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J. DEPOIN

 

ETUDES PREPARATOIRES

A

L'HISTOIRE DES FAMILLES PALATINES

 

DEUXIEME FASCICULE

 

IV. Aymon, châtelain de Dordogne.

Contribution à l'étude du Roman des Fils Aymon

Texte annoté et commenté de la Chronique de Guitres.

 

Extrait (pour partie) de la Revue des Etudes historiques.

78e Année. 1912.

 

PARIS

SECRETARIAT DE LA SOCIETE HISTORIQUE DU VEXIN

130, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 150

1921

 

 

 

Le second fascicule des Etudes préparatoires à l'Histoire des Familles palatines est offert gracieusement aux membres de la Société Historique du Vexin.

La pagination de cette brochure continue celle d'un fascicule antérieur contenant trois autres Etudes.

L'apparition de ce premier fascicule remontant à une époque assez reculée, bon nombre de sociétaires actuels ne le possèdent pas. Ils pourront se le procurer en adressant une somme de deux francs 50 centimes à M. Depoin, secrétaire général de la Société historique du Vexin, 150 boulevard St-Germain, Paris, VIe.

 

 

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Etude préparatoires à l'histoire des familles palatines.

 

IV

Aimon de Paris, châtelain de Dordogne.

Contribution à l'étude du Roman des Fils Aymon.

Texte inédit et commenté de la Chronique de Guitres.

 

 

De toutes les chansons de geste, de tous les poèmes épiques que les trouvères ont tirés de la légende de Charlemagne et des Douze Pairs, ou greffés sur elle, l'oeuvre la plus répandue est le roman des Quatre fils Aymon. Dès le XVIe siècle, l'image des chevaliers-frères, tous ensemble portés par le bon destrier Bayard, servait de motif d'enseigne à des hôtelleries de Paris et de mainte autre villes de France (1). Leur réputation fut mondiale: en Italie, en Germanie, en Hollande, en Angleterre, on les chanta. Il n'est pas jusqu'à une Saga islandaise, celle de Magus (Maugis d'Aigremont), qui n'expose leurs aventures.

Quand le dernier jongleur eut cessé d'exercer l'art du gai savoir sous les voûtes des salles féodales, quand le ménestrel cher aux nobles dames devint le ménétrier des fêtes bourgeoises, l'imprimerie naissante et l'imagerie encore naïve répandirent à l'envi les éditions illustrées du conte. De nos jours, c'est l'unique survivante

 

(1) La rue des Quatre-Fils, à Paris, rappelle une de ces enseignes. Le cheval Bayard et l'épée Flamberge de Renaud de Montauban sont restés longtemps fameux, et nous disons encore, pour "partir en guerre", mettre Flamberge au vent.

Sur la vulgarisation du roman des Quatre fils Aymon, consulter notamment le début de l'étude si documentée de M. Auguste Longnon (Revue des Questions historiques, t. XXV, 1879, 1er semestre), et le mémoire de Francisque Michel, De la popularité du roman des Quatre fils Aymon et de ses causes (Actes de l'Académie de Bordeaux, IV, 1842), pp. 53-126. Une analyse du poème est donnée par Léon Gautier (Epopées françaises, III, 193-240) et par Paulin Paris (Hist. Littéraire de la France, XXII, 667-700).

 

 

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des épopées militaires moyenâgeuses que l'évantaire du colporteur exhibe dans les foires de l'Auvergne ou du Limousin. L'ère du succès n'est pas close pour elle car le crayon de Robida vient, il y a quatre ans à peine, de la revivifier dans une édition populaire (2).

La geste ou, comme on disait au temps de Louis XI, le Conte des Quatre fils Aymon remonte, dans sa rédaction versifiée, à une époque voisine du règne de saint Louis, si l'on en juge par le plus ancien des manuscrits qui nous l'ont transmise (3), celui de Montpellier (4). Quant à la version en prose, attribuée sans fondement à Charles V, elle est visiblement plus récente: cette sorte de traduction nous ramène à la première moitié du XVe siècle, d'après le style et l'écriture des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale. C'est une analyse quasi littérale dont les chapitres débutent volontiers par: « Or, nous dit le conte... ». A son tour, elle a été refondue et modernisée pour fournir le texte imprimé dans l'incunable de 1480, puis celui richement illustré, de 1497.

L'auteur du conte (ou pour mieux dire, de sa plus ancienne expression poétique) proteste que ce n'en est pas un:

 

(2) Les Quatre fils Aymon, d'après la première édition imprimée (1480), illustrations de A. Robida, étude par Pierre Sales; 2 vol. à 95 cent., libr. moderne Maurice Bauche, Paris, 1908. ― Voir, sur les éditions des Quatre fils Aymon, Léon Gautier, Bibliographie des chansons de geste, p. 159, et, sur les manuscrits, ses Epopées françaises, I, 242; II, 450, 552-554, 603-604; sur les imitations italiennes, ibid. 392. ― Les plus anciennes éditions étrangères sont: en italien, 1474; en anglais, 1489; en allemand, 1535; en hollandais, 1602. Le conte a même été traduit en breton.

(3) Il y a cinq manuscrits de la chanson connus, un à Montpellier, Venise, Cambridge, et deux à Paris. Le premier est le plus ancien et le plus complet. Voir l'étude de M. Pierre Sales (introduction à l'édition de 1908). La reproduction la plus étendue du roman de Renaud de Montauban ou des Quatre fils Aymon, sous sa forme poétique primitive, a été donnée par Henri Michelant au tome LXVII de la Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart (1862, in 8°). Castets a donné, en 1893, une édition critique de Maugis d'Aigremont.

(4) Et aussi par certains détails du texte. Ainsi Saint-Victor, construit sous Louis VI, est regardé comme une église assez ancienne pour qu'on admette que l'archevêque Turpin y ait chanté la messe. Il y eut un bien célèbre Saint-Victor carolingien, mais ... à Marseille. ― La captivité du roi Thomas, prisonnier des Sarrazins après la prise de Jérusalem, dénote une confusion de faits qui suppose quelque éloignement. Thomas est un roi d'Arménie de race française, probablement fils d'un second mariage contracté avec la soeur du roi Thoros Ier, par Enguerran III de Coucy, croisé en 1147. Thomas a régné de 1168 à 1170 et fut, en effet, chassé par le chef des Musulmans, Nour-eddin.

 

 

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Barons, oés canchon de grant nobilité:

Toute est de vraie estoire, sans point de fausseté....

A Saint-Denis en France, que Dex a tant amé,

La trouva en un roulle (5)...

 

Vaine prétention. La lecture de quelques pages du conte suffit à montrer que l'Ile de France ne fut pas son berceau. Les chansons de geste de source française dépeignent Charlemagne comme un monarque vénéré, d'une indomptable bravoure, d'un grand coeur et d'une salomonienne sagesse. Etrange est le contraste qu'offre avec ce portrait celui que trace le chantre des Fils Aimon. Nerveux, brutal, irascible, fourbe, déloyal, qualifié même « le Cruel », et par surcroît, sot au point de se laisser berner, surprendre, emprisonner, dépouiller de ses armes et de ses trésors, faible jusqu'à céder sans cesse à ses pairs, qu'il outrage pour fléchir bientôt devant leurs menaces, ou se rallier à des conseils presque tutoriaux qu'ils opposent à ses bravades, tel est le pitoyable empereur, le Charlemagne de caricature que, tour à tour ou même simultanément, servent et combattent les frères et les fils d'Aimon; seul, Aimon lui reste fidèle envers et contre tous, refusant toute aide à ses frères et à ses fils, jusqu'au moment où son suzerain lui demande l'impossible et s'en prend à lui-même.

D'où sont empruntés les traits de ce maque royal défiguré?

Il est bien vrai, comme l'a démontré M. Auguste Longnon, que, dans le conte des Fils Aimon, une série d'épisodes et de personnages nous reportent aux début du VIIIe siècle. Le roi Yon de Gascogne, l'une des individualités primordiales du récit, est bien Eudo, dux ou rex Aquitanorum, l'adversaire hésitant de Charles Martel (6). Dans le geste, le roi Yon, peureux et perfide, trahit son propre beau-frère, Renaud de Montauban, et le vend au roi Charles. Dans l'histoire, Eudo (dont le nom se traduit par Eon ou Yon) agit ainsi pour le roi mérovingien Chilpéric II, qui s'est confié à sa foi: il le livre à Charles Martel. Mais plus tard Renaud de Montauban, d'après la chanson, se retire à Cologne pour y consa-

 

(5) Tel est le début du manuscrit de Montpellier. Cette affirmation, jugée sans doute imprudente, a disparu du texte du manuscrit de Venise.

(6) Les Miracula Sancti Austregisili l'appellent tantôt dux, tantôt rex. Eudo a produit Yon comme Eusebia, Ysoie et Euphemia, Yphange (remarque de M. Longnon).

 

 

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crer ses forces à l'édification de la basilique et périt victime de la jalousie de ses compagnons (7). M. Longnon a retrouvé une cantilène de Cologne, englobée dans la liturgie locale, commémorant le martyre de Renaud et le donnant pour contemporain d'un prélat qui siégea peu de temps, vers 750. Ces données et plusieurs autres qu'il a fort ingénieusement rapprochées montrent bien qu'une part, et non la moins importante, du récit s'est formée d'évènements qui se déroulèrent dans la première moitié du VIIIe siècle. Mais s'il y a sur la scène des contemporains de Charles Martel, le Charles du conte n'est certes pas celui-là, et l'on n'en peut être surpris. La forme habituelle de la chanson de geste est la superposition d'épisodes de siècles différents; c'est la fusion, en un type unique, d'homonymes ou de personnages d'une même race, sans souci des contradictions éventuelles quant à la psychologie des caractères. Le trouvère agit à la façon du photographe qui impressionnerait le même cliché par des images successives.

Le suzerain des Fils Aimon est certainement un carolingien de la décadence, en lutte avec ses grands vassaux. De Charles le Chauve il reflète l'emportement et la dureté; de Charles le Simple, qu'outre-Rhin on appelait plus franchement le Sot (8), il a la faiblesse et l'incohérence. Mais ce carolingien doit-il être nécessairement un Charles? Pour un trouvère né dans une région lointaine, que des frontières naturelles ou des inimitiés séparent de la France, un souverain de ce pays au temps jadis, un roi de l'ancienne dynastie ne peut être que Charlemagne. Le chef de la race incarne en soi les multiples et confuses images de ses descendants; sa renommée, hypertrophiée, englobe toute sa postérité.

Dénigrement systématique du pouvoir royal, apothéose de l'indépendance morale et politique (9), le conte des Fils Aimon a été

 

(7) C'est l'histoire d'Hiram ― telle que la rapportent les traditions maçonniques, ― rajeunie toutefois de quelque deux mille ans. Il est à relever que Renaud se retire à Cologne après avoir délivré du joug des Musulmans la ville de Jérusalem, c'est-à-dire le Saint-Sépulcre et le temple élevé par Hiram.

(8) C'est l'épithète qu'emploie le chroniqueur saxon Thietmar de Merseburg, au début du XIe siècle.

(9) Les héros du conte, les Fils Aimon, commettent les actes les plus outrageants pour l'autorité de l'empereur, comme d'abattre son pavillon, d'arracher l'aigle d'or qui le surmonte, de voler la couronne royale. Leur cousin Maugis, dont on vante la sagesse, est un enchanteur, c'est-à-dire un sorcier. Le point de vue du trouvère est tout à fait opposé à celui de l'Eglise, et même de la société civile, à l'égard des magnétiseurs.

Au sujet du personnage de Maugis, un maître dont le monde savant déplore la perte, M. Auguste Longnon avait bien voulu nous signaler un passage curieux de Wace (Roman de Rou, vers 9713-9721), cité par Depping (Histoire des expéditions militaires des Normands, livre IV, chap. 3), attribuant à Mauger de Rouen, l’archevêque neveu du Mauger de Corbeil et oncle de Guillaume le Conquérant, un lutin familier. Ce prélat fut déposé sur des accusations d’immoralité).

La religiosité des personnages s’en tient à des formules banales de voeux de politesse. Dans les plus grandes détresses, ni hommes, ni femmes ne songent à la prière. Quand, après de longues guerres civiles, se conclut une paix chèrement achetée, un vieillard, le duc Naimes, est le seul à en remercier Dieu. Les ministres du culte ne jouent aucun rôle social; il n’y a, dans les châteaux assiégés, aucun prêtre pour absoudre les mourants, aucun moine pour secourir les blessés. Le grand traître Yon se confesse, mais seulement in articulo mortis. Les chevaliers qui se convertissent n’en font pas autant; ils attendent leur salut éternel de la pauvreté volontaire, d’une vie d’ermite, ou de leurs exploits contre les infidèles, ou du concours prêté à l’édification des basiliques. Ils ne sollicitent d’aucun prêtre la rémission de leurs péchés. La messe ne s’entend que dans des circonstances extraordinaires, et il n’est jamais question de la communion. Les chevaliers qui vont se battre à mort assistent à l’office que célèbre, à leur intention, un évêque. Ce détail contribue à dater l’écriture et la propagation du conte d’une époque antérieure aux excommunications des conciles contre les duellistes.

 

 

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conçu bien loin de Saint-Denis. Sa patrie d'origine est à rechercher dans la grande province de Guienne. Ce serait une illusion de faire du héros de la geste un ardennais. Montessor-sur-Meuse, forteresse en Ardenne dont il est beaucoup parlé, est bien le refuge des Fils Aimon, mais ils l'ont élevée lorsqu'ils ont dû fuir, pour échapper à la colère de Charlemagne. Quant à leur père, il est, dès le début, appelé le duc Aimon de Dordonne. Foyer d'influence de cette dynastie féodale, c'est Dordonne que le roi, désireux d'écraser une famille ennemie, assiège avec acharnement pour en finir avec elle. Dordonne, dont le nom évoque la rivière bien connue, est en Guienne, à telles enseignes qu'un souterrain la relie à Montauban. Par ce tunnel, que les Sarrazins creusèrent (10), s'échappe Renaud, pour regagner le château de son père, lorsqu'il ne peut plus tenir dans le sien. Or, d'après le poème, le château de Montauban aurait dominé le confluent de la Dordogne et de la Gironde.

Ce sont donc des hauts barons d'une région circonscrite entre le Libournais, le Périgord et le Quercy, dont le conte des Fils Aimon prône la vaillance, et qu'il propose à l'admiration des siècles comme les preux les plus généreux, les plus valeureux, les plus hardis des temps carolingiens.

 

 (10) Les souvenirs des Sarrazins et leur incursions en Gascogne appartiennent à la tranche d'histoire du VIIIe siècle qui s'est conservée dans le conte des Fils Aimon.

 

 

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Dans cette épopée, cependant, Aimon est un personnage adventice. Son nom n'est rappelé que dans les chansons de son propre cycle (11). Pour le rattacher à la tradition de Charlemagne, il a fallu lui chercher des alliances parmi les douze pairs. Mais lesquelles? Elles sont surprenantes. Le conteur lui attribue trois frères, Gérard de Roussillon, Doon de Nanteuil, Beuves d'Aigremont, et un neveu, Maugis fils de Beuves. Cette filiation, par ses origines, nous reporte bien loin de la Guienne. Gérard est, sans conteste, un comte de Paris révoqué par Charles le Chauve: son père Leutard, son aïeul Bégon l'avaient précédé dans cette charge (12). Nanteuil-le-Haudoin est voisin de Crépy-en-Valois. Aigremont est un point fort ancien de l'Iveline, l'Acrimons des textes diplomatiques. Si l'on admet ces identifications qui sont évidemment discutables (13), les trois frères d'Aimon sont localisés au centre de l'Ile-de-France. Le seul personnage militaire ayant porté le nom qui se rapproche le plus de Maugis ― celui de Mauger ― et ayant laissé quelque trace dans les annales du haut moyen-âge est un comte de Corbeil, oncle de Robert le Diable. Robert passa pour sorcier, et afin d'expier ses fautes, partit en Palestine: Maugis d'Aigremont a le même

 

(11) Comme Maugis d'Aigremont (édité par Castets, Revue des Langes Romanes, XXXVI, 1892, pp. 5-259); Vivien de Mombranc (édité par Castets dans la même revue, 1887; il est cité huit fois dans l'une de ces chansons (vers 19, 1842, 7237, 7373, 8342, 8376, 8687, 8793) et six fois dans l'autre (vers 286, 384, 771, 774, 787, 801). Dans Gui de Nanteuil (édité par M. Paul Meyer dans les Anciens Poètes de France, 1861, in-16), les fils Aimon sont évoqués; "Haymme de Dordon" est cité une fois (vers 410) dans Jourdain de Blaives (éd. K. Hofman, Erlangen, 1882, in-8°) et deux fois (vers 9512 et 9672) dans la Chevalerie Ogier (éditée dans les Romans des Douze Pairs, Paris, 1842, 2 vol. in-12). C'est tout, d'après la Table onomastique des Chansons de geste de M. Ernest Langlois (Bibl. Nat., 8° X. 12619). On y trouve d'autres Aimon; d'abord Aymonet, le fils de Renaud; Aimon de Vieil, tué par Guillaume d'Orange d'après la version du Charroi de Nîmes (éd. par Jonckbloet, 2 vol. in-8°, La Haye, 1854, vers 679-785), etc.

(12) Il est à signaler que les divers Aimon apparaissent tout à tour dans la chanson de Girart de Roussillon (ou de Vienne) n'ont aucun rapport de parenté avec lui et qu'aucun d'eux n'est surnommé de Dordonne. Il s'y trouve un Aimon d'Autemure, du lignage des traîtres (Gui de Nanteuil, vers 46; le Roman de Girart de Viane, vers 23; Reims, 1850, in-8°, t. XVI de la Coll. des Poètes de Champagne); Aimon de Montismat, seigneur de Bourges, ennemi de Girart; Aimon le Normand et Aimon de Vaugruage, hommes de Charlemagne; Aimon père de Garnier de Blaye, mentionné au vers 175 de Girart de Roussillon.

(13) M. Longnon nous avait fait remarquer que l'auteur d'Aye d'Avignon place Nanteuil entre l'Argonne et la Meuse. Il existe aussi un Aigremont dans le département de l'Yonne.

 

 

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destin. Un frère de Renaud porte le nom de Richard qui est celui du père, du frère et du neveu du comte Mauger de Corbeil; Renaud d'ailleurs traite le duc Richard de Normandie de cousin. Il semble donc indiqué de chercher en Mauger de Corbeil le prototype de Maugis l'enchanteur. Ainsi, tout en habitant la Guienne, le duc Aimon de Dordonne est apparenté aux comtes de Paris, de Corbeil et de Senlis.

Mais, précisément, à Corbeil, Mauger est le successeur d'un comte Renaud, évêque de Paris; or, le beau-père de Renaud, en même temps l'un de ses devanciers, fut un comte Aimon, dont la petite-fille, nièce du prélat, unie à Mauger, lui porta le comté de Corbeil. Voilà donc, par une coïncidence curieuse, trois des principaux noms en vedette dans le conte, rapprochés aussi dans l'histoire.

Aimon fut comte de Corbeil sous le roi Lothaire ou Lohier, fils de Louis d'Outremer et petit-fils de Charles de Simple, tout à fait au déclin des Carolingiens, dont Lothaire fut l'avant-dernier. C'est précisément l'époque où d'autres détails, très nombreux, du conte tendraient à placer l'action. On y rencontre sans cesse un des ducs Richard de Normandie (dont le premier a commencé à gouverner en 942); un des comtes Huon du Maine (dont le plus ancien n'est pas antérieur à 920). Dans un Thierri l'Ardennais, fidèle au roi dont il est le parent, puisqu'il conduit le deuil du prince héritier, on reconnaît le neveu de Bernard, comte de Rethel, ― Thierri, comte voisin ― qui en 945, seconda Louis IV au siège de Reims et, en 949, investit Omont en Ardenne, tenu par les ennemis du roi. Le souverain contre lequel se battent les fils d'Aimon n'a qu'un fils nommé Lohier; cette particularité se rencontre dans la seule histoire de Louis IV, entre la mort d'un second fils du nom de Charles et la naissance en 953, d'un troisième fils auquel on imposa ce même nom. Enfin Louis d'Outremer fut, pendant un laps de temps relativement court, retenu captif après avoir vu son palais pillé, circonstances qui forment un épisode essentiel du conte des Fils Aimon.

Toutes ces particularités et bien d'autres, qu'il nous faut omettre, auraient pu engager à croire, par avance, à une superposition à l'Aimon d'Aquitaine contemporain de Charles Martel, et à son fils Renaud, gendre du roi Yon de Gascogne, d'un Aimon et d'un Renaud son beau-fils, comtes dans l'Ile-de-France deux siècles plus tard.

 

 

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Mais jusqu'à ce jour il n'existait, sur le comte Aimon de Corbeil, qu'une documentation fort sommaire. On l'avait tirée tout d'abord du récit de la translation de saint Guénaud en l'église dont il fut le patron à Corbeil (14), et de traditions de cette ville recueillies par l'historien Jean de la Barre; puis de la vie du mari de la veuve d'Aimon, Bouchard le Vénérable, comte de Vendôme, écrite par Eudes de Saint-Maur (15); enfin de quelques chartes du Xe siècle où figure un Aimon, vassal (vassus dominicus) d'abord de Hugues le Grand (du 26 mars 931 au 19 juin 946), puis (en 970) de Hugues Capet; enfin titré comte, en la dernière de ces pièces (16), datée du 7 février 973. Rien dans toute cette documentation ne rendait plausible une corrélation prochaine entre ce dignitaire de second ordre et le légendaire Aimon, duc de Dordonne.

A ces points acquis nous avions cru pouvoir ajouter une remarque. En 941, Lisiard, personnage fort important, sur le point de prendre à Saint-Benoît-sur-Loire l'habit monastique, donna par testament pour sa dot, à l'abbaye, la terre de Sceaux-en-Gâtinais. Le duc Hugues le Grand, dont il était le vassal, souscrivit cet acte avec les comtes de Senlis, de Tours, d'Anjou, d'Orléans, un comte Thion, dans lequel on reconnaît le vicomte homonyme de Paris dont on possède une charte, de 925. Aussitôt après les comtes, vient un Aimon dont le nom précède celui de Fromond Ier de Sens: celui-ci ne prend pas encore le titre de comte; cependant, l'acte est de novembre, et dès le début de l'année, ce vassal de Hugues le Grand avait chassé de Sens l'archevêque Gerland (17).

Lisiars réserve, dans la donation, les droits de ses deux enfants qui semblent alors fort jeunes; un fils clerc, Joseph, encore simple acolyte (enfant de choeur); une fille, Elisabeth. Or, il est prouvé

 

(14) Acta Sanctorum Novembris, I, 679. ― Les obituaires des collégiales de Saint-Guénaud et de Saint-Spire de Corbeil reconnaissent l'un et l'autre Aimon pour fondateur de ces églises, et placent d'un commun accord son anniversaire au 23 mai (Molinier, Obit. de la prov. de Sens, I, 399, 411).

(15) Rééditée par M. de la Roncière dans la collection de textes publiée par Picard (Paris, 1892, in-8°). ― Une charte authentique de Bouchard confirme les dons faits à Saint-Guénaud par le comte Aimon (Tardif, Mon. hist., Cartons des Rois, n° 253).

(16) D. Housseau, Collection de Touraine, I, 214. ― Aimon a dû cesser de vivre le 23 mai 973: Une charte du 1er septembre 977 est souscrite par Bouchard de Vendôme et son fils Renaud (issu du convol d'Elisabeth, veuve d'Aimon). Ibid., I, 221.

(17) Flodoard, Annales, 941, édit. Lauer, p. 79.

 

 

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qu'Elisabeth est la future femme des comtes Aimon et Bouchard. En effet, Renaud, évêque de Paris, son fils du second lit, donnait en 998 à Saint-Maur-des-Fossés l'église de Sceaux comprise dans son patrimoine. Nous avons exposé ailleurs que Lisiard fut vraisemblablement, soit l'aïeul, soit le collatéral de l'un des auteurs d'Ansoud Le Riche de Paris, bienfaiteur de Saint-Denis-de-la-Châtre, qui eut plusieurs descendants de ce nom (18). Quant à Aimon, les présomptions portent à le rattacher à Thion, vicomte de Paris, qualifié comte après 936; puis par Thion à Grimoard, vicomte de Paris sous Eudes et Charles le Simple (19).

Nous avions constaté que le prénom de Grimoard, incroyablement rare en ce temps, était porté, du vivant de Thion et d'Aimon, par un seigneur qui, le 1er juillet 943, acquit, par échange avec Saint-Cybar d'Angoulême, une terre en Périgord (20), et, en août 963, cédait à l'abbé Guigues de Panat (F.B. lire Paunat) Le Bugue et son église Saint-Sulpice, dont il avait hérité de Basin son cousin (21). Souscrivant avec lui Alaas (Aladaudis) et Hébrard (Hebrardus), femme et fils de Grimoard, et le viguier Bégon. Les noms de Bégon et d'Ebrard, portés par un comte de Paris et par l'un de ses fils, sous Louis le Pieux, un peu plus d'un siècle auparavant, contribuaient, avec celui de Grimoard, à corser un rapprochement singulier entre l'onomastique du Périgord et celle de l'Ile-de-France.

Nos recherches sur l'éventualité d'une corrélation artificielle entre Aimon de Dordonne et Aimon de Corbeil n'avaient pas été poussées plus loin, lorsque récemment, une heureuse fortune mit sous nos yeux la Chronique de Guitres, inédite, croyons-nous, jusqu'à ce jour, au moins dans son ensemble. Cette chronique, dont les manuscrits s'arrêtent au début du règne de Philippe Ier, et qui a dû être écrite d'après des sources du XIe siècle, à en juger par les expressions qu'elle renferme, sera, dans les chapitres suivants, l'objet d'une étude

 

(18) J. Depoin. Essai sur la chronologie des Evêques de Paris (768-1138), dans le Bulletin historique et philologique, 1906, p. 232. Recueil des Chartes de Saint-Martin des Champs, t. I, p. 261, note 385.

(19) L'obit du vicomte Grimoard fut noté, au 1er août, sur le Nécrologe de Saint-Germain-des-Prés, d'une main postérieure à celle d’Usuard (Molinier, Obituaires de la province de Sens, I, 271).

(20) Archives de la Charente, Cartulaire de Saint-Cybar, du XIIIe s.; n° 169, fol. 99.

(21) Albuca du texte est Le Bugue, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Sarlat (Dordogne). L'Espine, Coll. de Périgord, XXXIV, 97, Ms. lat. 1785, fol. 143.

 

 

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critique. Contentons-nous de dire qu'à notre vive surprise, elle nous présenta, dans ses trois parties ― d'abord l'histoire légendaire du roi Yon de Gascogne, fondateur du château de Guitres;  ― ensuite un récit très plausible de la venue en Périgord d'un Aimon de Paris, fils du comte de cette ville, émigrant vers le milieu du Xe siècle, avec plusieurs de ses frères (deux suivant une version, davantage, suivant une autre) et un de ses neveux, et construisant un château près de la Dordogne; ― en troisième lieu, l'historique ― dont la plupart des détails peuvent être contrôlés ― de la constitution de la vicomté de Ribérac en faveur d'Alguier, frère d'Aimon; de l'édification du château de Mussidan par Augier, fils d'Alguier; de l'acquisition de Fronsac par son frère Ays; enfin du rétablissement par les petits-neveux d'Aimon, Grimoard et Raymond, de l'ordre monastique à Saint-Astier et à Guitres.

 

 

II

 

L'abbaye de Guitres (22) illustrée par le séjour de Peiresc (23) « remonte à une date inconnue ». Ce procès-verbal de carence signé par les Bénédictins les plus érudits de notre temps (24) ne saurait surprendre dès qu'il est avéré que la dilapidation de ses archives s'opéra dès le XVe siècle. Il s'y conservait encore, au lendemain de la guerre de Cent ans, un manuscrit qui faisait remonter son origine à Charlemagne: mais cette dernière relique disparut peu après. Le 14 mars 1497, Jehan de Labori, lieutenant général de la sénéchaussée de Guyenne, ouvrait une enquête pour rechercher les droits et préroga-

 

(22) Guitres, chef-lieu de canton de l'arr. de Libourne (Gironde). Les documents du XIIe siècle, les plus anciens qui existent sur cette localité, la dénomment Aquistrae, forme n'offrant aucune garantie: elle dérive d'une étymologie trouvée après coup par allusion à trois rivières voisines.

Remarquons l'existence, en Charente, de deux Guitres, l'un à Baigne-Ste-Radegonde, l'autre à Chassors (près Jarnac); dans l'Eure se voit un Guitry, en Seine-et-Oise un Guitrancourt. Ces formes sont parallèles, par simple variantes gutturalisées, à celles des Vitres, Vitrac, Vitray, Vitré, Vitry, Vitrieu, Vitrancourt, Vitrolles dont la carte de France est parsemée.

(23) Peiresc fut abbé commendataire de 1624 à 1637, et l'on conserve encore plusieurs des bâtiments qu'il éleva. L'église, dédiée à Notre Dame, est devenue paroissiale.

L'abbaye appartenait à la Congrégation des Exempts. Bien avant la Révolution, elle fut unie au Petit Séminaire de Bordeaux, ayant été supprimée par la Commission des Réguliers.

(24) Archives de la France monastique, t. X (1910). Abbayes et prieurés de l'ancienne France, par D. Beaunier, t. III, prov. d'Auch et de Bordeaux, par D. Besse, p. 95.

 

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tives de la seigneurie de Fronsac. On requit l'audition de témoins ayant eu des rapports d'affaires avec Pastoureau, procureur de l'abbé de Guitres et pourvu d'offices judiciaires dans la région. Certain jour, d'après leurs souvenirs, « ils virent entre les mains d'icelui Pastoureau, qui estoit aussi lors seneschal d'icelle vicomté (de Fronsac), ung grant roolle en parchemin, vielz et ancien, auquel entre autres choses estoient contenus les mots qui s'ensuivent: Karolus Magnus edificavit sibi turrim in loco altissimo aut fortissimo de Fronciaco et, in districtu ejus, suam abbatiam de Aquistris, in honorem beatissime et gloriosissime Virginis Marie. Lequel roolle fut lors reprins et retiré par lesdiz religieux, abbé et couvent de Guitres, entre les mains desquels devoit estre a present (25). »

Que cette présomption fût ou non justifiée, le rouleau « vielz et ancien » disparut pour tout de bon et le procès-verbal d'enquête ne nous est parvenu que grâce à une copie exécutée sous François Ier.  Le recueil factice où elle est conservée héberge, à sa suite, deux transcriptions, offrant de légères variantes, d'un autre manuscrit de la bibliothèque de Guitres, dont la trace est maintenant perdue. Cet original, dont L'Espine ignorait déjà le sort (26), était une chro-

 

(25) Bibl. Nationale de Paris. Recueil factice relié, formant le ms. lat. 17733, fol. 1-8 (Ancien fonds Gaignères, n° 558 20).

D'autres dépositions confirment, avec une variante, l'existence du précieux rouleau. Notamment frère Guillaume Gaillard, prieur de St-Denis près Guitres, avait autrefois « veu audict monastere ung gros roolle long de parchemin antien et authentique, commençant « Karolus Magnus », auquel estoit escript en latin et faict mention comme Charles Maignes avoit basti et construit la tour de Fronsac, et in districtu fut fondé ledict monastère de Guistres en l'honneur de la benoiste et glorieuse Vierge Marie ... et ne sçavoit où depuis [ledit roolle] avoit esté mis ».

M. Grellet-Balguerie a publié ce procès-verbal Documents hist. inédits, concernant la seigneurie de Fronsac, l'abbaye de Guitres, la cour souveraine de Gascogne instituée en 1370; Bordeaux, 1888, in-4°; extr. des Arch. hist. de la Gironde, t. XXVI. Il n'a tenu aucun compte de la Chronique de Guitres qui suit le procès-verbal dans le recueil 17733, malgré son intérêt considérable pour l'histoire des origines de Fronsac.

(26) « J'ignore si l'original de cette notice a péri ou s'il est enfoui dans quelque dépôt. M. de Gaignères s'en étoit procuré deux copies dont l'une sur papier est de la fin du XVe siècle, l'autre sur parchemin est du siècle suivant. Ces copies paroissent avoir été faites sur une ancienne copie ou sur l'original qui étoit peut-être alors conservé dans les archives de l'abbaye de Guitres et qui auroit disparu, probablement dans les troubles du XVe siècle, puisque Mabillon, Sainte-Marthe, dom Estiennot et autres n'en ont pas eu connoissance. On lit au dos de la première copie les mots suivants: Double de ce qui a esté apporté de Bordeaux touchant Fronsac. Ces deux copies sont défigurées par plusieurs fautes. Il y a des mots qui ont été mal lus et le sens de quelques phrases est inintelligible, soit par l'ignorance des copistes ou l'altération de l'original sur lequel il travailloient » (Note autographe de L'Espine, coll. de Périgord, t. 47, p. 233).

 

 

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nique de l'abbaye. Entre 1515 et 1530, il en fut exécuté deux copies, l'une sur papier, oeuvre d'un lecteur peu exercé, l'autre sur parchemin, de la main d'un écrivain expert et documenté. Aussi, bien qu'un peu plus récente, fournit-elle la recension la plus sûre.

L'opuscule se divise en trois parties précédées d'un préambule.

La première est consacrée à Yon de Gascogne fondateur, à Guitres, d'un palais et d'une basilique détruits plus tard par des envahisseurs. La seconde a trait aux aventures d'Aimon de Paris, s'établissant dans cette région avec trois frères et un neveu, en territoire conquis sur les ennemis du comte de Périgord. La troisième relate la restauration de l'église de Guitres par les premiers vicomtes de Fronsac, de la lignée d'Aimon, et le développement des institutions monastiques grâce à de nombreuses libéralités qu'on énumère. Aucun des évènements rapportés ne dépasse le début du règne de Philippe Ier. Le chroniqueur paraît s'être intentionnellement arrêté là, son but, d'après le préambule, étant de consigner des traditions ― ce qu'il fait en les exposant d'une façon très objective ― sur l'origine du monastère, et de grouper des données certaines sur son rétablissement.

Il est malaisé de déterminer l'époque où cet auteur a vécu. La richesse de sa documentation sur le début du XIe siècle démontre qu'il avait en mains un fonds très riche en notices ou en chartes anciennes. On est surpris de toute absence d'allusion au temps écoulé depuis les évènements relatés, à des vicissitudes ultérieures dérivant de commotions politiques, au rattachement de personnages plus modernes à leurs devanciers de ce temps-là.

Le moine de Guitres en attribue la fondation au fils naturel d'un roi des Francs, Hyon (Heudo). Comme il était sensiblement plus âgé qu'un jeune frère né d'un mariage légitime et dès lors appelé au trône, Hyon fut chargé par son père de la tutelle de cet enfant. Il s'acquitta parfaitement de sa tâche. Devenu majeur, l'héritier témoignant au tuteur sa gratitude, lui offrit honneurs et richesses. Hyon refusa ces bienfaits, ne pouvant souffrir de tenir un rang secondaire après avoir joui d'un pouvoir quasi-royal. Nanti de trésors précédemment amassés, en compagnie de quelques grands ses alliés et d'une nombreuse escorte armée, il émigra, et voulant s'assurer d'abord l'indépendance, s'installa dans une contrée déserte alors, quoique agréable et fertile. Aux bords de l'Isle, au comté de

 

 

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Bordeaux, il établit un bourg fortifié (oppidum) entouré de murailles et de tours; il l'appela Guitres. Au levant il construisit une résidence (aula) surmontée de terrasses; auprès il éleva une chapelle ronde sur quatre colonnes de marbre, la pava de mosaïques polychromes, la couvrit de lames de plomb. Les murs peints tenaient enchâssées de nombreuses reliques assemblées de tous les points des Gaules; le roi les avait procurées à son frère Hyon; des inscriptions les identifiaient. La plus précieuse de toutes, un bras de sainte Marie-Madeleine, était dissimulée et scellée au dedans d'une colonne forée, élevée au milieu de l'autel, au sommet de laquelle se lisait le mot PAX.

De Guitres Hyon fit rayonner sa puissance, d'abord à l'entour, assujettissant ses voisins. A la fin il soumit à ses lois toute la Gascogne jusqu'aux monts d'Espagne. Après sa mort, des envahisseurs venus par mer, renversèrent les murs, incendièrent le bourg, et toute la contrée ne fut plus qu'une vaste solitude. tel est le premier chapitre du récit. Dans cet Hyon, fondateur de Guitres, gouvernant le Sud-Ouest, de la Saintonge aux Pyrénées, qui méconnaîtrait le duc Yon, le fondateur de la dynastie gasconne? Il y a identité de nom, d'époque, de geste, de titre même. Car Yon de Gascogne a bien pris, ou reçu de ses sujets, celui de roi. Témoin l'inscription de Saint-Maximin près Brignoles, qui l'appelle le très pieux roi Youin (27).

Comme l'a judicieusement relevé J.-G. Eckhart, la proclamation de Yon comme roi est à rapprocher du soulèvement de la Provence sous le patrice Antener contre l'autorité de Pépin d'Héristal; elle est donc antérieure au 15 décembre 714. L'inscription de Saint-Maximin porte qu'en décembre 716, regnante Odoino piissimo Francorum rege, fut en grand secret, à la faveur de la nuit, et par crainte des Sarrazins, transféré le corps de Marie-Madeleine de son sépulcre d'albâtre, dans un autre de marbre, d'où fut retiré le corps de Sidonius. Les reliques de la Madeleine étaient conservées dans le royaume de Yon; il n'y a donc rien d'étrange à ce qu'il ait pu disposer d'un ossement du bras de la sainte pour en doter l'autel de Guitres. Les églises du Languedoc, si riches en corps de saints d'ori-

 

(27) Cette inscription fut recueillie vers 1420 par Bernard Gui, sur la pierre même où elle était gravée. Le P. Pagi la rencontra dans un manuscrit de Saint-Victor où en 1455, elle fut transcrite par un témoin oculaire. Cf. J. -G. Eckhart, Commentarius de rebus Franciae orientalis, t. I, p. 319.

 

 

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gine provençale ou romaine, purent aussi fournir au roi cette moisson de reliques dont parle le chroniqueur.

Quant aux envahisseurs qui, après la mort du roi Yon, s'abattirent sur Guitres, il faut voir en eux, d'une part, des Wisigoths qui, refoulés par les Musulmans après le désastre du 11 novembre 712, et se trouvant trop à l'étroit dans les montagnes des Asturies, cherchaient à s'implanter dans la Gascogne autrefois dominée par leurs aïeux; d'autre part, des Danois dont l'invasion isolée n'a pas laissé de traces dans l'histoire. Leurs ravages se placent vers 745, au temps de Childéric III et du duc Gaifier, au moment de la première éclipse de la dynastie gasconne (29).

La légende de Guitres a le grand intérêt d'expliquer, par la naissance de Yon, cette attribution du titre royal qui ne ressort pas seulement de l'inscription de Saint-Maximin, mais du témoignage de l'historiographe de saint Austregisle. Yon serait le fruit d'une liaison de jeunesse qui précéda de beaucoup l'union de Thierri III avec sa cousine Clotilde II. Les Annales de Metz précisent un point qui répond aux exigences du problème telles qu'elles se posent dans le récit de Guitres. Suivant elles, l'aîné des fils de Thierri et de Clotilde, Clovis III, était à son avènement « puerulus ». Ce terme ne saurait convenir à un enfant de douze ans accomplis, âge auquel le droit public des Francs l'autorisait à ester en justice et à disposer librement de ses biens. Il y eut donc tutelle, et le peu que nous savons de ce temps ne permet pas de contredire les traditions enregistrées par notre chroniqueur.

