforest, Oihénart, de Marca, du Chesne,
T. Corneille et nos contemporains, qui tous retrouvent Montauban dans les
ruines qu'on voit à Cubzac, près de Dordone (dit Belleforest), ruines dominant
la Dordogne, appelées encore Château de Montauban ou des Quatre fils Aymon, Tours des Quatre
frères ou du Diable, les Tours.
Sauf les noms de châteaux Renaud
ou de Bayard, qui abondent partout en France (un Chàteau-Bayard au XVIIe
siècle dans la Gironde), on ne trouve ni dans les Ardennes, ni en Flandre, ni
en Allemagne, aucun des autres lieux dits mentionnés dans le poème de Renaud. Or,
on les rencontre pas à pas dans le Bordelais et le Périgord, le long des rives
de la Dordogne. Ainsi Montravel, près Castillon, ainsi Montfort; ainsi à Grissac
sur Dordogne, un Château-Regnault existait encore au XVIIe siècle
(cartes de 1634, 1693); la plaine voisine qui commence entre Grissac et
Cazelles porte toujours le nom de Vaucouleurs, le nom de la plaine où le roi
Yon trahit Renaud et
ses frères. Près de Bourg, autrefois autre Château-Renaud, au lieu de Renaud
(1), près du Pont-du-Roi, sur la Nauve.
La forêt des Ardennes (nom générique au Midi comme au Nord) a
laissé des traces et son nom dans un petit bois à Sa-
(1) La légende de Cénebrun, roi de Bordeaux, plaçait
Montauban a ou près de Bourg, villa des Paulin, au VIe siècle. Cette
légende dit que Cénebrun et Pons de Castillon et Lamarque marièrent leur soeur
unique à Gaillard Raimond de Montalba, qui modo dicitur Burgum super Dordoniam
situm. Ils lui donnèrent le noble château de Cubzac (ou Cyvrac?), 50 soldats et
beaucoup de revenus autour de Bourg. — Coïncidence
bien digne d'attention! Le poème place Montauban au confluent même de la
Dordogne et de la Gironde, sur une hauteur en forme de tertre carré, sur
l'emplacement d'un ancien château-fort dont la galerie souterraine ou bove, remarquable construction
sarrasine (lire: romaine), permettra aux quatre frères d'échapper à
Charlemagne, Or, cette description convient parfaitement à Bourg.
p. 20
monac, au-dessus de Bourg, dans le domaine de M. Gaignerot de
Makaï, forêt autrefois, aujourd'hui excellent vignoble. Non loin de Bourg, à
Tauriac, nous avons vu sur le rocher à légende de la Rochemombron deux cupules
qui, d'après la tradition locale, seraient les empreintes des sabots dit cheval
Bayard, accourant avec Maugis, vers son maître assiégé sur ce roc de la
Rochemombron (la Rochemahon du poème!). Un archéologue distingué, M. F. Dalcau
de Bourg, a retrouvé partout le long de la Dordogne, notamment à Asques et à
Saint-Romain-la-Virvée, de pareilles empreintes interprétées par les mêmes
souvenirs, toujours vivaces dans le Midi.
D'après M. Grellet-Balguerie, le roi Yon, qui trahit son beau-frère
Renaud, ne serait autre que le duc roi Sanzion, beau-frère d'Aimenon ou Aimon
II. Tiré par Charles le Chauve des prisons d'un émir sarrasin, Sanzion trahit Pépin
II et le livra à ce roi Charles (852). Arnaud, fils d'Aimon et de Sancia ou d'Aya,
duc de Gascogne après son oncle Sanzion, serait le type de l'héroïque Renaud.
On attribua à Arnaud les exploits de son père et de son oncle avec lesquels il
combattit sans doute les Sarrasins (851). Il repoussa les Normands, fonda ou
favorisa
des établissements religieux (864), créa probablement la célèbre monnaie arnaudine. La reconnaissance
populaire put en faire un saint honoré dans le Bordelais et le Périgord (Ecclesia Sancti Reginaldi, 1300,
1326, 1382, dans .l'archiprêtré du Bugue). Les
routiers brabançons, pulullant en Guienne dès 1150, transportèrent le souvenir
de Renaud dans leur patrie. Les Belges s'empressèrent de confondre Arnaud ou
Renaud avec saint Reynold de Cologne et
de faire du héros français un brabançon, un pippinide ou un carlovingien. De là, la fable
p. 21
de
l'assassinat par des maçons de notre Renaud, victime de son dévouement et du
traître Pinabel; de là, la substitution frauduleuse de Truttmona ou Trémoigne à
Dordone.