L'origine d'Yon de Gascogne est redevenue ignorée des historiens, depuis que la charte d'Alaon, imprudemment cautionnée par les Bénédictins, est prisée à sa juste valeur. Le récit de Guitres n'a donc point là de contradiction à craindre. On sait d'une part, que le duc Loup, l'un des assassins de Childéric II, commandait à Bordeaux où en 670, il présidait au nom de ce même prince un synode provincial; puis que tous les biens de Loup (Lupus dux pessimus) furent confisqués par Thierri III qui, d'une portion de ces dépouilles, enrichit Saint-Benoît-sur-Loire. On retrouvera le nom de Loup parmi les fils et les descendants de Yon. Sa femme Wautrude ne serait-elle pas une fille du duc proscrit, hypothèse qui justifierait le choix du séjour d'Yon après sa retraite? Les îles de la mer, Noirmoutier, Ré, Lérins, étaient en ce temps les lieux d'exil ordinaires.

Faudrait-il chercher à la fondation du monastère de Ré par Yon et

 

 

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Wautrude, une cause dans la piété filiale, si c'est dans cette île alors inhospitalière que Loup banni finit ses jours?

A Guitres, Yon n'avait point fondé d'établissement monastique, mais seulement une basilique dédiée à la Madeleine et à Saint-Sauveur. Abandonnée pendant plus d'un siècle, elle survivait encore à la désolation générale, lorsque les reflets lumineux de sa toiture la firent découvrir, au milieu d'une forêt qui l'avait enserrée, aux vassaux d'un feudataire du pays. Ils y pénétrèrent, s'imaginant y rencontrer des trésors, ils creusèrent inconsciemment au pied de ses parois et causèrent ainsi la chute inopinée et la ruine totale du vieil édifice. Plus tard, des hommes pieux du voisinage vinrent recueillir, dans les décombres, les reliques des saints.

Guitres n'était plus qu'un nom, lorsque commence le second acte. Il nous transporte sur une scène éloignée, dans une cité royale des Gaules jadis nommée Louèche (Lutecea) et depuis Paris (Parisius). Là vivait un comte (consul) de grand mérite (eximius), issu du sang royal. Il eut sept fils. Trois d'entre eux assoiffés de gloire militaire, n'espérant pas au partage des honneurs paternels, obtenir un lot digne de leurs espoirs, et ne pouvant consentir à déchoir de leur rang en servant sous la bannière d'un égal en naissance, résolurent de chercher une région lointaine, où, leur vaillance et leurs talents s'exerçant en toute liberté, ils se tailleraient un nouveau patrimoine à la pointe de leur épée. Ces trois frères se nommaient Alguier dit le Sourd, Aimon et Atmard. S'étant procuré, tant de leurs parents que d'ailleurs, les ressources nécessaires, ils réunirent une troupe de deux cent chevaliers (milites). Leur neveu Airard surnommé La Briche (Aruardus cui erat nomen Bresca), averti de leur dessein, se joignit à eux avec cent autres hommes (satalites).

L'attraction du Midi s'exerçant sur eux, ces émigrants parvinrent par étapes jusqu'en Périgord. L'arrivée d'une troupe si nombreuse ne pouvait passer inaperçue; le comte Taleran averti s'inquiéta de l'origine et du but des nouveaux-venus. Dès son entrevue avec leurs chefs, il comprit tout ce qu'il en pouvait tirer: dans les conjectures qui le mettaient aux prises avec divers adversaires, cette petite armée formait un appoint inespéré s'il réussissait à se l'attacher. Il leur proposa de leur abandonner tout ce qu'ils pourraient enlever à ses ennemis au sud-ouest du Périgord, et de leur inféoder notamment toute la région forestière de la Double. Il acceptèrent, et bientôt établirent leur domination en pays conquis.

 

 

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Le survivant de ces trois frères, Alguier, éleva le château de Ribérac et laissa deux fils, Ays et Augier (ou Audigier), très vaillant capitaine; celui-ci, par la concession et avec le concours de Guillaume Taleran, comte de Périgord, fonda Mussidan. Ays et Augier achetèrent ensemble de l'évêque de Périgueux le château et « l'honneur » de Saint-Astier.

Le haut renom de noblesse, de prudence et de probité qu'Ays s'était acquis, parvint aux oreilles de Guillaume, comte de Bordeaux; il lui donna sa fille avec le château de Fronsac.

Jusqu'ici le chroniqueur de Guitres a relaté des faits qui ne soulèvent à ses yeux nulle contestation. Il les expose simplement et sans aucune fable épique. Un seul détail que nous avons négligé, car c'est un pur hors-d'oeuvre ― l'origine qu'il attribue au surnom de Taleran ― prêterait à la critique. Encore la conjecture est-elle assez plausible pour avoir rallié des historiens avertis comme l'abbé de L'Espine. Mais en dehors de cette hypothèse, qui ne fait point corps avec le récit, celui-ci n'a rien d'incompatible avec l'histoire du temps.

A la seconde génération de la lignée dont il relate les gestes, le moine de Guitres place un synchronisme précis, celui de Guillaume Taleran, comte de Périgueux. C'était le second fils de Bernard Ier, comte de Périgueux dès 918 et, vers 952, d'Angoulême; il succéda à son frère aîné Arnaud Aoûteron et mourut à son tour le 8 août 962 (28). Le comte Taleran ayant lui-même reçu les trois fils du comte de Paris, on peut admettre qu'en prenant possession du comté d'Angoulême, Bernard Ier délégua ses pouvoirs en Périgord à son fils cadet, l'aîné ayant occupé déjà celui d'Angoulême qui dès lors devait lui être réservé. C'est donc entre 952 et 962 que se place l'exode des nobles parisiens.

Ayant exposé des faits qu'il regarde comme historiques, le narrateur ne s'en tient pas là. Il a recueilli d'autres traditions: « bien qu'on n'en doive pas tirer grand fruit », il les insère dans son récit « quia cuique inaudita placent ».

Aimon, l'aîné de ces frères, était, continue-t-il, renommé pour ses avantages physiques, et le peuple l'appelait en langue vulgaire Aimo lo Bels, Aimon le Beau. Il soutenait une guerre très dure

 

(28) Depoin, les comtes héréditaires d'Angoulême, de Vougrin Ier à Audoin II (869-1032), p. 18.

 

 

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contre le roi de France, bien qu'il manifestât pour la reine des sentiments passionnés. Un jour où le prince entretenait celle-ci en grand secret des affaires du royaume, il exhala ses plaintes contre Aimon, dont les dévastations incessantes restaient impunies. « Si vous m'y autorisez, dit-elle, je puis vous donner un conseil que nul autre n'oserait proposer. Je sais qu'Aimon me chérit par-dessus tout; je n'ai qu'à lui mander que, prête à vous quitter, je veux à jour dit le rejoindre afin de l'épouser, pourvu qu'il vienne à ma rencontre avec tous les habitants de Paris, hors des portes de la ville. Sans qu'un doute entre dans son esprit, il se conformera, plein de joie, à toutes mes exigences. Entre temps envoyez vos soldats à la porte opposée; ils s'empareront sans coup férir de la cité, dépourvue de défenseurs ». Ainsi fut-il résolu. Quand Aimon comprit qu'il était déçu, il chercha en toute hâte son salut dans la fuite. Ses frères, se voyant frustrés par sa faute de tous leurs droits sur une si puissante cité, l'exhortaient à une lutte sans trêve pour en chasser le roi; il s'y refusa, confessant l'injustice de la guerre qu'il avait faite à son souverain, et leur annonçant l'intention de chercher fortune en d'autres parages. C'est alors qu'avec ses frères et leur neveu Airard La Briche (Airrardus cognomine Bresca), il emmena une troupe de trois cents hommes en Périgord; Airard, en ayant fourni cent, devait avoir le tiers de tout ce qu'ils conquerraient ou recevraient ensemble. Un jour que leur troupe chevauchait par la Double, au-devant des ennemis du comte de Périgord, ils rencontrèrent au port Saint-Jean de Coutras un messager du comte de Bordeaux; l'interrogeant avec adresse, ils apprirent qu'il attendait un châtelain auquel le comte destinait sa fille. Aimon le Beau, montrant au messager son neveu Ays, lui persuada de le proposer à son maître pour gendre, ce qui réussit.

Aimon joui, à titre héréditaire, de tout le territoire compris entre l'Isle et la Dordogne, et suivant le partage convenu, Airard La Briche en reçut le tiers. Les autres frères d'Aimon eurent, l'un le château de Blaye, d'autres, Montendre, Branne et Baignes; du septième le séjour reste incertain.

Après ces anecdotes qu'il regarde comme légendaires, le moine de Guitres clôt la parenthèse. « Revenons à la gravité de l'histoire », dit-il.

La sévérité du critique lui fait honneur. Est-elle en tout justifiée?

 

 

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Et de ces récits, où apparaît franchement la forme épique, n'aurions-nous pas une ligne à retenir? Rien de moins paradoxal que l'assertion qui le semblerait en apparence, d'une très grande supériorité, quant au contrôle documentaire, du moderne érudit sur le moine lettré du moyen âge.

La geste d'Aymon de Dordonne est remplie de synchronismes la ramenant au règne de Louis d'Outremer. C'est ce prince et Gerberge de Saxe, sa femme, qu'à son tour, sans le savoir, met en scène le moine de Guitres. Louis IV est mort le 10 septembre 954. Le départ d'Aimon se placerait dès lors au cours des deux années précédentes. La reine Gerberge était une « femme de tête », moitié capitaine, moitié diplomate, mêlée à toutes les affaires du royaume. Elle fut élevée à Gandersheim, ce noviciat de reines et de duchesse, centre où l'instruction des filles atteignit un degré de culture exceptionnel, et où elles étaient initiées à la pratique de l'art dramatique. Gerberge, par son éducation, pouvait être capable de concevoir et de machiner la comédie que lui prête la tradition légendaire. Quant à la lutte d'Aimon contre le roi, elle s'enchaîne à celle que soutint Hugues-le-Grand contre Louis son beau-frère: Thion vicomte, puis comte de Paris, était un vassal du duc de France. A cette lutte appartiennent deux épisodes: le pillage [à Compiègne] des armes et des chevaux du roi dans son propre palais, et l'emprisonnement du monarque [à Rouen], qui précisément ont été transportés dans l'épopée carolingienne par la Geste des Fils Aymon, et sont attribués à la vengeance des fils et du neveu du duc de Dordonne.

Le chroniqueur de Guitres est parvenu à la dernière étape de son sujet, car il s'est proposé uniquement d'éclaircir les questions touchant aux origines du culte religieux, puis de l'institution monastique dans sa résidence. Voici la troisième génération des émigrés de Paris. Ays a rang de vicomte. De son alliance avec la fille du comte de Bordeaux, il laissera deux fils et trois filles. Les fils Grimoard et Raymond, lui succéderont. L'aînée de ses filles, Alaas, épousera le sire de Grignols; la seconde, Ermessenz, le sire de Mareuil-sur-Belle; la troisième, Ermengard, le sire de Rochechouart. D'une seconde alliance avec la fille du châtelain de Montault, Ays laissera encore un fils, son homonyme, longtemps abbé de Saint-Astier, inhumé dans son monastère.

 

 

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Ays le vicomte étant mort, ses fils aînés allèrent à Bordeaux trouver leur oncle, et en obtinrent avec la confirmation de leurs honneurs, d'autres bénéfices, restés depuis inféodés à la seigneurie de Fronsac.

Grimoard s'unit à la fille du seigneur de Montignac-sur-Sarlat, Dée, qui lui donna deux héritières. Elles se marièrent brillamment. Alaas épousa le comte d'Angoulême; Amélie, celui de Périgueux. Raymond prit femme à Langle (château situé près de Siorac), d'où sortit le vicomte homonyme, Raymond II. Les deux frères relevèrent ensemble l'abbaye de Saint-Astier, et fondèrent celle de Guitres, vers le même temps, sous le règne de Robert (996-1031). Dans l'ancien séjour d'Yon ils amenèrent une colonie de travailleurs tirés de leurs villages de Périgord. Il y avait des laboureurs, des cuisiniers, des cordonniers, des fourreurs.

Les fondateurs de l'abbaye de Guitres lui conférèrent différents droits de justice et de coutume, sur les terres de la dotation et toutes celles que la communauté pourrait acquérir. Ils lui donnèrent deux églises, Saint-Pierre de Fronsac et Saint-Martin de Sablons. La première était construite en bois; Etienne, abbé de Guitres, lui substitua un édifice de pierre. Les vicomtes renoncèrent pour leur chapelle domestique au droit de sépulture, ordonnant que tous ceux de leur race iraient à Guitres dormir leur dernier sommeil. Ils firent aussi don d'une île à laquelle s'attachaient de curieux souvenirs (29).

Pour consacrer « l'établissement » de la congrégation bénédictine, ils appelèrent à une assemblée solennelle l'archevêque Seguin de Bordeaux, et leurs cousins Arnaud Aimon, vicomte de Castillon, et Ays de Mayac, ainsi que bien d'autres nobles du Périgord. Au cours de la cérémonie, le métropolitain, monté sur un banc pour dominer la foule, proclama, la main droite sur l'autel, que jamais,

 

(29) Cette île resta longtemps inculte et boisée, dit le moine de Guitres; on ne touchait point à son sol où la tradition rapportait qu'un grand nombre de saints (des martyrs victimes des Païens) étaient inhumés. Les comtes de Bordeaux y venaient chasser, une fois l'an, d'énormes sangliers qui l'occupaient, et lorsque se tenait une foire au mois d'août, sur le port voisin, le peuple y pénétrait par un arbre couché qui servait de pont. Depuis elle fut occupée peu à peu par les laboureurs, les sauniers et les orfèvres: la présence de ceux-ci lui valut une réputation de richesse. Plus tard les Goths et les Danois vinrent, sur des barques, la piller. Ces derniers établirent un camp au confluent de l'Isle et de la Dordogne, d'où, comme des nuées de sauterelles, ils s'abattaient sur le voisinage. A la fin, les hommes du Périgord les surprirent et en firent une terrible boucherie qui fit donner au port où s'acheva le carnage le nom de Port du Charnier.

 

 

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pour aucune cause, hormis la violation, par les seigneurs du bourg, de la trêve ou de la paix jurée, le service divin n'y pourrait être suspendu. La communauté entière fût-elle frappée d'interdit, un chapelain continuerait à célébrer l'office pour le peuple.

Le prélat accorda l'autorisation générale à tous ses diocésains de se faire inhumer à Guitres. Il confirma par avance à l'abbaye toutes les églises que des laïcs ou des clercs qui en posséderaient dans son diocèse, voudraient concéder aux moines. Aussitôt, plusieurs des seigneurs présents, sans doute parents plus ou moins proches des fondateurs, déclarèrent user de ce privilège. Ays Faydit offrit l'église Saint-Bibien de Cleyrac, Aiguelin Alard celle de Salagnac; Etienne de Mons donna l'église Saint-Jean de Coutras et la chapelle Saint-Pierre de Lagorce.

Au temps du vicomte Ays, lors de la renaissance du bourg de Guitres, un petit moûtier y était déjà institué. Ce furent les belles-filles d'Ays qui après sa mort jetèrent bas ces bâtiments exigus et leur substituèrent le monastère qu'habitait le rédacteur du récit, lorsqu'il tenait la plume. Les vicomtes Grimoard et Raymond, dans la suite de leur vie, firent encore d'autres dons, que le chroniqueur n'énumère pas, à la communauté alors placée sous la crosse de Seguin, abbé de Baignes.

Tel est le résumé fidèle de la Chronique de Guitres. Elle ne présente rien d'excentrique; son auteur a recueilli des traditions, mais avec choix, et par ailleurs il a travaillé sur des chartes. On n'en saurait douter en lisant l'énumération qu'il a voulu conserver, des moines contemporains de l'abbé Seguin. Abstraction faite d'une digression sur l'origine du nom de Taleran, écho d'une opinion populaire, et des anecdotes sur Aimon dont l'auteur lui-même la critique, il ne se trouve dans ses récits aucun détail suspect au premier abord. Tout au contraire, l'étude des sources confirme, pour ainsi dire, chacun des éléments de la narration qu'il est possible de contrôler (30).

 

(30) Les deux chapitres qui précèdent, formant le début de la quatrième Etude, ont paru dans la Revue des Etudes Historiques en 1911 et 1912.

 

 

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III

Texte de la Chronique de Guitres

Prologue

 

Cum cuncta hujusce archetipi edifficia sui primo conditores qui fuerant, jure morali semper exigant, innumera tamen, quorum penitus ignorantur (a) conditores, repperiuntur: unde quidem id acciderit, ob nimiam, scilicet uti remur, scriptorum penuriam, sive eorundem inerciam, vel eciam mortalium interitu, nullathenus ambiguum dicitur. Guistrensis itaque pagus ne posterius (b) notarium, quem habuit in sui descriptione fidelem, non (c) habuisse videatur, nobis seriatim ac nominatim libuit scripto illos commictere, qui primo ipsius edifficatores fuerint, ac postmodum ejusdem qui rehedifficatores ac reparatores extiterint.

 

Premier partie. fondation de Guitres

par le roi Yon de Gascogne (*)

 

Fertur itaque quidam rex Francorum quendam habuisse filium predentem, probum, atque per omnia, dum sibi vita comes extitit, omnino strenuissimum, cui erat nomen Heudo. Cuiquidem, non ex con[n]ubio genito, ipsius progenitor sui obitus diem imminere sibi senciens, quendam (d) unicum quem ex maritali copula habebat filium, adprime tenerum, cum proprio regno commisit, quousque ad regnum percipiendum atque regendum foret accommodus.

Puer autem regius, postquam adultus regni sui laurea fuit redi-

 

(*) L'original A du document est adiré. Les textes B et C sont deux copies réunies dans le recueil factice qui porte le n° 17733 du fonds latin (ancien fonds Gaignières, n° 55820) de la Bibliothèque nationale. La seconde est un peu plus récente, mais d'une lecture plus assurée.

 (a) ingnorantur B. (b) posterus B C. (c) nom B C. (d) Quedem B C.

 

 

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mitus, fratrem suum ut emeritum tam thesauris quam honoribus amplis honeste ditare voluit. Quod ille, nullo inde sibi secum capto consilio, renuit, estimans sibi fore oprobrio et contumelie, si ille qui quasi rex extiterat, alterius subiret dominium.

Igitur predictus rex Heudo, quia valde verebatur (b) sibi fore dedecori inter notos non esse quod fuerat, sumpto secum (c) inmenso (d) thesauro quem, regno dum patrio potiretur, undecumque collegerat (e), sedes deserendo paternas, ignorans penitus quoniam ceptum iter certum sibi faceret, diversos fines explorando si quem forte locum sibi manendi congruum reperire valeret, cum aliquibus proceribus atque cum delecta illustrium militum multitudine, tandem in quamdam (f) pervenit solitudinem comitatus Burdegale, secus quoddam flumen quod Hela vocatur; quo utrobique cernans diversarum rerum amenitatem, oppidum perpulcrum atque muratum, non absque aliquibus turribus, contra Helam (g) fieri jussit, cui a loci situ nomen imposuit Guistres, propter trium cursum aquarum simul juxta decurrentium (h) quarum nomina sunt hec: Hela, Drona, Aria. Porro ex capite (i), immo etiam ex rei eventu (j), alia sibi acciderunt (k) nomina: vocatum est quippe Castrum Regale et Villa Regalis.

Porro ex capite (l) ipsius oppidi (m), ex parte orientali, mire altitudinis aulam, cameris circundatam, ex quibus plura prodibant epicaustoria, sibi construxit. Postmodum non (n) multum longe ab aula, rotondam atque perpulcram erexit cappellam, sat (o) utique magnam, super marmoreas quatuor colompnas procere stature subnixam, tabulatu plombeo super opertam (p). Pavimentum vero diversi coloris stravit quadratis lapillulis, opere polimito digestis. Parietes quoque interius (q) mobso et gibso (r) pingendo, uti res postularat, operuit. Demum cappella infra et extra ste[m]late mirabili composita, introducuntur multa sanctorum pignora, que ex Ga[l]liis aliisque provinciis Regem per predictum huc sunt allata. Quibus deinde separatim per girum parietis cappelle (s) altrinsecus reconditis, cujus

 

(b) varebatur B. (c) serum B. (d) inmenso B. (e) colligerat B C. (f) quamdem B. (g) Hellam B. (h) decorentium B. (i) cappite B. (j) eventa B. (k) accederunt C. (l) cappite B. (m) oppidei B. (n) nom B. (o) sal B. (p) opertum B. (q) tuterius B. (r) gypso. (s) capelle B.

 

 

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forent sancti ac meriti cujusque pendebant epitafia (t). Aram quoque qualem decuit, infra basilicam (u) fieri jussit, in cujus medio columpnam lapideam, sat utique modicam, non (v) penitus foratam, intulit; intra quam littere forinsecus circunscripte indicant sanctissime Marie Magdalene brachium, cum multorum reliquiis sanctorum, inclusum. Verumptamen in hujus columpne capite pertuso, cum cemento decenter glutinato, pax erat scriptum (w).

Tandem regali cappella peracta, in Sancti Salvatoris et Sancte Marie Magdalene dedicatur nomine; in qua frequenter infirmi, maximeque deliri, sospitatem assecuntur integram. Nam quante almitatis, quanteque dignitatis et reverencie (x) illa, dum mansit (y), extiterit; ceterum quante ingenuitatis ac strenuitatis, necnon (z) et probitatis, rex Heudo extiterit, nisi illis qui videre, dictu videtur incredibile. Ipse etenim, castro prefato firmiter undecunque munito, primo circumcirca sibi affines, postmodum totam Vasconiam usque ad Hispaniam, non absque plurimis bellis, suo subjugavit imperio. Sed postquam interiit, ho pro dolor! casuali infortunio (a), terra marique Goti atque Normanni Guistrensse adeuntes oppidum, penitus cremaverunt, in vastam solitudinem redegerunt.

Deinde post longi temporis spacium, accidit quod homines de honore castri burgique, in quibusdam maceriis pecuniam invenerant magnam. Guistrenssem cappellam, introrsus fulgore mirabili fulgentem, adierunt; in cujus maceriis (b) magnum censum existimantes se reperturos, ex fundamento cappelle conati sunt in circuitu lapides extradere. Quorum extrusione, prothinus ipsa ex insperato funditus diruitur. Porro sanctorum reliquie (c), huc illucque disperse, angelica visitacione et sanctorum, quorum reliquie inibi erant, frequentacione, cum luminibus que ibi, singulas per noctes, apparebant frequenter, visitabantur. Viri autem religiosi qui, non multum longe inde, morabantur, audientes predicte basilice precipuum fieri minimum, inde dolentes, illuc festinanter advertarunt, sanctorumque pignora, magna cum devocione undecunque collecta, congruis in urnis recondiderunt.

 

(t) epitasia B C. (u) basilicum B. (v) nom B. (w) paxerat C. (x) reverancie B. (y) mensit B. (z) nec nom B. (a) infortunis B. (b) materiis B C. (c) relique B.

 

 

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DEUXIEME PARTIE

L'exode d'Aimon de Paris.

 

His igitur ita digestis, res postulare videtur eos seriatim subnectere, qui Guistrensis monasterii (a) ab exordio fundatores fuerunt.

Est itaque in Ga[l]liarum provinciis quedam regalis civictas (b), antiquitus vocata Lutecea, modo dicta Parisius; cujus quidem vixit, jure hereditario claris (c), regali ex linea edictus (d), consul extitit eximius. Cui quoque septem fuere filii; quorum tres, Alcherius scilicet, cognomento Surdus, Aimo secundus, tercius Atmardus, precipue militaris glorie atque honeste (e) fame avidi, patrios honores animadvertantes tot fratribus illustri prosapia editis honorifice non posse sufficere, dedignatesque etiam pro quolibet honore consimilibus subjugari, co[m] (f) illis par fuit animus, propter ampliores honores acquirendos, et ob majoris oppinionem felicitatis nanciscendam, aliquam alicubi remotissimam expetere regionem (g) quonam animosa virtus ac simul industris abstucia (h) ipsorum gloriose exerceri valerent (i).

Ad quod sane peragendum, tam de ipsorum consanguineis quam de ceteris argento conducto (j), ducentos milites aggregant, ut quo ipsi tendere (k) ibi pergere vellent.

Verum enimvero Aruardus (l) cui erat nomen Bresca, nepos illorum, audito eorum itinere, habuit similem (m) animum cum illis eundi, ob quod in unum ipse satalites (n) centum colligit. Qui subinde milites trecenti, postquam tali condicione fide et sacramentis altrinsecus sunt federati, ut simul incederent (o) quonam illos benignissima fortuna adduceret jura deserentes paterna, tamdem secus Petragorice urbis applicuerunt confinia.

Quorum frequens fama, postquam aures Taleranni, predicte urbis consulis, attigit (p), ipse valde miratus qui et unde essent, et quid essent acturi, quamque ob causam illuc adventassent, habito tamdem illo cum illis colloquio, ab ipsis qui et unde essent, quidque forent acturi, et etiam quod ipse de illorum prosapia descenderat, didicit.

 

(a) monasteria B C. (b) civitas. (c) sic B C. ― quidem vixit ne serait-il pas une mauvaise lecture pour quidam, viris... claris? (d) editus. (e) honneste B. (f) cum. (g) religionem B C. (h) astutia. (i) valerant B C. (j) conductis B C. (k) tandere B. (l) Arnardus B C. (m) cimidem B. (n) satilites B. corr. satellites. Plus loin ce terme est opposé à pedites. (o) incederant B C. (p) actigit B C.

 

 

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Qui, audito quod facere disposuerant, ex[is]timans quod, si illos secum retinere valeat, eorum auxiio et tutamine ex omnibus guerris quibus undique erat circumdatus, omnino liberaretur, illos retinens, dedit illis in suo honore, jure perpetuo, permaximam hereditatem, tribuendo etiam ipsis quicquid dignum captu in honoribus suorum inimicorum et in saltibus de Dobla capere valerent (q).

Is siquidem Tallerannus de stirpe quorundam principum cujusdam civitatis Gallie que nuncupatur Silvanectis, vulgo autem Senliz, quos principes antiqua naturalitas Galerannos vocat, originem duxit: quiquidem principes Regum propinqui fuere. Porro, illo in tempore quo rex Francorum Aquitanicis dominabatur integre, ex predictis Galerannis quemdam (r) Petragorice plebi destinavit (s) pretorem. Qui, non multo post, preturam valde pro nihilo (t) ducens, cujusdam gentis obtinuit consulatum, regium usurpans honorem, simul mutans et nomen. Nam qui, anteriori nomine, Galerannus dicebatur, posteriori quoque Tallerannus (u) sortitus (v) est nomen, G littera mutata in T. Ab isto quippe priore Talleranno, consules urbis Petragorice postea appellati sunt Talleranni.

Post tandem, de quibus supra memoramus duobus fratribus ulla absque procreatione (w) defunctis, tercius supervixit Alcherius, vir strenuissimus (x), vicino suo nulli secundus. Verumtamen hic Alcherius, edifficato castello suo, Ribbairac videlicet, uxorem duxit ex qua duos genuit filios, primo nomen imponens Adaicium, secundo Aldagerium. Iste quidem Aldagerius, dono et adjutorio Guilhermi Talleranni (y), Petragoricum consulis, primus condidit Moysidan (z). Acaptaverunt autem hii duo fratres a domno Petragoricensi episcopo castellum et honorem de Sancto-Asterio.

Adaicius vero quante nobilitatis, quanteque prudencie esset, vel quanta morum honestate preclarissimus extiteret, Gillermum Burdegalensem consulem nullatenus latuit. Capto (a) etenim secreto inter utrumque colloquio, ad Sancti Johannis portum de Cortrat, ibidem suam sibi in co[n]nubium (b) firmavit filiam. Cum qua illi castrum de Fronsiac, parte cum quadam honoris castri predicti,

 

(q) valerant B. (r) quedam B C; (s) destinant B. (t) nimio B C. ― « Ducere pro nihilo », tenir pour rien (Cicéron). (u) Tollerannus B C. (v) sortitas B. (w) procuratione B C. (x) strenissimus B C. (y) Taleranni B. (z) Moysida B C. (a) caepto. (b) cunnubium B.

 

 

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tradidit, sibi retinens omnes arces (c) atque viariam (d), quosdamque fevatos (e). Verum hoc (f) quod quidam astriunt fratres cunctos quorum mencionem superius egimus, non propter illam quam diximus causam sed potius ob aliam huc adventasse; quamvis frugem non conferat multam, tamen, quia cuique inaudita placerent, hoc in loco innectendum estimavimus.

 

Version plus développée de l'épisode d'Aimon.

 

Prefatus igitur Aimo, natu major, qui, dum vixit, pre maxima quam habebat pulcritudine semper vocitabatur Aimolo Pulcher, vulgo Aimo lo Bels (g), magnam habebat guerram cum rege Francorum qui, tempore illo, degebat, quamvis precipuus Regine foret amasius. Unde, quadam die cum Rex satis privatim in sua camera existeret cum Regina, conqueri de predicto Aimone cepit (h), qui suam tam male et perniciose (i) vastabat terram. Cui Regina: « Si mihi, inquit, acquiescere vultis, tale vobis dabo consilium quale (j) non valeatis (k) ullum assequi per alium. Notum (l) etenim expertumque habeo, quod super omnia Aimo me diligit, ob quid sibi mandabo ut me, volentem a vobis facere divorcium, die certo ac loco incunctanter honeste me recipiat in co[n]nubium; ita scilicet ut cuncti sive nobiles, sive innobiles de Lutecea exeuntes, mei causa honoris, pergant illuc quo me recipi (n) putaverint. Ipse quippe, procul dubio, me putans dicere verum de divorcio (o) et de co[n]nubio, cuncta a me sibi injuncta inestimabili perficeret gaudio. Vos autem satalites (p) vostros ac pedites sic habetote paratos, ut, omnibus civibus tam viris quam mulieribus per unam urbis portam exeuntibus, per aliam civitatis portam introeatis, ut urbs, illis vacuata, gente vestra repleatur ac muniatur ». Quod et ut dictum est, pro nefas! actum est. Aimo autem, ubi se tam male ac turpiter deceptum animadvertit, festinanter declinavit quo salvari valuit. Proinde (q) illius fratres tam inclitam ac famosissimam urbem se funditus cernentes (r) amisisse, fratrem natu majorem adierunt, acriter ipsum

 

(c) artes B C. (d) vinatum B; vieatam C. (e) cenatos B C. (f) hec B. (g) Aimolo Bels B C. (h) texit B. (i) perniciore B C. (j) qualle B C. (k) valleatis B C. (l) Nom B C. (m) Luterea B. (n) recepi B C. (o) dormicio B. (p) staellites. (q) Prinde B. (r) cernantes B.

 

 

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 [h]ortantes (s), ut Regem undique bella per maxima (t) aggredirentur, internecioni etiam ipsum tradentes, si [quo]quomodo valerent (u). Quibus Aimo inquit nunquam se ulterius guerram habere cum illo cui totiens nimis magnum injustum super injustum fecerat (v), ac dummodo guerram converteret cum illo (w); sed tamdiu diversas peteret terras, quousque gratum sibi locum manendi reperire valeret. Eapropter ipse suique fratres cum ducentis militibus, atque simul Airrardus (x) cognomine Bresca, illorum nepos, cum centum militibus, qui pacto quodam cum Aimone pactus fuerat, quod scilicet de hoc quod acquirere ambo valerent (y), Airardus de illo terciam partem in fevum haberet, conditum terminum posuerunt, quo simul convenerent in unum.

Tandem illi omnes, in unum associati, postquam a sedibus remoti paternis, urbem apud Petragoricam applicuerunt, multam morem cum ipsius urbis consule peregerunt. Die autem quadam, cum per Duplam (z) illi trecenti milites, obviandi causa predicti consulis inimicis, equitarent, ex insperato contigit illos ad Sancti Johannis portum devenisse, ubi quemdam Burdegale consulis legatum receperunt. Quem magna cum industria interrogantes unde et quid acturus esset, respondens dixit se (a) ibi dominum castri de Castaniae (b) cui erat nomen Axens (c), cui consul suam in conjugium copulare volebat filiam, expectaturum. Aimes autem lo Bels, legato ostendens Adaiciu[m], exegit ab illo umquam si aliquid de probitate et illustri milicia audisset. Cui inquit: « Multum ». Unde, dono atque precatu, ab ipso impetravit nuncio ut ageret cum consule quod inibi sibi loqui veniret, suamque Adaicio filiam traderet. Quod ita actum est.

Porro predictus Aimo, jure hereditario inter Helam et Dordoniam (d) postea possedit, de quo, ut pactum fuerat, Airardus terciam partem predicti honoris fevaliter (e) habuit; tercius adelfus (f) castrum Blavie, alius Montandre, quintus Blaine (g), sequens Beuanias; septimi locus (h) fuit ambiguus.

Nos autem hujusce oppinionis jamjam deserventes ambigus, exarando ad veritatis redeamus seria imprefata.

 

(s) ortantes B C. (t) premaxima B C. (u) valerant B C. (v) facerat B. (w) sic B C. (x) Sic B C.; supra Arnardus (recte Aruardus); infra Airardus. (y) valerant B. (z) Duplem B. (a) si B. (b) Custemac B. (c) Apenz B. (d) Dordaniam B. (e) finaliter B. (f) adel sus B. du grec adelphos, frère. (g) sic B et C. (h) locum B.

 

 

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TROISIEME PARTIE.

Restauration de l'église de Guitres et fondation du monastère

par les vicomtes Grimoard et Raymond de Fronsac.

 

Igitur, generositate vice comitali, Adaicius iste primus dictus est vicecomes Fronciaci, propter conjugem, Burdegale comitis filiam. Cumque possedit (a) castrum de Fronssac, honoremque plurimum (b) ex hereditate ipsius domine, genuit quoque de prima conjuge sua Adaicius vicecomes duos filios et tres filias. Primo namque filio nomen imposuit Grimoardum vicecomitem, secundo Raymundum de Fronsiac. Filiarum vero prima Alaas de Granol, alia Ermessenz (c) de Marol, tercia Ermengars de Rochacart. Sic quippe a viris suis nuncupabantur (d). Deinde ex secunda conjuge, que fuit de Montealto, ipse tercium genuit filium, quem suo vocavit nomine; qui tempore multo Asteriensem rexit ecclesiam; cujus tumulacio fit in Sancti Asterii capitulo.

Verum enimvero hii duo germani, Adaicio de medio illorum ablato, postquam adulti vicecomitalem honorem regere parati fuere, Burdegalem expecierunt, consulem ipsorum (e) avunculum adhuc degentem adierunt. Consul igitur secum excogitans quomodo illos, veluti (f) suos nepotes, honore ditaret plurimo, atque supra suos affines sublimaret, prebuit illis integrum honorem de Fronsiac, nichil sibi ex eo retinens; itemque, in aliis diversis honoribus, jure hereditario illis magnos tribuit honores terrasque, immensas silvas, pluresque fevatos, necnon ex rebus diversis ingentes redditus, hactenus ad honoem de Fronciac nullatenus pertinentes.

Grimoardus quoque vicecomes duxit uxorem de Montiniac, cui erat nomen Dea, que peperit ei Alaaz, Engolismensem comitissam, et Ameliam (g), Petragoricorum comitissam.

Raymundus vero, illius germanus, duxit uxorem de Angla, que peperit ei Raymundum vicecomitem.

Hedifficaverunt autem, uno eodemque tempore, Grimoardus vicecomes atque Raymundus, congregacionem Sancti Asterii honorifice, necnon abbatiam sancte Guistrensis ecclesie, talem illis legem

 

(a) possidet B. (b) plurium B C. (c) Comessenz B. (d) nuncupabatur B. (e) iposorum B. (f) velluti B C. (g) Amoliam B.

 

 

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ac consuetudinem ponentes, consilio baronum suorum, quod videlicet quicumque ab eisdem proconsulibus et ab eorum sequacibus in suis honoribus aliquid fevaliter teneret, vel a procreatione illorum vicecomitum foret (h) tenendus, si predictis congregacionibus et illorum monasteriis quoquomodo dare placeret, ab heredibus, jure hereditario illud ambe possederent ecclesia, absque aliquo juris eorum retinaculo.

 

Dotation de l’abbaye de Guitres.

 

Proinde regni Francorum monarchiam rege Roberto regente, cuique predictarum ecclesiarum dona fecerunt propria. Guistrensem itaque pagum, qui tunc temporis erat egregia illorum honore, ab ipsis adductis (a), quorum alii agricole (b), alii archimacheri, alii peletarii (c), quam ingenuis hujus honoris hominibus, bene vestitum, atque constructum, absque ullo illorum juris retinaculo, Guistrensi prebuerunt monasterio. Item ferme totam villam, terram que est sita inter rivum Canum et Helam, et inter Ariam et rivulum qui circa Galostra (d) cadit, indefensum et ipsum defensum sine ullo illorum juris retinaculo, loco tribuere prefato. Itam loco jam prenotato dederunt saunage de omnibus navibus cum sale ad Regalem portum, vel etiam in Ariam applicantibus, sive etiam sursum, ad portum de Cortrac ascendentibus. Majores naves, quot remi (e) traxerunt illas, tot sextarios reddent (f) vendam, gubernaculum duos sextarios. Majores naves, secundum quid in eis porcio salis fuerit, vel pro estimacione, modiorum reddent vendam. Saumada (g) salis transmeans de ripa in ripam, reddet quandam (h) salis palmadam.

Iidemque (i) prebuerunt sua agualia (j) de portu de Monz (k) usque als Caires et piscam et nautum per ista aqualia. Subinde tribuerunt levage (l) trossellorum, unum scilicet muium si trocelli nocte una in hoc burgo jacuerint, vel etiam si trocello huc vel illuc per burgum transire valuerint sed, giutandi vel quiescendi causa, in

 

(h) fore B. (a) aductis B C. (b) agricolle B C. (c) pelotam B. (d) Golostra C. (e) rem B. (f) sextarii redant B. (g) Saumena B. (h) quedam B. (i) Idemque B, Itemque C. (j) Sic B C. (k) Manz B. (l) la nage B C.

 

 

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burgo descenderint, similiter reddent levage (m), preter (n) ad portum, si ipso die quo descenderint, exierint. Quales reddiciones et consuetudines et census, abbas et monachi in hoc burgo et in terris Sancte Marie posuerunt, tales teneantur.

Super hec omnia, in hoc burgo et per totam terram Sancte Marie ex ipsis et ab eorum posteris procedentem, quam terram hodie possidet hoc monasterium et deinceps est possessurum, suam contalem omnio dederunt. Et omnia illa dona, que genitor et genitrix illorum huic Guistrensi fecerunt monasterio, concesserunt.

Iterum cunctis Guistrensis burgi incolis (o) prebuerunt paduenciam in Belvare (p), viridia ligna ad domos et ad dolia et cetera inde componenda ustensilia (q), sicca autem ligna ad fores et ortos (r) claudendos. Quicquid operis fiet ex eo, non (s) extrahentur de burgo. Subulci vero si (t) glandes attulerint (u) preter vocenas plenas, ad porcellos, capientur. Dederunt etiam predictis habitatoribus talem paduenciam ut illorum porci, absque pascherio (v), edent glandes per omnes communes boscos de Fronciacensi, unde, omni sero, ad suas possint redire sedes (w).

Si coquus capitaneorum vel prepositus in hoc burgo malevare voluerit carnem, vel alium, ad capitaneorum prandium (x) monacorum artocopum rogabunt, ut usque ad quindecim dies ei malevet, et [si] ad terminum non fuerit solutum (y), ulterius artocopus non malevabit, et illi quippe nullam habent malevanciam in hoc burgo, neque in tota terra Sancte Marie.

Nam (z) prefati germani tribuerunt huic loco raptum, furtum, incendium, tonlam vini (a), vendam, questam, justiciam, preturam, levage (b) trossellorum, malevanciam, contalem (c) per totam terram Sancte Marie quam tunc possidebat et deinceps hoc possidebit monasterium.

Rursum prebuerunt ecclesiam Sancti Martini de Sablon et cappellam Sancti Petri de Fronsiac, tunc temporis ligneam, quam Stephanus abbas jussit ordiri lapideam. Et ad honorem et com[m]o-

 

(m) le naige B, le nage C. (n) propter B. (o) incollis B C. (p) velrare B. (q) utencilia C. (r) orthos B C. (s) B omittit non. (t) se B C. (u) attulerunt B C. (v) procherio B. (w) sades B C. (x) prandum B C. (y) solatium B. (z) Sic B C; forsan Item. (a) tontam vina B; dontam vini C. (b) le nage B C. (c) comptalem B C.

 

 

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dum hujus monasterii, prebuerunt ipsi quod (d) ipsa cappella nullum umquam habeat cimiterium neque sepulturam, et tribuerunt quod ipsi et eorum posteri, et illorum uxores, in Guistrnsi semper tumulentur (e).

 

 

Donation d'une île fameuse par les vicomtes de Fronsac.

 

Itam tribuerunt illorum insulam. Hec insula priscis (a) temporibus quante alumnitatis, quanteque dignitatis et reverencie sive fame, ob nimirum immensa sacrosanctarum reliquiarum merita inibi procul dubio insita, extitit, nisi his qui videre, censetur (b) credibile.

Porro predicti urbis consules, ac venantes in insula, immense magnitudinis apros venerabiles (c) interimentes, bis vel semel in anno, non absque magna procerum frequencia, curtem tenebant celebrem. Verum plebs non minima ad Dei genitricis festum, terre marique cum venalibus properans cursum, augustanus tenebat nundinas (d).

Nempe (e), tempore in illo, a parte portus (f) Carnerii non gravis introitus fiebat in insulam, quandam (g) scilicet per curvam arborem etiam capreis arduum (h) agminibus. Sane ipsa, dum juris consularis (i) mansit, jugis pax in illa fuit. Propterea, tempore multo, tam agricolis quam salinariis necnon (j) aurifabris, omniumque bonorum affluencia, astruitur diu esse referta. Sed postmodum Goti atque Normanni per mare palantes (k) navigio, hucusque ascendentes, insulam omnino vastando destruxerunt; applicantesque (l) plures per portus, totum honorem Fronsiaci et inter Helam et Dordoniam, quasi locuste operuerunt (m); loca munita precipicio dederunt, immunita minuerunt (n).

Post tandem innumera gens de Scoriaco (o) et de Maiacensi et de Fronciacensi in unum congregata, persecuti sunt eos in ore gladii usque ad portum de Carnerio, qui portus permaxima illorum internecione vocatur Carners.

 

(d) que B. (e) tuulantur B. (a) pristis  B C. (b) consuetur B. (c) venabiles C. (d) amidinas B. (e) Nampe B. (f) parthus B; porchus C. (g) quedem B. (h) acdum B C. (i) consulam B C. (j) neu non B C. (k) palentes B C. (l) explicantesque B. (m) opperuerunt B. (n) munierunt B. (o) Sconiaco B; Scouico C.

 

 

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Privilèges accordés par Seguin, métropolitain de Bordeaux.

 

Preterea nullatenus (a) oblivione aliqua pretereundum (b), verum pocius alte memorie commendandum, necnon membranis atramento notandum, que, ad (c) dignitatem, dona a domno Seguino, Burdegalensium archiepiscopo, Guistrensi monasterio perpetuo dono contradita, non minimum (d) ducitur com[m]odum.

Illo itaque die quo germani jam tociens (e) replicati Guistrensem stabilire condixerant abbaciam (f), predictus metropolitanus atque Arnaudus Aimonis, proconsul de Castellione, et Adacius de Maiacensi, aliique perplures proceres, tam [de] Petragoricensi honore quam de istis honoribus, illorum rogatibus, Guistrensem burgum adierunt, monasterii septa introierunt. Post tandem dominicum altare circumsteterunt; in quorum medio archipontifex de quodam pilotri gitonum (g), coram altare posito, se erigens (h) ac dexteram super aram porrigens, Guistrensi dedit monasterio ut numquam sit excommunicatum neque pro ulla re prohibitum, si totus etiam Burdegalensis prohibeatur. Sed si forte contigerit pacem jurari, jurare nolentibus et guerram sive malefactum (i) de burgo facientibus, neque infra neque extra ecclesiam ullum fiet divinum officium. Verum si abbas, vel etiam totus conventus, pro aliqua illorum culpa, prohibeantur, non ideo tamen Cappellanus a divino vacabit officio.

Itemque prebuit quod omnes ecclesia quas abbas sive monachi conquirere potuerunt, in hoc episcopatu, sive de clericis sive de laicis, sint hujus loci, et quicumque clerici sive layci de cunctis istarum terrarum honoribus hic sepeliri voluerint (j), sepeliantur.

Adaicius Faidit huic (k) tribuit loco ecclesiam Sancti Bibiani de Clairac, cum tota decima, et vineas que sunt prope ecclesiam, et mansum (l) d'Oitran, et mansum (l) de Beldroit (m) et terram de Monte Oisando (n). Iterumque prebuit loco prefato quod quicumque de suis fevatis de Maizes, pro suis animabus, huic prebere voluerunt Sancte Marie monasterio fevum quem habent et habuerunt de illo et de

 

(a) nullathenus B C. (b) preterendum B C. (c) quedam B C. (d) nimium B. (e) tenens B. (f) abaciam B C. (g) gittonum C. (h) exigens B. (i) mallefactum B C. (j) voluerunt B. (k) huict B C. (l) mensam B. (m) Boldroit B. (n) Monte Orsando B.

 

 

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suis posteris (o), ipso continuate (p) tribuant, omnique tempore licenciam ac potetatem hoc donum faciendi habeant.

Subinde Aiquelinus Alaardi loco predicto dedit ecclesiam Sancti Petri de Salaniac, suumque filium ad monachum (q) faciendum.

Porro Stephanus de Monz monasterio jam tociens dicto prebuit ecclesiam Sancti Johannis de Cotrac et cappellam Sancti Petri de Lagorcia.

Capitanei autem tam largam archipresulis (r) manum in illius donis cernent es, cum ceteris donis jamprenotatis Guistrensi prebuerunt sit honoris Franciacensis, sicut (t) unus ex cappitaneis Fronciaci, et quod ipse, vel etiam aliquis ex suis monachis, faciet guidonnage per totum honorem Fronciaci, quousque illis interdicatur a capitaneis; inde tamen illis justam causam ac racionem habentibus, ob quid illud prohibeant.

Si vero inter abbatem vel homines Sancte Marie, et cappitaneos aliqua orietur controversia, abbas de suis hominibus coram se rectum faciet; cappitaneus (u) in Guistrensi burgo de se autem illi rectum faciet in prefato burgo (v), vel in medio hujus honoris, vel ad flumen quod dicitur Saia.

Superstite adhuc Adaicio proconsule, quoddam minus amplum, nimisque curtum, hac in villa fuerat monasterium: quo funditus diruto, uxores filiorum Adaicii istius monasterii caput, a fundamento usque ad dominici altaris pedem, construi fecerunt.

Cujus quidem (x) larga ac innumera beneficia undecunque, tam de proximis quam de lo[n]ginquis terrarum partibus hic allata, accipiebant Martinus m° (y); Rogerius m°, Isambertus m°, Gaucelinus (z) m°, Catgerius m°, disposicione tamen et consilio Siguini abbatis (a) Sancti Stephani Beanie, qui illorum monachorum et cappitaneorum precatu, huic monasterio sibi commendato (b) aliquot prefuit annis. Quoquidem degentes, germani jam tociens prenotati monasterio multociens nominato terras iterum prebuere plurimas.

[Explicit]

 

(o) posterus B. (p) continuante C. (q) monacum B C. (r) archiprosulis B. (s) doni B. (t) sit B. (u) cappitaneis B C. (v) Verbs de se autem... burgo desunt in B. (x) quidam B C. (y) monachus. (z) Caucelinus B. (a) abbas B. (b) commandato B C.

 

 

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Remarques sur la rédaction de la Chronique.

 

« Les fragments qui subsistent de la Chronique de Guitres nous écrivait M. Auguste Longnon (31), sont véritablement intéressants et méritent d'être mis au jour. Je considère ces textes comme sensiblement postérieurs à la fin du XIe siècle... c'est du moins ce que j'induis du nom latin sous lequel est désigné Guitres, Guistrae au lieu d'Aquistriae, et l'on pourrait peut-être voir un argument du même ordre dans le vocable de Double, Dobla, qui au VIIIe siècle se disait Edobola ». La forme Aquistrae est en effet employée par la chancellerie pontificale aux XIIe et XIIIe siècles (32): elle correspond à une étymologie que n'ignorait nullement notre chroniqueur; il y croyait même, puisqu'il fait état lorsqu'il raconte la fondation de Guitres par le roi Yon « cui a loci situ nomen imposuit Guistres, propter trium cursum aquarum simul juxta decurrentium ». Les trois cours d'eau sont: 1° l'Isle (Hela) qui prend sa source non loin de Nexon (Haute-Vienne), traverse les départements de la Dordogne et de la Gironde du nord au sud-ouest, et, grossie de divers affluents, se joint à la Dordogne entre Fronsac et Libourne. Elle arrose notamment Périgueux, Saint-Astier, Neuvic (à peu de distance de Grignols), Mussidan, Montignac, le Sablon, Savignac, localités dont on retrouve le nom dans la Chronique de Guitres; 2° la Dronne (Drona) venant aussi du Limousin; elle passe, au sud de l'Isle, devant Saint-Pardoux, Brantôme, Ribérac, Saint-Aulaye, la Roche-Chalais et se jette dans l'Isle entre Coutras et Guitres; 3° le Lary (Aria), qui coule à Lagorce et tombe dans la Dronne à Guitres.

Pour expliquer Aquistriae, il faut admettre qu'on l'aurait dénommé ab Aquis tribus: on ne saurait penser à Aquae tres qui n'aurait jamais pu donner la syllabe Guis. Nous avons dit plus haut ce que

 

(31) Lettre datée de Montmirail, 19 septembre 1910.

(32) Confirmation des privilèges de Guitres accordée à l'abbé Mainard par Alexandre III en 1171. ― Bulle de Grégoire IX (1227-1241) adressée à l'abbé de Moissac confirmant au monastère ses dépendances « in quibus haec propriis duximus exprimenda vocabulis: monasterium et villam de Aquistris cum suis pertinenciis. » (Gallia christiana nova, IV, Instrumenta, col. 73-76).

 

 

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nous pensons de cette étymologie trouvée après coup. En regard des vraisemblances contraires, tirées des parallélismes relevés dans la note 22, il faut placer les difficultés philologiques qu'entraîne l'hypothèse, dans un dissyllabe, d'une aphérèse transférant l'accent tonique sur la désinence de l'ablatif. Nulle analogie avec Aquitania-Guienne: on a dit l'Aguienne puis la Guienne, et l'accent tonique était sur l'a du milieu. Comment expliquer aussi l'ablatif dans une dénomination géographique du VIIe siècle comportant un facteur numérique? On aurait dit Ad tres aquas ou Tres-aquae, comme Tres-tabernae, Septem-molae, Septem-sortes, Centum-villae. Tout au plus aurait-on pu dire: Ad aquas ternas ou Aquae-tertiae (comme on a dit, pour un autre motif Aquae-Sextiae), mais si l'adjectif ordinal peut suivre le substantif, il n'en est pas ainsi du nombre cardinal qui se place avant.

Le moine de Guitres n'ignorait donc pas la forme Aquistrae ou Aquistriae. Cependant il préfère à la dénomination « savante » la tournure populaire. Cela tient à ca qu'il écrit pour lui-même et pour l'étroit milieu de sa communauté. Voulant être compris de tout le monde, il emploie d'autres vocables français, comme guidonnage, levage et saunage, sans prendre la peine de leur donner une physionomie latine qui pourrait nuire à la compréhension. D'ailleurs il latinisera si le mot reste reconnaissable, tel pilori dans pilotre, mallevance dans malevancia. Pour bien prouver qu'en ce faisant il n'agit point en ignare ou en illettré, il a soin d'émailler son texte de tournures latines très raffinées et d'un bouquet de fleurs de linguistique poussées au Jardin des Racines grecques. Ainsi sa chronique se poursuit dans une langue souple et riche, empruntant tour à tour au grec et au roman les expressions dont, parfois le besoin, mais surtout un curieux éclectisme d'érudit l'amènent à se servir. Ainsi les hautes terrasses surmontant le toit de la salle royale d'Yon sont appelées epicaustoria, du grec epikaustos, exposé au hâle du soleil (33). La décoration de la Sainte-Chapelle d'Yon est dite opus polymitum, du grec polymitos (tissu de fils différents, bariolé), c'est-à-dire exécutée en polychromie: les textes recueillis par Ducange pour l'emploi de ce mot vont du Ve au Xe siècle. Le moine de Guitres

 

(33) Episcaustorium, eminentior locus in edificio, ad spectandum, vel solarium puellare (Ducange, Glossarium, édit. Herschel, III, 56).

 

 

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emploie epitafia dans le sens large d'inscriptions nominatives (34). Parlant du boulanger du monastère, il ne l'appelle pas comme tout autre, pistor, mais artocopus (batteur de pain) du grec artokopos (35). On ne trouve point dans Ducange la variante archimacheri dont use le chroniqueur pour archimagiri (du grec archimageiroi), c'est-à-dire magistri coquinae, maîtres-queux, qu'on rencontre en Juvenal et Sidoine Apollinaire (36). Une association d'idées à coup sûr bien originale lui fait désigner par le terme pilotre gitonum un fût de colonne (pilotre, mot manquant dans Ducange, dont pilori est resté, dans la langue judiciaire le seul vestige) servant de siège aux enfants de choeur, plaisamment dénommés gitones.

A propos du revêtement intérieur des murailles de la basilique mérovingienne, le moine de Guitres oppose plâtre susceptible d'être peint (gypso pingendo), un autre terme mobso: s'agit-il d'une mosaïque ou d'un mastic? Nous n'avons pu retrouver le mot nulle part; le rédactuer emploie ailleurs, pour « ciment » le mot cementum, détourné de son acception primitive « moellon ».

Au roman il n'emprunte guère que les termes spéciaux au droit féodal, et ceux dont il use remontent pour la plupart à une période reculée de notre organisation économique. Voici le guidonnage (sauf-conduit accordé aux marchand traversant sous escorte un territoire), en vigueur sous Philippe Ier (37). Le levage trossellorum est un prélèvement sur chaque tréseau ou barrique de vin (38). La malevance, faculté pour le seigneur d'emprunter à ses vassaux des vivres et autres objets de première nécessité, s'exerçait en Languedoc dès 1103 (39).

Le moine de Guitres emploie paduentium pour « pâturage frais »; comptalis qui indique un droit de pâture dans une charte de 1263 relative au monastère de Blaye (40); aqualia pour canaux, prises

 

(34) Ducange, édit. Herschel, III, 64a.

(35) On trouve ce mot, d'un usage très rare, dans une charte de Renaud, évêque de Chartres, en 1198 (Ducange, II, 423), avec l'acception « pâtissier » (dulciarius pistor).

(36) Ducange, édit. Herschel, I, 374.

(37) Depoin, Recueil des chartes de Saint-Martin-des-Champs, t. I, p. 304.

(38) Sur la différence des tréseaux et des doubliers, cf. Depoin, Le livre de raison de Saint-Martin-de-Pontoise, sur la taverne des moines à Pontoise, p. 197.

(39) Ducange, édit. Herschel, IV, 204 b.

(40) Ducange, II, 503 c ; V, 6a.

 

 

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d'eau (41). Ainsi ces termes se rencontrent pour la plupart dans des textes du XIe siècle ou antérieurs; et si plusieurs d'entre eux sont écrits ici en roman, sans désinence latine, on n'en saurait rien conclure pour ou contre l'ancienneté relative du texte; dès le XIe siècle, les notices et les chartes sont parsemées de surnoms patronymiques, de dénominations géographiques ou de termes spéciaux en langue vulgaire.

Notre chroniqueur use de formes latines dont on revoit bien rarement des exemples après le XIIe siècle; telles sont industris pour industrius (42), proconsul pour vicecomes qu'on trouve dans une charte de Raymond, évêque de Bazas en 1080, unissant à Saint-Florent de Saumur le monastère de Saint-Ferme-en-Bazadois. « Wido, dux Aquitanorum, in turri sua Burdegalensi » y consentit en présence de « Petrus, Castellionensium proconsul » (43).

Une objection tendant au rajeunissement de la Chronique pourrait surgir de l'interprétation d'un passage relatif au relèvement du surnom de Tallerannus par les comtes de Périgord. Ce serait une allusion aux comtes Guillaume et Hélie qui portèrent ce surnom d'après des actes de 1104, 1115 et 1131. Mais rien ne permet d'affirmer qu'ils furent les premiers de leur estoc à le prendre. Les surnoms existaient bien avant que s'introduisît l'habitude de les consigner sur les chartes. Il y a plus: l'objection se retournerait contre ses auteurs. Le moine de Guitres expose une tradition qui rattache les Taleranni du Périgord aux Galeranni du Senlisois, grâce à une simple mutation d'initiale. Pour que le métaplasme subsiste, la graphie Talerannus s'impose rigoureusement; c'est, pour le chroniqueur, l'orthographe originelle, et il la présente comme en vigueur de son temps. Elle figure dans les documents concernant l'ancien comte Guillaume Talairan, mort en 962. Elle se rencontre encore en 1115 dans un charte de Cadouin mentionnant « Guillelmus Talairannus consul Petragoricensis » (44). Mais dès 1104, la graphie moderne Talairandus apparaît à propos du même personnage cité avec son oncle Audebert, et désigné uniquement par son surnom: « Hanc autem donationem concesserunt

 

(41) Ducange, I, 349 e.

(42) Ib. III, 818 a.

(43) L'Espine, Collection de Périgord, LXXVII, 64.

(44) L'Espine, Collection de Périgord, XXXVII, 220 ; D’Achery, Spicilegium, III, 474.

 

 

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Aldebertus comes Petragoricensis et Talerandus nepos ejus (45). »

En 1131, la graphie Talairandus est consacrée dans une charte de Notre-Dame de Saintes rappelant comment le feu comte Guillaume avait enlevé aux nonnes de ce couvent l'église de Saint-Silvain pour la donner aux moines de Saint-Martial de Limoges. Sur la plainte des religieuses, l'évêque de Périgueux avait assigné jour aux moines pour défendre leur cause devant lui, mais ils s'étaient gardés de comparaître: « Audiens Elias Talairandus qui princeps erat terrae illius ubi ipsa ecclesia est, quod monachi judicium subterfugaverant et contra Dei judicium ecclesiam supradictam occupassent, praecepit abatissae et monachabus ut suam receperent ecclesiam; et quae pater suus et alii comites antecessores ecclesiae Beatae Mariae [condonaverant] concessit ipse et uxor sua Philippa, anno 1131... Rudello comite in Petragorico et Elya Talairando nepote suo (46) ». A partir de 1150, nous avons rencontré constamment dans les actes diplomatiques la forme latine Talairandus et, dans les textes français, Talairanz, la finale anz répondant à andus tandis que la terminaison ans eût suffi pour l'ancienne graphie.

Le narrateur a vécu cependant un temps assez long après l'établissement à Guitres d'une communauté. A cette primitive époque, dit-il, remonte le don de la chapelle de Fronsac « tunc temporis ligneam, quam Stephanus abbas jussit ordiri lapideam ». Cet Etienne ne se trouve pas dans les listes fort incomplètes qu'on a pu reconstituer des abbés de Guitres (47). Il se place vraisemblablement après l'abbé de Baignes Seguin, à qui l'administration de Guitres avait été confiée suivant notre Chronique.

L'abbaye de Saint-Etienne de Baignes (Beania) fondée, dit-on par Charlemagne en 769, n'est pas mieux connue dans ses origines que celles de Guitres. « Raoul, évêque de Saintes, la soumit à Cluny à la fin du XIe siècle (48). Les moines s'en détachèrent pour se rattacher

 

(45) Cartulaire d'Uzerche, 677; Coll. de Périgord, XXXV, 116; LXXVII, 85; Baluze, Hist. Tutelensis, col. 877.

(46) D. Estiennot, ms. lat. 12759, fol. 269.

(47) On n'en cite pas avant Guillaume Ier, en 1108. Signalons en passant dans un obituaire de l'archevêché conservé aux Archives de la Gironde: "IV idus Aprilis, Helias abbas Aquistrensis".

(48) Bruel, Chartes de Cluny, n° 3725, 2889; t. V, 74, 240. La Gallia christiana t. II, col. 1118, fixe cette union à 1110.

 

 

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à Saint-Martial de Limoges; ce qui dura jusqu'au milieu du XIIe siècle » (49). La Gallia christiana ne connaît pas d'abbé antérieur au XIIe; mais le Cartulaire de Baignes édité par Cholet (50) fournit heureusement d'autres lumières.

Bien qu'on ne puisse en aucune façon admettre que l'abbaye de Baignes ait commencé seulement sous le règne de Henri Ier, le premier abbé connu avec une date certaine est Adémar de Barret qui fit un accord avec son frère Itier entre 1032 et 1036 (51). La Chronique de Guitres indique en Seguin un abbé de Baignes, successeur immédiat d'Adémar. En effet, Adémar a vécu jusqu'au temps de l'évêque Boson élu après la déposition d'Arnaud (52) en 1060 au plus tôt (53). D'autre part Seguin reçut une donation de Laune de Barbezieux, sous le règne de Philippe Ier, en présence du prieur Itier (54) qui, dès 1075 environ, remplaçait Godefroi, successeur de Seguin (55).

S'i n'y a pas eu deux abbés Seguin à Baignes, c'est au début du règne de Philippe Ier que se clôt la Chronique de Guitres.

Sous l'abbatiat de Seguin, Baignes n'était pas encore clunisien. D'où vinrent les moines appelés à Saint-Astier, puis à Guitres par les vicomtes de Fronsac au début du XIe siècles? La Chronique ne le dit pas: l'union avec Baignes fut temporaire; on ne trouve dans les cartulaires de Cluny nulle trace de la donation de Guitres parallèlement à celle de Baignes. Y eut-il un rattachement à Moissac, ainsi que Dom Estiennot l'a conjecturé (55) d'après la bulle de Grégoire IX confirmant à la grande abbaye du Cahorsin « monasterium et villam de Aquistris » comme une de ses filiales? Moissac fut soumis à Cluny dès 1067 par Pons II, comte de Toulouse (56); à cette époque Guitres était sous la crosse de l'abbé Seguin de Baignes; il y a donc lieu, pour cette époque, de renoncer à l'hypothèse de Dom Estiennot. Nous aurions peine à croire que le rédac-

 

(49) D. Beaunier, Abbayes et prieurés de l'ancienne France; t. III. Provinces d’Auch et Bordeaux, par D. Besse, pp. 285-286.

(50) Angoulême, 1867, in-4° (Bibl. Nat. Lk7 13894).

(51) Cartulaire de Baigne, n° 120.

(52) Cité pour la dernière fois en 1059 au sacre de Philippe Ier. Boson a siégé certainement avant Goiran qui lui disputat le pontificat.

(53) Cholet, Préface du Cartulaire de Baignes, p. XXII, veut Adémar ait prolongé son gouvernement jusqu'en 1066.

(54) Cartulaire de Baignes, n° 146, p. 72.

(55) Ms. lat. 12751, fol. 572.

(56) D. Beaunier, t. II, Provinces d'Alby, Narbonne et Toulouse, par D. Besse, p. 25.

 

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teur de notre Chronique fût un clunisien. Son style a bien assez de fantaisie: sa plume a trop la bride sur le cou, pour qu'on le croie sorti du moule sévère où les Pierre le Vénérable et les Mathieu d'Albano façonnaient la mentalité de leurs collaborateurs (57).

« Je ne saurais, nous écrivait M. Auguste Longnon, envisager ces textes (de notre Chronique) comme l'une des sources probables du roman de Renaut: j'y verrais bien plus volontiers des récits parallèles, puisés à la même source que le poème ».

A quelle date apparaît dans l'histoire littéraire la plus ancienne trace de la geste de Renaud de Montauban? Fauriel (58) a cité le témoignage de Pulci, déclarant qu'il tenait d'Ange Politien le manuscrit d'un roman d'Arnaud Daniel consacré à chanter les exploits de Renaud en Egypte. Arnaud Daniel (et non d'Agniel) est cet illustre troubadour que Dante, en son Purgatoire, place au-dessus de tous. Ce « magnus inventor, prudens et sagax », c'est le modèle de prédilection auquel Pétrarque emprunta la sextine, et l'amour des rimes riches (caras rimas), et la recherche parfois maniérée du style et des idées (59). Devenu pauvre, comme il convient aux poètes, Arnaud, pour recueillir des ressources, composa une fort belle chanson qu'il envoya un jongleur chanter aux cours d'Angleterre et de France et devant les grands feudataires. L'interprète revint chargé d'or; et, remerciant la Providence d'un tel secours, le vieux troubadour se retira dans un monastère (60). Cette tant belle chanson, qui eut si grand succès, ne serait-ce pas celle de Renaud?

Arnaud Daniel qui assista en 1180 au sacre de Philippe Auguste naquit à Ribérac, alors gouverné par des vicomtes issus, d'après notre Chronique, d'Aimon de Paris. La tradition de Ribérac et celle de Guitres, voilà les parallèles qu'entrevoyait M. Longnon.

 

(57) Sur la rigueur de la discipline dans les filiales de l'ordre, on peut lire le traité De Miraculis de l'abbé Pierre où il raconte les méthodes directives de Mathieu à Saint-Martin-des-Champs et à Cluny (Migne, Patrologia latina, CLXXXIX, 918).

(58) Histoire littéraire de la France, XXII, 214.

(59) Histoire littéraire de la France, XV, 441 (article de Ginguéné).

(60) Benvenuto d'Imola, Commentaires sur la Divine Comédie, dans Muratori, Antiq. ital., I, 1229; Vaissette, Hist. du Languedoc, nouv. édit., X, 221. Cf. sur la vie de ce troubadour: Canello, La vita et le opere del troratore Arnaldo Daniello, Halle, 1883, gr. in-8°; Gaston Paris, Romania, 1881, pp. 478-486.

 

 

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Antiquité de Guitres et de Fronsac.

 

Si l'examen du style n'est point défavorable à notre Chronique, que lui réserve la critique des faits qu'elle nous a transmis? Tout d'abord elle attribue à Guitres même et à Fronsac les origines les plus reculées. On ne saurait la contredire. Les traditions enregistrées par elle sont restées, dans leurs détails, ignorés depuis le XVIe siècle, et pourtant les historiens du Libournais en ont rencontré partout des vestiges. En 1845 Guinodie (61) résumait ainsi le peu qu'il avait appris des origines de Guitres:

« On a cru que l'abbaye existait du temps de Charlemagne. Il est aussi difficile de le nier que de le prouver... L'abbaye de Guitres a reconnu et avoué pour premier abbé (62) Guillaume Ier qui, en 1108, traita avec Gaufridi (sic) abbé de la Sauve-Majeure... C'est lui du moins qui jeta les premiers fondements de l'église.

L'église de Guitres appartient à divers âges. Le plus reculé est le XIe siècle, dont on retrouve le caractère distinctif sur le mur intérieur de l'abbaye; les chapiteaux des colonnes et de pilastres qui ornent ce mur, et une corniche à leur niveau, sont chargés d'échiquiers. Dans l'épaisseur du mur de cette abside rayonnent plusieurs enfoncements voûtés en cul-de-four ».

Ainsi le souvenir d'institutions monastiques remontant au VIIIe siècle et l'érection, dès le XIe, de l'église conventuelle sont deux points, en accord avec notre Chronique, dont fait état le plus ancien archéologue qui se soit occupé de Guitres.

Quelqu'une de ses remarques pourrait n'être point tenue pour parole d'évangile. Ainsi les échiquiers ne seraient pas des témoins indiscutables d'un temps si lointain qu'il a cru. M. Eugène Lefèvre-Pontalis, oracle en ces matières, nous signale cette réserve tout en s'en référant à l'opinion la plus récente à la fois et la plus autorisée, celle de M. Brutails. Le savant archiviste de Bordeaux, étudiant les Vieilles églises de la Gironde dans un luxueux ouvrage

 

(61) Guidonie, Histoire de Libourne, 1845, t. III, pp. 310-324, Bibl. Nat. L. k7 3979.

(62) Clunisien, bien entendu. D'après notre Chronique, Guitres fut uni vers le milieu du XIe siècle à l'abbaye de Baignes.

 

 

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édité chez Picard en 1912, consacre une monographie à l'église de Guitres dont il définit en ces termes l'ancienneté:

« La partie orientale, depuis le trancept inclusivement, est romane. Toutefois les colonnes ont été retaillées... Les murs des collatéraux sont de deux époques: dans leur partie est, ils sont de construction romane; les deux dernières travées sont du XIIIe siècle ».

Les remaniements dont l'édifice a souffert s'expliquent aisément par les vicissitudes de son histoire que M. Brutails a résumées et précisées. Mais sa naissance a précédé l'apparition de l'ogive: le fait, bien établi, cautionne en ce point le récit de notre narrateur.

Passons à Fronsac. Le chroniqueur de Guitres en fait, au Xe siècle, une place forte du Bordelais. Cela ne saurait être contesté.

La construction du château de Fronsac est relatée dans les plus grands détails par Ademar de Chabannes (63). Charlemagne avait passé la fête de Pâques à Rouen (2 avril 769).

« Tunc domnus Carolus gloriosus rex perrexit Aquitaniam. Unaldus voluit rebellare per totam Vasconiam et Aquitaniam et cum paucis Francis dissipatum est iniquum consilium ejus et in ipso itinere junxit se... Carolus germano suo Carlomanno... Inde Carlomannus reversus est in Franciam, et domnus Carolus... ivit ad Egolismam civitatem, et inde sumpsit plures Francos qui civitatem ei ipsam aspiciebant (variante custodiebant) cum omnibus ustensilibus et preparamentis eorum, simulque Launum episcopum ejusdem civitatis qui fuerat capellanus domni Pipini regis patris sui, quem ipse rex Pipinus episcopum fecerat de ipsa civitate, et abiit super flumen Dornoniam et edificavit ibi castrum quod dicitur Fronciacus, et inde misit exercitum suum qui persequerentur Unaldum ducem, et duxit eos Lupus, Vuasco princeps, sicut sciebat locos. Captusque est Unaldus et uxor ejus, et adductus est ad domnum Carolum. Domnus Carolus recepto Unaldo, et preparato castro Fronciaco, rediit ad Egolismam ».

Les historiens de la contrée ne mettent pas en doute le passage de Charlemagne au début de son règne et y rattachent bien d'autres fondations. Ainsi l'abbé Cholet écrit dans la préface (p. XV) du Cartulaire de Baignes:

 

(63) Ademar de Chabannes, Chron., II, 1; édit. Chavanon, pp. 69-70. ― La suite du passage semble le résultat d'une confusion entre les évêques Laune Ier et Laune II, dont le second vivait en 853. C'est à Charles-le-Chauve ou plutôt Charles d'Aquitaine qu'appartient la charte pour St-Cybar dont Ademar fait honneur à Charlemagne.

 

 

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« C'est en 769 qu'en sortant de Fronsac où il avait dû arriver d'Angoulême en passant par Baignes ― car s'il avait suivi la route plus à l'est, ses ennemis lui auraient échappé en se jetant sur la rive droite de la Dronne ― Charlemagne fonda l'abbaye de Brantôme; Mabillon a établi cette date. En 769 aussi, selon la Chronique de Moissac, il fonda celle de Charroux ».

Souffrain constate que les traditions locales (64) font remonter à Charlemagne la fondation des églises de Saint-Martin et Sainte-Geneviève de Fronsac. « Cet empereur établit en outre, dans la première, des moines bénédictins et un prieuré dépendant de l'abbaye de Guitres ».

Il existait à Fronsac un monument que la tradition regardait comme bien antérieur à ces deux édifices, c'est une chapelle de Sainte-Marie et Saint-Nicolas bâtie à l'est de Saint-Martin, près du cimetière. Elle tombait de vétusté en 1770 et disparut depuis. « Saint-Martin, observait Guinodie (65), a un mur droit au lieu d'une abside; on voit sur ce mur des croisées bouchées et cintrées à archivolte, à rinceaux, et, sur le mur septentrional contigu, des pilastres demi-circulaires et un double rang horizontal de chevrons en zig-zag, sculptures du XIe siècle ». L'auteur de la première Notice sur Fronsac, Jouannet, fit dans cette église une trouvaille intéressante.

« Dans l'intérieur de l'édifice qui est tout moderne, écrivait-il (66) en 1823, nous avons découvert un antique débris que nous étions loin de soupçonner et qui n'avait pas encore été remarqué par les habitants du lieu. C'est un chapiteau corinthien de marbre blanc, d'un pied et demi de diamètre; on l'a retourné pour en faire un bénitier; la sculpture qui n'est pas sans mérite, annonce un travail de Bas-Empire ». Jouannet propose (67) d'attribuer le transfert à Fronsac de

 

(64) Essais sur Libourne, 1806, t. I, ch. 3, p. 53. B.N. L k7 3976. Guinodie écrit à ce sujet un commentaire (Histoire de Libourne, t. III, p. 162) influencé par le préjugé que la fondation de Guitres ne serait pas antérieure à 1108. Il constate que « cette abbaye, déprès une bulle d’Alexandre III de mai 1171, était maîtresse de l’église Saint-Martin de Fronsac ». Quant à Sainte-Geneviève, ce prieuré de femmes fut placé, à un certain moment, sous l’autorité de Saint-Ausone d’Angoulême. Puis il cessa d’exister. Sous Henri IV, le cardinal de Sourdis supprima ce titre et unit les bénéfices de l’église Sainte-Geneviève à la cure de Fronsac.

 (65) Histoire de Libourne, t. III, p. 163.

(66) Musée d'Aquitaine, t. II, p. 76 (tome XVII du Bulletin polymathique de la Faculté des lettres de Bordeaux ; Bibl. Nat. Inventaire Z 28561).

(67) Jouannet se persuadait alors que Saint Martin de Fronsac remontait aux temps carolingiens. Un examen plus approfondi lui fit abandonner cette opinion et reporter la construction des murs au XIe siècle (Statistique de la Gironde, t. II, p. 47).

 

 

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ce chapiteau à Charlemagne qui « en fondant l'abbaye de Brantôme la décora de marbres antiques tirés des ruines de l'ancienne cité de Périgueux ». L'église Saint-Martin de Fronsac ayant été élevée au XIe siècle, n'y aurait-on pas transporté plutôt un reste de la Sainte-Chapelle de Guitres, retrouvé intact sous ses voûtes écroulées? Les « hommes pieux du voisinage » qui, bien avant que l'idée vînt aux vicomtes Grimoard et Raymond de rétablir à Guitres une communauté, allèrent fouiller dans ces ruines pour y recueillir les reliques perdues, appartenaient vraisemblablement au clergé de Fronsac. La chapelle du roi Yon s'était effondrée à la suite de sondages imprudents faits au pied de ses parois par « les hommes de l'honneur du lieu », c'est-à-dire les gens du seigneur auquel appartenait Guitres, le vicomte de Fronsac. Ceux qui recherchèrent les restes sacrés enfouis dans les décombres devaient dépendre du même seigneur. Il n'est pas surprenant qu'ils aient sauvé en même temps un chapiteau corinthien de marbre blanc resté intact, et le récit de notre chroniqueur justifie pleinement la présence en cet endroit d'un travail du Bas-Empire.

L'existence fort ancienne à Fronsac d'un établissement religieux placé sous l'invocation de la patronne de Paris ne doit point nous laisser inattentifs. Le Cartulaire de Sainte-Geneviève de Fronsac (68) contient des actes du XIIIe siècle, mais en le parcourant on acquiert la conviction qu'un recueil de titre de fondation, d'époques antérieures, dut exister. Fut-il porté à Angoulême, à Saint-Ausone dont Sainte-Geneviève a dépendu, lorsque la fille de Grimoard, Alaas, épousa Audouin II, comte d'Angoulême? La Chronique de Guitres est le seul document qui permette d'expliquer comment ce château du Bordelais passa aux mains d'Audoin II qui en fut incontestablement maître « du chef de sa femme »: le témoignage d'Ademar de Chabannes est formel à cet égard.

A une période aussi reculée, la dédicace d'une église de Fronsac à la vierge de Nanterre est, à nos yeux, une démonstration de véracité pour la Chronique de Guitres. Un tel patronage ne se conçoit que de la part d'exilés venus des bords de la Seine.

 

(68) Archives historiques de la Gironde, t. XXXVIII.

Sainte-Geneviève de Fronsac présente dans son état actuel trop peu d'intérêt archéologique pour que M. Brutails lui ait consacré une monographie. Cependant il a recueilli des vestiges de son antiquité dignes d'être signalés; ils ont fourni plusieurs illustrations à son livre sur les Vieilles églises de la Gironde.

 

 

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Le Château de Montauban.

 

La place forte des fils Aymon, dont le conte parle sans cesse, était Montauban, qu'un souterrain attribué aux Maures reliait au château de Dordonne. Des traditions divergentes, qui placent le Montauban légendaire en d'autres lieux, concordent à le situer en Guienne.

L'une admet (69) qu'il s'élevait « sur une éminance factice qu'on aperçoit près du bourg de Gironde » (70). La supposition est de date récente: c'est seulement en 1826 qu'elle se fait jour dans un mémoire de M. de Saint-Amans.

L'autre touche intimement à notre sujet. Elle est ainsi relatée par le premier historien de Montauban en Bas-Quercy (71), dans un chapitre intitulé De la fondation de Montauban:

« Entre les villes qui ont porté ce nom, celle d'auprès Fronsac en Xaintonge a esté autrefois fort celebre, a cause de la guerre que nos vieux Romanciers disent que Regnaut et ses trois frères enfans du Duc Aymon, et leur Cousin Maugis, firent à Charlemagne; mais il n'en reste quasi que la place et le nom. Il y en a une autre en Dauphiné.... elles ne sont que les ombres de celle dont j'écris l'histoire ».

André Duchesne, dans son grand ouvrage anonyme, les Antiquitez des villes de France, consacre à l'ancienneté « De la ville et du chasteau de Fronsac et du pays et Duché de Fronsadez » un chapitre (72) où il traduit le passage d'Ademar cité plus haut; il termine ainsi:

« Ce Fronsac est bien l'une des plus fortes places de toute la

 

(69) Notice sur Cassinogilus et la position de ce lieu (avec carte), dans les Mémoires et Dissertations... publiés par la Société royale des Antiquaires de France, t. VII, p. 141.

(70) Gironde, cant. et arr. de La Réole.

(71) Histoire de la ville de Montauban, divisée en deux livres... par Henry Le Bret, Prevost de l'église cathédrale de cette ville. A Montauban, par Samuel Dubois, M. DC. LXVIII., in-4° (livre Ier, chap. V. p. 32). Bibl. Nat. Lk7 4952.

(72) Antiquitez et Recherches des villes, chasteaux et places de toute la France (par André Duchesne, publié sans nom d'auteur). In-8°, première édition, M. DC. XXIX., p. 755. ― Id., A Paris, chez Pierre David, M. DC. XXXVII, p. 758. ― Id., A Paris, chez Jean-Baptiste Loyson, M. DC. XLVII., p. 758, Bibl. Nat. L20 8F.

 

 

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Guyenne, et en la plus gratieuse assiete, il est sur la haute crouppe d'une montagne, et a le regard sur Libourne et sur tout le rivage de la Marine.

En ce quartier et le mesme fleuve estoit aussi l'ancien chasteau de Montauban, remarquable par la valleur de ce Regnaud surnommé de Montauban et l'un des quatre fils d'Aimon tant chanté par les Romans. Aujourd'hui il n'en reste plus que les ruines et masures ».