La légende des Quatre
fils Aymon est donc exclusivement française et aquitanique. Les légendes
jusqu'ici inédites d'Aymon de Dordone ou d'Entre-Dordogne, leur père,
corroborent les preuves déjà énumérées. Un Haymon de Bordeaux, fils d'Hardéric,
mentionné par Albéric des Trois-Fontaines (1241), pourrait se rattacher aux mêmes souvenirs.
La légende qui a motivé les recherches historiques
ci-dessus analysées est conservée en double copie dans les Manuscrits de la Bibliothèque Nationale (numéro
17733). C'est une annexe à un procès-verbal d'enquête de 1497, ayant pour objet la recherche
de titres en vue de faire attribuer la terre de Fronsac à la couronne de
France. Pour atteindre ce résultat, on invoqua le témoignage de deux religieux
qui alléguèrent avoir vu un vieux parchemin qu'on ne retrouva jamais et pour
cause, une prétendue charte de Charlemagne relative à la fondation du château
de Fronsac et de l'abbaye royale de Guistres. On se garda de produire
officiellement notre légende qui démentait cette origine et dont l'une des
copies (du XVe siècle) porte cette mention: « Double de ce qui a esté apporté de Bordeaux.
» Gaignières recueillit au XVIIe siècle ces copies de la
légende d'Aymon et celle du procès-verbal.
On peut constater la concordance avec l'histoire de cette
légende d'Aymon père. Ainsi, elle rapporte qu'Adaïcius, premier abbé de
Saint-Astier, fut inhumé dans l'église de cette abbaye. Or, dans l'un des
conciles tenus à Bordeaux et à Saintes, en 1088 et 1096, sous Amat, archevêque
de Bordeaux, il est en effet constaté que dans le même monastère étaient
inhumés Adaïcius, d'autres personnages marquants et le vicomte Raymond.
L'auteur de la légende ne mentionne pas ce dernier qui sans doute vivait encore
quand le légendaire écrivait, bien antérieurement à la date de ces conciles,
vers 1025 ou 1030, si la légende a été remaniée depuis.
p. 22
Cette légende a donc une certaine
et réelle utilité historique. De même, le poème de Renaud fournit à qui l'étudie
avec soin de nouvelles données propres à rectifier ou compléter l'histoire
confuse des évènements survenus entre 840 ou 841 et 852 (défaites de Charles
le Chauve, dissimulées par Nilhard, dans la lutte entre ce roi et Pépin II et
ses alliés; couronne rapportée avec
des habits par des Aquitains à Charles le Chauve, prétendu vainqueur, alors
réfugié à Troyes et si dénué de tout, qu'il n'avait ni armes, ni chevaux, et ne
pouvait même changer de vêtements).
Le dernier mot de la science
contemporaine attribuait aux fils du comte Aymon et à leur légende une origine,
belge ou allemande. Cette origine est, au contraire, exclusivement française
et aquitanique, d'après l'éditeur des légendes d'Aymon d'Entre-Dordogne. M.
Grellet-Balguerie croit que le poème de Renaud est l'œuvre d'un auteur local,
gascon, saintongeois ou périgourdin, connaissant et décrivant trop bien les
plus petits endroits en micrographe exact pour ne pas être originaire du pays,
soit qu'il s'appelle Huon de Villeneuve ou Aymon de Castillon et qu'enfin ce
poème apporte avec lui sa chronologie et sa topographie, en apparence
fantaisistes, et dont on a ri, faute de les avoir attentivement étudiées.