Un lecteur peu averti ne manquerait pas de s'étonner qu'André Duchesne ait paru dédaigner d'attacher son nom à un ouvrage aussi instructif et, à en juger par ses nombreuses éditions, aussi populaire que les Antiquitez des villes de France. On a beau avoir, comme cet écrivain, maints in-folios à son actif, un in-8° de près de mille pages n'est pas une quantité si négligeable. Le vari motif de ce désintéressement, c'est qu'il était imposé. Duchesne n'eut en effet ni le mérite de l'idée, ni celui de sa réalisation. Il ne fit que reprendre et développer, en l'assaisonnant d'une meilleure érudition et de forces remarques belles et neuves, le plan d'un livre antérieur. C'était une Description de la France de François des Rues, imprimée à Coutances sans nom d'auteur, et sous un autre titre (73) en 1608, mais bientôt remaniée par Jacques de Fontenay qui en donna la seconde édition, revue, corrigée et augmentée (c'était déjà la formule consacrée) à Paris en 1614.

L'auteur suppose un voyageur qui parcourt successivement les provinces et suit les itinéraires les plus pratiques. Ainsi, pour la partie de la Guienne qui nous intéresse, il descend la Garonne par Saint-Macaire et Cadillac, et laissant à gauche Bordeaux, rencontre Lormont, et Carbon-Blanc; puis, atteignant la Dordogne, en remonte le cours jusqu'à Libourne, et là s'arrête pour se détourner un moment vers Fronsac (74):

 

(73) Les Antiquitez, fondations et singularitez des plus Celebres Villes, Chasteaux, ... du Royaume de France... Coutances, M. DC. VIII., in-12. ― Sur le nom de l'auteur, cf. Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes.

(74) Les Antiquitez, fondations et singularitez des plus Celebres Villes, Chasteaux, places remarquables, Eglises, forts, forteresses du Royaume de France: avec les choses plus memorables advenues en iceluy. Reveues, corrigees et augmentees de nouveau par I.D.F.P. A Paris, chez Jacques Bessin ... M. DC. XIV. Avec privilège du Roy. In-12 de 8-626-9 pages. Bibl. Nat. L20 9.

 

 

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« Entrant au Bourdelois, l'on void S. Machaire (75), et le comté de Benauges (76), puis suivant le fleuve de Dordonne, on vient à Lormont (77), Carbonnieres, là où se faict un violent et aspre flux et reflux de la mer. Et de là à Libourne sur Dordonne, puis tirant vers Montauban est Fronsac, de la fondation de Charles le Grand ».

Ainsi Montauban, totalement ruiné en 1637, était encore, sous Henri IV, un point géographique suffisamment déterminé pour servir de repère.

Il y a quelques soixante ans, Francisque Michel relatait à son tour ces traditions sans en avoir pénétré l'origine (78). Il se félicite que les romans de chevalerie aient placé dans son pays le berceau de nombreux héros. « Sans répéter ici le nom de Huon de Bordeaux nous citerons, dit-il, Begon de Belin, Jourdain de Blaye et les Quatre Fils d'Aymon, dont les châteaux, suivant des traditions presque bordelaises, se trouvaient à Cubzac et dans une autre partie du département. L'on s'étonnera d'autant moins de voir figurer, dans les chansons de geste, des preux nés sur les bords de la Garonne, que cette terre a toujours été une pépinière de braves; or un trouvère hésitant sur le pays qu'il assignerait à un valeureux chevalier, regardait comme naturel de le faire naître en Guienne où la couardise n'eût pas trouvé à se nicher ».

Les trouvères, nous l'avons vu, avaient encore pour cela d'autres bonnes raisons. Francisque Michel n'a pas dû connaître les précurseurs d'André Duchesne, et le témoignage qu'ils ont rendu d'un mémorial survivant de la geste des Fils Aymon. Ses conclusions un peu intuitives n'en ont pas moins pris, par l'appoint de la Chronique de Guitres, une force insoupçonnée. Tout concourt à localiser au confluent de la Dordonne et de l'Isle ― entre-Deux-Mers suivant la dénomination traditionnelle de la région ― les sources du célèbre conte. Mais les mainteneurs du gai-savoir n'ont pas eu besoin d'évoquer le renom des cadets de Gascogne pour choisir leur milieu; c'était chose faite de leur temps: ils n'avaient qu'à recueillir l'écho des cantilènes que devaient chanter avant eux les bateliers de la Gironde.

 

(75) Saint-Macaire, chef-lieu de canton, arr. de La Réole.

(76) Benauge, château à Arbis, près Cadillac, arr. de La Réole.

(77) Lormont, canton de Carbon-Blanc, arr. de Bordeaux.

(78) Ouvrage cité; pp. 71, 126.

 

 

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VII

La fondation de Mussidan et la réforme de Saint-Astier.

 

La Chronique de Guitres renferme sur l'origine de Mussidan (79) et sur les vicissitudes de l'ordre monastique à Saint-Astier (80) des données qui, si nous les trouvons exactes, sont d'importance pour l'histoire du Périgord. Elles se résument ainsi: « Alguier de Paris, frère d'Aimon, laissa (81) deux fils, Ays et Audegier. Tandis qu'Ays, épousant la fille du comte de Bordeaux, acquérait ainsi Fronsac, Audegier, par le don et le secours de Guillaume Taleran, comte de Périgord, bâtit Mussidan. Les deux fils d'Alguier achetèrent ensemble de l'évêque de Périgueux le château et l'honneur de Saint-Astier. Les fils d'Ays, Grimoard et Raymond instituèrent, vers le début du XIe siècle, des communautés d'hommes à Guitres et à Saint-Astier; leur frère Ays né d'un autre lit, abbé de ce dernier monastère, y mourut et fut inhumé dans le chapitre. Sa mère était une Montaut; sa belle-soeur, femme de Grimoard, se nommait Dée de Montignac ».

Reprenons ce résumé. Si Guillaume de Taleran, qui mourut le 8 août 962, favorisa la construction de Mussidan, et même y contribua, ce ne put être que sous la réserve de charges féodales et de devoirs de vassalité. Mussidan était en effet, une châtellenie constituée sous la suzeraineté des comtes de Périgord, qui y exerçaient de nombreux droits. Lorsqu'en 1546 fut dressé l'Inventaire des titres du trésor de Montignac (82) les commissaires analysèrent

 

(79) Mussidan, chef-lieu de canton, arr. de Ribérac (Dordogne).

(80) Saint-Astier, chef-lieu de canton, arr. de Périgueux.

(81) La Chronique de Guitres fait naître les enfants d'Alguier après son arrivée en Périgord. C'est une méprise évidente, puisque Aimon maria l'aîné de ses neveux, Ays, à une époque que le récit suppose voisine de son exode. Ays était déjà célèbre par sa vaillance. Au moment du départ de Paris, Aimon avait un autre neveu chevalier banneret, Airard La Briche.

(82) Procès-verbal de MM. les Commissaires deputez par le Roy de Navarre pour faire l'inventaire des tiltres du Thrésor de Montignac, du 19 aoust 1543. Bibl. Nat., collection Doat, vol. CCXLI, fol. 48. ― L'acte est du 16 juin 1330.

 

 

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ainsi un document « coté dessus 104 »: « Un instrument en parchemin, contenant certaine déclaration par devant le Senechal de Perigord, par le procureur du Comte de Perigord, die sabbati post festum beati Barnabe apostoli, anno Domini millesimo trecentesimo trigesimo, contre Raymond de Montaut, seigneur de Mucidan, auquel est faicte mention des droictz que ledit Comte a en la ville et chatellenie de Mucidan. C'est à sçavoir les foy et hommage du dit Mucidan, un vigier que le Comte mettoit audit Mucidan, ayant juridiction et cognoissance de cause en certain cas; la plus grande tour du chasteau dudit Mucidan, appartenant à noble Helies de Vallebernis, tenue à foy et hommage dudit Comte; la juridiction exercée in magna parte honoris dicti loci de Mucidano par le dit Comte ou par ses vassaux et hommagiers; les assises que ledit Comte souloit tenir en la dite ville, et y commettre sergens faisans tous exploits en icelle ».

Audegier, fondateur de Mussidan, n'est connu que par la Chronique de Guitres. Mais Ademar de Chabannes atteste qu'au déclin du Xe siècle, Mussidan est le chef-lieu d'une seigneurie. Parlant de Grimoard, évêque d'Angoulême et de son frère Izelon, évêque de Saintes: « Grimoard, dit-il, abandonna à son autre frère Aimeri qui commandait à Mussidan (Aimericus duc Moxedanensis) le monastère de Trémolat » (83) depuis longtemps réuni à Saint-Cybar d'Angoulême qu'administrait le prélat.

A Trémolat résidèrent Auriol (Felix Aureolus) comte du Périgord sous la domination romaine, et sa femme Principia; là naquit leur fils, le célèbre moine d'Angoulême appelé saint Cybar par corruption de sains Ybars, forme romane de sanctus Eparchius. Suivant les traditions locales recueillies par l'abbé de L'Espine, l'empereur Charles qui fonda l'abbaye de Brantôme éleva au lieu natal de saint Cybar un monastère qu'il rattacha à celui d'Angoulême, ce qui semble confirmé par Ademar (86). Mais sa ruine par les

 

(83) Monasterium Tomolatense: Trémolat, canton de Saint-Alvère, arr. de Bergerac, Dordogne). Cf. Pertz, Mon. Germ. hist., Scriptores, IV, 132-139.

(84) La charte par laquelle un roi Charles, dans la première année de son règne, confirme à la prière de l'évêque Laune d'Angoulême la possession de seize villae appartenant à Saint-Cybar, et qu'Ademar analyse, y comprend Trémolat (Tomolatum). Mais cette localité suit immédiatement Torsac et Sers, du canton de Villebois, arr. d'Angoulême, et l'on peut se demander s'il ne s'agirait pas d'un domaine homonyme. Nous avons vu plus haut (§. V) qu'il est fort douteux que ce diplôme soit de Charlemagne. Ademar ajoute en effet: « Quod preceptum Bartolomeus cancellarius ejus scripsit, et ipse dominus rex manu sua firmavit et de anulo suo sigillavit ». On ne connaît à Charlemagne aucun chancelier de ce nom. Le diplôme d'immunité pour Aniane, du 27 juillet 792 porte bien la mention: « Bartolomeus ad vicem Ludovici » mais l'interpolation est criante (Engelbert Mühlbacher, Diplomata Karolinorum, t. I, p. 231, n° 173). Louis, abbé de Saint-Denis, fut l'un des chanceliers de Charles-le-Chauve. Barthelémi, notaire impérial sous Louis-le-Pieux, resta au service de Charles-le-Chauve jusqu'en 855; il put devenir chancelier de Charles d'Aquitaine.

 

 

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Païens, sans espoir de relèvement, rendait le fonds libre, et il devait retourner aux représentants des anciens possesseurs. Une interpolation à l'un des manuscrits d'Ademar ajoute qu'Aimeri de Mussidan ayant disposé de ce domaine en faveur de ses capitaines, Trémolat fut perdu à tout jamais pour les religieux angoumoisins (85). Ce fut, on l'admettra sans peine, peu après son intronisation que Grimoard voulut avantager ainsi son frère. Les dates de son épiscopat sont établies par une déclaration d'un clerc de son diocèse faite en 1031 au concile de Limoges; elle affirme que l'évêque Hugues de Jarnac est mort depuis plus de 40 ans (donc en 992 au plus tard) et son successeur Grimoard depuis plus de 14 ans (donc en 1018 au plus tard). La Chronique éditée par Labbe fait mourir Hugues une année trop tard, en 993, mais elle fixe sa consécration au 1er avril 973 alors que ce quantième ne coïncide avec un dimanche qu'en 966 et 977 (86).

Nous allons retrouver les évêques Grimoard et Izelon avec Aimeri et deux autres de leurs frères, Arnaud et Géraud, et leur cousin (consanguineus) le viguier Hélie Geofroi, coopérant tous ensemble en 1012 à la constitution de l'abbaye de Saint-Astier due à l'initiative des vicomtes Grimoard et Raymond. Les assertions du chroniqueur de Guitres peuvent-elles recevoir une confirmation plus nette?

La charte de fondation de cette collégiale émane de Raoul, évêque de Périgueux, agissant en vertu des pouvoirs qu'il tient du pape Benoît VIII et de l'archevêque Seguin de Bordeaux; elle porte le seing du roi Robert II. On y lit (87), après un préambule orné de considérations pieuses:

« Hac de causa, ego Radulfus, favebte Deo presul, auctoritate

 

(85) « Post non multos annos, dictus Aimericus ipsum locum dedit in beneficio ducibus suis ... et ita penitus ipsa possessio alienata est a jure antiquo Sancti Eparchii » (Ademar, III, 36, p. 167); L'Espine, coll. de Périgord, XXXV, 324; d'après le ms. lat. 5927, provenant de François de Thou).

(86) Gallia christiana nova, II, 989.

 

 

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Domni Apostolici nostri Benedicti atque domni archiepiscopi Siguini Burdegalensis aecclesie matris, unanimo consensu cum contribulibus Grimoardo et Raimundo, necnon Grimoardo et Hislono episcopis, et fratribus eorumdem Aimerico, Arnaldo, Geraldo, atque eorum consanguineo Helia Gausfredo vicario, cum filiis qui ei nati sunt vel nascentur, placitum fuit ut jure perpetuo, praecepto statuamus firmissimo, ut canonica Sanctorum Apostolorum Petri ac Pauli ac Sancti Astherii (88) stabilis maneat... cum aecclesiis ac molendinariis, cum pratis, silvis, aquis, terra (etc.)... Hic namque memoratus pater [Asterius]... hanc construxit basilicam, quae pro antiqua vetustate ad solum corruens, a quodam praecellentissimo presule Tolosano, nomine Hislono, in quo cernitur statu est reparata... Constitui autem placet in hoc nostro praecepto juxta consueta canonicorum..., praelatum nomine Aaccium, sub tali censura ut regulariter, juxta instituta canonicorum, conversetur (89) ».

On remarquera l'expression caractéristique par laquelle sont désignés les coauteurs du rétablissement de l'ordre monastique à Saint-Astier: contribules. La glose d'Isidore l'interprète ainsi (90): « Consanguinei, quasi ex eadem tribu ». Et le lexique latino-français du Moyen-âge conservé à la Bibliothèque nationale (91) porte: « Contribulis, qui est d'une mesme ligniée ».

 

(87) Original en parchemin aux archives du chapitre de Saint-Astier; les sceaux perdus (sic). ― Copie dans L'Espine, Collection de Périgord, LXXVII, 42.

(88) Asterius (saint Astier) mourut vers le début du VIIe siècle, d'après le Propre des Saints du diocèse de Périgueux, p. 90 (L'Espine, Collection de Périgord, XLVI, 4).

(89) La charte se termine par les souscriptions suivantes:

« Signum regis Rotberti, anno regni ejus XXV, ab Incarnatione vero Domini anno millesimo XIII.

S. Sigoini archiepiscopi.

S. Grimoardi episcopi, S. Hisloni episcopi.

S. Grimoardi vicecomitis, S. Raimundi fratris ejus.

S. Aimerici, Arnaldi, Geraldi.

S. Helie Gauzfredi vicarii.

Firmatum est hoc preceptum II nonas Augusti, ab Arnaldo praesule, congregationeque ejus, Helia consule ».

La correspondance de l'année 1013 et la 25e année de Robert II qui se termine le 25 décembre 1012 n'est possible que si l'on admet que l'année compte du début des calendes de janvier, ce qui place la date de l'acte entre le 14 et le 25 décembre 1012. Raoul mourut quelque temps après, et la charte mentionne une intervention de son successeur Arnaud à la date postérieure du 4 août, sous le gouvernement du comte Hélie II.

(90) Ducange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. Henschel, II, 577 b-c.

(91) Ms. lat. 7684.

 

 

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Ainsi, d'une part, l'évêque Grimoard et ses frères, de l'autre son homonyme qui prend en souscrivant le titre de vicomte, et son frère Raymond, sont issus de la même souche; ces deux branches dont la première d'après Ademar est celle des châtelains de Mussidan, ont à Saint-Astier en 1012, une communauté d'intérêts qui remonte au moins à leurs auteurs. N'est-ce pas la consécration des assertions du chroniqueur de Guitres, présentant Ays de Ribérac, père des vicomtes Grimoard et Raymond, et Audegier de Mussidan comme deux frères, ayant ensemble acquis le château et l'honneur de Saint-Astier? Comme il le dit encore, c'est bien un Ays qui fut institué premier abbé de la collégiale restaurée. Il est de toute évidence, pourtant, que l'auteur de notre Chronique n'a point connu l'instrument épiscopal qui vient d'être cité; il n'eût pas manqué de relever l'intervention des deux évêques, cousins-germains des fondateurs de son abbaye; il s'en tait, comme si la postérité d'Audegier lui fût entièrement inconnue.

L'institution d'une collégiale avait été précédée du relèvement de l'ancienne basilique édifiée jadis par Astérius. Raoul l'attribue aux soins de l'évêque Izelon de Toulouse. Ce prélat succéda à Atton Ier qui, en 973, occupait encore le siège de Saint-Sernin. Dès septembre 974, Izelon assistait à la dédicace de l'église de Cuxa en Roussillon, il mourut en 990. Izelon de Saintes (1002-1029) appartient à la génération suivante: en 1011 il participait au concile de Poitiers, en 1021 au sacre de Jourdain de Limoges (92). La transmission avunculaire des prénoms de clergie étant un phénomène constant au Xe siècle (93) et le but poursuivi par les deux Izelon (94) à Saint-Astier supposant entre eux une communauté de sentiments et de

 

(92) Gallia christiana, 1661; XIII, 11.

(93) Comme exemples saisissants on peut citer les trois Gautier: l'évêque d'Orléans qui sacra le roi Eudes, son neveu et son petit-neveu archevêques de Sens; les innombrables Brunon neveux et arrière-neveux de l'archevêque de Cologne, frère d'Otton-le-Grand, qui furent évêques ou abbés.

(94) Le prénom d'Izelon dérive par hypocorisme d'Itier (Iterius ou Hiterius, parfois Aetherius), comme Wizelon dérive de Witerius ou Witericus; Rozelon, de Rotharius ou Rodericus; Gozelon, de Guntharius, Gundericus, Godericus.

Ademar rapporte qu'un Ays (Acius) fut substitué au défunt archevêque Seguin; mais bientôt, atteint de paralysie il prit pour coadjuteur Izelon, évêque de Saintes. Ays ayant succombé après un épiscopat fort court, Izelon se désista en faveur d'un candidat choisi par Guillaume III, duc d'Aquitaine et Sanche, duc de Gascogne. Il exerçait la prélature à Bordeaux le 7 mars 1024 (Gallia, II, 800).

 

 

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traditions, il n'est point téméraire de se représenter Izelon de Saintes comme le neveu d'Izelon de Toulouse.

Ainsi disparaît l'anomalie qu'il y aurait à voir un prélat toulousain se transporter au diocèse de Périgueux pour y rebâtir un monastère ruiné. La conclusion tirée de cette homonymie est d'autant plus nécessaire, que l'opinion du chroniqueur de Guitres, quant à l’époque où Saint-Astier changea de maître, sera tout à l'heure corroborée par un texte. C'était dès lors, au moment du contrat, une propriété, ou personnelle à l'évêque Martin de Périgueux, prédécesseur de Raoul, ou rattachée à sa mense épiscopale, jusqu'au moment où elle fut acquise par les fondateurs de la dynastie de Mussidan, vers la fin du Xe siècle. Après cette translation seulement, Izelon de Toulouse put intervenir pour la restauration de l'église; de là s'induit qu'il fut le très proche parent des acquéreurs, ceux-ci n'étant nullement ses diocésains.

Ce dernier contrôle de notre Chronique se tire d'un document de 1094. C'est la sentence d'un concile provincial présidé par Amé, légat du pape Urbain II, terminant un litige entre le chapitre de Périgueux et celui de Saint-Astier, au sujet de la dépouille de Gui de Mussidan, déposée selon ses voeux dans l'abbaye et dont on réclamait le transfert dans le cathédrale (95).

La sentence est précédée d'un procès-verbal d'enquête, où sont entendus divers témoins. C'est d'abord l'évêque de Périgueux, Renaud, qui se refuse à trahir la vérité au bénéfice de ses chanoines de Saint-Front. il raconte les derniers moments du vieux chevalier. « Primum Rainaldus, Petragoricensium episcopus: Veritatem, inquit, dicam, et non mentiar: quod Wido de Mussida, infirmus, in presentia mea et Lamberti decani et aliorum canonicorum Sancti-Stephani et Sancti-Frontonis, cum se in cimiterio Sancti-Asterii sepeliri disponeret, et a Nobis obiceretur quod non sibi liceret, sed, juxta cionsuetudinem parentum suorum, in cimiterio Sancti Frontonis sepeliri deberet, ait: Nonne ego christianus sum?

 

(95) La sentence du synode de Périgueux est du 12 novembre 1094. Elle est date « II idus Novembris, luna XVIIII (corr. XXVIIII), epacta I, anno Urbani pape secundi VI ». Coll. de Périgord, LXXVII, 74.

« Guido de Moisedano » fut témoin avec « Oto de Brageirach » (Bergerac) et autres d'une donation faite à l'abbaye de Notre-Dame de Saintes au temps de l'abbesse Hersinde (1079-1099) et du comte Hélie III de Périgord. Ibid., ILVII, 78.

 

 

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nonne liber? Numquid nam de parentela mea, quidam ibi, quidam hic sepulti sunt? Nobis itaque tacentibus, ne sibi importuni aut molesti vidderemur et essemus, aperiens os suum et attracto spiritu, versis oculis et utrisque palmis in Nos exclamavit: Ego hinc natus qualiscunque parochianus, huic Sancto decimas dedi; locus iste per me multociens dehonestatus, ter aut quater combustus, ut deinceps a parentibus meis tueatur et veneraretur, hic inter monumenta pauperum collocari, Deoque hic famulantium fratrum oratiotibus commendari, quodque meis non mereor, eorum patrocinantibus meritis adjuvari, corpusque meum a te, Domino ac magistro meo Episcopo, hic sepeliri desidero et hoc toto corde efflagito. Nos vero cum mansuetudine ejus clamosas sustinentes expostulationes, data sibi benedictione, discessimus. At ille, subsequenti octavo die defunctus, in cimiterio Sancti-Asterii est sepultus. Ideoque conquerentur canonici Sancti-Frontonis et Sancti-Stephani qui sunt Petragoris et qui hic nobiscum sunt quod nobiles illius castelli et omnes qui sunt de parentela istius Widonis apud eos sepulti sunt et debent sepeliri ».

La volonté de Gui est ainsi clairement établie. Ce châtelain de Mussidan qui a droit de sépulture dans la cathédrale de Périgueux où gisent ses devanciers, veut reposer près du cloître de Saint-Astier, parmi les tombes des pauvres gens (inter monumenta pauperum), et c'est par expiation. Le remords l'étreint de sa barbarie envers ce bourg qu'il a saccagé et brûlé plusieurs fois, et envers les chanoines eux-mêmes; il tient à s'assurer leur pardon et leurs prières. D'ailleurs n'est-il pas chrétien? n'est-il pas libre? et ses ancêtres ne dorment-ils pas leur dernier sommeil en des lieux divers, là où ils l'ont désiré? Saint-Astier ne renferme-t-il pas déjà les corps de ses proches?

L'évêque a soulevé l'objection de l'usage contraire, suivi par les ascendants immédiats de Gui, enterrés dans sa cathédrale: mais il est parti sans plus insister, après une dernière bénédiction, respectueux du calme qui doit entourer les heures suprêmes d'un mourant. Gui trépassé, les siens lui ont obéi; il repose à Saint-Astier, et maintenant le chapitre de Saint-Front proteste devant le synode.

Alors se lèvent deux chanoines de Saint-Astier, Pierre de Caminel et Aimeri Géraud; écoutons-les.

« Quo audito, duo canonici Sancti Asterii, Petrus de Caminel et

 

 

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Aimericus Geraldi surrexerunt atque dixerunt: Mos est apud nos quod quicunque nobilis nostri castelli et de cognatione supradicti sepultus est Adacius frater Grimoardi et Raimundi vicecomitum; Raimundus vicecomes; Iterius vicarius, Bernardus frater ejus, Petrus filius Bernardi, qui sunt de parentela ejus; Arnaldus quoque, filius Widonis, uxoratus et in honore constitutus ».

La dernière assertion de la Chronique de Guitres: « les vicomtes Grimoard et Raymond eurent un frère, Ays, enterré à Saint-Astier » trouve encore ici la confirmation d'un texte diplomatique.

Quant à la date où Saint-Astier passe aux mains de cette famille, elle ressort d'une autre déclaration des chanoines sur l'antiquité de la coutume de transporter dans leur monastère les défunts de la parentela de Gui de Mussidan:

« Hujusmodi morem habuimus ex tempore Rodulfi episcopi, Arnaldi episcopi, et Geraldi episcopi, et Willelmi episcopi, per spatium XXXta aut XLta annorum vel amplius ».

La durée énoncée, suffisante pour « la bonne et tranquille saisine » assura aux chanoines le gain du procès en épargnant à Gui de Mussidan le méchef d'une exhumation. Mais cette durée visait seulement le pontificat des deux derniers évêques: Giraud, mort en 1059, et Guillaume, en 1081. L'épiscopat de Raoul est bien antérieur. Il remplaça Martin (96) qui cessa de vivre en l'an 1000. C'est donc Martin, fils de Boson-le-Vieux, comte de la Marche (97),

 

(96) Nous inclinons à croire que l'honneur de Saint-Astier fut l'apanage de Martin dans la succession de Boson Ier et qu'il n'appartint jamais à l'évêché de Périgueux. D'après le fragment d'un manuscrit fort ancien découvert à Sordes (abbaye au confluent des gaves de Pau et d'Oloron) par dom Estiennot, le lieu où Asterius fonda son abbaye avait, au temps de Charlemagne, les mêmes possesseurs que Saint-Léon (canton de Montignac, arr. de Sarlat). Voici ce passage:

« Milo Leo fuit patre Stampensis, inter Italiam et Apuliam, ubi est Sanctus-Angelus; matre vero Petragoricensis, de Sancto-Asterio et Sancto-Leone. In consecratione Sorduensis ecclesie, fuerunt hic Apostolicus Leo, Turpinus Remensis archiepiscopus ». (Antiq. Vasconiae Bened., ms. 545, fol. 659, Bibl. de l'Arsenal).

Léon III, d'après cette notice, aurait assisté (lors de son voyage d'automne en 804, sans doute) à la dédicace de Sordes. Il aurait d'abord porté le nom de Milon, ce qui le rattacherait à la souche des ducs de Spolète. Ce fut un de ceux-ci, Guiguéis (Winigisus) qui le sauva de la conjuration tramée contre lui par les Romains.

(97) Art de vérifier les Dates, II, 376. On croit que Martin siégea depuis 991; s'il a cédé Saint-Astier après son accession à l'épiscopat, on devrait avancer un peu la date de son avènement ou reculer celle attribuée à la mort d'Izelon de Toulouse qu'on place en 990. Les précisions sont d'ailleurs très malaisées à déterminer pour les listes épiscopales durant le Xe siècle: c'est la période la plus difficultueuse, même pour des successions aussi bien connues que celle de évêques de Paris.

 

 

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qui aliéna Saint-Astier, voulant sans doute s'attacher les châtelains de Ribérac et de Mussidan au temps où ses frères, Audebert Ier et Boson II, soutenaient à grand'peine leur fortune contre l'effort de puissants ennemis.

Antérieurement à Gui, mort en 1094, qui si l'on prend les termes cognation, parentela de l'enquête ecclésiastique, dans le sens canonique, se rattachait seulement par les femmes aux fondateurs de Mussidan, les chartes périgourdines font connaître un maître de ce château dont le nom apporte à son tour un singulier appui au chroniqueur de Guitres. Les Mussidan, si l'on en croit, sont issus d'Alguier de Paris. Or, vers le début du règne de Philippe Ier, voici que sort de la poussière des archives un autre Alguier, Alguerius miles, castri Muxidanii dominus (98).

Il héberge dans son château deux moines de Saint-Florent de Saumur, Pierre et Constantin, qui cherchent, non sans succès, à étendre en Périgord l'influence de leur monastère. Alguier possède en bénéfice comme héritage de ses aïeux, l'église Saint-Pierre de Sourzac où vivent quelques moines et, ce semble, avec peu d'édification (99). Il n'hésite pas à la promettre à Saint-Florent, avec son douaire, et pour que ce projet ne rencontre pas d'obstacles, il part pour Périgueux avec les religieux saumurois, trouver l'évêque Guillaume (élu en 1059) et le comte Hélie III, qu'entourent des

 

(98) Original aux Arch. de Maine-et-Loire. ― Livre noir de Saint-Florent de Saumur, fol. 86. ― Marchegay, Archives d'Anjou, I, 276. ― D. Huynes, Histoire de Saint-Florent de Saumur. ― L'Espine, Coll. de Périgord, XXXV, 214.

« Quo prebente, qua auctoritate ... ecclesia Sancti Petri de Sorziaco, antiquitus abbatia, ... monachis Sti Florentii concessa fuerit ... memoriae posterorum mandare necessarium duximus. Alguerius miles, castri Muxidanii dominus, pro redemptione animae suae et parentum suorum, ecclesiam S. P. de S. cum omnibus rebus ad eam pertinentibus, quam a genitoribus propriis hereditario jure in dominationem acceperat, monachis Sti Florentii [domno Petro et Constantino] se absque alicujus rei precio esse donaturum ... apud predictum castrum fideliter promisit. Et ut sponsionem propriam, cum auctoritate et voluntate domni Willelmi Petragoricensis episcopi et Heliae comitis, ad effectum perduceret, adeundum usque civitatem cum multis optimatibus et predictis monachis progrediens ... se hoc quod dictum est velle facere asseruit, presente prefato pontifice et comite ».

L'évêque Guillaume Ier de Montberon a siégé de 1059 au 6 février 1081.

(99) Sourzac, Sorciacus, cant. de Mussidan, arr. de Ribérac (Dordogne).

 

 

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seigneurs influents (optimates): Olivier Ier, vicomte de Castillon (100), Guillaume Grimoard, sire de Montcaret (101), Arnaud de Montanceix (102), possesseur de ce château (103).

Ils arrivent à la cathédrale où se célébrera, le lendemain 4 août, la fête de l'invention des reliques de saint Etienne. L'évêque et le comte se rencontrent avec eux dans le dortoir du chapitre qui leur offre l'hospitalité. Aussitôt Alguier s'acquitte de sa promesse. Et l'entendant la formuler, le prélat « s'émerveillant de la grandeur du don » s'enquit s'il ne recherchait pas une compensation pécuniaire. Le sire de Mussidan protesta qu'il agissait pour l'amour de Dieu, afin que les serviteurs du Christ étant bien et religieusement gouvernés, la vie régulière refleurit parmi eux. Joyeux de sa

 

(100) La Chronique de Guitres (ci-dessus, p. 104) mentionne, comme ayant accompagné l'archevêque de Bordeaux à la solennité de l'institution canonique du monastère « Arnaldus Aimonis, proconsul de Castellione », c'est à dire Arnaud, vicomte de Castillon, fils d'Aimon, et « Adacius de Mayacensi », Ays de Mayac. Les prénoms de ces deux assistants les rattachent clairement à la famille d'Aimon de Paris et de son neveu Ays de Fronsac.

(101) Montcaret, Mons Careti, cant. de Velines, arr. de Bergerac (Dordogne).

(102) Montanceix, Mons Incensi, commune de Montrem, cant. de Saint-Astier, arr. de Périgeux.

(103) « Testes ... Oliverius vicecomes de Castellione; Willelmus cognomento Grimoardus, Montis Caret dominus; Arnaldus de Monte Incensi, ejusdem castri dominus ». Une analyse postérieure rédigée aussi à Saint-Florent confirme les faits en y ajoutant un détail qui semble contradictoire: « Ecclesiam Sancti Petri de Sorziaco, olim abbatiam, Alguerius dominus Mussidani castri frater Willelmi Grimoardi domini Montis Careti, presente Willelmo, Petragorico episcopo et Elia comite Petragoricensi, et Oliverio vicecomite de Castellione, in dormitorio canonicorum Petragoricensium, Ecclesia viva voce donavit ». (Coll. de Périgord, XLVII, 78). On pourrait soupçonner une confusion entre le témoin Guillaume Grimaord et frère d'Alguier, Guillaume, pourtant bien distincts dans le récit. Mais « frater » se prend souvent, par courtoisie, pour beau-frère. ― Paul Marchegay qui a édité les Chartes de Saint-Florent pour le Périgord dans le Bulletin de la Société historique du Périgord (1879, t. VI, Bibl. Nat. Lc19 283) donne (n° XLVI, p. 222) la charte de Sourzac; et deux autres concernant, l'une (n° IX, p. 124) la donation de l'église de Bretenord (Bretenoux, com. de Jumilhac-le-Grand, arr. Nontron, Dordogne. (F.B. J. Depoin se trompe sur ce point : Bretenord est un hameau de la commune de Montpeyroux, beacoup plus proche de Montcaret que Jumilhac-le-Grand ; voir le dictionnaire du vicomte de Gourgues sur ce site); « Primo dedit Guillelmus Grimoardus suam partem, ... et post, Arnaldus Grimoardus frater ejus auctorizavit donum in curia Oliverii vicecomitis; deinde Boso de Monterevello, avunculus eorum (Boson de Montrevel, oncle maternel de Guillaume de Montcaret et d'Arnaud de Montanceis, donc frère de la femme de Grimoard leur père) dedit suam partem pure et absolute, in manu domni Natalis, prioris monasterii Sancti Florencii »; ― L'autre (n° XXIX, p. 136) la donation par ces deux frères de leur part dans l'église de Coly (comm. de Sourzac, cant. de Mussidan, arr. de Ribérac) dont plus tard Guillaume Aimoin et ses fils Pierre et Grimaord donnèrent leur part dans l'autel, le sanctuaire et la dîme. (F.B. Coles dans la charte correspond à la chapelle de Coles, sur la commune de Montravel, et nom à Coly)

 

 

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réponse, l'évêque et le comte l'engageaient à effectuer le don dans les formes de la coutume, pour que les moines en fussent investis sur-le-champ. Il s'en excusa, disant: « Volontiers ferai-je, mais Guillaume mon frère est en route pour me rejoindre; il est mieux que tout se passe en sa présence et de son gré ». Ce qui fut trouvé raisonnable. Alors l'assemblée se départit.

Guillaume de Mussidan survint pour la fête; seulement, loin de s'associer aux vues de son aîné, il le conjura, à la sollicitation de leur cadet, Arnaud prieur de Sourzac dont il se qualifiait indûment abbé, d'ajourner son dessaisissement jusqu'à la mort de celui-ci, de peur qu'Arnaud déshérité ne dût s'exiler pour vivre sous la dépendance d'autres moines. Alguier, peu touché de ces considérations, n'y voulait pas condescendre; cependant trois cents sous que fort à propos lui fit remettre Arnaud le persuadèrent et, quittant les religieux de Saumur sans avoir réalisé sa promesse, il se contenta de la leur renouveler par serment. Noël, prieur de Saint-Florent, en pris acte.

Mais, quelque temps après, l'abbé Fouqueret et les moines de Charroux, informés de ces incidents par un transfuge de Sourzac, le chanoine Giraud qui avait sollicité son admission dans leur ordre, allèrent trouver Alguier et ses frères « desquels captivant les bonnes grâces par présents et courtoisies », ils obtinrent une charte authentique unissant le bénéfice de Sourzac à leur monastère. Dès qu'on le sut à Saint-Florent, la communauté se répandit en protestations, mais sans succès; puis, se rendant compte que ceux de Charroux « ne voulaient se désister de cette invasion, délayant sans cesse par beaux discours », elle introduisit une complainte canonique en 1081.

Le voyage à Mussidan de Pierre et de Constantin ne fut pourtant pas improductif. Le sire de Montcaret, Guillaume Grimoard, et son frère, Arnaud Grimoard, touchés par l'exemple d'Alguier, donnèrent à Saint-Florent l'église de Coly, village aujourd'hui compris dans la commune de Sourzac (F.B. C'est en fait l'église de Coles, commune de Villefranche-de-Lonchat). Leurs parents, Grimoard Aimoin et ses fils Pierre et Grimoard (sans doute l'oncle et les cousins germains du sire de Montcaret) cédèrent aux Saumurois leur part de l'église, du sanctuaire et des dîmes de Coly (104). Tout cela se fit bien avant

 

(104) Marchegay, Chartes de Saint-Florent pour le Périgord, dans le Bulletin de la Société historique du Périgord, 1879, t. VI, p. 136, n° XXIX.

 

 

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1081, car dès l'année précédente le successeur d'Olivier, Pierre Ier vicomte de Castillon, fut témoin d'un autre acte en faveur de Saint-Florent.

Nous avons en détail raconté l'épisode de Sourzac, non seulement comme un trait de moeurs, mais comme intéressant pour l'histoire généalogique de la maison de Mussidan. On y voit Arnaud s'assurer ― encore est-ce à titre consultatif et sous le bénéfice d'une gratification ― du seul concours de son frère Guillaume. Cependant il a pour témoins à Périgueux quelques seigneurs parmi lesquels « Arnaud de Montanceix, possesseur de ce château ». C'était probablement le frère de Guillaume Grimoard de Moncaret, et comme lui, le beau-frère d'Alguier de Mussidan, déjà son arrière-cousin.

Le Cartulaire de Cadouin fait en effet mention d'une libéralité à cette abbaye effectuée en présence du chapelain de Mussidan et du moine de Charroux, Giraud (celui qui négocia la donation de Sourzac) par Alguier de Mussidan, sa femme Ama, Arnaud de Montanceix et sa femme Almodis, d'une propriété commune.

Une charte de 1115 qui rappelle les libéralités de ce couple (105) en rapporte d'autres, subséquentes et collectives, par Alguier fils d'Arnaud de Montanceix (106) et par Itier de Mussidan avec le concours de sa femme Aima et de sa fille Almodis.

La généalogie suivante paraît se dégager de ces indications comparées:

 

 

Alguier, seigneur de Mussidan, ep. Aime (Ama)

                     |

Aumonde (Almodis) ep. Arnaud de Montanceix

                     |

Alguier de Montanceix. Aime (Aima) ep. Itier de Mussidan

                     |

              Aumonde (Almodis)

 

On peut admettre aussi l'hypothèse que Gui de Mussidan serait issu d'Arnaud de Montanceix, car le fils qu'il perdit portait le

 

(105) « Similiter Algerius de Moysidano, concedente Ama uxore sua, et Arnaldo de Monte Incenso et Almoide conjuge illius concedente, mansum dederunt, testibus Geraldo capellano de Moisidano, Geraldo de Carrofo ». (Coll. de Périgord, XXXVII, 220; d'Achery, Spicilegium, III, 474).

(106) « Iterius de Moysidano et uxor ejus et filia, Aima scilicet et Almodis; et Algerius filius Arnaldi de Monte Incenso, similiter dederunt ... » (Ibid.)

 

 

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nom d'Arnaud. Ainsi les termes explicites de cognatio, parentela se trouveraient justifiés à l'égard de Raymond et d'Ays de Fronsac, tous deux fils d'un grand-oncle de sa mère.

A l'appui de la translation ainsi conjecturée, de la seigneurie de Mussidan à l'héritier de celle de Montanceix, peut être invoqué ce fait qu'à la fin du XIIe siècle, Montanceix et Montemart (107) formèrent les apanages des cadets de Mussidan (108). Déjà cette châtellenie était entrée dans une troisième famille, celle de Montaut, à laquelle appartenait la mère de l'abbé Ays (109).

Au milieu du XIVe siècle, tandis que la seigneurie de Montaut était aux mains du chevalier Gaston de Gontaut, celle de Mussidan avait encore un Raymond de Montaut pour possesseur. Il revendit, le 9 septembre 1366 au comte de Périgord Archambaud V tous les biens (110) qu'il avait acquis de Gaston de Gontaut au diocèse de Périgueux, « deçà la rivière de Dordonne ».