Telles sont les conclusions
plausibles et tel est le point de vue aussi nouveau qu'intéressant pour le
Bordelais et le Périgord surtout, que nous donne, à l'encontre
de l'opinion des maîtres trop facilement crus sur parole, l'auteur de l'étude
historique que nous venons d'analyser. — Avec P. Paris, il croit que le poème
de Renaud a pour fondement des faits réels, sans doute assez difficiles à
déterminer, altérés qu'ils ont été successivement par la tradition et la
poésie, comme par les remaniements du XIIIe siècle ; mais à l'aide
de la géographie et de l'histoire, il s'est efforcé de rectifier la tradition
et de retrouver la vérité au milieu des fables qui la voilent. Le premier, il a
signalé l'existence dans la Gironde d'un château Renaud, d'un château Bayard et
d'autres localités situées en Périgord, dont les noms
p. 23
sont identiquement les mêmes que ceux
rappelés dans la légende (Montravel, Montfort, Dordone...)
M. Grellet-Balguerie termine son
travail par un rapprochement assez piquant. Singulière prétention, dit-il, que
de faire un allemand de notre Renaud, ce type idéal de la chevalerie, aux
sentiments si français, lui qui déjà au IXe siècle, protestait
énergiquement ainsi contre la maxime brutale, la Force prime le Droit :
Et que vous fait ce
roi qui governe l'empire?
La force n'est le droit; pièçà, l'ay-je
ouï-dire.
Il a tort et nous
droit...
N'oublions pas de rappeler que M.
Grellet-Balguerie rend un hommage aussi complet que mérité à M. Henri
Michelant, le savant consciencieux qui a publié pour la première fois, d'après
les meilleurs manuscrits, le poème entier de Renaud de Montauban et qui a ainsi
rendu un service aussi éminent à l'histoire littéraire et même politique de la
France.
Le travail historique que nous
venons d'analyser fournit quelques autres renseignements intéressants pour nos
contrées, notamment sur Montignac, que son seigneur, Auger de Montaud, gratifia
d'une charte de commune en 1256, et sur Ribérac.
En mars 1106, Raymond I, vicomte
de Turenne, ayant fait divers dons à l'abbaye de Tulle, entre les mains de
l'abbé Eble, son frère, son autre frère Archambauld, vicomte de Ribeyrac, confirme
ces mêmes donations, étant présents et témoins divers chevaliers (militibus meis, dit Raymond),
Astorgius de Chalus, Hélie de Tulle, etc.
En 1118, le même vicomte Raymond
de Turenne donne à la même abbaye le mas de la Font, près Auriol, pour
le repos de l’âme de son frère Archambauld de Ribeirac.
Le Cartulaire de Chancelade
apprend que vers 1115, Raymond de Ribérac, vicomte, de l'avis ou du
consentement de Rudel, comte de Périgord, confirme divers dons faits déjà à
Dieu et à Sainte-Marie de Chancelade. De 1143 à 1168, ce Cartulaire mentionne
Raymond, vicomte de Turenne et de
p. 24
Ribérac. En 1211, Archamhauld I,
comte de Périgord, se qualifie vicomte de Ribérac et il signe ainsi une charte
du Cartulaire de Chancelade, scellée de son sceau, avec Ramnulfe, évêque de
Perigueux.
A côté des vicomtes de Ribérac,
nous trouvons une famille de seigneurs dont les membres sont appelés de Ribérac
et donzet de Ribérac. Entre 1120
et 1159, Aimeric de Ribairac et ses frères et parents Bégon et Gérald du Puy
donnent à Chancelade des biens qu'ils possèdent en commun dans la terre du Puy
(de Podio).
En 1189, il est question d'Hélie
Bégon de Ribérac et d'Aimeric, son frère. En 1241, un Aymeric, donzet de
Ribérac, avait fait la guerre aux consuls de la ville du Puy-Saint-Front (Périgueux)
: il fut fait prisonnier et retenu en dure captivité par lesdits consuls. Il
fallut l'intervention et le cautionnement pour de fortes sommes de divers
seigneurs pour le faire mettre en liberté, notamment de Pierre, évêque de
Perigueux, d'Hélie le Monétaire et d'autres grands seigneurs du Périgord.
Ces petits détails ont un certain
intérêt pour notre histoire locale; on nous saura sans doute gré de les avoir
rappelés.
Signé: A. F.