 

(107) Comm. de Saint-Félix-de-Reillac, cant. Le Bugle (sic), arr. Sarlat. Dans ce nom de Mont-Emart on pourrait relever une trace du prénom d'un des frères d'Aimon qui le suivirent en Périgord, Atmardus. On se rappellera qu'en 962, Le Bugle (sic) était propriété d'un Grimoard, héritier d'un de ses cousins (ci-dessus, § I).

(108) En février 1210 (1211, nouv. st.) « Raimundus de Monte Alto, dominus de Mussidano, voluntate fratrum meorum, scilicet B(ernadi) de Monte Inciso et A(rnaldi) de Montemerro » déclare donner à l'abbaye de Sauve-Majeure « predium in castro de Mussidano, juxta ripam fluvii Elle » (Cartul. de la Sauve-Majeure, fol. 450; bibl. de la ville de Bordeaux, ms. 769; Coll. de Périgord, XXXV, 177).

(109) Le dernier châtelain de la maison de Mussidan avant Raymond Ier de Montaut paraît avoir été Guillaume, qui donna à Géraud II, abbé de Chancelade (1168-1189) le péage de Mussidan. Il est appelé dans l'acte « Guillelmus Amaluis de Moissidan » et, dans une charte de Richard de Guienne en faveur des moines de Cadouin, délivrée un 25 avril (vers 1188), il est nommé « Willelmus Amaluini dominus de Baianes (Baignes) et de Mussidano » (Coll. de Périgord, XLVII, 81) (F.B. Baianes, serait plutôt Bajanes, territoire aux environs d'Issigeac; Baignes était au moyen-âge Beania, et n'avait pas de "s").

(110) Procès-verbal de MM. les commissaires députés par le Roy de Navarre, pour faire l'inventaire des tiltres du thresor de Montignac, du 19 août 1546. Collection du Languedoc (Doat), vol. 241, p. 61. D'après l'Art de vérifier les Dates, Archambaud V n'aurait été comte de Périgord qu'à partir du 8 février 1369 (t. II, p. 385).

 

 

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VIII

Guillaume de Bordeaux, beau-père d'Ays de Fronsac.

 

« Ays (Adacius), fils d'Alguier, fut, selon la Chronique de Guitres, le premier vicomte de Fronsac. Il acquit ce château et d'importants honneurs par l'héritage de la fille du comte de Bordeaux, sa première femme, qu'il épousa grâce à l'intervention d'Aimon de Paris son oncle paternel. Après la mort d'Ays, ses fils Grimoard et Raymond obtinrent de leur oncle maternel (avunculus), devenu comte de Bordeaux, la confirmation de leurs droits à la succession de leur mère, avec d'autres dons généreux ».

Le chroniqueur ne remémore pas le nom de l'oncle des jeunes vicomtes, mais il a conservé celui du beau-père d'Ays, « Guillermum Burdegalensem consulem ». C'était un comte Guillaume. Le mariage se fit tandis qu'Aimon et ses frères parcouraient le pays pour tenir tête aux ennemis du comte de Périgord, Guillaume Taleran. Ce fut donc entre 952 et 962, d'après les limites chronologiques précédemment établies.

Ici notre chronique éclaire d'un jour imprévu l'histoire, si incertaine encore, des comtes de Bordeaux au Xe siècle, et les origines de l'abbaye de Sainte-Croix. Il existe une charte-notice qu'on a vainement essayé de dater avec exactitude, et dont la version française intégrale se lit dans l'ouvrage publié depuis peu par M. Chauliac (111). On y acquiert la preuve que le prénom de Raymond, relevé par le second fils d'Ays, fut porté par un comte de Bordeaux, mari d'Eutregode (112) et père de Guillaume, son successeur. Celui-ci, plus tard surnommé le Bon, assembla un jour ses barons pour leur signaler l'essor que prenait partout l'ordre monastique, alors que leur province restait encore étrangère à cette renaissance. Un

 

(111) Histoire de l'abbaye de Sainte-Croix de Bordeaux, 1910, pp. 56 et suiv. (Archives de la France monastique, vol. IX).

(112) Ce nom est de source très ancienne. Il est identique à celui de la reine Ultrogotha, femme de Childebert l'Ancien, roi de Paris.

 

 

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jeune noble, Trencard, répondant à son appel, offrit l'emplacement d'une abbaye, jadis sous le vocable de la Sainte Croix, depuis longtemps ruinée par les Païens. Le comte l'ayant acceptée et restaurée, y institua une communauté de treize moines avec un supérieur, l'abbé Elie (113). Le texte continue ainsi:

« Et congregans omnes principes Burdegalensium, vocavit matrem suam, nomine Eutrogodis, et uxorem suam, nomine Aremburgis; et venerunt ante altare quod est in honore Sancte Crucis edificatum; et dixit coram omnibus Guillelmus comes:

In nomine sancte et individue Trinitatis! Ego Guillelmus, filius Ramondo comiti, do istas terras cum istas vineas, et ecclesia Sancti Hilarii de [h]oc Tillano ... et villa que vocatur Solaco cum oratorio sancte Deo genitricis Mariae, cum aquis dulcis de mare salosa usque ad mare dulcia, cum montaneia, etc. ».

A cette charte-notice se sont attaqués quelques érudits anciens et modernes qui ont emboîté le pas à Besly. D'abord ils lui reprochent l'incorrection du style. Le récent historien de Sainte-Croix, M. Chauliac, leur répond avec raison: « La barbarie du latin est plutôt une preuve d'ancienneté ». Les chartes de Cluny, notamment, dévoilent la pénurie de connaissances grammaticales chez les notaires du Xe siècle. Un autre argument des critiques: « Il ne devait pas y avoir alors de comtes à Bordeaux, parce qu'on n'en rencontre pas dans les chartes » ne mérite pas d'être réfuté. Qu'on l'invoque pour une période abondante en documents, passe encore. Que vaut-il pour un siècle et un diocèse si pauvres en actes, qu'on

 

(113) Cartulaire de Sainte-Croix, aux Archives de la Gironde. Une édition de cette charte a été donnée par la Gallia christiana nova, t. II, Instrumenta, col. 267. Voici la traduction, dans sa partie essentielle, de la charte du comte Guillaume, telle que la notice la reproduit:

« Au nom de la sainte et indivisible Trinité! Moi, Guillaume, fils du comte Raymond, je donne ces terres, ces vignes, l'église Saint-Hilaire du Taillan avec tout ce qui lui appartient, le domaine de Soulac, avec l'oratoire de Sainte-Marie, mère de Dieu; les eaux douces depuis la mer salée jusqu'au fleuve, les dunes, les bois de pins, la pêche, les prés salés, les serfs des deux sexes; tout ces biens, je les donne à Dieu et à l'autel élevé en l'honneur de la Sainte Croix, et j'établis ce lieu pour qu'on y fasse le service divin ». Suit une formule d'anathème et de sanction pécuniaire frappant les contrevenants à ces dispositions; elle est en concordance avec les usages juridiques du temps.

Après les mots: « Fait ici », c'est-à-dire à Sainte-Croix, l'acte se termine par l'apposition des seings manuels du comte et de ses barons.

 

 

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n'a pas un seul nom d'évêque à inscrire (114) entre 876 et 982 sur des diptyques bordelais?

Moins sérieuse encore est l'objection tirée de l'incertitude du temps où cet acte se placerait. L'historien de Marca et les frères de Sainte-Marthe le voulaient dater de 902, Lopes proposait 940. Pour les départager, recourons au texte: la lecture en est suffisamment édifiante. Le comte Guillaume se déclare frappé du spectacle, dans des régions plus favorisées, d'une efflorescence générale des fondations monastiques. A quelles conjonctures cette observation convient-elle, si ce n'est au développement simultané des congrégations de Cluny, de Saint-Bénigne et de mainte autre qui se manifeste à partir de la seconde moitié du Xe siècle, sous l'influence ou à l'exemple des Odon, des Maïeul, des Odilon? Au midi de la Loire, l'état de Saint-Cybar d'Angoulême comme celui de Saint-Martial de Limoges, aux mains de commendataires, parfois laïcs, jusqu'au règne de Lothaire, sans parler de quantité de moûtiers détruits dont ne survivait que le nom, tout opposait à cet épanouissement religieux le contraste que l'acte signale. C'est donc assez avant dans le Xe siècle, vers 960, que se place la charte de Sainte-Croix. Audebert peut être regardé comme le prédécesseur de Gombaud, et Guillaume le Bon comme le devancier du comte Sanche, père de ce prélat, et du duc Guillaume de Gascogne.

A coup sûr, en 902, la remarque de Guillaume le Bon sur la renaissance des congrégations n'aurait eu nulle raison d'être; en 940 même elle serait prématurée. C'est alors seulement que le mouvement commence en partant de l'Est, pour substituer aux chanoines et aux clercs sans discipline, des bénédictins réguliers.

Adalberon de Metz restaure Gorze et les abbayes lorraines; à Paris, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Maur, Saint-Denis sont successivement réformés. Au Nord, Saint-Bertin, Corbie, Saint-Quentin ont le même avantage. On n'ouvre pas un volume de la Gallia sans y saisir la trace d'une action semblable sur le monde religieux, s'exerçant principalement à partir de 950. Lorsque Helgaud montre en l'an mille la France se couvrant d'un blanc manteau d'églises, il

 

(114) En dehors, bien entendu, de l'évêque Audebert, cité dans la charte-notice de Guillaume le Bon, et dont l'existence cesserait d'être constatée du moment où cette pièce serait authentique.

 

 

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atteste les résultats de l'effort persévérant et rénovateur de tout un demi-siècle écoulé.

Pour des considérations différentes qui vont être résumées, M. Chauliac conclut dans le même sens: L'abbaye de Saint-Sever de Gascogne et celle de Sainte-Croix se disputèrent la possession de Soulac, et l'antériorité des droits de Sainte-Croix fut reconnue par le concile de Bordeaux de 1080. Or le duc Guillaume-Sanche avait donné Soulac à Saint-Sever par une charte de 982; Sainte-Croix fut donc doté avant cette époque. ― On ne pouvait songer à fonder une nouvelle abbaye à Bordeaux tant que les Normands continuaient à dévaster le pays compris entre la Loire et les Pyrénées; les incursions de ces pirates ne cessèrent que dans la seconde moitié du Xe siècle. M. Chauliac conclut que le moine anonyme de Sainte-Croix, auteur d'une Histoire de l'abbaye insérée en 1842 dans les Actes de l'Académie de Bordeaux, ne s'éloigne pas beaucoup de la vérité en écrivant que le monastère ruiné par les Païens « demeura dans cet estat déplorable jusques en l'an 970... que le comte de Bourdeaux la réédifia ».

Ainsi le comte Guillaume que la charte-notice de Sainte-Croix dit avoir été surnommé le Bon, s'identifie avec le « Guillermus Burdegalensis consul » de notre Chronique. Son existence était regardée comme hors de doute cent vingt ans au plus après la date probable de sa mort, car le 27 avril 1099 (115), le monastère qui lui devait sa restauration obtenait du pape Urbain II une bulle confirmative de ses bienfaits: « roborantes quod bone memorie Guillelmus, Burdegalensium comes, de jure suo concessit ».

Au bas de la charte de Guillaume, les souscriptions des témoins (principes Burdegalensium) sont ainsi transcrites:

Signum Guillelmo comiti. ― Signum Ociando. ― Signum Aiquelini. ― Signum Erad. ― Signum Guillelmo. ― Signum Aiquareli. Signum Adaiz. ― Signum Alaiderno.

L'existence d'un Ays (Adaiz) dans l'entourage immédiat du comte Guillaume de Bordeaux se trouve établie par un acte public. Si la

 

(115) Archives historiques de la Gironde, tome XXVII, pièce n° 79. ― Comment supposer que les moines eussent controuvé un fondateur si peu notoire, quand il leur était facile de forger une légende mettant en jeu des bienfaiteurs tout autrement illustres!

 

 

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véracité du moine de Guitres bénéficie de cette nouvelle caution, à sont tour la Chronique apporte maint éclaircissement sur la personnalité des signataires. On y découvre l'origine du nom de Montussan (116) lorsque Ays Faidit donne à Guitres « terram de Monte Oisando ». L'analogie avec la souscription Signum Ociando n'a pas besoin d'être soulignée.

Le nom d'Aiguelin s'est perpétuée géographiquement sous la forme Aigulin (117) en Saintonge comme, en Périgord, sous celle plus classique d'Aquilin (118). La chronique de Guitres mentionne, parmi les bienfaiteurs de l'église restaurée, un Aiguelin, donateur de l'église de Salagnac (119), Aiquelinus Alaardi, dont le père Alard porte le nom du dernier comte de Paris étranger à la dynastie de Robert le Fort (120). Celui d'Aiguelin resta cher à la meilleure noblesse du Bordelais (121).

Dans Erad, notre Chronique permet de reconnaître Erard ou Airard La Briche, cousin germain d'Ays dont la souscription suit la sienne.

La souscription: Signum Aiquareli appelle une rectification de lecture. Il est tout à fait naturel que le donateur de la basilique ruinée ait été témoin de sa restitution au culte; la leçon Signum Trenquardi semble bien s'imposer.

De même la désignation du dernier témoin: Signum Alaiderno présente une variante, sinon la transcription fautive, d'un nom très reconnaissable, Aladranno. C'est celui d'Aleran que L'Espine a fort ingénieusement regardé comme le point de départ des deux graphie parallèles, Galeran, Taleran, supposées issues d'une commune origine.

Ce n'est pas ici le lieu de développer la thèse entrevue par le

 

(116) Montussan, cant. de Carbon-Blanc, arr. de Bordeaux.

(117) Dans Saint-Aiguli, cant. de Montguyon, arr. de Jonzac (Charente-Inférieure).

(118) Dans Saint-Aquilin, cant. de Neuvic, arr. de Ribérac (Dordogne).

(119) Salagnac, cant. d'Excideuil, arr. de Périgueux.

(120) Alard devint comte de Paris après Conrad qui, s'étant déclaré l'adversaire des fils d'Ansgarde, ne put conserver sa charge sous Louis III. Alard administrait le comté de Paris sous Carloman IV, entre 881 et 885, ainsi que le rappelle la charte la plus ancienne concernant l'église Saint-Merry. C'est Charles le Gros qui, à son avènement en France, restituant aux fils de Robert le Fort les honneurs dont leur père avait joui, mit Eudes en possession du comté de Paris.

(121) Baluze a tiré du Livre des anniversaires de Saint-Seurin de Bordeaux, écrit en 1368: « Anniversarium Athalidae filiae vicecomitis de Tortas, que uxor fuit Aiguelini de Blacafort, sepultura juxta matrem vicecomitissam, in claustro, concessa ».

 

 

p. 138

compilateur périgourdin, ramenant à Aleran défenseur de Barcelone en 850 ― M. Ferdinand Lot a prouvé que ce fut Aleran Ier comte de Troyes (122) ― la source d'une alliance entre la maison de Senlis et celle de Périgueux. Disons seulement qu'il serait prématuré d'écarter cette idée sans l'avoir profondément creusée.

Enfin parmi les souscriptions est celle d'un Guillaume distinct du donateur. Ne serait-ce pas un fils homonyme, l'oncle maternel (avunculus) auquel s'adressèrent les fils d'Ays, sollicitant le maintien des honneurs dont le comte Guillaume investit son gendre? Si le chroniqueur n'a point nommé cet oncle, ce peut être parce qu'il s'appelait comme son devancier. La prétérition, en cas d'homonymie, est d'un usage fréquent dans les anciens textes.

 

(122) Romania, avril 1904; le Moyen Age, t. X, juillet-août 1906, p. 199.

 

 

p. 139

Les filles du vicomte Ays.

 

De la fille de Guillaume le Bon, le vicomte Ays laissa deux fils et trois filles, dont la Chronique de Guitres rapporte les noms et les alliances: « Filiarum prima Alaas de Granol, alia Ermessenz de Marol, tercia Ermengars de Rochacart: sic quippe a viris suis nuncupabantur ».

Granol répond à la forme moderne Grignols. Des deux localités de ce nom, celle qui nous intéresse n'est pas le plus considérable, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Bazas en Gironde; c'est au contraire la plus petite, en Périgord, à mi-chemin entre Mussidan et Périgueux, dans le voisinage de Saint-Astier. Le cours de l'Isle rapprochait toutes ces localités de Fronsac et de Guitres.

Marol est, de nos jours, Mareuil-sur-Belle, chef lieu de canton de l'arrondissement de Nontron, en Dordogne.

Rochacart est une contraction de Rocha Cauvardi: Rochechouart, chef-lieu de canton d'un des arrondissements de la Haute-Vienne.

Mareuil nous arrêtera peu, faute de données précises éclairant le mariage d'Ermesende, seconde fille d'Ays. Bornons-nous à relever l'inscription sur la liste des abbés de Saint-Astier (123) d'un Hélie de Mareuil, cité de 1178 à 1182.

Grignols et Rochechouart sont, au contraire, des châtellenies dont l'histoire s'entremêle à celles des maisons alliées aux vicomtes de Fronsac et de Ribérac et aux châtelains de Mussidan. Un document émanant d'Amélie, comtesse de la Marche dans la seconde moitié du XIe siècle, et sur lequel nous reviendrons, fait connaître son père Géraud de Montignac et sa mère Nonie de Grignols. C'est le seul renseignement qu'ait recueilli sur cette famille A. de Roumejoux, dans sa Notice sur le château de Grignols, jusqu'à Boson qui en 1099 joignait à cette seigneurie celle de Neuvic (124), entre les

 

(123) L'Espine, Collection de Périgord, XXXIV, 295.

(124) Neuvic-sur-l'Isle, chef-lieu de cant. de l'arr. de Ribérac, en face de Grignols.

 

 

p. 140

dates de naissance probables d'Alaas, aînée des filles d'Ays, et de la comtesse Amélie, se placent aisément deux générations. Nonie de Grignols (125) pourrait être la petite-fille d'Alaas. L'échelon intermédiaire serait-il occupé par le mari d'une Nonie, mère d'un Ays (Aicius) et d'un Guillaume dont les prénoms semblent significatifs? Ces trois personnages présentèrent afin d'en faire un moine de Baignes, à l'abbé Ademar, un enfant pour la dot duquel ils offrirent l'église de Neuvic et l'église Saint-Pierre d'Orignolle (126). Ademar de Barret siégeait sous Henri Ier dès 1032. Ays paraît bien être le petit-fils d'Alaas, fille d'Ays de Fronsac dont il relève le nom.

Boson de Grignols, en 1099, donna son assentiment à la cession que l'évêque de Périgueux, Renaud, fit à Saint-Astier de l'église Saint-Pierre de Neuvic (127). Asceline, sa fille et son héritière, épouse un arrière-cousin, le comte de Périgord Audebert III. Leur second fils Boson fut dès 1135, apanagé de Grignols et devint l'aïeul d'un abbé de Saint-Astier (128).

Les deux alliances comtales de cette maison, ses libéralités à Baignes d'où dépendait Guitres, et à Saint-Astier relevé par les fils d'Ays, sont bien en harmonie avec la relation de parenté établie par notre Chronique entre les vicomtes de Ribérac et de Fronsac et l'auteur de cette lignée.

L'alliance que la Chronique de Guitres relate entre Grimoard et

 

(125) Le prénom Nonie est fort ancien dans cette région. On le rencontre au Xe siècle, dans le Cartulaire de Saint-Cybar (fol. CVI, n° 212, Arch. de la Charente). Il est porté par la femme d'un Thibaud qui aliéna une vigne à Rouffiac.

(126) « Aicius et mater mea Nonia offerimus hunc puerum, nomine Bernardum, in vice parentum, domno Ademaro abbati, cum quo damus, tam ego Aicius et frater meus Willelmus, et mater mea Nonia, et consanguineus meus Arbertus, ecclesiam de Novovico et aliam ecclesiam Sancti Petri de Aulanola ». L'abbé Cholet, éditeur du Cartulaire de Baignes, traduit Novus vicus par Neuvic près Montguyon, arr. de Jonzac. Il n'a pas essayé d'identifier Aulanola: c'est apparemment Orignolle, qui touche à Neuvic. En 1082 Boson, évêque de Saintes, approuva la donation à Baignes de l'église de Vassiac « cujus medietatem habebat in fevum de Aicio Faidit, et aliam medietatem de Aimone de Brolio, et Aimo de Willelmo Helie » (Cartul. de Baignes, p. 15, n° XI). On reconnaît la même branche de la famille d'Aimon de Paris. Ces trois localités Neuvic, Orignolle et Vassiac, sont dans la vallée du Lary, qui descend vers Guitres.

 

(127) Il se dénomme « Boson de Grignols » dans une donation à l'abbaye de Cadouin en 1135 (L'Espine, Collection de Périgord, XXXVII, 132).

(128) « Boos Talerand de Grignols, fils de Raymond et de Marguerite de Besnac » ou plutôt Beynac (Note de Gaignières, ms. fr. 20890, fol. 101 2). La forme Booz est une déformation par allusion biblique, du prénom Boson.

 

 

p. 141

Dée de Montignac apporte un motif de convenance à celle d'une petite-nièce de ce vicomte avec Géraud de Montignac.

La maison de Rochechouart a pour auteur Aimeri Ier, fils de Géraud, vicomte de Limoges, et de la vicomtesse Rohaud. Lui-même le déclare en libellant la donation qu'en mars 1019, en présence de son frère Géraud d'Argenton, il fit (129) au monastère d'Uzerche de la moitié de l'église Saint-Bibien (ou Vivien) à Nieul: « Pro remedio anime patris mei Geraldi et matris mee Rothildis trado quemdam alodum meum Deo et Sancto Petro ad Usercham, hoc est medietatem de ecclesia que est dedicata in honore sancti Bibiani, et vocatur locus iste a Nioll ».

Les souscriptions sont ainsi formulées:

« Signum Aimerici Ostafranco, qui hunc privilegium fieri vel firmare rogavit.

Signum Ava, uxoris ejus.

Signum Aimerici, filii ejus.

Signum Geraldi, fratris ejus ».

Dans cette branche d'une famille vicomtale qui relève le nom des anciens comtes Géraud du Limousin, dont le troisième et dernier fonda le monastère d'Aurillac, le surnom d'Ostefrancon ou Franc de l'Est (originaire de la Francia orientalis) est remarquable. Une interpolation d'Ademar énonce (130) la fraternité des trois comtes Géraud Ier de Limoges, Guillaume de Blois et Eudes d'Orléans, et M. René Merlet a établi l'identité du second avec le connétable de Louis le Pieux, Guillaume qualifié Francigenum primus dans un poème à sa louange (131).

La filiation d'Aimeri Ier est au surplus attestée par Ademar de Chabannes. Comme il le relate, l'évêque de Limoges Audoin, fils de Géraud, ayant pour la protection du monastère de Saint-Junien, élevé un château qui nuisait à Jordan de Chabanais, celui-ci lui déclara la guerre: elle coûta la vie à l'agresseur. Un de ses frères le vengea en capturant Aimeri, frère du prélat et du vicomte Gui

 

(129) Cette charte est correctement datée: « Factum est privilegium mense martio, anno MXVIII, indictione II, regnante Rotberto rege ». Coll. Baluze, CCCLXVII, 35. ― Nieul est un chef-lieu de canton de l'arr. de Limoges.

(130) Ms. lat. 5926; édit. Chavanon, pp. 131, note z et 132, note e.

(131) René Merlet, Les comtes de Chartres, de Châteaudun et de Blois, dans les Mém. de soc. archéologique d'Eure-et-Loir, XII, 13.

 

 

p. 142

de Limoges: il le retint en chartre privée jusqu'à ce que le château eût été abattu par ses propres constructeurs (132).

La compagne d'Aimeri Ier, Eve, reparaît, devenue veuve, dans une charte en faveur de Saint-Etienne de Limoges, vers 1028. Son fils Aimeri II (Aimericus filius Aimerici) lui réserve l'usufruit sur la moitié d'une propriété (133) qu'il cède à l'église.

La généalogie d'Aimeri II se trouve confirmée dans une charte qui le nomme Aimericus de Rocacoardo. On y rappelle le don de l'église de Nieul par Aimeri Ostefrancon avec la coopération des filles du vicomte Géraud (ses soeurs), l'usurpation de la moitié de cette église par Aimeri II; la triste fin de ce seigneur dont le trépas fut déplorable; la restitution finale par son fils Aimeri III de tout ce qui fut soustrait par le défunt aux moines d'Uzerche.

Aimeri II se place à la génération où vivait Grimoard de Fronsac, c'est donc lui qui dut épouser sa soeur Ermengard. Aimeri III leur fils se distingua en effet par la formule Aimiricus filius Ermengardis dans une charte d'un grand intérêt, dont Baluze a fourni la copie la plus exacte (134). Elle commémore la cessation d'une guerre entre Aimeri III et l'évêque Itier de Limoges, l'accord fait entre eux, et elle décrit le cérémonial de la pacification (135).

 

(132) Ademar, III, 42; édit. Chavanon, p. 166. ― A la table de cette édition, Aimeri de Rochechouart est confondu avec Aimeri de Mussidan.

(133) Le mansus Dadent. Hanc cartam firmaverunt comes Guillelmus (Guillaume IV d'Angoulême) et Jordanus episcopus (Jordan de Limoges, 1020-1051). Signum Bernardi comitis (Bernard II de la Marche, neveu du vicomte Gui Ier de Limoges), Signum Guidonis vicecomitis (Gui II de Limoges), Signum Aiva, matris Aimirici (Collection Duchesne, XX, 248).

(134) Collection Baluze, XL, 197. ― D'autres copies, d'après une version fautive du Cartulaire d'Uzerche, portent filius Ermensendis. C'est une mauvaise lecture ou une confusion entre les deux soeurs (Coll. Baluze, LXXIV, 181, L'Espine, Coll. de Périgord, LXXVII, 50).

(135) Voici les documents qui précisent cette généalogie.

A. Restitution par Aimeri III à Uzerche de la moitié de l'église de Nieul qu'Aimeri II avait enlevé aux moines: « Notum sit omnibus Christi fidelibus quod, post mortem Aimirici de Rocha Cauard, remansit nobilissimus filius ejus, Aimiricus de Rocha Chauard, tenens honorem patris sui. Et considerans, post logum tempus, infelicem mortem ejus qui pessime finivit, condolens multum, quia sciens sine dubio animam ejus cruciari in inferno, propter hoc quod abstulerat Deo et Sancto Petro de Userchio ex helemosina patris sui Aimirici Ostafranc, hoc est medietas ecclesiae de Niolli cum curte de Collais... fecit venire ad se domnum abbatem Costancium reddiditque omnia sicut Aimiricus Ostafrancs, et Guido [le vicomte de Limoges, frère aîné d'Aimeri Ier] atque Tifalgia, Aldiardis, Calci quoque soror eorum, pro anima patris sui G(eraldi) vicecomitis et Rotildis vicecomitisse matris eorum dederant... Sancto Petro, scilicet honorem otum... » (Coll. Baluze, CCCLXXVII, 32).

 

 

p. 143

Le fils d'Ermengard de Ribérac, Aimeri III, qu'on peut supposer né vers l'année 1005, était en 1069 marié à Aupais (Aalpaiz); à cette époque un laps de temps fort long s'était écoulé depuis la mort d'Aimeri II. Son fils, sentant sa fin approcher, restitua à Géraud, abbé d'Uzerche, une forêt donnée par son père à l'abbé Richard, devancier de Géraud (136).

Quelques années plus tard, sous cet abbé Géraud, Audegier II, fils d'Aimeri III, confirma les dons de ses divers ancêtres au même monastère (137). Un acte d'Audebert III de Rochechouart, frère et successeur d'Audegier II, daté de 1122, nous apprend que leur mère Aupais était soeur du vicomte Hélie Ier de Salagnac et tante des vicomtes Hélie II et Guillaume. Elle avait pour père le comte Audebert et pour mère la comtesse Asceline soeur de Renaud vicomte d'Aubusson et de Pernelle, unie à Hugues de Naillat (138).

Les limites du sujet ne comportent pas de recherches plus approfondies sur les alliances des châtelains de Rochechouart. Par l'examen des titres établissant les premiers anneaux de leur filiation, une des assertions de la Chronique de Guitres se trouve encore confirmée.

 

(136) « Testes: uxor ipsius Aimirici nomine Aalpaiz... in ipso castello Rochachauart, anno ab Incarnatione Domini MLXIX » (Collection Baluze, CCCLXXVII, 80).

(137) « Ildegarius vicecomes filius Aimirici de Rochachauart venit in monasterio Sti Petri Uz., ante domnum abbatem Geraldum et firmavit elemosinas, cum sacramento super reliquias et textum Evangelii, quas fecerunt antecessores sui de villa de Nioll et curte de Tollans ». (Coll. Baluze, CCCLXXVII, 81).

(138) Voir le Cartulaire de Bénévent-l'Abbaye (arr. Bourganeuf, Creuse). Ms. lat. 17116, fol. 71, 73, 130. ― L'église de Salagnac fut donnée à Guitres lors de la restauration de ce monastère. Cf. ci-dessus, p. 137 et note 119.

 

 

p. 144

X

Dée de Montignac, femme du vicomte Grimoard.

Généalogie des vicomtes de Limoges, des comtes de La Marche et de Périgord au Xe siècle.

 

Le vicomte Grimoard, d'après la Chronique de Guitres, épousa Dée de Montignac. Il y a de nombreuses localités de ce nom (139). Ecartant celle de l'Angoumois, avec lesquelles aucune relation n'est présumable, puisque le mariage de Grimoard se place vraisemblablement assez longtemps après la domination des comtes de Périgueux, alliés de sa famille, eut cessé sur le comté d'Angoulême, on peut se demander s'il s'agit de Montignac-sur-Vauclaire ou de Montignac-le-Comte, tout deux en Périgord. Le premier est, géographiquement, moins éloigné de Fronsac, et rapproché de Ribérac. Mais il est fort douteux qu'au Xe siècle il ait eu quelque importance; les chefs-lieux de seigneuries considérables ou de châtellenies à cette époque étaient des forteresses ou des bourgades fortifiées; on les rencontrait le long des cours d'eau fréquentés, où se faisait un trafic important de batellerie, et qui ouvraient l'accès des provinces traversées par eux ou au coeur desquelles ils prenaient leur source.

A ce titre, Montignac-le-Comte, dont l'existence est attestée en tant que place forte, à la fin du Xe siècle, doit être préféré. Situé sur la Vézère, à quelques lieues de son embouchure dans la Dordogne, il était par voie fluviale en communication fort aisée avec Guitres et Fronsac.

D'autres considérations militent en faveur de cette détermination.

 

(139) Montignac-le-Coq, canton d'Aubeterre, arr. de Barbezieux; Montignac-Charente, cant. de St-Amand de Boixe, arr. d'Angoulême; auxquels il faut ajouter Montigné, cant. de Rouillac, même arrondissement. L'une de ces localités est citée par Ademar (III, 60, édit. Chavanon, p. 186). Le comte Audouin II d'Angoulême en rebâtit (entre 1023 et 1026) le château en même temps que celui de Marcillac.

Montignac-sur-Vauclaire, près de la Chartreuse de ce nom, cant. de Montpont, arr. de Ribérac, est à proximité du cours de l'Isle, au-dessous de Mussidan et de Grignols.

Montignac-le-Comte, depuis appelé Montignac-Sarlat, est un chef-lieu de canton de l'arr. de Sarlat.

 

 

p. 145

Une petite-nièce de Grimoard, Nonie de Grignols, épousa Géraud de Montignac que l'on peut considérer comme un neveu de Dée, par application de la loi d'affinité d'après laquelle, en général, se contractent les alliances de ce temps là.

 

 

            Ays de Ribérac                           N. de Montignac

           |                                         |

    ――――――――――――――――――――――――――                        ――――――――――――

 Ermesende de Grignols  Grimoard == Dée              N.

             |                                       |

        N. ep. Nonie                                 |

             |                                Géraud de Montignac

    Ays Guillaume  Nonie ép. Géraud de Montignac

 

Les prénoms de Dée et de Géraud suggèrent un rapprochement qui contribue à éclairer la généalogie demeurée obscure jusqu'ici, des vicomtes de Limoges, des comtes de Périgord et de La Marche durant le Xe siècle.

En 895 mourut Jordan, vicomte de Limoges (140). Audebert lui fut substitué, et nous le trouvons en exercice (141) le 14 mai 904. Sa femme Autrude (Adeltrudis) dont le nom rappelle la mère de saint Géraud d'Aurillac, devait être la fille ou la soeur de Foucher, institué en 889 vicomte de Limoges par le roi Eudes (142).

Autrude donna à son époux un fils, Audegier (Hildegarius), vicomte de Limoges, et probablement un second, Foucher, que lui associe un acte de famille (143). Audegier épousa Thiéberge, dont le

 

(140) « Excessit hominem Jordanus proconsul ». ― Annales Lemovicenses, 895, ap. Pertz, Monumenta German. hist., Scriptores, II, 251.

(141) « Noticia quomodo pridie idus Maii, Pictavis civitate, Ebolus Pictavensium comes, cum optimatibus suis residens, Gualdone advocato Sancte Marie et Sancti Juniani ex Nobiliaco monasterio (Noaillé) proclamante rectum judicium de Aldeberto Lemovicensi, qui silvam que vulgo dicitur Boerecia prefato monasterio injuste tollebat, judicavit quod predictus Aldebertus silvam prenominatam Garino abbati et monachis ipsius loci legaliter redderet? Data in mense madio, anno VI regnate Karolo rege ». ― L'Espine, Collection de Périgord, LVII, 49.

(142) Collection Baluze, XLIV, 99. ― Ademar, III, 20 (texte du ms. lat. 5926). La leçon donnée par Chavanon appelle une rectification: « Odo... rex... constituit in ea urbe [Lemovica] via (corr. vice sui) Fulcherium, industrium fabrum in lignis, et Lemovicinum per vicecomites ordinavit ».

On retrouve le prénom de Foucher dans la filiation des vicomtes de Limoges comme prénom de clergie. Foucher, fils de Gui Ier, petit-fils de Géraud, arrière-petit-fils d'Audegier, fils d'Audebert et d'Autrude, fut moine d'Uzerche (Cartulaire d'Uzerche, fol. 141, 171; Collection Baluze, CCCLXXVII, 78).

(143) Cet acte sera cité plus loin. La chronologie permettrait d'admettre qu'à Foucher, fils supposé d'Audebert de Limoges, se rattachât directement Foucher de Chabannes qui épousa Aufais (Officia) nièce de Turpion, évêque de Limoges.

Un de leurs fils, qui fut doyen de Saint-Martial, s'appelait Audebert. Un autre, Raymond, fut père de l'historien Ademar qui naquit au plus tard en 988. Ainsi s'expliqueraient les souvenirs recueillis dans sa chronique sur le vicomte de Limoges Foucher, habile constructeur de charpentes, renseignement personnel qui semble bien provenir d'une tradition de famille.

 

 

p. 146

 nom s'est abrégé par une contraction auvergnate en Thierche. Il en eut deux fils, Géraud (Gérard) et Audebert. Ce point est établi par le témoignage de Gaignières (144) d'après un document de Saint-Martial; il résulte aussi d'une analyse qu'Ademar de Chabannes comprit dans ses annotations au manuscrit de Leyde: elle concerne une libéralité d'Audegier et Thiéberge à St-Cybar d'Angoulême (145). La femme d'Audegier est commémorée, sous le nom de Thierche, comme aïeule du vicomte Gui Ier fils de Géraud, dans un troisième document (146).

 Audegier ayant en 914 offert au Chapitre de Limoges (147) pour le repos éternel de ses père et mère, Audebert et Autrude, un domaine héréditaire: « Cavalliacus in pago Lemovico, quod mihi justissime a parentibus meis obvenit », se rattache dès lors à un précédent Audebert (Hildebertus) qui en 876 reçut (148) de la munificence royale ce même domaine. Le vicomte Audegier est mentionné, dans des chartes assez nombreuses, de 914 jusqu'en 937, date à laquelle il assiste à la fondation de l'abbaye de Chantolle en Bourbonnais (149).

 

 (144) Cet érudit copia, parmi les originaux tirés « d'un cofre à bandes de fer » de Saint-Martial, de passage d'un acte assez endommagé pour qu'on n'ait pu reproduire la suite du texte ni consigner la date: « Igitur ego in Dei nomine Aldegarius vicecomes et uxor mea Thietberga, et filii mei Gerardus et Aldebertus, pro remedio animarum nostrarum, dedimus sanctissimo Xristi discipulo Martiali, de hereditate nostra, scilicet, etc. (sic). » Ms. lat. 17118, fol. 121. L'abbé Nadaud, sans indiquer de source, avait noté cette filiation que M. de Lasteyrie négligea comme douteuse, jugeant prudemment la caution insuffisante (Etudes sur les comtes et vicomtes de Limoges, t. XVIII de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes-Etudes).

 (145) « Ecclesiam Sancti Petri in pago Sanctonico in vicaria Jogunziacense [Saint-Pierre, commune d'Archiac, arr. de Jonzac] in villa Noclaco [Neuillac], Ildegarius vicecomes et uxor sua Terberga. Signum Geraldi filii ejus. Signum Aldeberti. Monachi erant. ». ― Léopold Delisle, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, XXXV, 316.

 (146) Cartulaire d'Uzerche, fol. 140: « Tetrisca avia Guidonis vicecomitis ». ― Collection Baluze, CCCLXXVII, 78.

 (147) Collection Baluze, XL, 194. ― Collection Duchesne, XX, 63. Ms. lat. 9193, fol. 118.

 (148) Bouquet, Recueil des Historiens de France, VIII, 654.

 (149) Robert de Lasteyrie, ouvrage cité.

 

 

 p. 147

Lorsqu'il eut disparu, pour des causes politiques sans doute la vicomté passa en d'autres mains. Elle fit retour à Géraud, fils d'Audegier, à la suite de son union avec Rohaud (Rothildis), veuve d'Archambaud, qui avait occupé cette charge au début du règne de Lothaire. En 987 Géraud avait cessé de vivre. Il laissait six fils dont trois chevaliers: le vicomte Gui Ier, Aimeri Ostefrancon, tige de la maison de Rochechouart, père du gendre d'Ays de Ribérac, et Géraud, sire d'Argenton; trois clercs: Audegier et Audoin, successivement évêques de Limoges; Geofroi, abbé de Saint-Martial (150).

 Cette filiation ne constitue qu'une des branches de la généalogie. Il nous faut revenir au vicomte Audebert. Ayant perdu sa première femme Autrude, il prit une seconde compagne nommée Dée (Deda femina). Celle-ci en 920 fit remise (151) à l'église Saint-Etienne de Limoges de son propre alleu « in villa Adiola, pro remedio Hildeberti conjugis mei et pro dilecto quod commisit filius noster Hildebertus abba contra potestatem beati Stephani, et Turpii pontificis ipsius loci, consentiente filio meo Helia, pro animabus filiorum et parentum meorum ». Ainsi du second mariage du vicomte Audebert sortirent deux fils, un clerc, son homonyme, et un laïc, Hélie. La charte porte ces souscriptions: « Signum Helie. Signum Eldegarii. Signum Fulcherii ». Dée a fait souscrire cet acte expiatoire par son fils survivant, Hélie, et par ses beaux-fils, Audegier et Foucher. Plus tard « Doda et Helyas, filius ejus, iterum dederunt ad ecclesiam Sancti Stephani Adiolam (152) cum quatuor mansis, ad Vigennam fluvium sitis ». En 960 Amblard, archevêque de Lyon, confirme à l'évêque Ebles (153) cette propriété « in comitatu Lemovicensi, in vicaria Noviacensi, in villa que dicitur Oiolo ». Il rappelle que l'église

 

 (150) Collection Baluze, XLIV, 99.

 (151) Ms. lat. 9193, fol. 108.

 (152) Dom Estiennot a transcrit ce document dans ses Fragmenta Aquitanica, t. II, ms. lat. 12764, fol. 165. ― Dans la collection Baluze, XL, 194, cet acte est indiqué d'après le Cartulaire de la Cathédrale de Limoges.

 Turpion fut évêque de Limoges de 905 au 27 juillet 944, jour de sa mort. La date 920 attribuée à l'acte de Dée par les copies qui nous sont parvenues peut n'être pas rigoureuse.

 (153) Collection Moreau, IX, 128. ― D'après les indications fournies par toutes ces pièces, Adiola ou Oiolo paraît être Eyjaux, canton de Pierre-Buffière, à quelques kilomètres du cours de la Vienne, dans le voisinage de Neuvic, canton de Châteauneuf-la-Forêt.

 

 

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de Limoges l'acquit « multo jam tempore a quadam matrona, vocabulo Deda, et filio ejus, nomine Helia, jure perpetuo possidendam, per chartarum instrumenta tradendam et multis annis, sine contradictione nostrorum predecessorum, possessam, utpote in recompensatione cujusdam sui sceleris et noxe satis cumpabilis, episcopo Turpione... compellente, immo sacris legibus contantissime exigentibus ».

 Hélie n'est point un personnage inconnu. Ademar le qualifie dux, ce qui sous sa plume signifie tantôt duc et tantôt capitaine; il le signale comme ayant bénéficié d'une largesse que, peu avant de succomber (154), lui fit le comte d'Angoulême Arnaud Aoûteron, fils du comte Bernard Ier de Périgord. Ces inféodations à des chefs de troupes alliées, consenties aux dépens des églises (155), sont une conséquence de l'état social du Xe siècle, période où se reforma la carte politique et où les principautés tendirent à se constituer en rendant aux provinces qu'elles représentaient leurs frontières naturelles ou traditionnelles. Ici les Périgourdins, implantés en Angoumois par l'extinction de la branche aînée faute d'hoir légitime, s'efforçaient de se maintenir en s'assurant le concours d'auxiliaires qu'il leur fallait récompenser.

Le besoin de s'attirer des soutiens fut le motif, rappelé par la

 

(154) Ce passage d'Ademar (III, 28) est mal ponctué dans l'édition Chavanon; il doit se lire ainsi: « Arnaldus quidem, subtrahens Sancto Eparchio villam Salasensem et conferens Heliae duci, villa Boensi ab angelo percussus interiit et, hac de re, in fine mortis Sancto Eparchio villam Ajarniacensem contulit pro emendatione, et sepultus est juxta basilicam Sancti Eparchii ». Ce n'est pas Bouëx qui fut donné au duc Hélie, car cette villa resta dans le patrimoine des comtes d'Angoulême; plus tard Arnaud II (Taillefer ou Manzer) ayant arraché sa patrie à la domination des Périgourdins, y éleva le monastère de Saint-Amand dont le nom est demeuré associé à l'ancienne appellation (Saint-Amand de Bouëx, chef-lieu de canton de l'arr. d'Angoulême).

Saint-Cybar reçut d'Arnaud Ier Jarnac en compensation de la villa Salasensis, que nous croyons être Saillant, près Barbezieux, de préférence à Salas, commune de Saulgand, cant. de Chabanais, arr. de Confolens. Ce n'est sûrement pas Chez-Salais, comme l'a conjecturé l'éditeur.

Bouëx était, comme Saillant, une propriété de Saint-Cybar, dont le père d'Arnaud, Bernard Ier, avait déjà démembré Cellefrouin, sur le Son (cant. de Mansle, arr. de Ruffec) pour en gratifier son fidèle Itier, auteur présumé de la maison de Cognac (Ademar, III, 24, édit. Chavanon, p. 146).

(155) C'est le terme qu'emploie Ademar dans le passage relatif aux démembrements du patrimoine de Saint-Cybar que fit Aimeri de Mussidan « ducibus suis, ― quod vocature infeuvare ». Par une corruption bizarre du texte, ce dernier membre de phrase est devenu "ducibus suis qui vocantur Infernales!".

 

 

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Chronique de Guitres, qui décida Guillaume Taleran, frère et successeur d'Arnaud Ier, à s'attacher Aimon de Paris par des concessions territoriales.

Hélie, fils d'Audebert et de Dée, doit être, à nos yeux, le père de Boson le Vieux, tige des comtes de la Marche et de la troisième dynastie des comtes de Périgord. Il est remarquable, en effet, que le prénom d'Hélie, certainement étranger à l'ascendance d'Emme, femme de Boson le Vieux et fille de Bernard Ier, a été relevé avec une évidente prédilection par leur postérité; il en fut de même pour le prénom d'Audebert, inconnu chez les Vougrinides. On doit donc rechercher l'un et l'autre dans l'agnation de Boson-le-Vieux. Un indice non moins important confirme cette conclusion. Durant la période où le pouvoir des comtes de Périgord s'étendit sur le Limousin (156), Géraud, fils du vicomte Audegier, et Boson le Vieux furent ensemble confié à la garde d'Aimeri, abbé-laïc de Saint-Martial (157).

Boson Ier devint comte de Périgord après l'extinction des descendants mâles de Vougrin, et grâce à son mariage. C'est à celui de son père qu'il dut de gouverner la Marche. La Chronique de Maillezais (158) fait connaître cette alliance: en relatant la dédicace du monastère de Saint-Sauveur à Charroux, elle rapporte que le comte de la Marche était alors Audebert, fils de Bernard, fils d'Audebert, fils de Boson, fils de Suspic, dont le père fut Geofroi, comte de Charroux.

Suspic est le prénom féminin Soupice ou Soppite, dérivé de Sul-

 

(156) L'autorité de Bernard Ier sur le Limousin est attestée par Ademar (III, 24) elle lui avait été reconnue par Louis IV qui désignait les évêques de Limoges (Ib., III, 25) et les abbés de Saint-Martial (Ib., III, 29).

(157) « Hic [Aimericus abbas] Geraldum vicecomitem Lemovicensem et Bosonem Vetulum de Marcha in manibus suis habuit commendatos ». ― Ademar, II, 29; B. Itier, Chroniques de Saint-Martial, éditées par la Société de l'Histoire de France, p. 49.

Cet abbé prit, trois jours avant sa mort, l'habit de saint Benoît pour n'être point parjure au roi Louis IV, ayant prêté serment de se faire religieux lorsque ce prince lui donna la crosse (Ademar, édit. Chavanon, pp. 150, 202). Le ms. lat. 12747, fol. 406, substitue Lothaire à Louis IV, peut-être par allusion à son réinvestissement par le nouveau roi.

(158) « Anno 1047 fit dedicatio monasterii Sancti Salvatoris apud Carrofum, jubente Leone IX papa, ubi erant... Isembertus junior, episcopus Pictavensis, Guillelmus Acer (Aigret), comes Pictavorum, Audebertus comes Marchiae, qui fuit filius Bernardi, qui fuit Audeberti, qui fuit Bosonis, qui Suspic, qui fuit Goffredi comitis de Carofo ». ― Ms. lat. 12779, fol. 8.

 

 

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pitia et qui est devenu patronymique (159). Il se retrouve en Limousin au début du XIe siècle dans les alliances de la famille vicomtale (160). C'est du chef de son aïeul maternel que Boson le Vieux exerça dans la contrée la charge de marquis (marchio), titre qu'il prend dans des actes de 956 à 959 (161).

Les récits du Moyen âge font apparaître souvent une hostilité qui éclate entre collatéraux, descendant de deux frères issus de lits différents. Des prétentions simultanées à une charge ancestrale, à un héritage contesté, furent la source habituelle de ces brouilles. Ainsi advint-il à Géraud et Boson, que tous les souvenirs d'enfance et de jeunesse, du temps de leur commun séjour à Saint-Martial, en suffirent point à rendre amis. Dès qu'on les voit investis de fonctions politiques, leurs discordes ensanglantent la région (162) et se prolongent durant toute la fin de règne de Lothaire.

Ademar rapporte que la femme de Boson le Vieux qu'il nomme Emme (Emma) était soeur d'un Bernard qui, d'après lui, s'identifie avec Bernard Ier de Périgord (163). Boson serait ainsi l'oncle par alliance de Guillaume Taleran, qui reçut Aimon de Paris et ses chevaliers. Si l'on pense que les petits-enfants de Boson étaient en 1009 encore trop jeunes pour entrer en possession des charges comtales paternelles, on ne saurait admettre la conclusion d'Ademar. Il y a eu très vraisemblablement au Xe siècle deux comtes du Périgord du nom de Bernard.

Dans notre étude sur les Comtes héréditaires d'Angoulême de Vougrin Ier à Audoin II, nous avons précisé la généalogie de Bernard Ier de Périgord. Son aïeul Vougrin Ier, frère d'Audoin (Hilduin) abbé de Saint-Denis, de Géraud Ier comte de Limoges, de

 

(159) Jean Soppite fut premier chambellan de Henri IV (Depoin, Chronologie des abbés d'Abbecourt-en-Pinserais, p. 17; Bulletin historique et philologique, 1912, p. 184).

(160) Pierre, fils du vicomte Gui Ier, et sa femme Soupice (Sulpicia), après avoir réuni plusieurs églises au monastère de Tourtoirac (fondé par Gui Ier en 1025; cf. Dom Beaunier, Abbayes et Prieurés de l'ancienne France, édit. Dom Besse, III, 201), le soumirent à l'abbaye d'Uzerche (L'Espine, Collection de Périgord, LXXVII, 36).

(161) Collection Baluze, LXXIV, 168. ― Collection Duchesne, XX, 253. ― Ms. lat. 12764, fol. 155.

(162) « Geraldus, Lemovicinae urbis vicecomes, et Boso, Markam ipsius possidens regionem, contractis adversum se decertabant odiis ». ― Aimoin, Miracula Sancti Benedicti; Mabillon, Acta SS. ord. S. Benedicti, saec. IV, pars II, 367.

(163) « Aldebertus comes Petragoricensis, filius Bosonis Vetuli ex sorore Bernardi supradicti, nomine Emma... ». ― Ademar, III, 34; édit. Chavanon, p. 156.

 

 

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Guillaume connétable et comte de Blois, et du comte d'Orléans Eudes, était comme ceux-ci, un Francon, originaire de la Francia orientalis (164); il était l'oncle d'Ermentrude, femme du roi Charles le Chauve. Cette parenté lui procura une brillante alliance avec la soeur de Guillaume, comte de Toulouse et d'Agen. A la mort de celui-ci, en 860, Vougrin fut désigné pour administrer l'Agenois et garda ces fonctions durant vingt-six ans (165) jusqu'à son décès survenu le 3 mai 886. Le roi lui commit, après la mort tragique d'Emenon, la gestion du Périgord et de l'Angoumois. Les deux fils de Vougrin se partagèrent ses honneurs: Guillaume Ier fut comte d'Agen et de Périgueux; Audoin Ier, comte d'Angoulême.

Guillaume Ier épousa Relende (Regilindis), soeur des rois de France Eudes et Robert, dont le père , Robert le Fort, était, comme Vougrin Ier, « ortus de Francia ». Guillaume administra l'Angoumois pendant la maladie de son frère Audoin Ier, qui se prolongea sept années durant; il mourut entre 905 et 916, laissant pour héritier son fils Bernard Ier. Celui-ci réunit l'Angoumois à ses états après la disparition d'Ademar II, fils de Guillaume II, son cousin, et l'exhérédation d'Arnaud Manzer, frère adultérin d'Ademar. Quatre des fils de Bernard Ier le remplacèrent successivement à Angoulême; Arnaud Ier Aoûteron, Guillaume III Taleran, Ramnoul II Bompar et Richard le Fou; les trois derniers administrèrent aussi le Périgord. Mais Bernard Ier eut encore d'autres fils, deux tout au moins dont Ademar de Chabannes n'a pas rappelé le souvenir.

De Bernard Ier il subsiste en effet trois chartes qui font connaître ses alliances et ses enfants. Elles ont trait toutes trois au rétablissement de la discipline monastique dans certains établissements religieux tombés, à titre bénéficiaire, aux mains de ce comte. La

 

(164) Etudes préparatoires à l'Histoire des familles palatines, I, p. 1; III, p. 71.

(165) Ademar, III, 21; édit. Chavanon, p. 140. ― Depoin, Les Comtes d'Angoulême de 869 à 1032, tir. à part du Bulletin de la Société historique de la Charente, 1904, pp. 4-7. ― La femme de Vougrin Ier était fille de Bernard, duc de Septimanie, et de Doue (Duoda, Doda, Deda, qui se traduit par Douée ou Dée), soeur de l'impératrice Judith, et de la reine Emma de Germanie, et tante maternelle de Charles le Chauve. Vougrin était doublement allié de ce prince. Le relèvement du nom d'Emme (Emma) ou Aime (Aima, Ama) dans la filiation Vougrinide se trouve expliqué par cette généalogie.

La possession par Vougrin Ier du comté de Périgord est attestée par le Chronicon Aquitanicum: « 886. Vulgrinus, Petragoricum comes, obiit ». ― Pertz, Scriptores, II, 253.

 

 

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première qui n'est point datée, concerne le monastère de Saint-Sour; cette fondation prit son nom d'un ermite auquel le roi Gontran donna mission de bâtir un hospice pour les voyageurs (xenodochium), à deux milles d'Uriacum (156), Auriac, aujoud'hui compris dans le canton de Montignac, arrondissement de Sarlat.

Le meilleur texte de l'acte de Bernard concernant Saint-Sour dénomme ce lieu « monasterium Sancti Suris de Geredia, quod modo minime sub disciplina manet, sub potestate mea retinere pertimui ». On reconnaît dans Geredia, Grèzes, canton de Terrasson: c'est en effet Terrasson (167) qui répond, dans la suite des temps, à l'établissement que Bernard concède à un abbé Ays (Adazio abbati). Il déclare agir du consentement de sa femme Berthe et de ses fils Guillaume, Gausbert, Arnaud et Bernard.

Ays, qui administrait la communauté de Tulle, se rangea peu après sous la discipline de saint Odon, abbé de Cluny (168). Par une autre concession, datée du règne de Louis IV, et se plaçant dès lors entre le 19 juin 936 (jour de son avènement) et le 19 novembre 942 (quantième funèbre de saint Odon), Bernard Ier remit aux mains du supérieur de Cluny et de son coabbé Ays (Adacio coabbati) l'église Saint-Sauveur de Sarlat (169).

 

(166) Acta Sanctorum Februarii, I, 199-203.

(167) Marmier, Bulletin de la Société historique du Périgord, X (1883), p. 583. Cet auteur n'a connu que les mauvaises copies où Geredia est transformé en Genoliacus; c'est le texte que J. Delpit a édité dans les Archives historiques de la Gironde, comme une pièce du Cartulaire de Saint-Pierre de la Réole. Le meilleur texte est donné par D. Estiennot dans ses Fragmenta Aquitanica, t. IX, fol. 402, ms. lat. 12801, ancien Saint-Germain 568. Marca (Hist. du Béarn, p. 210), Baluze, Mabillon (Acta SS. ord. S. Bened., V, 149) n'ont connu que des transcriptions fautives. Le premier avait imprimé « monasterium Squirs », le second « monasterium Sancti Juris ».

(168) Les auteurs de la Gallia christiana nova (II, 1508) le croient « idem ac Adalazius, multorum monachorum pater, cujus memorat Johannes in libro II, cap. XII, de Vita Sancti Odonis ».

(169) Sur un rouleau de parchemin dont l'Espine a conservé le texte d'après les archives de Beynac, l'évêque de Sarlat, voulant combattre les prétentions du seigneur de La Roque, consigna en 1503 les traditions d'après lesquelles son église, fondée par Clovis, détruite par les Goths (dont les ravages causèrent aussi, d'après la Chronique de Guitres, la ruine du palais et de la sainte-chapelle du roi Yon) fut réédifiée par Pépin, saccagée par ses ennemis (le parti des ducs d'Aquitaine), réparée par Charlemagne et consacrée par Léon III; elle fut alors dotée d'un morceau de la Couronne d'épines. Le souvenir de Charlemagne est évoqué dans les lettres royaux de 1279 (Marmier, Bulletin de la Société hist. du Périgord, IX, 542). La tradition concernant l'obtention d'une relique de la Passion est indirectement confirmée par la consécration de l'édifice carolingien au Saint-Sauveur. ― A propos d'une autre dédicace d'église attribuée à Léon III, celle de Sorde au diocèse de Dax, un fragment curieux cité plus haut (p. 127, note 96) dit que ce pape descendait par sa mère des possesseurs de Saint-Astier et de Saint-Léon. Les deux localités portant aujourd'hui le nom de Saint-Léon (l'une près Saint-Astier, sur l'Isle; l'autre près de Montignac-le-Comte) doivent leur origine probable au patronage spirituel de Léon III qui fut canonisé peu après sa mort, et ce patronage dut être tout naturellement invoqué par des familles qui se rattachaient à celle de ce pontife. L'une de ces localités étant à proximité de Sarlat, Léon III put profiter de son dernier voyage en France pour visiter des parents et l'on saisit sans doute cette occasion pour lui demander de consacrer des églises situées sur son passage.

 

 

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La troisième charte de Bernard, aussi datée du règne de Louis IV (936-954) est postérieure à celle où figure la comtesse Berthe, car Bernard y nomme sa femme Gersende. Il se dessaisit de l'abbaye de Brantôme (170) en faveur d'un abbé Martin qui doit s'identifier avec Martin II, régissant Saint-Cybar d'Angoulême. Les considérations invoquées sont presque littéralement celles que met en avant le donateur de Saint-Sour; il redoute de conserver en commende un monastère d'où toute discipline est absente: « quod modo minime regulariter degit, sub jure meo retinere timui » et, dans l'une et l'autre restitution à l'ordre monastique il est stipulé que les successeurs de l'abbé réformateur seront librement élus par la communauté. Ces réminiscences sont une garantie d'authenticité, car on ne peut soupçonner, en raison des dissemblances de rédaction et de source, que ces pièces aient été façonnées l'une sur l'autre. Ainsi, dans le Périgord, l'administration de Bernard Ier se signale par trois au moins de ces restaurations d'abbayes qui frappaient l'esprit du comte de Bordeaux Guillaume le Bon et le déterminèrent, sous l'influence de l'exemple, à relever l'église de Sainte-Croix.

Le second des trois actes émanés de Bernard Ier fait mention de son cinquième fils Ramnoul II d'Angoulême. Il est probable que celui-ci succéda dans cette ville à Guillaume Taleran, tandis qu'à Périgueux Bernard II, quatrième fils de Bernard Ier, prit sa place, en sorte que l'assertion d'Ademar de Chabannes relative à la filia-

 

(170) Dom Estiennot a tiré du Cartulaire de Chanleuge (Fragmenta Aquitanica, t. III, fol. 289, ms. lat. 12795, ancien 562) cet acte que le scribe avait peu intelligemment transcrit. Le texte original: « Bernardus gra. di. (gratia Dei) Petrocoriensis comes » est devenu « Bernardus Grandin ». Le comte déclare concéder « monasterium Sancti Petri... quod vocatur Brantolma, quod olim constructus fuerat a dompno Karolo rege Francorum ». Voir à ce sujet un précédent chapitre p. 115.

 

 

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tion d'Emme, femme de Boson le Vieux, se trouverait parfaitement expliquée.

Boson le Vieux vivait encore en 987, date à laquelle, avec l'agrément du roi Hugues et de son fils Robert, il fonda le Chapitre du Dorat (171). En cette circonstance il ne prend pas le titre de marquis, mais celui de comte, et telle est sa volonté: « cum uxore mea Ayma et filio meo Helia vel familiare nostro (172), sub divina Providentia destinare unam capellam in honore sancti Petri, cum consensu filiorum Hideberti, Hosberti seu Bosoni, vel fidelium nobis consentientium ». Boson nomme ici quatre enfants: Hélie, Audebert, Gausbert (173), Boson II. Il en eut un cinquième, Martin, évêque de Périgueux, enterré à Saint-Front (174) en l'an mille: ce fut lui qui donna Saint-Astier aux descendants d'Alguier de Paris.

Du vivant de Boson, son aîné Hélie avait obtenu par des présents que son suzerain, Guillaume IV d'Aquitaine, vînt assiéger le château de La Brosse appartenant à Géraud de Limoges. Gui, fils du vicomte, accourut, conduisant les milices d'Argenton, il délivra la place, non sans avoir fait des assaillants un tel carnage que les moines, ne pouvant suffire à enterrer les morts, durent se borner à tracer de profonds sillons avec des charrues et à y coucher des cadavres (175).

Cependant, d'après le témoignage d'Ademar (176), l'avantage resta au fils de Boson. Mais plus tard celui-ci, étant devenu l'ennemi de Benoît, coadjuteur d'Ebles, évêque de Limoges, le captura et le priva de la vue. Ebles alors très âgé (177) et qui pensait laisser à Benoît

 

(171) Robert intervient sans être qualifié roi: la charte se place donc entre le 3 juillet 987 et le 1er janvier 988 (Collection Duchesne, XX, 290).

(172) Familiare a ici le sens de familia, restreint au foyer.

(173) Gausbert porte le prénom d'un des frères de sa mère, qui, comme celui-ci sans doute, fut voué à l'Eglise. C'est un prénom avunculaire, qui se transmet de famille en famille aux enfants destinés à la cléricature. Au IXe siècle, il fut porté, comme celui de Ramnoul, par la famille des comtes du Maine issus de Rorgon Ier, fils de Gauslin, à titre de prénom laïque. Il est donc vraisemblable qu'Emme, femme de Boson, descendait de cette souche; il en est de même pour Hugues Capet, qui donna le prénom de Gauslin à un de ses enfants, et, pour Louis d'Outremer, qui appela Rorgon un des siens, l'un et l'autre enfants naturels et faits clercs, puis évêques.

(174) L'Espine, Collection de Périgord, XXXV, 80.

(175) Aimoin, De miraculis sancti Benedicti, I, 16.

(176) Ademar, III, 25; édit. Chavanon, p. 147.

(177) Nommé évêque par Louis IV en 944, il mourut en 992.

 

 

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sa charge épiscopale, fut au désespoir de cette cruauté. Il était l'oncle paternel de Guillaume Fièrebrace, et celui-ci n'oublia point une telle offense. Aussi quand, après la mort de Boson et de Géraud la guerre recommença entre Limousins et Périgourdins, le vicomte Gui Ier ayant à son tour fait prisonnier le comte Hélie, et le retenant sous bonne garde au château de Montignac, le duc d'Aquitaine insista pour que la peine du talion fût infligée au vaincu. Hélie averti réussit à s'évader et, peu de temps après, mourut sur le chemin de Rome où il se rendait pour obtenir son pardon du Souverain Pontife. Gausbert, autre fils de Boson, subit le triste sort auquel son aîné put échapper. Leur frère Audebert, retenu longtemps captif dans la tour de Limoges, ne recouvra la liberté qu'en épousant Aumonde (Almodis), soeur de Gui, dont il eut Bernard, tige des comtes de la Marche (178).

Nous venons de rencontrer, à plusieurs reprises, dans ce résumé historique, le château de Montignac-le-Comte ou ses proches abords. Gui de Limoges s'en était rendu maître, mais on ne saurait douter qu'avant lui il n'ait appartenu à Bernard Ier de Périgord. On peut ainsi regarder Dée de Montignac, femme de Grimoard de Fronsac, comme l'arrière-petite-fille de Dée de Limoges, et la petite-fille d'Hélie. Elle est issue, vraisemblablement, d'un oncle paternel ou d'une tante paternelle de l'évêque Martin, et l'on conçoit dès lors que cette alliance venant après celle de Boson le Vieux et d'Emme de Périgord, coïncide avec la concession de Saint-Astier aux vicomtes de Ribérac et de Fronsac. Boson, possédant Montignac du chef de sa femme, a pu tout naturellement confier la châtellenie à un très proche parent; et si, plus tard, celui-ci ou son héritier se trouva dépossédé momentanément par les Limousins, on ne peut douter qu'après la paix faite et l'alliance conclue, la restitution de ce châ-

 

(178) Annales Egolismenses, ap. Pertz, Scriptores, IV, 5. ― Ademar, ibid. Ces évènements se placent après janvier 988, date à laquelle Audebert assiste à un acte du comte Guillaume de Poitiers (Guillaume IV Fièrebrace, duc d'Aquitaine), dont le texte est dans la collection Baluze, XXXVIII, 195, et avant la retraite de ce duc, dans l'abbaye où il mourut en 994. Un acte de Guillaume IV, du 20 avril 991, accordant une faveur à l'abbaye de Noaillé, porte la souscription: « Signum Aldeberti comitis » (Mémoires des Antiquaires de l'Ouest, 1847, p. 63). En décembre 992 Audebert souscrit (Signum Hildeberti comitis) une charte de Guillaume IV, Emme sa femme et leur fils Guillaume V (Copie de D. Fonteneau, ms. lat. 18390, p. 41; collection Moreau, XV, 35). ― Le mariage d'Audebert se place donc avant le 20 avril 991.

 

 

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teau n'ait été comprise dans le contrat de mariage qui unit Aumonde de Limoges à Audebert de La Marche (179).

Le comte, dépendant, gardait envers la maison d'Aquitaine une animosité profonde. Après la mort de Guillaume Fièrebrace, il déclara la guerre à son fils Guillaume V le Grand. Le jeune duc appela à son aide le roi Robert. En 997 celui-ci vint assiéger le comte (180). Audebert avait détruit le château de Gençay; réédifié entre temps par Guillaume, il était assiégé par son ennemi, qui pensait le renverser de nouveau, lorsqu'au moment où se croyant déjà victorieux, Audebert chevauchait à l'entour, comme en pleine sécurité, une flèche l'atteignit mortellement (181). Il succomba le 14 février 998. Sa veuve Aumonde convola aussitôt avec le duc d'Aquitaine (182). Robert revint à la charge avec ses troupes, mais ne put triompher de la résistance des Périgourdins et se retira.

La même année, Boson II, frère et successeur d'Audebert, réunissant tous les états soumis à la domination paternelle, faisait, avec son frère Gaubert, à la prière de celui-ci et pour le repos de son âme, donation d'une église en Limousin au monastère d'Uzerche (183).

 

(179) Cette alliance était parfaitement correcte au point de vue canonique, à la fin du Xe siècle. Elle se dessine ainsi:

 

               Audebert de Limoges

ép. 1° Autrude.          2° Dée

Audegier                    Hélie

Géraud                       Boson le Vieux

Aumonde                   Audebert

 

Nous reviendrons au chapitre suivant sur la suite des comtes de Périgord au début du XIe siècle.

(180) « 991. Rotbertus rex in Aquitania, ob nepotem suum Willelmum, obsidione Hildebertum premit ». ― Richer, Notes annalistiques additionnelles à son Histoire. ― Cf. F. Lot, les Derniers Carolingiens, p. 358.

(181) « Aldebertus, capto Gentiaco castro et destructo, itemque a Willelmo reedificato, dum idipsum obsedisset, ut secundo destrueretur, et securus circumequitaret, ut jam victor, ictu sagitte mortuus est ». ― Ademar, III, 35. ― Le rétablissement de Gençay s'était fait évidemment grâce à l'appui de Robert. L'échange de propos légendaire qu'Ademar prête au roi Hugues et à Audebert: « Qui t'a fait comte? ― Qui t'a fait roi? » montre, quelque cas que l'on doive en faire, la tension des rapports entre les Capétiens et la maison de La Marche.

(182) « Surrexit pro eo [Aldeberto] Boso, frater ejus. Tunc Willelmus, accepta in matrimonio Adalmode, conjuge supradicti Aldeberti, Rotbertum regem accersivit, ad capiendum castrum Bellacum, quem tenebat Boso. Omnis Frantia bellatrix eo conflixit, sed frustrata, post multos dies, cum suo rege recessit ». ― Ademar, III, 35.

(183) « Ego in Dei nomine Boso comes, pro remedio anime dilecti fratris mei Gauberti cujus desiderio hujus privilegii tenorem stabilitare decrevi, et ad petitionem nobilissimi viri ac fidelis nostri Hugonis Garrell, transfundo quandam ecclesiam... olim a parentibus meis jure antiquitus possessam... in honore Sancte Marie... in pago Lemovicino, a vico Ageduno non longe sitam,... in cenobio et religione monachali... Deo et Sancto Petro Uzercensis cenobii tradimus sub dominatione Adalbardi abbatis. Constituimus hoc privilegium ego Boso et frater meus Gaubertus, ob consensum Alduini episcopi et consilio Rotgerii de Leron et Hugonis Garrell... quatinus mei et fratris mei Ildeberti memoria fiat... Testes ipse Bozo comes Marcie qui hoc firmavit, et Gaubertus frater ejus, Alduinus episcopus, Adalbertus abbas, Hugo Garrell, Ramnulfus frater ejus, Rotgerius de Leron, Bozo de Turre, Guido frater ejus, Humbertus Drut, Geraldus Amekius de Payzac, Gosuinus monachus, Josue, Radulfus monachus qui hoc privilegio scripsit anno Incarnationis Dominice DCCCCLXXXXVIII, indictione X, regnante rege Rotberto ». ― Coll. Moreau, XVI, 145. ― Ms. lat. 12747, fol. 695. ― Coll. Baluze, CCCLXXVII, 90. ― Ms. lat. 18399, fol. 367. ― Gallia christiana, II, Instrum., col. 190.

 

 

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La guerre continuait encore entre Boson II et Guillaume le Grand. Ademar (184) cite l'épisode du siège de Rochemaux, près de Charroux, enlevé par le comte de la Marche et repris par le duc avec l'appui du comte d'Angoulême Guillaume IV, son fidèle ami, « avec qui ― dit l'historien ― il ne faisait qu'un coeur et qu'une âme ».

La paix suivit de près ces évènements. Elle était rétablie aux environs de l'an mille. Lorsque, vers cette date, Guillaume V, confirmant la fondation de Bourgueil, dota cette abbaye avec le concours de sa mère Emme et de sa femme Aumonde, Boson II fut l'un des témoins de ses libéralités (185).

On le voit, un peu plus tard, en bons termes avec la maison de Limoges. Il donne son concours avec une garde nombreuse, lorsqu'il transporte le corps de saint Valéry à Limoges, l'ayant tiré d'une église injustement enlevée par des seigneurs puissants à son monastère de Saint-Martial (186).

La souscription de Boson II se montre (187) encore au bas d'une pièce de l'an 1008-1009. C'est donc en 1009 au plus tôt qu'il périt, empoisonné par sa femme. Le duc d'Aquitaine s'empara de Péri-

 

(184) Ademar, III, 42.

(185) Ms. lat. 17127, fol. 136. La charte dont presque tous les témoins se trouvent réunis pour un autre acte passé en l'an 1000 (Ibid., fol. 134), est mal daté: « Actum Malleacensi monasterio, in solemnitate beati Johannis Evangeliste, anno Incarnationis Dominice M. IIII, regnante Rotberto rege anno XIII ». (Coll. Baluze, XXXVIII, 192). ― Il est intéressant de remarquer que l'abbé institué à Bourgueil se nommait Gaubert.

(186) Ademar, III, 43.

 

 

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gueux ― où le défunt venait d'être inhumé ― se déclarant le tuteur de ses fils et de son neveu Bernard, fils d'Audebert et d'Aumonde. Il institua Hélie II, fils aîné de Boson, comte de Périgord, et rendit la Marche à Bernard; deux personnages considérables, Humbert Le Dru et Pierre son frère, abbé du Dorat, administrèrent le pays jusqu'à la majorité du jeune héritier d'Audebert (188).

Parmi les chartes provenant des archives d'Uzerche, envoyées au Ministère de l'Instruction publique en 1837, on cite (189) une donation de Bernard, comte de la Marche, intitulée: « Privilegium de ecclesia Sancti Vincenciani ». On trouve sa souscription à deux donations faites à Saint-Jean d'Angely, l'une (190) en mars l'avait remplacé. C'est le « comes Hildebertus de illa Marchia » qui en 1059 assista (192) au sacre de Philippe Ier et dont la fille, Judith, mariée à Simon, comte de Mantes et de Crépy, s'en sépara en formant de concert avec lui, le voeu de chasteté religieuse.

Vers 1057, le comte Audebert, fils de Bernard, et son frère Eudes, de concert avec leur mère, avec Aimeri de Gençay et son fils Géraud, leurs vassaux, renoncèrent à de mauvaises coutumes qu'ils percevaient sur une terre de l'abbaye de Noaillé (193).

 

(187) « Signum Bosonis comitis ». (Ms. lat. 10122, fol. 117).

(188) « Bosone interea comite veneficiis uxoris sue necato, et Petragoricae sepulto, et urbe ipsa a Willelmo duce capta, tutor filiorum ejus et nepotis fuit idem dux; et, filio Bosonis Heliae concessa urbe Petragorica, Bernardo filio Hildeberti reddidit Marcham. Et, donec viriles annos attingeret aetas Bernardi, injunxit eam regendam fortissimis pricipibus, duobus germanis, Petro abbati et Umberto Druto ». ― Ademar, III, 45. ― On a vu Humbert Le Dru associé à l'acte de Boson II, en 998, pour Saint-Pierre d'Uzerche (note 183).

(189) Documents historiques édités par le Ministère de l'Instruction publique: Mélanges, I, 442. Une charte de Raingarde, nobilissima mulier, donnée sous le règne de Robert II (avant 1031) porte ces souscriptions: « Signum Bernardi comitis, Signum Aldeberti (son fils), Signum Petroni fratris sui ». (Ms. lat. 10122, fol. 68). Pierre ou Pierron était un prénom de la maison de Limoges, à laquelle appartenait Aumonde, mère de Bernard.

(190) Guillaume VI d'Aquitaine, Eudes, comte de Gascogne, son frère, Geofroi, comte d'Angoulême, souscrivent également avec les prélats de Bordeaux, Angoulême, Périgueux et Limoges. (Ms. lat. 18388, fol. 51-52).

(191) Donation de l'église de Romacoculus, sans doute Romaneau, près Saint-Fort-sur-Gironde (Charente-Inférieure). ― Collection Baluze, XXXVIII, 100.

(192) Gallia christiana, X, 123.

(193) L'Espine, Collection de Périgord, LVII, 48, d'après l'original aux Archives de Noaillé.

 

 

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La présence d'Audebert II (Aldeberto comite Marchie) est encore constatée dans un acte de Saint-Cyprien de Poitiers qui suivit de près l'élection de l'évêque Pierre en 1087 (194). Son fils Boson III, qui lui est associé dès le mercredi 29 décembre [1081] dans un acte passé à Charroux (195), gouverna la Marche après lui, de 1088 à 1091. Eudes, fils de Bernard, prit alors, comme légataire de son neveu, le titre de comte.

C'est Bernard, père d'Audebert II et d'Eudes, qu'épousa Amélie de Montignac, fille de Géraud et de Nonie de Grignols. Une notice concernant l'abbaye d'Uzerche, sous le rectorat de Géraud (mort en 1096), rappelle qu'Eudes (196) lui donna une terre « pro anima patris sui Bosonis comitis qui, in ultimo vite positus, omnem comitatum suum ei [Oddoni] dedit, duorumque fratrum suorum [Bosonis], filiorum est apud monasterium Aginnum, VII kal. Maii ».

Une fille de Bernard et d'Amélie, soeur des comtes Audebert et Eudes, fut une Aumonde relevant le prénom de son aïeule maternelle. Elle eut une existence fort mouvementée (197). Mariée en 1043 à Guillaume VIII (alors appelé Geofroi) d'Aquitaine, elle vit son mariage rompu pour un empêchement de parenté qui fut découvert. Pareil sort advint à l'alliance qu'elle conclut ensuite avec Hugues V de Lusignan. Il en fut de même une troisième fois avec Ponce, comte de Toulouse; elle dut s'en séparer après lui avoir donné plusieurs enfants, dont le célèbre Raymond de Saint-Gilles. Enfin elle trouva un foyer stable à Barcelone. Un acte de 1068 la montre aux côtés de son mari, Raymond Bérenger II, entourée de

 

(194) Ms. lat. 10122, fol. 8.

(195) « Apud Carrofum in domo Ildeberti comitis ». ― Coll. de Périgord, LXXVII, 69. ― Boson prit le titre comtal du vivant de son père, dans un acte où est nommée la comtesse Poncie (Ib., 73).

Sur la date du 29 décembre 1081, cf. Leroux. Chartes du Limousin antérieures au XIIIe siècle, dans le Bulletin de la Société hist. de la Corrèze, 1900, p. 213.

(196) Cartulaire d'Uzerche, fol. 80; Coll. de Périgord, LXXVII, 72.

(197) Chronique de Maillezais, Ms. lat. 12779, fol. 8. ― Guillaume de Malmesbury lui donne deux maris seulement, dont l'un (un comte d'Arles) ne fut pas le sien. Catel (p. 632) n'a connu que Ponce et Raymond Bérenger. L'Art de vérifier les Dates (t. II, p. 293) n'a pas utilisé la Chronique de Maillezais, aussi n'a-t-il pas donné le nom de la première femme de Guillaume VIII qu'il dit fille d'Audebert II (Ib., p. 357), alors qu'elle était sa soeur.

 

 

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trois jeunes enfants (pueri nostri), Pierre, Raymond et Bérenger (198). Elle devint veuve en 1076.

La mère d'Audebert II est appelée "Ama comitissa" dans une fondation qu'en 1072 elle fit au même monastère pour les âmes de ses parents, avec le concours de son fils, de Pierre de Montault et de Guillaume de Montignac (199).

Si le château de Montignac n'a point vu changer, au cours du XIe siècle, la souche de ses dynastes, comme nous avons tout lieu de le penser, leur filiation s'établit ainsi:

 

              Audebert de Limoges ép. Dée.

                      |

              Hélie ép. Soupice de Charroux.

                      |

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                                     Boson-le-Vieux   N. de Montignac

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                         Audebert Ier            N.    Dée ép. Grimoard

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                   Bernard de la Marche             Géraud de Montignac Amélie de Fronsac

                   ép. Amélie de Montignac        |    ép. Nonie de Grignols

                   |                             |     comtesse de Périgord

|                       |

                   Audebert II Amélie de Montignac

                   comtesse de la Marche

 

La parenté de Bernard et d'Amélie est, pour l'époque probable de leur union, vers 1020, conforme aux conditions requises par le droit canon, qui bientôt après devinrent plus sévères.

 

(198) D. Vaissette, Hist. du Languedoc, édit. 1885, Preuves, V, 558. ― Elle nomme sa mère Amélie dans un acte cité par Catel d'après Francesco Diego, Los antiguos Condes de Barcelona, lib. II, cap. 40.

(199) « Ego Ama comitissa perpendens et considerans fragilitatem meam... requirente et exigente domno Geraldo, Usercensi cenobii abbate per quemdam nuncium..., cum concilio et voluntate filii mei Aldeberti, do quandam hereditatem meam (deux alleus dans la paroisse d'Espartignac) Sancto Petro ad Usercam..., ut pius Dominus... det... absolutionem animae patris mei, Geraldi de Montiniac, vel animae matris meae, Noniae de Granol... Auctores hujus rei fuerunt Ama comitissa et Aldebertus filius ejus, Petrus de Montelt, Guillelmus de Montiniac... Factum est donum istud anno Incarnati Verbi MLXXII, Philippo rege regalia sceptra tenente; Alexandro papa, auctore Deo, Sedem apostolicam illo in tempore gubernante ». ― Coll. de Périgord, LXXVII, 53. Collection Baluze, LIV, 85, d'après le Cartulaire d'Uzerche, fol. 528. Le nom de la comtesse est transcit « Aina ». M. Richard, dans son Histoire des comtes de Poitou, accueille cette leçon fautive. ― L'acte est antérieur à la mort d'Alexandre II (21 avril 1073).

 

 

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XI

Les filles du vicomte Grimoard: Alaas, comtesse d'Angoulême;

Amélie, comtesse de Bordeaux et de Périgord.

 

D'après la Chronique de Guitres, Grimoard de Fronsac n'eut que deux filles, nécessairement ses héritières. L'aînée, Alaas, fut comtesse d'Angoulême; la seconde, Amélie, comtesse de Périgord. L'existence de l'une et de l'autre, sous le règne des rois Robert II et Henri Ier, est parfaitement établie. Il s'agit de rechercher si la filiation que leur attribue le chroniqueur est authentique.

Pour Alaas, il serait difficile de le nier. Ademar de Chabannes s'exprime ainsi (200) au sujet d'une visite que fit Ouri, abbé de Saint-Martial, au comte Audoin II administrant l'Angoumois durant le séjour de son père Guillaume IV en Terre-Sainte (1026-1027):

« Qua tempestate, Odolricus Sancti Marcialis abbas venit ad Ilduinum comitem. Ipse vero tunc donavit Sancto Marciali ecclesiam Sancte Marie, in territorio Burdegalensi, cum insula magna Dordoniae in qua est sita; et est ipsa insula vel aecclesia uno plus miliario a castro Fronciaco, quod erat in dominio proprietatis supradicti comitis, cum omnibus in circuitu terris et castellis. Quam possessionem retinebat ex jure hereditario uxoris suae, nobilissimae comitissae Alaiziae ».

Ainsi le futur héritier de Guillaume IV, Audoin II d'Angoulême, est l'époux, dès 1023, d'une très noble personne, Alaizie, du chef de laquelle il acquiert des droits successoraux sur le château de Fronsac, et la seigneurie des terres et des châteaux qui l'entourent. En vertu de ces droits, il fait don à l'abbé de Limoges d'une église de Sainte-Marie et d'une île importante de la Dordogne où elle est située, à un peu plus d'un mille romain (moins d'une demi-lieue) du château de Fronsac.

D'après la Chronique, il y avait à Fronsac, sous Grimoard, une terra Sancte Marie; les vicomtes accordèrent aux moines de

 

(200) Ademar, III, 68; édit. Chavanon, p. 194.

 

 

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Guitres la jouissance de tous les droits de coutume qu'ils exerçaient sur elle et sur le bourg de Fronsac. Ils donnèrent en même temps à Guitres une île sur la Dordogne, renommée par les nombreuses reliques de saints qu'elle avait recueillies. Cette ecclesia Sancte Marie n'était point dans le château de Fronsac, puisque là se trouvait une chapelle dédiée à saint Pierre, que les restaurateurs du monastère de Guitres lui offrirent avec l'église Saint-Martin de Sablons.

Il existait encore à Fronsac une église de Sainte-Geneviève affectée à une communauté qui fut, avant le XIIe siècle, unie à Saint-Ausone d'Angoulême. Ce fut encore une suite de la politique d'Audoin II; et l'on semble autorisé à lui attribuer, ainsi qu'à sa femme Alaas, la décision, certainement imputable aux patrons de l'abbaye, qui transféra l'administration de la communauté entre les mains de l'abbé de Baignes.

Arnaud Taillefer (Manzer), aïeul paternel d'Audoin II, avait fondé le monastère de Saint-Amand-de-Bouëx. Le second abbé de cette communauté, Audegier, acquit, tant par don que par vente, de Rohon, évêque d'Angoulême, la moitié du domaine de Guissalle (201) avec ses dépendances, au prix de 150 sols; et d'autres propriétés moyennant un cheval et un cens annuel d'une livre de poivre à la Saint-Pierre d'été. L'acte qui se place (202) entre 1021 et 1024 fait connaître les fils d'Alaas (203) et d'Audoin: ils se nommaient Guillaume et Arnaud. Par une décision de leur aïeul, à son lit de mort, ces deux enfants furent exhérédés, et Guillaume IV déclara qu'après la mort d'Audoin, le comté d'Angoulême passerait à Geofroi, son cadet. Nous avons exposé ailleurs (262) les motifs qui déterminèrent le vieux comte à déshériter ses petits-fils.

 

(201) Commune de Vindelle, cant. d'Hiersac, arr. d'Angoulême.

(202) Depoin, Les comtes d'Angoulême, p. 23.

(203) Voici le texte intégral que Baluze, d'après l'original, substitua à la transcription fautive du Cartulaire de Saint-Amand:

« Ego Roho episcopus, propter redemptione anime mee, habeo magnam amiciciam ad locum sancti Amantii confessoris et, pro amore domni Willelmi comitis et uxoris ejus, nomine Gerbergae, et filiorum, Alduini et Gaufridi, cum uxoribus et filiis, sive pro amore domni Adalgerii abbatis, et pro redemptione animarum supramemoratorum, vel pro redemptione animarum omnium antistitum qui ante me precesserunt et qui post me futuri sunt, sive pro omnibus canonicis qui adhuc vivunt, dono atque vendo domno Adalgerio abbati villam nomine Quinzalas, de omnibus medietatem terris, vineis, silvis, pratis, aquis, farinariis, tegulariis, vel quantum ad ipsam villam pertinet, de omnibus medietatem, et accepi precium sicut inter nos complacuit, videlicet CL solidos. Et in curte de Varno insula deana calciata usque ad Rabistater (sic), videlicet aquam, terram, silvam; et de hoc similiter accepi precium, videlicet unum caballum. Censum vero reddat domnus Adalgerius abbas ad festum Sancti Petri apostoli que est XIII° kal. Julii in aestate, videlicet unam libram piperis, ad Episcopum. Et ut in presens venditio ista omni tempore firma et stabilis permaneat cum stipulacione submixa, ego Roho episcopus manu propria firmavi et adfimare rogavi ».

« Signum episcopum Iselum (Izelon de Saintes, 1002-1029).

Signum Arnaldum episcopum. (Arnaud de Périgueux, 1009-1033).

Signum Willelmum filium Ilduini et Arnaldum fratrem ejus.

Et Arnaldum archidiaconum, Ramnulfum thesaurarium, Heliam prepositum.

Heliam Viger. Robertum de Munberols. Iterium de Villaboen. Arnaldum fratrem ejus.

Aaleum de Jernac et Heliam fratrem ejus. Seguinum.

Regnante Rotberto rege ».

 

La copie précédente faite par Baluze portait des souscriptions différentes et maladroitement corrigées: « S. Willelmi comitis. S. Arnaldi comitis. S. Ramnulfi thesauratii. S. Arnaldi cantoris. S. Aldegarii abbatis. S. Ramnulfi abbatis. Regnante Henrico rege ». (Coll. Baluze, XXXVIII, 127).

(204) Commune de Matha (Charente-Inférieure).

(205) « Ego igitur in Dei nomine Emma nobilissima tractavi de Dei timore et aeterne retributione in die vero obitus mei, precepi fratrem meum nomine Willelmum cum aliis amicis meis, ut corpus meum ad monasterium Sancti Johannis, qui vocatur Albugis... Auctores fuerunt hujus rei Bernardus, vir ejus, et Helias filius ejus et Willelmus filius ejus, necnon et Alduinus comes, qui tunc erat in castello Marestasio, et cuncti proceres manentes in eodem castro. Facta est autm hec donatio Idus Julii, anno millesimo tricesimo ab Incarnatione Domini nostri Ihesu Xristi... Signum Geraldi de Doziao. S. iterii de castro Comniaco. S. Helie de Jarniaco ». ― Ms. lat. 18388, fol. 47; tiré du Cartulaire de Saint-Jean d'Angely.

Le silence gardé sur Alaas paraît significatif. Elle aurait dû se trouver au chevet de sa fille mourante. Peut-être l'avait-elle précédée dans la tombe.

 

 

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Elle possédait en commun avec Guillaume V d'Aquitaine un alleu en Aunis, Carantiniacus, comprenant des dépendances dans le château de Melle (206). Ce duc avait dû inféoder une part de ce domaine aux ascendants de sa copropriétaire. Ademar rapporte (207) que Guillaume le Grand concéda au père d'Audoin II, à charge d'hommage, la vicomté de Melle, celle d'Aunai en Saintonge, Rochechouart, Chabanais, Confolens et Rouffiac.

C'est vraisemblablement des descendants d'Alaas, privés du comté d'Angoulême, que sont issus les vicomtes de Fronsac. Le Cartulaire de la Sauve-Majeure mentionne (208) dès 1080 Gaucelin Arnaud qui devance de beaucoup ceux dont parle Guinodie (209). Il se rattache apparemment au second fils d'Audoin II. Nous n'avons pas à rechercher ici la série complète des successeurs de Gaucelin. Le prénom de Guillaume est par eux relevé avec prédilection, mais il est tout à fait remarquable que les surnoms ataviques alternant pour distinguer ces homonymes soient pris dans le groupe primitif des chevaliers de Paris tel que le présente la Chronique de Guitres. On trouve un Guillaume Aimoin et son frère Raymond de Fronsac à la fin du XIIe siècle, un Guillaume Aïs en 1209, un Arnaud Aimon en 1245 (210); un autre Raymond en 1285, un second Guillaume Ays et un Auger en 1372 (208).

Guillaume Aimoin est le premier vicomte dont Guinodie ait recueilli le nom. Il fit avant 1189, des libéralités aux moines de Faise (211) et en 1191 il accompagna Richard Coeur-de-Lion, duc d'Aquitaine et roi d'Angleterre, à la Croisade (209). Il figure le 3 février

 

(206) Coll. Baluze, XXXVIII, 106.

(207) Ademar, III, 41; éd. Chavanon, p. 165.

(208) Coll. de Périgord, XXXV, extraits du Cartulaire de la Sauve-Majeure concernant Fronsac.

(209) Histoire de Libourne, t. III, p. 155.

(210) Il se qualifie damoiseau de Fronsac dans un accord avec le prieur de Sainte-Geneviève sur une question de cens (Archives hist. de la Gironde, XXXVIII; Cartulaire de Sainte-Geneviève de Fronsac, n° 1, p. 2).

(211) Commune de Lussac de Libourne.

 

 

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1190 au nombre des témoins d'un diplôme de ce prince confirmant à la Sauve-Majeure tous ses biens (212). Le Cartulaire de ce monastère conservé à la Bibliothèque de Bordeaux constate que « Guillelmus Amauini et Raimundus de Fronsiaco, frater ejus », donnèrent, sur le cour de la Virvée (213), deux moulins et un quartier de terre pour y élever une maison « et dederunt mandatores Raimundum Guillelmi de Fronsiaco et Arnaldum Grimoardi ». Nous avons déjà rencontré en 1081 ― un siècle auparavant ― un Arnaud Grimoard, frère de Guillaume Grimoard, sire de Montcaret, très proche parents d'un Grimoard Aimoin et de ses fils Pierre et Grimoard (104). Ce premier Arnaud Grimoard est apparemment le seigneur de Montanceix contemporain, associé à Guillaume Grimoard comme témoin d'un acte d'Alguier de Mussidan, et qui fut sans doute le beau-père de celui-ci.

En se reportant au chapitre où nous avons recherché les vicissitudes par lesquelles passa la châtellenie de Mussidan du XIe au XIIIe siècle, on admettra volontiers que Guillaume Aimoin de Fronsac s'identifie avec le sire de Mussidan dénommé « Willelmus Amaluini, dominus de Baianes et de Mussidano » dans un diplôme de Richard Coeur-de-Lion, pour l'abbaye de Cadouin (214), en date du 25 avril 1188, et dont l'abbé Géraud II de Chancelade (1168-1189) obtint un avantage signalé, l'exemption du péage dans le ressort de Mussidan.

La légende qui attribuait à de nombreux frères d'Aimon de Paris un établissement en Guienne, désignait les châtellenies que chacun d'eux reçut. Parmi celles énumérées se trouve Baignes, possédé par les Mussidan du XIIe siècle et qui pourrait n'être entré dans leur maison que par l'héritage d'Audoin II.

La légende cite aussi Blaye, et précisément ce château, dont on ignore le propriétaire antérieur, fut assiégé et pris par Guillaume IV d'Angoulême avec le concours de son ami le duc Guillaume le Grand qui le lui inféoda en bénéfice (215). Geofroi, fils cadet de Guillaume IV, s'en saisit le jour même des obsèques de son père. Audoin II le lui reprit. Alors Geofroi utilisa les derniers jours de la semaine sainte et la fête de Pâques pour ériger une forteresse

 

(212) Gallia Christiana nova, I, 988.

(213) Cours d'eau qui arrose Saint-Romain de Fronsac. ― (Ms. 769 de la Bibl. de Bordeaux, fol. CXII).

(214) Cartulaire de Chancelade, fol. 81. ― Coll. de Périgord, XLVII, 78.

(215) Ademar, III, 41; éd. Chavanon, p. 165.

 

 

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destinée à battre en brèche le château. Audoin amena des troupes qui enlevèrent le nouveau fort. Puis il fit la paix avec Geofroi en lui laissant les trois quarts de Blaye (216). Après la disparition d'Audoin II, Geofroi devenu maître du comté respecta-t-il cet accord? Il resta certainement en bons termes avec ses neveux, car l’aîné, Guillaume, surnommé, par antiphrase, Chansard, souscrit à deux de ses actes.

Ce serait intéressant de rechercher si les seigneurs de Blaye qu'on rencontre au XIIe siècle, et qui sont assurément des Angoumoisins, descendent d'Audoin II ou de Geofroi. En 1096 se croisa Guillaume Frelan de Blaye qui, à cette occasion, accorda à la Sauve-Majeure le libre passage d'une nef dans sa châtellenie (217). Sur divers titres de Saint-Amand-de-Bouëx, un personnage de ce nom est indiqué comme frère d'Arnaud Ferriol à la fin du XIe siècle (218); on rencontre un « Willelmus Ferriol laicus » parmi les souscripteurs d'une charte de Renaud, évêque de Saintes,entre 1111 et 1117 (219).

Il est digne d'attention que Guillaume Frelan donna à son fils le prénom, non pas de Géraud, mais bien de Girard, celui du héros des chansons de geste, Girard de Rossilion, c'est-à-dire Gérard II, comte de Paris, petit-fils de Bégon et d'Aupais, fille de Charlemagne. Gérard, se qualifiant prince de Blaye, Girardus Blaviensis princeps, agit en maître de cette place lorsqu'il dispense les moines de Cluny (220) de certains droits exigibles à Blaye « pro salute patris mei Willelmi Freelandi ». L'acte ― non daté ― se place au moment du séjour de Guillaume Frelan en Palestine. Girard eut un fils homonyme, évêque d'Angoulême, qui mourut le 18 juin 1136.

Le père de Guillaume Frelan se nommait Geofroi, mais l'acte qui l'indique écarte plutôt la tentation d'identifier celui-ci avec le comte d'Angoulême, frère et successeur d'Audoin II. Ce Geofroi n'est

 

(216) Ademar, III, 67, p. 193.

(217) « Ego Guillelmus Fredelanni de Blavia oppido cupiens ire in Jerusalem ad sepulcrum Domini, prius ad monasterium Sancte Dei genitricis Marie de Silva Majori perrexi... Concedo [monachis] ut ex uno eorum nave, quantumlibet abire voluerint, nihil accipiatur apud Blaviam oppidum. Hoc quoque laudaverunt... Ademarus Engolismensis episcopus et Guillelmus Tallafer comes Engolismensis ». ― Cartulaire de la Sauve-Majeure, fol. CXXVI.

(218) Cartulaire de Saint-Amand, fol. 6; Coll. de Périgord, XXXVII, 287. ― Coll. Baluze, XXXVIII, 113.

(219) D'après l'abbé Cholet, Cartulaire de Baignes, p. 12, n° 8.

(220) Bruel, Chartes de Cluny, n° 3311.

 

 

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honoré d'aucun titre, et de plus le contrat où l'on rappelle son nom a trait à la copropriété de la terre d'Ausaz (221) dont les autres détenteurs sont Guillaume de Mont-Léon (222) et son neveu Guillaume de Montendre. Il y a bien peu d'apparence que ces personnages se rattachent au comte Geofroi d'Angoulême. A une date qui se place (223) entre 1089 et 1098 le fief d'Ausaz fut cédé par ses possesseurs à Saint-Etienne de Baignes.

Montendre est encore regardé par la légende que recueillit la Chronique de Guitres, comme le fief d'un des frères d'Aimon de Paris. C'est une raison de plus de supposer que les châtelains de Blaye sont issus d'Alaas, fille de Grimoard. Ce château reçut son nom d'un fondateur qui se nommait Andre ou Andron, prénom bientôt oublié ou confondu avec celui d'André. Un prélat de ce nom occupa le siège de Bordeaux en 1040, et un peu auparavant un chevalier homonyme était à la cour d'Eudes d'Aquitaine, quand l'héritier du duc Sanche confirma les bienfaits de son oncle envers Saint-Seurin de Bordeaux (224). C'est un Andro Aurihol dont le surnom évoque le souvenir du père de saint Cybar, ce Felix Aureolus, comte de Périgord, contemporain de Clovis, dont le château, Trémolat devenu monastère, fut revendiqué par Aimeri de Mussidan, fils d'Audegier et petit-neveu d'Aimon.

Si les dynastes qui s'intitulèrent « princes de Blaye » descendent d'Alaas de Fronsac, c'est par son fils aîné, Guillaume Chansard, qui serait père d'un Geofroi dont le frère d'Audoin II aurait été le parrain. De Geofroi de Blaye descendraient Guillaume Frelan et son fils Girard. Des recherches plus heureuses permettront sans doute de mieux éclaircir la question qui vient d'être plutôt posée qu'élucidée.

 

(221) Commune de Saint-Ciers-de-Brau, ou Saint-Ciers-de-la-Lande, dans la viguerie de Blaye.

(222) Aujourd'hui Montlieu, chef-lieu de canton de l'arr. de Jonzac (Mons Leonis ou Mons Lugdunum dans les textes du XIIe siècle).

(223) Ces limites sont tirées du synchronisme de l'évêque Ademar d'Angoulême et de l'abbé Gillemond de Baignes (Cholet, Cartulaire de Baignes, n° 424).

Voici le texte concernant Guillaume Frelan: « Willelmus nuncupatus Frelandus, Gaufridi filius, habebat quemdam fevum ancestralem in parochia Sancti Cirici in vicaria Blaviacensi, et vocatur hec terra Aausaz ». Une méprise du scribe a transformé « ancestralem » en « avitraces ».

(224) Brutails, Cartulaire de Saint-Seurin de Bordeaux, 1897, in-8°, p. 10. ― Collection Baluze, XXXVIII, 121.

 

 

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Dans le chapitre suivant consacré aux comtes de Bordeaux de souche gasconne, nous aurons l'occasion de combattre une objection qui pourrait être opposée à la Chronique de Guitres au sujet de la filiation d'Alaas. Venons à sa soeur cadette.

Amélie, seconde fille de Grimoard et de Dée de Montignac, épousa, dit la Chronique de Guitres, un comte de Périgueux.

Puisqu'elle était plus jeune qu'Alaas, dont le mari Audoin II devenu comte d'Angoulême en 1028, termina dès 1031 son éphémère principat, Amélie de Fronsac a dû épouser un comte contemporain de cette période. Dès lors, on ne peut songer qu'à Hélie II, institué comte en 1009 au plus tôt par Guillaume V d'Aquitaine. Hélie II était encore en charge en 1031-1033, dates extrêmes où se place une bulle de Jean XIX adressée à tous les grands de la province pour recommander à leur sollicitude les biens du monastère de Saint-Jean d'Angely (225).

Le Cartulaire de Notre-Dame de Saintes contient une série d'actes concernant l'église Saint-Silvain de La Mongie, qui en dépendait. Il en ressort que la fondation de Saint-Silvain est attribuable à deux frères, tous deux comtes de Périgueux, Hélie et Boson. Le second laissa pour fils Audebert qui fut aussi l'héritier d'Hélie, et le fils d'Audebert, un autre Hélie, administrait le Périgord en 1081. Ces points résultent avec évidence d'une suite concordante de documents qu'il faut maintenant examiner (226). On ne saurait considérer

 

(225) Les auteurs de l'Art de vérifier les Dates (t. II, p. 377) admettent l'authenticité de cette bulle qui se place entre la mort du comte Audoin II (7 avril-30 juin 1031) et celle de Jean XIX (été 1033). Elle est adressée « omnibus archiepiscopis et episcopis Galliarum degentibus, cum Willelmo religioso duce Aquitanorum et Goffredo comite Engolismensis civitatis commoranti, necnon Helia comite Petragorice urbis degenti, simulque filiis Hugonis castro Lisiniaco habitantibus, itemque Willelmo de Parteniaco et alio Willelmo de Talamonte, pariterque Willelmo de Surgeriis et Albuino, omnibus senioribus minoribusque Aquitanie partibus commorantibus ». ― Gallia chritiana nova, II, Instrum., col. 466.

(226) Voici le plus important d'entre eux: « Notum sit omnibus quoniam Petragoricenses comites Helias et Boso frater ejus, dederunt Beate Marie atque Sancto Silvano quicquid possidebant vel habebant, sive in villa, sive in parochia Sancti Silvani. ― Post multum vero temporis, Aldebertus, supradictorum consulum heres, posuit in eadem villa, violenter et illicite, atque majorum suorum licentia, vicarium suum, Constantiunum nomine. Hoc autem mortuo absque virili prole, Garsias duxit ejus uxorem ... Adhuc vero vivente predicto Garsia, Helias comes, dominus ejus, filius Aldeberti predicti, memor anime sue, emendavit quod pater ejus commisit ».  (Cartulaire de N.-D. de Saintes, fol. 62; L'Espine, Coll. de Périgord, XXXV, 138).

 

 

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les deux frères, qui donnèrent à l'église Saint-Silvain tout ce qu'ils possédaient dans l'église et la paroisse de La Mongie, comme étant Hélie Ier et Boson II; en effet, le comte Boson, père d'Audebert et aïeul d'Hélie vivant en 1081, était encore en 1077 comte de Périgueux, avec son fils pour associé.

C'est bien d'un comte Boson III qu'il s'agit dans une charte (227) où Guillaume II, évêque de Périgueux, rappelle en 1131 ce qui se passa sous son quatrième devancier Guillaume Ier:

« Willelmus qui quartus ante me urbis Petrugorice episcopatum gerebat, consentientibus et laudantibus Joscelino Burdegalensi episcopo, Amato Oleronensi episcopo atque Sedis Apostolice legato, Bosone Sanctonensi, Isemberto Pictavensi, Amaro Engolismensi episcopis, dono et concessu Bosonis Petragoricensis comitis et filii sui Audeberti, ecclesiam Sancti Silvani cum appendiciis suis ecclesie Beate Marie Sanctonensi et Arsendi abbatisse ejusdem loci, perpetuo habendam concessit ».

C'est donc Boson III qui, ayant institué des religieuses à La Mongie, unit à la fin de sa vie leur établissement à l'abbaye de Saintes (228). Audebert II son fils les y maintint, tout en reprenant l'administration séculière du bourg où il mit un viguier. Hélie III, fils d'Audebert II, congédia d'abord les religieuses, mais leur rendit les droits civils que Boson leur avait donnés.

La veuve d'Audebert II se nommait Aime (Ama), elle est citée avec ses deux fils, le comte Hélie III et Audebert, dans une notice

 

(227) D. Estiennot, ms. lat. 12759, fol. 269. ― L'évêque Ademar ou Aimar d'Angoulême fut intronisé en 1076, Isembard II de Poitiers mourut en 1080; Guillaume Ier de Périgueux siégea de 1060 au 6 février 1081. Amé d'Oloron était légat de Grégoire VII en 1077, qui est très probablement l'année où Saint-Silvain fut donné aux religieuses de Saintes.

(228) « In hac ergo certissima fidei ratione, Petragorica dux civitatis, Dei gratia nomine Boso, cenobium in honore Beatissime Virginis Marie et sancti Silvani pro delictis suis, parentumque suorum, ... fundavit..; ut ... monachus constitueret. Deinde ejus successor necnon et filius Aldebertus, prout potuit, curare curavit. Tercio namque supradictis filio regnante Helia, casus. Diabolo suadente, talis incubuit, quatenus locum quem ceteri constiruerent, cum habitatoribus dissipavit. Postea vero, ipsis proclamantibus cum populo, quas ejecerat  sanctimonialibus ecclesie Sanctonensis,... religiosa matre favente, donavit ». (Coll. de Périgord, XXXV, 113; Gallia christiana, II, Instrum., vol. 489.)

 

 

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concernant Saint-Silvain (229) recueillie par le Cartulaire de N.-D. de Saintes.

C'est à la génération qui précède Audebert que se place la comtesse Amélie qui ne lui était point directement parente, mais avait des droit indivis avec lui. Elle figure dans une autre notice (230) qui rappelle une concession de dîmes, faite sous la forme onéreuse, aux religieuses de Saint-Silvain par « Amelia comes, et Audebertus comes et Ama comptissa ».

Nous verrons, dans le chapitre suivant, qu'Amélie avant d'épouser Hélie II, eut une autre alliance avec un frère du duc de Gascogne Sanche III et de Briche (Brisca), seconde femme de Guillaume V le Grand, duc d'Aquitaine; c'est ainsi qu'elle fut d'abord comtesse de Bordeaux.

 

(229) « Ama, Petragoricensis comitissa, et Helias comes, et Aldebertus filii ejus, dededrunt Beate Marie atque Sancto Silvano, in dominio, terram que dicitur Al Drulet, in quo modo sunt vinee ». (Cartulaire, fol. 61; L'Espine, Coll. de Périgord, XXXV, 138).

(230) Cartulaire de N.-D. de Saintes, fol. 60: « Amelia comes et Audebertus comes et Ama comptissa dederunt ... vineas a las Ferreras, et de aliis decimam... pro hac habuerunt XIV solidos, et hanc guerpitionem cum uno pomo fecerunt, quod postea in refectorio manducatum fuit ». ― L'Espine, Coll. de Périgord, XXXV, 138.

 

 

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XII

Les comtes de Bordeaux de souche gasconne.

 

Voici le sujet le plus délicat qui se présente parmi ceux que nous devions successivement aborder. Il eût été laissé en dehors de ces études sur la Chronique de Guitres, si, pour l'intelligence des points obscurs signalés au précédent chapitre, la rédaction de celui-ci n'avait paru s'imposer. Mais il sera réduit au strict nécessaire.

Les savants éditeurs du Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire ayant fait confiance aux monuments de La Réole qui attestent la restitution de ce monastère à l'abbaye de Fleury (231), le fait en lui-même étant cautionné par le témoignage d'Ademar, on peut admettre en toute certitude qu'en 977 Guillaume Sanchion (fils de Sanche) et Gombaud, son frère, administraient ensemble Bordeaux, le premier à titre de comte, le second en qualité de prélat. Les anneaux antérieurs de leur généalogie sont fournis par une charte de Hugues, évêque d'Agen, fils de Gombaud, qui nomme avant lui et Guillaume, comme ses plus lointains ancêtres, le comte Garsie Sanchion et son fils le comte Sanche Garsian (232). Ce sont l'aïeul et le père de Guillaume et de Gombaud: les surnoms des personnages de cette famille indiquent leur filiation.

L'existence de Guillaume Sanchion comme comte du Bordelais est au surplus constatée par des documents d'archives encore subsistants. Nous citerons une charte de La Réole, de novembre 982, datée (233) ainsi: « Regnante Guillelmo Sancio comite, captinenti

 

(231) Maurice Prou et Alexandre Vidier, Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, t. I, pp. 160 et suiv.

(232) « Pro remedio anime mee, meorumque parentum, id est Garcie Sanctii comitis, et filii sui Sanctii comitis, et Guillelmi Sancii comitis et Gumbaldi episcopi, et Guillelmi comitis, et Garsie comitis, et Bernardi Guillelmi comitis, et Urache comitisse ». ― La charte est datée du 29 juillet 1011, « Sanctione Vasconie illustri viro ducatum obtinente ». ― Luc d'Achery, Spicilegium, II, 583, Gallia christiana nova, I, Instr., col. 178. ― Cf. Mabillon, Premier voyage littéraire, part. II, p. 40.

(233) Chartes du prieuré de La Réole, n° LV, dans les Archives hist. de la Gironde, V, 104.

 

 

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Arnaldo vicecomiti ». On retrouve ici le formule « caput tenens » d'où dérive « capitaneus » si souvent employée par la Chronique de Guitres.

Les noms du comte et de sa femme Ouraigue sont conservés (234) par l'acte de donation de Saint-Sever « ad opus Willelmi Sancii comitis et uxoris sue Urrace, regante rege Hugone et comite Guillemo Sancione ». Les notes chronologiques: « XVIII kal. Octobris, luna XXVIII » suffisent pour faire apparaître la date du 14 septembre 996.

Le Nécrologe de la cathédrale de Bordeaux commémore au 11 novembre « Guillaume, comte et duc de Gascogne, et son frère Garsie, comte d'Agen ». D'après la Chronique de Condom dont la rédaction tardive appelle des réserves, Guillaume Sanchion aurait donné à Gombaud les comtés d'Agen et de Bazas. Garsie aurait été un troisième frère, plus jeune, qui reçut le comté d'Agen soit après la mort de Gombaud, soit par suite d'une résignation de sa charge politique.

Il faut admettre, en présence de cette transmission de frère à frère, que le comté d'Agen était acquis à l'auteur commun: Sanche II en était déjà détenteur. C'est en effet très vraisemblable. 977 est apparemment la première ou l'une des toutes premières années du gouvernement de ses fils. Or, c'est au plus tard en 975 que s'éteignit la dynastie vougrinide qui détenait l'Agenois depuis environ 110 ans. Dans ses dernières heures de pouvoir, elle était représentée par un insensé, qu'Ademar appelle « Richardus Insipiens ». Tandis qu'Arnaud Taillefer assurait l'Angoumois à sa postérité, issue d'un adultère, il est fort compréhensible qu'un héritier par alliance ait mis la main sur l'Agenois en même temps que Boson de La Marche, beau-frère des quatre comtes successivement disparus, prit possession du Périgord. La Chronique de Condom assure que Sanche Garsian eut un frère du nom d'Arnaud, apanagé du comté d'Astarac. Guillaume Sanchion donne à son tour à l'un de ses fils le nom de Bernard. Ces trois prénoms, Guillaume, Bernard, Arnaud sont ceux des ascendants et d'un frère aîné du dernier des Vougrinides. Une conclusion s'impose: les droits des comtes gascons sur Agen

 

(234) Documents historiques publiés par le Ministère de l'Instruction publique, Mélanges, t. 1, p. 407.

 

 

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remontaient à la mère de Sanche II, et leurs droits sur Bordeaux à la femme de celui-ci. Parmi les filles de Guillaume Sanchion se trouve une Garsende; ce fut aussi le nom de l'une des compagnes de Bernard Ier, comte d'Agen et de Périgueux. La femme de Garsie Ier, que certains textes nomme Aimoine (Amuna) devait être issue de l'union de Bernard et de Garsende.

On pourrait même envisager sans surprise la cession anticipée d'Agen à Garsie Ier, ou à son fils Sanche II, par Bernard Ier de Périgord. Ce comte et ses fils eurent beaucoup de peine à se maintenir en Angoumois et à se défendre contre de puissants voisins, les comtes de Poitiers et leurs vassaux les vicomtes d'Aunis et de Saintonge. Ils ne pouvaient disperser leur effort sur une ligne indéfiniment étendue. Il leur était bien important de s'assurer le concours des comtes gascons. En leur inféodant l'Agenois, ils les obligeaient à leur apporter une aide militaire, et peut-être aussi financière, car les guerres féodales étaient fort onéreuses, tant par la rémunération des auxiliaires que par la construction des ouvrages de défense qu'il fallait multiplier, entretenir et garder à l'aide de troupes permanentes et soudoyées.

L'existence de Garsie II, pourvu du comté d'Agen vers le début du XIe siècle, éclaire d'un jour nouveau les origines de l'abbaye de Condom, cet établissement religieux devenu plus tard si riche et si puissant que le pape Jean XXII en fit le siège d'un diocèse. On y conservait les reliques insignes des martyrs Jean et Paul, Fabien et Sébastien, des vierges Agnès et Prisca, que deux prélats apportèrent au lieu « ubi Condomum situm est, ubi et dicti sancti viri mortui sunt et sepulti ». Les traditions du monastère (235) nommaient ces pieux personnages « Arestus patriarcha Hierosolymitanus et Leo papa ». le terme « papa » voisinant avec le titre de patriarche grec de Jérusalem n'a plus d'autre valeur que « prêtre ». Il est notoire qu'aucun pape du nom de Léon n'est mort en France et n'y fut inhumé. Dans Arestus se reconnaît aisément Jérémie Orestès, institué patriarche de Jérusalem, vers 984 par le khalife Aziz, époux de sa soeur. Vers 1012, le successeur d'Aziz, Hakem, fit détruire la grande église élevée sur le tombeau du Christ; il avait privé de la

 

(235) Collection Duchesne, LXXVII, 89.

 

 

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vue le patriarche, qui mourut en exil (236).C'est lui qui se retira en France, accompagné du prêtre Léon, et apporta les reliques précitées.

L'expression « sancti viri », est à leur égard justifiée, puisqu'on se trouve en présence de confesseurs de la Foi. L'époque de ces catastrophes correspond bien à celle où Hugues de Gascogne accorde au monastère de Condom le privilège de juillet 1011. Mais les traditions du lieu ne regardent pas ce prélat comme fondateur de l'abbaye. Un texte épigraphique fort ancien relatait ainsi la concession du lieu même faite aux pieux personnages venus d'Orient:

« Ego Agalsius, Aquitanorum dux, et mater mea Ysamburgis, et uxor mea Agnes, hunc locum dedimus Domino nostro Ihesu Xristo Salvatori, ob nostrorum peccatorum indulgenciam, parentumque nostrorum salutem, et hoc in manu Leonis pape seu Strepi (Aresti) patriarche qui has reliquias attulerunt et hunc locum edificaverunt ».

Agalsius, maître de l'Agenois, ne semble pas différer du comte Garsius qui, administrant des territoires situés en Aquitaine, put à juste titre, après la mort de ses frères aînés, être honoré du titre ducal. Des exemples antérieurs ont fait sentir combien le terme « dux » est élastique au delà de la Loire, notamment sous la plume contemporaine d'Ademar. Les actes publics du Xe siècle qui viennent d'être cités ne reconnaissent au duc Guillaume Sanchion que le titre de comte.

On ne saurait découvrir la moindre trace du nom d'Agalsius attribuable à un hypothétique duc d'Aquitaine en des temps plus anciens. Agnès n'apparaît, comme prénom civil, qu'au XIe siècle. Pour Ysamburgis, sa physionomie romanisante rappelle les traductions en Yphange d'Euphemia, en Yolende d'Audolenda, en Yon de Heudo; c'est un adoucissement (237) d'Aurembugis ou Aremburgis.

 

(236) Art de vérifier les Dates, I, 259. C'est à la faveur de la protection accordée par Aziz aux chrétiens que se produisirent les pélerinages si nombreux à la fin du Xe siècle, de France, d'Allemagne et d'Italie, vers les Lieux-Saints. La bulle du pape Sergius, dont M. Jules Lair a défendu l'authenticité, se rattache aux évènements qui précédèrent la destruction de la basilique du Saint-Sépulcre.

(237) Analogue à celui d'Ouzon (Ouzo) pour Ouri (Ulricus, Odalricus) qui fut employé « lepidis causa », suivant un ancien texte relatif aux comtes de Buchhorn qui portèrent ce nom. De même Rozo pour Roricus, Rodericus; Bozo ou Boso pour Bodericus; Wezelo pour Werricus, Wedericus; les formes hypocoristiques de ce genre abondent dans l'onomastique carolingienne.

 

 

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Ce prénom est celui de la femme de Guillaume le Bon, d'après le charte de Sainte-Croix, ci-dessus commentée. Puisque Ysembour est la mère de Garsie d'Agen, frère de Guillaume Sanchion, elle est l'épouse de Sanche II et celui-ci succède à Guillaume le Bon, son beau-père.

Les documents condomois font connaître un certain nombre d'enfants de Guillaume Sanchion et d'Ouraigue. Ce prénom féminin pourrait bien être une contraction d'Ultrogotha, dont la forme intermédiaire Eutrogode est reconnaissable dans le nom de la femme du comte Raymond de Bordeaux, mère de Guillaume de Bon. Il fut porté par une des filles de Guillaume Sanchion, l'Urraca comitissa qui mourut après Bernard Guillaume (25 décembre 1010) et avant le privilège de l'évêque Hugues d'Agen (29 juillet 1011). Par cet acte, le prélat confirme à la congrégation de Condom une libéralité que lui fit « Gauuarsens, nobilissima femina, Gunbaldi episcopi neptis, soror Sancii Guasconiae comitis, rediens a quadam provincia, Burgundia vocata, ubi maritum habuerat ». C'est Gersende, belle-soeur du roi Hugues Capet (238), veuve du duc Henri, dont elle n'eut point d'enfants survivants.

Briche (Brisca), seconde femme de Guillaume le Grand, était en 1011 encore vivante, de même que Sanche (Sancia), femme du marquis Raymond Bérenger (239). Elle n'eut qu'un fils, Bérenger, qui prit le titre de duc de Gascogne et mourut avant son père. On a faussement attribué pour mère à ce Bérenger Alaas, crue soeur de Sanche II. L'erreur résulte d'une confusion sur laquelle il faudra revenir.

La Chronique de Condom dit qu'au moment où la restauration du monastère fut consacrée par un document solennel, « jam consulatum in Vasconia Sancius Guillelmi, fratribus defunctis, regebat; erat autem domini praesulis (Hugonis) consanguineus ». Ces frères aînés de Sanche III sont énumérés dans la charte de l'évêque Hugues: ils se nommaient Guillaume et Bernard. Ademar de Cha-

 

(238) D'Achery, Spicilegium, II, 583. Cf. Ernest Petit, Hist. des ducs de Bourgogne.

(239) En 1025 « Raymundus Berengarii, gratia Dei comes marchisius, qui fui Raymundi dive memorie filius, una cum conjuge mea Sancia comitissa que fuit Sancionis potentissimi comitis filia » confirme les franchises de la ville de Barcelone (P. du Marca, Marca hispanica, col. 1038).

 

 

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bannes qualifie Bernard « Vasconiae dux ». Il vengea la mort d'Abbon, cet abbé de Fleury massacré le 13 novembre 1004 à Saint-Pierre de La Réole où, depuis deux ans, il résidait pour y mettre la réforme. Les meurtriers furent pendus ou brûlés, et Bernard restitua définitivement à Saint-Benoît-sur-Loire cet établissement monastique « qui ante in lite invadientium erat ». Bernard périt empoisonné le jour de Noël 1010 et Sanche III devint duc de Gascogne (240).

En succédant à son frère Bernard, Sanche III venant résider à Bordeaux se rendit à la cathédrale pour y accomplir un rite que relate le Cartulaire de Saint-Seurin:

« Sancius ejusdem civitatis Dei gratia comes accepit consulatum, velut antiqua consuetudo sanxibat, a beatissimo archipresule Severino. Mos enim est nullum comitem posse huic Burdegali urbi statu legitimo preesse, nisi consulatus honorem a predicto pontifice, vultu dimisso, suscipiat ».

Cette formalité convient bien au temps où les comtes royaux ou indépendants, installés aux chefs-lieux de provinces ecclésiastiques, devenant défenseur d'office du patrimoine des cathédrales, tenaient à l'affirmer par une cérémonie où ils assumaient eux-mêmes l'investiture de leur mandat.

Le Cartulaire de Saint-Seurin constate (241) que Sanche III eut pour successeur immédiat Eudes, son neveu (fils de sa soeur Briche et de Guillaume le Grand d'Aquitaine). Pour que le comté de Bordeaux tombât en quenouille, il fallait qu'il n'existât plus d'agnats de la maison. C'est dire qu'il est impossible d'admettre qu'à aucun moment, du vivant de Sanche, le mari de sa soeur ait pu, du chef d'un héritier éventuel, exercer la moindre autorité à Bordeaux et se parer du titre ducal de Gascogne.

 

(240) « Bernardo ... insidiis... vitae privato, Sancius frater ejus in ducatu Vasconum extitit ». (Ademar, III, 30). La charte de fondation de l'abbaye de Bassac (cant. de Jarnac, arr. de Cognac) au diocèse de Saintes porte la souscription: « Sans dux Gasconie » (Ms. lat. 18376, p. 205). Elle est datée de 1002. Si cette date ne devait pas être rectifiée, il faudrait en conclure que la notice a été rédigée après coup et qu'on y a inséré une qualité que Sanche n'avait pas encore. Bernard avait ce même titre dès 1002, époque où il appela Abbon de Fleury à La Réole, et le conserva jusqu'en 1010. ― On pourrait encore admettre que le titre honorifique de « dux » fut donné simultanément aux fils de Guillaume Sanchion qui s'étaient partagé son pouvoir.

(241) « Quo defuncto, successit ejus nepos, clarissimus Odo, annuente Deo, in honore; qui confirmavit donum praedicti avunculi ». ― Brutails, Cartulaire de Saint-Seurin de Bordeaux, p. 10.

 

 

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Cette constatation faite, il devient insoutenable d'attribuer à Guillaume le Grand une charte de 1027, en faveur de Sainte-Croix, émanant d'un Guillaume qui se qualifie « par la grâce de Dieu comte d'Aquitaine en même temps que duc de Gascogne ». En 1018, Guillaume le Grand ayant perdu Briche, sa seconde femme, était devenu l'époux d'Agnès de Bourgogne, à peine nubile (242); elle lui survécut. Le « comte d'Aquitaine » de 1027 associe à sa libéralité, sa femme qui ne se nomme point Agnès, mais Remberge ou Aremberge (243). On doit voir en lui un fils de Bernard Guillaume, que la mort prématurée de ce dernier, en 1010, laissait au berceau. A sa majorité il recueillit les titres aquitains de son grand-oncle Garsie II, puis, associé au duché de Gascogne par son oncle Sanche III, il se maria et mourut la même année 1027 ou tout au début de la suivante sans postérité. Quant à Guillaume d'Aquitaine, qui ne possédait pas Bordeaux, aucun mobile, comme le dit M. Chauliac, ne le poussait à faire des libéralités à Sainte-Croix et il ne pouvait donner des terres qui ne lui appartenait pas. Il n'est guère vraisemblable que la dot de Briche fût constituée en domaines du Bordelais, mais en ce cas, Eudes en était l'héritier; son père, veuf de Briche depuis dix ans, n'en aurait pu disposer avec le concours d'une belle-mère d'Eudes.

L'intérêt que Sanche III prit à la fondation d'une abbaye de l'Angoumois donne lieu de penser qu'il avait avec la famille des comtes une intimité qui ne pouvait provenir de sa filiation. Sanche descendait en effet des comtes de Périgord qu'Arnaud Taillefer

 

(242) Agnès se remaria à Geofroi II comte d'Anjou qui naquit le 14 octobre 1006 (L. Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, p. 10). Elle devait être un peu plus âgée que lui; on trouve sa souscription sur une charte de Guillaume V pour Cluny, datée de mars 1018 (Gallia christiana nova, t. II, Instrum., col. 330).

(243) « Ego Guillelmus gratia Dei comes Aquitaniae simul et dux Vasconiae et uxor mea Remberga [damus] cellam Beati Laurencii, ubi preciosi Beati Macharii tumulatum corpus requiescit, cum decimis et justiciis et cum consuetudinibus in terra et in mare [et duas alias cellas] ». ― L'Art de vérifier les Dats, t. II, p. 355) proposait une hypothèse ingénieuse: « Cette pièce n'existe plus que dans un vidimus de Henri III d'Angleterre (1216-1272) dont le Secrétaire, n'ayant aperçu dans l'original qu'un A. pour désigner le nom de la femme de Guillaume, aura vraisemblablement mis Aremberge pour Agnès ». L'aphérèse Remberga du Cartulaire, dont le texte est tiré des originaux et non des vidimus, rend inadmissible cette conjecture. Les raisons données par M. Chauliac pour la repousser sont d'ailleurs probantes (Hist. de l'abbaye de Sainte-Croix, p. 61).

 

 

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avait chassés de son pays. Le fils d'Arnaud, Guillaume IV, était l'inséparable ami du duc d'Aquitaine Guillaume le Grand qui, ayant perdu sa première femme, veuve du comte Audebert de La Marche, devint le beau-frère du duc Sanche. D'après un texte du nécrologe de Saint-Sever de Rustang, on a considéré Alaas, femme d'Audoin II d'Angoulême, comme une soeur de Briche et par là-même de Sanche III. Cela paraît une pure méprise. Une étude plus approfondie des documents nous a fait admettre un autre sentiment et renoncer à l'opinion accréditée que nous avions accueillie dans l'étude déjà ancienne sur les Comtes d'Angoulême. Si le terme « soror » se trouvait bien dans le nécrologe on est en présence d'une expression de courtoisie: c'est fort souvent le cas à l'époque carolingienne. Ce terme est justifié, sans qu'il soit besoin que Sanche III ait épousé une angoumoisine, par le fait qu'Amélie soeur d'Alaas, prit alliance avec Bernard, frère de Briche et de Sanche III, avant d'épouser un comte de Périgord.

Cette rectification s'appuie sur deux documents. Le premier, déjà cité (243), est la charte de Guillaume, mari de Remberge, qualifié « comte d'Aquitaine et duc de Gascogne » et certainement maître de Bordeaux, qui en 1027 donna Saint-Macaire à l'abbaye de Sainte-Croix. Le second est un autre titre (244) de ce monastère, daté de 1043, dont voici le texte essentiel:

« Ego Ama, comitissa Burdegalensis seu Petragoricae patriae, ad restaurationem Sancte Domini Crucis, ob remedium animae meae necnon parentum meorum [do] cuidam monasterio constructo in honore Sanctae Mariae, de Finibus Terrae, ... notum fieri volumus cuncto cetui virorum illustrium quod ipsa hereditas est inter Dordonia et vocatur Vedrine, quae jure ab antecessoribus meis usque ad me deducta est. Haec donation facta est anno M° XL° III° Incarnationis Domini nostri Ihesu Xristi... domno abbate Gumbaldo assistente et patribus Sancte Crucis et Sancte Marie, cui haec datur haereditas, et Sancti Macharii ».

Au sujet d'une autre Amélie, comtesse de La Marche contemporaine, l'équivalence des formes Ama et Amalia a pu être constatée. C'est ici la soeur d'Alaas qui donne à l'abbaye de Soulac cette terre de Verrines, près de la Dordogne, en présence des religieux de

 

(244) Cartulaire de Sainte-Croix, n° 80. ― Gallia christiana, II, Instrum., col. 270.

 

 

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Sainte-Croix, de Soulac et de Saint-Macaire, prieuré fondé par le comte Guillaume en 1027.

Jamais Périgueux et Bordeaux ne se trouvèrent réunis dans les mêmes mains. La formule dont se sert la comtesse Amélie est donc disjonctive; c'est successivement qu'elle a été unie à un comte de Bordeaux et à un comte de Périgord. Cette seconde alliance devant lui laisser son dernier titre, on s'explique que ce soit la seule que le chroniqueur de Guitres ait retenue.

Au moment où elle offre à Soulac sa terre de Verrines, la donatrice est « dame de soi »: elle n'a point d'enfants, puisque le concours d'aucun héritier direct n'est requis. C'est apparemment un présent de bienvenue. L'ancienne comtesse de Bordeaux, maintenant veuve d'Hélie II de Périgord, retourne dans son pays d'origine en 1043 et s'y voit entourée et saluée par les congrégations bordelaises. C'est elle, sans doute, qui provoqua la donation de Saint-Silvain de La Mongie par son beau-frère Boson III à l'abbaye de Saintes, où peut-être elle s'était retirée. Si le don qu'elle fit à cette filiale de la communauté saintongeoise avec le concours du comte Audebert son beau-neveu, n'est pas antérieur à la mort de Boson, Amélie n'avait pas encore terminé ses jours en 1077; elle était alors plus qu'octogénaire.

 

Avant de clore ce chapitre, il faut en comparer les conclusions à celles auxquelles, sur la famille des ducs de Gascogne, aboutit M. Ferdinand Lot dans ses Etudes sur le règne de Hugues Capet.

A l'appui d'une relation de parenté entre Guillaume de Bordeaux et son successeur Guillaume Sanchion, il a fait état d'un document intéressant (245) où l'on voit le chef gascon intervenir personnellement pour assurer la rançon du comte de Bordeaux « son ami ». Ces termes qui sont à prendre dans un sens strict, le texte émanant d'un descendant de Guillaume Sanchion, ne conviennent pas à la relation de gendre à beau-père, mais bien à celle d'un gendre avec le neveu de sa femme; ce serait le fils homonyme de Guillaume le Bon, dont parle la Chronique de Guitres, que Guillaume Sanchion prêta son concours.

 

(245) Charte de Hugues, évêque d'Agen, dans L. d'Achery, Spicilegium, in-fol., t. II, p. 586; édit. in-4°, t. XIII. ― F. Lot, Etudes, p. 377.

 

 

p. 180

Nous avons vu que le Nécrologe de la cathédrale de Bordeaux commémore simultanément, le 11 novembre, les décès des frères Guillaume Sanchion et Garsie II d'Agen. Cette caution fait tomber, semble-t-il, l'objection de M. Lot à l'authenticité de l'inscription relevée par Oïenhart sur les murs d'une église d'Aire:

 

III Idus Novembris, Obiit Guillelmus

Dux Guasconorum et Obitus Garsie

Fratris ejus comitis Agennensium.

 

Peut-être serait-il « bizarre que les deux frères fussent morts le même jour »; ce cas n'est pas impossible, mais le texte de l'inscription ne le suppose pas: on eût alors mis au début Obierunt, et supprimé la répétition et Obitus. Mais on a réuni leurs mémoires dans un même anniversaire, celui de Guillaume Sanchion: c'est une coutume banale à cette époque.

En revanche, M. Lot a été fort heureux en reconnaissant Garsie-Sanche, un des ancêtres de la lignée ducale, qualifié au Xe siècle « comes et marchio in limitibus Oceani » dans un des témoins, sûrement un très proche allié, appelé par Eudes, comte de Toulouse, sa femme Garsende et son fils Airbert, à souscrire avec eux un contrat de vente important à Frotier, archevêque de Bourges, entre 876 et 887. Le Sanche que ce personnage eut pour père doit être Sanche Sanchion duc de Gascogne après 851, mort avant 864, auquel un neveu fut appelé à succéder, en raison sans doute de la trop grande jeunesse de l'héritier direct.

La généalogie de ces comtes gascons est toute à refaire, des données de la charte d'Alaon ne pouvant servir désormais à l'établir; les travaux relativement récents à leur sujet, en dehors de ce qu'en dit M. Ferdinand Lot, ne donnent pas la satisfaction qu'on doit attendre d'une oeuvre s'appuyant uniquement sur des titres d'une authenticité contrôlée.

 

XIII

Additions et retouches.

 

Cet opuscule dont le début rédigé en 1911, fut inséré dans la Revue des Etudes historiques l'année suivante, et dont la suite a été composée au cours de la Guerre, a vu son apparition suspendue par l'attente d'un travail critique sur le même sujet: l'éminent professeur qui le prépare collabore, sous le nom de Jean le Saintongeais, à plusieurs revues du Sud-Ouest. Des entraves de toute sorte ont tellement retardé la divulgation de ses recherches que force nous est, sans différer davantage, de mettre enfin au jour notre commentaire. Il tend à montrer qu'en ses lignes générales, la Chronique de Guitres échappe à toute critique, qu'à ses moindres détails répondent des contrôles confirmatifs, et que sa rédaction est du XIe siècle. Notre érudit confrère saintongeais aboutit aux mêmes conclusions. Au cours de nos entretiens avec lui et de recherches complémentaires, quelques observations nouvelles nous ont paru devoir être consignées. On les trouvera rangées selon l'ordre des chapitre auxquels elles se réfèrent.

 

La Chronique de Guitres.

Si la Chronique a été si négligée qu'on eût dû la croire presque ignorée, elle a néanmoins sollicité l'attention de deux érudits. L'un, M. Huvyn de la Tranchée, en a inséré le texte dans une brochure tirée à petit nombre et tombée dans l'oubli; l'autre, M. Grellet-Balguerie, eut la velléité de la présenter au monde savant et pour s'en adjuger la primeur, notifia ses intentions à quelques amis dans une brochure qu'il signa du nom d'Angel Fayolle (246).

 

(246) Plaquette de 24 p. in-8 intitulée: « Origine des villes de Ribérac, Mussidan, Saint-Astier (etc.). Aymon Ier, Aymon II, comtes de Périgueux. Légende inédite d'Aymon de Dordonne ou d'Entre-Dordonne. Origine de la légende de Renaud de Montauban. Analyse d'une étude historique de M. Charles Grellet-Balguerie par M. Angel Fayolle. Ribérac, août 1881 ». L'exemplaire que nous avons eu sous les yeux porte cette dédicace: « A son ami Monsieur Ernest de Fourtou. Hommage de cette rapide analyse par Charles Grellet-Balguerie (paraphe). Ribérac, 24 novembre 1881 ». La même main a introduit le nom d'Angel Fayolle (avec paraphe!) dans ce texte, grâce à une interpolation du plus disgracieux effet. Quant aux hypothèses formulées, tout ce qu'on peut en dire, c'est qu'elles font honneur à l'imagination du commentateur.

 

 

p. 182

Sur le texte que nous avons donné nous devons, pour tenir compte des remarques judicieuses qu'a bien voulu nous communiquer Jean le Saintongeais, reconnaître que la lecture « Sconico » du manuscrit C ou « Sconiaco » de B (page 103, note o) ne doit pas être transformée en « Scoriaco ». Il s'agit du pays de Saintonge, pago Sanctonico, associé au Mayaçais et au Fronsadez (de Maiacensi et Fronciacensi). Le Mayaçais, d'après notre confrère, répondrait approximativement à l'archiprêtré de Chalais.

Le bois appelé « Beluare » près de Guitres, serait devenu Bellaire, lieu dit de la commune de Saint-Martin-du-Bois, voisine du monastère.

Le premier alinéa de la page 103 doit se terminer par le mot poliandro, du grec polyandrion, cimetière où « beaucoup d'hommes » reposent. C'est encore un de ces termes savants dont le moine de Guitres se plut à parsemer sa chronique.

 

L'étymologie de Guitres.

Ce qui montre bien le peu de fondement de l'étymologie de Guitres ab Aquis tribus, c'est l'existence d'un autre Guitres près de Baignes, chef-lieu de seigneurie dont le possesseur, Gombaud, est appelé, dans une charte du XIIe siècle commençant, de Aquistris, et dans le titre porté au Cartulaire du XVIe, de Aguistris (247).

 

La Sainte Chapelle de Guitres.

Les précisions données par la Chronique de Guitres sur la Sainte Chapelle du roi Yon sont corroborées, quant à son architecture, par la découverte, à Sablonceaux, d'une construction analogue à celle que le chroniqueur décrit (248) et, quant à l'insertion de reliques dans une colonne forée, par l'analogie de ce procédé de sauvegarde avec celui employé pour le chef de saint Jean, retrouvé en 1016 « dans une pyramide de pierre où il était enfermé » (249).

 

(247) Cholet, Cartulaire de Baignes, pp. 70, 513. L'acte est du temps de l'abbé Raimond Ier (1109-1121).

(248) Briand, Histoire de l'Eglise santone, I, 527. Peu avant 1793, un maçon fouillant une éminence voisine de Sablonceaux découvrit une salle voutée, pavée de marbre et comme tapissée d'un marbre différent, à hauteur d'appui. « La voûte était enduite d'un mastic rougeâtre, dans lequel brillaient mille incrustations en mosaïque qui se dessinaient en petits cubes de verre peint, d'agate, de marbre et autres substances ». Comme à Guitres, l'ouvrier sapa une colonne de soutien, la voûte s'écroula sur lui, mais il échappa.

(249) Georges Musset, Cartulaire de Saint-Jean-d'Angély, t. II, p. XXVI (Archives de Saintonge, XXXIII).

 

 

p. 183

Le tombeau d'Yon.

Sa découverte dans l'île de Ré, sur les côtes de l'Aunis.

On découvrit en 1730 son tombeau dans l'emplacement de ce monastère, en creusant les fondements d'un nouveau corps de logis, pour le gouverneur de l'île de Ré. On trouva une couronne de cuivre qui fut envoyée à M. d'Angervilliers, ministre de la guerre. Une partie du crâne était fortement attachée à cette couronne: on y remarquait en quelques endroits les restes d'une assez belle dorure et des pierreries que l'humidité de la terre avait rendues ternes. Les fleurons représentaient des espèces de fleurs de lis au nombre de quatre. Les pierreries enchâssées décoraient le cercle: la principale était une turquoise; les autres n'étaient que des cristaux (250).

 

Les souvenirs de la geste d'Aymon.

Dans le tome IV de ses légendes épiques, qui a vu le jour après l'impression de la première partie de cette Etude, en 1913, M. Joseph Bédier a réuni un assez grand nombre de traditions recueillies autour de Stavelot et Malmédy, sur la Meuse, se rattachant aux fils Aymon, il a constaté qu'un des textes de la geste place Montessor entre la Meuse et la Semoy. Mais aucune de ces traditions n'a l'autorité qu'il faudrait pour établir la source. Tout ce qu'on peut dire, c'est que celle du Périgord rattachant Aymon à « la forêt d'Ardenne » ont été comprises plus tard comme concernant l'Ardenne d'Austrasie où se rencontre d'ailleurs d'autres souvenirs de Charlemagne et de ses agents.

Paulin Pâris tenait, non pour l'Ardenne belge, mais pour l'Ardenne française. « Il existe encore, écrivait-il dans l'Histoire littéraire de la France, (p. 675), au-dessus de Sedan et de Mézières un village appelé Château-Renaud, sur le penchant d'une haute montagne enfermée par les eaux de la Meuse vers le midi, l'est et l'ouest. On distingue aujourd'hui difficilement sur la roche quelques ruines d'une forteresse »; elles avaient plus de caractère quand Malherbe écrivait au savant antiquaire Peiresc le 28 avril 1615: « La principauté de Madame la princesse de Conti s'appelle Chasteau-Renaud, à deux lieues de Sedan et autant de Mézières; c'est un vieux chasteau ruiné où l'on voit encore la tour de Maugis et l'estable de Bayart ». (Lettres de Malherbe, Paris, 1822).

Ailleurs (p. 688) Paulin Pâris ajoute: « A dhuy dans le comté de

 

(250) Thibaud, Histoire de Poitou, I, 224. Briand, Histoire de l'Eglise santone, I, 106.

 

 

p. 184

Namur, est le château dit de Bayard, que l'on suppose avoir servi d'asile aux quatre fils Aymon ».

On peut toujours supposer, et bien des traditions naissent de quelque paronymie observée par des gens imaginatifs. On se demande si de ces hypothèses, le savant auteur était bien autorisé à conclure qu'entre les deux versions de la geste, l'austrasienne l'emporte en antiquité sur l'aquitanique. Que penser de l'assertion que voici? « Dans les provinces du Midi, le souvenir du château de Montalban, de la plaine de Valcolor, de la ville de Balançon, de la forêt de Serpente, est entièrement perdu, et si quelques noms de lieux rappellent ceux de la geste primitive, c'est une fausse ressemblance ».

L'existence d'une forêt d'Ardenne en Saintonge est tout d'abord bien constatée par de nombreuses pièces du chartrier de Pons éditées par M. Georges Musset (tome XIV des Archives de Saintonge). Dans la paroisse de Fléac, proche de Pons, existait une seigneurie d'Ardenne qui a laissé son nom à une commune limitrophe, Saint-Grégoire-d'Ardenne. L'abbé Cholet dans ses notes sur le Cartulaire de Baignes (p. 239) rapporte que le château était bâti sur les bords de la Seugre, il cite un mas d'Ardenne dans la paroisse de Touzac, canton de Châteauneuf, dans l'arrondissement voisin de Cognac. En descendant de Pons vers Cubzac, en Gironde, on rencontre la forêt d'Ardenne qui s'étend au nord-est de Saint-André. Au-dessous, près de Lanzac, un cours d'eau s'appelle Balanson; plus bas est un Château-Renaud entre Lanzac et la Lustre. La plaine qui se déploie au-dessus de Saint-André, entre Cazalles et Grizac (où il y a un autre Château-Renaud) s'appelle la plaine de Vaucouleur; et si l'on continue à descendre vers la Dordogne, à Samonac, des dénominations de bois évoquent encore le souvenir de la forêt d'Ardenne.

Mais Cubzac l'emporte encore comme amoncellement de souvenirs. Le site, d'après les remarques de M. Pierre de Sainte-Marie qui a rassemblé les observations précédentes, répond rigoureusement aux descriptions du roman de Renaud. Son château reçut toute une série de surnoms évoquant la geste: Montauban, château des Fils Aymon, château d'Aigremont, castel des Frays ( des Frères); il y a aussi ses tours daou Diable en souvenir de Maugis. Quant à l'empreinte du fer de Bayard, on la trouve à Arques et à Saint-Romain, autour de Cubzac, et au rocher de La Roche-Monbron, près de Marcenais (251).

Toutes les localités en Gironde qui viennent d'être citées sont com-

 

(251) Pierre de Sainte-Marie, Château de Cubzac ou des Quatre Fils Aymon, Impr. Bochlinger, Saint-André-de-Cubzac (Gironde), 1903, plaq. in-8° de 33 p.

 

 

p. 185

prises dans un triangle ayant Fronsac pour sommet, et dont l'hypoténuse, joignant Bourg à Guitres, couvre à peine sept lieues.

A cette accumulation de souvenirs concentrés en si peu d'espace s'ajoute un argument autrement puissant. Si les ruines du château de Cubzac, qu'on voit sur une gravure éditée par M. de Sainte-Marie, sont du XIIIe siècle, ce ne sont point celle du château qui existait en 1206. Jean sans Terre, ayant débarqué à la Rochelle, vint l'assiéger et le jour de la Saint-Pierre-aux-Liens, il prit le château qui ― dit Mathieu Pâris ― avait résisté sept ans à Charlemagne. En se faisant l'écho de la geste, le chroniqueur contemporain constate tout au moins l'antiquité de l'édifice militaire.

Que l'on trouve ailleurs d'autres traditions même remontant assez haut, il ne faut pas en être surpris. Au temps du bon roi Robert, on prend sur le fait un chevalier de la meilleure noblesse du château de Thouars qui achète un ancien lieu fortifié, Mons Alboine (qui a donné Montauban), pour s'y établir et y construire une église; or ce chevalier s'appelle Renaud. Désormais voilà le souvenir de Renaud de Montauban associé à une localité où sans doute le héros de la geste n'a jamais passé (252).

Avec la même facilité, une oeuvre indubitable des comtes albigeois de Toulouse, le château de Montauban, chef-lieu du Tarn-et-Garonne, servant aujourd'hui d'hôtel de ville, est devenu le château de Quatre Fils Aymon, en dépit des protestations loyales des historiens du pays.

 

Le relèvement de Saint-Astier.

Un catalogue incomplet des évêques de Périgueux (Fragmentum de episcopis Petragoricensibus, édité par Labbe dans sa Bibliotheca nova manuscriptorum, II, 738) rapporte que Frotier ayant été assassiné le 6 décembre 991 après 14 ans 6 mois et 3 jours de prélature (ce qui reporte son sacre au 3 juin 977, dimanche de la Trinité), Martin tint le siège neuf ans; son obit ne figure pas au calendrier de l'église, puis Raoul (Radulfus de Cohalia, Couhé en Poitou) mourut le 5 janvier 1013

 

(252) Dans une charte que Dom Fonteneau nous a conservé (Collection de Poitou, XIII, 279 à la Bibliothèque de Poitiers), datée de 1037 « mense januario, anno VII regnante Henrico rege », le chevalier Doilin (Dodelinus) confirme à Simon, abbé de Saint-Jouin-de-Marnes, un accord passé par son père avec Géraud, devancier de Simon: « Domnus genitor meus Rainaldus, unus e primoribus castri Thoarcensis, dum viveret emit, juxta castrum Thoarcense alodum in loco qui dicitur Monte Alboine [nunc Montauban, écrit D. Fonteneau], quo loco placuit ei edificare aecclesiam, quam et consecravit in honore sancti Jacobi apostoli fratris sancti Johannis Evangeliste, conventione habita cum abbate Geraldo et ejus monachis ut et aecclesiam illis traderem ad inhabitandum; morte utriusque accidente, imperfectum remansit ».

 

 

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ayant siégé 12 ans et 6 mois, plus quelques jours non précisés (il fut donc ordonné fin juin 1001). Le catalogue ajoute: « Hic episcopus edificavit ecclesiam Sancti Asterii, in qua quondam monachi inhabitaverant, sed a Normannis extiterat desolata. Edificationi ejus ecclesiae episcopus Tholosanus interfuit, quo tempore canonici Sancti Saturnini et Sancti Frontonis confederati sunt ».

Le rédacteur attribue à tort à Raoul la reconstruction d'une église dont il fit seulement la dédicace, et il a ignoré le nom de l'évêque de Toulouse, Izelon, antérieur à l'épiscopat de Raoul.

Cet évêque, dont le nom fut relevé par Izelon de Saintes, peut être regardé comme son oncle maternel: il aurait donc eu pour soeur la femme d'Alguier de Paris; celui-ci donna à son second fils le prénom d'Audegier, qui fut celui d'un vicomte de Limoges, grand-oncle de l'évêque Martin de Périgueux (cf. tableau ci-dessus, p. 156). Ainsi se dessine une parenté présumée qui légitime la concession du domaine de Saint-Astier par ce prélat aux fils d'Alguier de Paris.

La charte d'Alguier II de Mussidan a été citée par P. Marchegay (Le Livre noir de Saint-Florent-de-Saumur, dans les Archives d'Anjou, I, 273, n° 113).

 

Arnaud de Montanceix.

Ce châtelain cité dans l'acte d'Alguier II de Mussidan (ci-dessus, p. 129) antérieur à 1081, eut au moins deux fils, Hélie et Aimoin (Ameno). Celui-ci promit éventuellement de prendre à Saint-Jean d'Angély la robe de saint Benoît. Quittant la vie sans avoir réalisé son dessein, il voulut à son lit de mort assurer une compensation à ce monastère; il chargea le moine Guillaume Ayson de transmettre à Saint-Jean la propriété de la terre de Maurignac, et d'offrir à l'abbé Anschoul (1091-1102) un cheval et 50 sols. A cet acte souscrit son frère, en des termes qui assurent la généalogie: « S. Hélie Arnaldi ». Le texte du Cartulaire, édité par M. Georges Musset (t. I, p. 388, n° 323), est fautif, le copiste ayant écrit: « de Monte Iurensi », mais D. Fonteneau a conservé la bonne leçon: "Incensi".

 

Guillaume de Paris.

L'interpolateur saintongeais du Faux Turpin a commémoré des inféodations qui ne sauraient être antérieures à la seconde moitié du Xe siècle, et qu'il attribue à un abbé de Saint-Germain de Paris (c'est ainsi que les chartes de ce temps dénomment Saint-Germain-des-Prés). Comme ce

 

 

p. 187

passage atteste indirectement la présence de chevaliers parisiens en Aquitaine, il est intéressant d'en tenter l'explication.

« L'abbé de Saint-Germain de Paris fit faire l'église de Lezzignie où il mit laiens maints sanctuaires en l'outel [autel], et hi fu sevelis Gautiers de Lezzignie qui fu fils Sospic, ot maints outres.

Equi dona cartes à Saint-Germain de Paris, toute la terre qui asfiert de le Mene jusques a le font d'Eltres ― fors cele qu'il dona à la maison de Beagnie [Baigne] et l'abbé la dona à son nevo, à Guillaume de Paris, et puis lui dist: « Beaus niés, de ceste terre serai home à l'abbé de Saint-Germain de Paris, à rendre en treze costeaux et un cuer de cerf ».

Lo fé de Berbezil donna ensement carte à l'arcevesque de Bordeu, et l'arcevesque la dona à son parent, am diz sous d'omenagie, de deniers de la table ».

Cet abbé paraît être Hugues Capet qui vers 970 épousa Adélaïde, fille de Guillaume III d'Aquitaine.

Sospic, mère de Gautier de Lézignan, le fut aussi de Boson le Vieux, comte de la Marche; elle était fille de Geofroi, comte de Charroux.

L'abbé de Baignes est, comme Hugues, un recteur laïc, puisque le monastère n'était pas encore repeuplé.

D'après la Chronique de Guitres, Baignes avait été donné à l'un des frères d'Aimon de Paris; c'est évidemment lui qui inféode à son neveu Guillaume la terre que Hugues lui concède. Car il est de la plus grande vraisemblance que la fille du comte Guillaume de Bordeaux ait relevé en l'un de ses enfants le prénom paternel. Si la Chronique n'en parle pas, c'est qu'il sera mort sans alliance.

L'archevêque de Bordeaux était alors Audebert (Aldebertus, Hildebertus). Ce nom, contracté par hypocorisme, devient Audoin. C'est celui que portèrent les premiers seigneurs de Barbezieux. Ils se rattachent par alliance a Vougrin, comte d'Angoulême, frère d'Audoin, abbé de Saint-Denis sous Louis le Pieux.

 

Ranoul Bompaire.

M. Ferdinand Lot, dans ses Etudes sur le règne de Hugues Capet, a reconnu dans le comte Bernard, fondateur de Genoliacus (ci-dessus, p . 153), Bernard Ier comte de Périgord. La charte qu'il donne est souscrite: « S. Ramnulfi episcopi ». Cette souscription paraît bien être celle de son fils, Ranoul II d'Angoulême. M. Grellet-Balguerie y voit un évêque inconnu de Périgueux dont le pontificat aurait précédé celui de Frotier (977-991). M. Lot propose de corriger: « S. Ramnulfi filii sui » ou « S. Ramnulfi Bomparii ». Il semble bien préférable de ne rien corri-

 

p. 188

ger et d'identifier simplement avec Ranoul fils de Bernard, ― qui portait évidemment un prénom d'église ― cet évêque diocésain. Les annales d'Angoulême n'en font pas un laïc; son surnom de Bompaire (Bomparius) nous semble devoir s'interpréter, non comme une équivalence de Bonus par (qu'on pourrait à la rigueur traduire par Bon compagnon), mais comme plutôt une romanisation de Bonus pater, qualification honorifique convenant à un prélat. Ranoul fut tué dans un combat contre Arnaud Manzer le 27 juillet 975.

 

L'origine de Dée de Montignac.

Nous avons (p. 160 ci-dessus) montré que Dée de Montignac, femme du vicomte Grimoard de Fronsac, devait se rattacher à Dée, femme du vicomte Audebert de Limoges, et grand'mère de Boson le Vieux, comte de la Marche. Il restait un vide à combler dans le tableau de la filiation des Montignac. Nous pouvons la compléter, grâce à un précieux renseignement que nous devons à l'aimable confraternité de Jean le Saintongeais. Le Cartulaire de Cadouin dit à propos d'Albuga (le Bugue): « La donna que bastit Albuca avia nom n'Alau, la dicta donna eta donna de Montinhac ».

Ces mots complètent et éclaire la généalogie esquissée page 160 et qui désormais, n'a plus de lacune:

 

          ----------------------------------------------------

          |                                                   |

    Boson-le-Vieux                                    Alaas. de Montignac

          |                                           ép. Grimoard.

          |                                                   |

    ------------------              ------------------------------

    |                |              |                            |

  Boson II      Audebert Ier     Hébrard                   Dée de Montignac

    |                |              |                  ép. Grimoard de Fronsac

    |                |              |                            |

Hélie II Bernard de la Marche    Géraud de Montignac       Amélie de Fronsac

ép.     ép. Amélie de Montignac ép. Nonie de Grignols     comtesse de Périgord

Amélie               |              |

de Fronsac      Audebert II     Amélie de Montignac

                                comtesse de la Marche

 

Alaas (Alaudis, Alau) est bien la femme de Grimoard qui, en 963, avec son fils Hébrard, acquiesça à la cession de l'église Saint-Sulpice d'Albuga à Guigues, abbé de Pannat (p. 81 ci-dessus). Ays de Ribérac a donc marié son fils Grimoard avec la fille d'un homonyme, vraisemblablement son parent. Hébrard porte le prénom d'un des fils de Bégon, comte de Paris sous Charlemagne. Une alliance entre ce fils de Grimoard et la maison vicomtale de Limoges, est rendue vraisemblable par le choix du prénom de Géraud donné à son fils: elle expliquerait comment le vicomte Gui Ier choisit Montignac pour y retenir prisonnier Hélie Ier de Périgord, et rendrait aussi plus vraisemblable les possibilités d'évasion dont sut profiter ce captif de marque. Les hypothèses émises page 155 sont à rectifier en ce sens.

 

 

p. 189

Agnès, vicomtesse de Fronsac.

D'après le Cartulaire de la Sauve Majeure (fol. 108, Bibliothèque de Bordeaux) il y a lieu d'ajouter aux indications concernant la maison de Fronsac, qu'Agnès, vicomtesse de Fronsac, concéda en 1095 à ce monastère la propriété du quart d'un alleu et de quatre moulins à Saint-Sulpice-sur-Dronne donnés par un de ses vassaux. Après le mort d'Agnès, son successeur dans la vicomté Raimond fils cadet du comte Guillaume Taillefer d'Angoulême (mort en 1120) réclama contre cette concession; il finit par la sanctionner, le prieur du Puy-Daon lui ayant offert 40 sols et 20 sols à sa femme.

En tête de la page 145 ci-dessus se trouve un tableau qu'il faut rectifier en donnant pour fille à Ays de Fronsac Alaas de Grignols, Ermesenz étant le nom d'une dame de Mareuil, soeur de cette Alaas, ainsi qu'il est indiqué au début du chapitre IX.

 

Le chartrier de Fronsac.

En dépouillant l'inventaire rédigé au XVIe siècle on serait surpris de ne rencontrer dans une centaine de pages que des titres ne remontant pas à plus de deux siècles, s'il ne se trouvait, vers la fin, une remarque qui éclaire ce point, en prescrivant des mesures qui apparaissent comme bien tardives:

 

Item a esté trouvé, en visitant lesdits trésor et coffres, que plusieurs pièces originales touchans et concernans tant la vicomté de Fronsac que la seigneurie de Barbazan et Casthillon, Comminge et autres biens appartenant audit seigneur, ont esté prins desdits trésor et coffres et produites comme est vraysemblable, aux procès desdites terres et seigneuries. Par quoy seroit bon voir et visiter les sacs et pièces desdits procès pandans tant à Paris que autres pars, et recouvrer les dites pièces originales, en laissant les vidimus et doubles d'icelles, collationnez aux originaux, partie appelée, dans les sacs, et recouvrer les dites pièces originales, car autrement sont en grand dangier de se perdre par succession de temps.

Item, et afin que doresnavant l'on puisse savoir et estre adverty quelles pièces se prendront et tireront des dits coffres et trésor, et par quelles gens, a esté ordonné que, en chacun desdits trois coffre, sera mis ung petit livre blanc, dans lequel celui qui prendra les dites pièces des dits coffres, sera

 

 

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tenu escripre ou faire escripre les pièces qu'il prendra, la cothe des dites pièces, et meche (marque) du sac dont il les tirera, ensemble et le jour qu'il les prendra et la cause pourquoi et à queulx fins les prand; et sera tenu aussi mettre auxdis recepissés terme suffisant dans lequel il sera tenu rendre lesdites pièces auxdits coffres, celluy qui les rendra et restituera sera tenu escripre audit livre le jour qu'il les rendra; et entre deux recepissés sera laissé espace suffisant pour mettre et escripre la restitution desdites pieces (253).

 

(253) Collection Baluze, CXVI, 347. ― L'inventaire commence au folio 260. On y trouve (fol. 272) une donation à Henri Aiguelin par Raimond, vicomte de Fronsac le 11 juin 1327; ― (fol. 273), des lettres du vicomte Raimond émancipant sa fille Jehanne et lui donnant Fronsac en la mariant à Guillaume Sans de Pomiers; ― (fol. 345) le testament de Marguerite dame de Fronsac, fille de ces époux, du 15 décembre 1400; ― (fol. 346), l'achat par elle des droits de sa soeur Assalhide, mariée au sire de Grignoulx (Grignols) et le versment par elle de 2000 francs d'or à Jehan de Pomiers, seigneur d'Ayz, pour amiable composition faite entre eux. ― C'est à peu près tout ce que l'on peut y relever sur les anciens vicomtes.

 

 

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ETUDES PREPARATOIRES A L'HISTOIRE DES FAMILLES PALATINES.

 

Première partie

Fascicule I (pp. 1-72)

 

I.                 La famille de Robert le Fort.                                                                                                             1

II.               Le problème de l'origine des comtes de Vexin.                                                                             13

III.              Thibaud le Tricheur fut-il batard et mourut-il centenaire?                                                          23

 

Fascicule II (pp. 73-172)

 

IV.              Aimon de Paris, châtelain de Dordogne, contribution à l'histoire du Roman des

                   Fils Aymon.                                                                                                                                        73

I.                 Observation préliminaires sur le Roman des Quatre fils Aymon et sur la Chronique

                   de Guitres.                                                                                                                                          73

II.               L'abbaye de Guitres, ses archives et sa Chronique.                                                                    83

III.              Texte de la Chronique de Guitres: Prologue.                                                                                 93

                   Première partie. Fondation de Guitres par le roi Yon.                                                                  93

                   Deuxième partie. L'exode d'Aimon de Paris.                                                                                  96

                   Troisième partie. Restauration de l'église de Guitres et fondation du monastère

                   par les vicomtes Grimoard et Raymond de Fronsac.                                                                    100

                   Dotation de l'abbaye de Guitres.                                                                                                     101

                   Donation d'une île fameuse par les vicomtes de Fronsac.                                                          103

                   Privilèges accordés par Seguin, métropolitain de Bordeaux.                                                      104

IV.              Remarque sur la rédaction de la Chronique.                                                                                106

V.               Antiquité de Guitres et de Fronsac.                                                                                               113

VI.              Le château de Montauban.                                                                                                              117

VII.             La fondation de Mussidan et la réforme de Saint-Astier.                                                           120

VIII.           Guillaume de Bordeaux, beau-père d'Ays de Fronsac.                                                                133

IX.              Les filles du vicomte Ays.                                                                                                               139

X.               Dée de Montignac, femme du vicomte Grimoard.                                                                        144

                   Généalogie des vicomtes de Limoges, des comtes de la Marche et du Périgord

                   au Xe siècle.                                                                                                                                        145

 

 

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XI.              Les filles du vicomte Grimoard: Alaas, comtesse d'Angoulême; Amélie, comtesse de

                    Bordeaux et de Périgord.                                                                                                                 161

XII.            Les comtes de Bordeaux de souche gasconne.                                                                            171

XIII.           Additions et retouches. La Chronique de Guitres.                                                                      181

                   L'étymologie de Guitres.                                                                                                                   182

                   La Sainte-Chapelle de Guitres.                                                                                                        182

                   Le tombeau d'Yon dans l'île de Ré.                                                                                                 183

                   Les souvenirs de la geste d'Aymon.                                                                                              183

                   Le relèvement de Saint-Astier.                                                                                                        185

                   Arnaud de Montanceix. Guillaume de Paris.                                                                                 186

                   Ranoul Bompaire.                                                                                                                              187

                   L'origine de Dée de Montignac.                                                                                                      188

                   Agnès, vicomtesse de Fronsac.                                                                                                      189

                   Le chartrier de Fronsac.                                                                                                                    189

 

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p. 194

Le second fascicule des Etudes préparatoire à l'Histoire des Familles palatines est offert gracieusement aux membres de la Société Historique du Vexin.

La pagination de cette brochure continue celle d'un fascicule antérieur contenant trois autres Etudes.

L'apparition de ce premier fascicule remontant à une époque assez reculée, bon nombre de sociétaires actuels ne le possèdent pas. Ils pourront se le procurer en adressant une somme de deux francs 50 centimes à M. Depoin, secrétaire général de la Société historique du Vexin, 150, boulevard St-Germain, Paris, VIe.

 

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