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Source : Bulletin SHAP, tome LVIII (1931) pp. 247-252.

LA SÉCULARISATION DU CHAPITRE CATHÉDRAL DE SARLAT (1561)

Le chapitre cathédral de Sarlat, régulier et bénédictin jusqu'au XVIe siècle, fut sécularisé en 1561. Quelle était son organisation primitive, pourquoi il la voulut modifier, quelle constitution fut ensuite la sienne, telles sont les trois questions auxquelles nous tâcherons de répondre. Nous puiserons la plupart de nos renseignements dans les Chroniques de Tarde et la Gallia Christiana, dans les tomes XII et XXXVI du Fonds Périgord et surtout dans un fort long et précieux vidimus, fait en février 1569 par Antoine de Salis, lieutenant général au siège de Sarlat, et conservé aux Archives de la Dordogne sous la cote E Sarlat 61[1].

La diminution constante du revenu réel des seigneurs fonciers, à partir du XIVe siècle, est un fait bien connu. Rentes et cens restent le plus souvent immuables, tandis que s'accroît le prix de toute chose. Cette diminution atteint particulièrement les maisons religieuses. Les unes, les moins riches, se transforment en simples bénéfices sans cure, qu'administre de loin un religieux ; les autres limitent le nombre de leurs membres.

Ainsi fait-on chez les bénédictins de Sarlat. Ils ont été jadis plus de cent. Le premier évêque, Raymond de Roquecorn, décrète que ce chiffre sera progressivement réduit de moitié (1319). Pierre Ronald n'en voudrait que douze (14 mai 1450), mais son ordonnance demeure lettre morte, comme la confirmation qu'en publie Armand de Biron le ler avril 1516. Charles de Bonneval (1519-1527) obtient enfin une bulle qui s'arrête au chiffre de quatorze ; il est à croire que c'est exactement celui des moines alors pourvus, car, désormais, le fait ne contredit plus le droit.

Cette question réglée, les membres du chapitre portent ailleurs leurs efforts. Assurés d'une vie décente, ils n'ont plus qu'un désir : se libérer des contraintes de la règle bénédictine. Dès le début, Armand de Biron obtient de Léon X un indult qui les dispense tant du réfectoire et du dortoir communs que des jeûnes supplémentaires. Quelques années plus tard, le cardinal Nicolas Gaddi, évêque de Sarlat de 1.534 à 1546, lance l’idée de la sécularisation. Mais cette idée ne prend vraiment corps que sous l’épiscopat de François de Saint-Nectaire. Le 2 novembre 1553, poussés évidemment par les religieux, les consuls s'assemblent à l’Hôtel-de-Ville et décident d'inviter l'évêque à reprendre le projet de Gaddi. Le prélat les reçoit, entouré de son chapitre, et se montre tout disposé à entrer dans leurs vues. L'agrément du roi, immédiatement sollicité, est accordé le 7 février 1554.

Alors, forts de l'appui et du roi et des bourgeois, les moines, réunis au grand complet, le 7 avril suivant, votent la sécularisation et rédigent une supplique au pape. Sont présents Bertrand de Salignac, grand-prieur ; Pons de Salignac, camérier ; Olivier de Salignac, aumônier; François de Sireuil, hôtelier; Jean de Sireuil, infirmier; Gabriel de Longueval, cellerier ; Jean de Longueval, ouvrier ; François de Bruzac, prévôt ; Jean Milous et Léonard du Bois, prébendiers.

Ils exposent au pape que l'église de Sarlat, ancien monastère de l'ordre de saint Benoit, fut jadis restaurée par les rois Pépin et Charles et comblée de privilèges tant par ces princes et leurs successeurs que par les souverains pontifes. Le pape Jean XXII l'érigea en cathédrale, tout en maintenant le chapitre régulier. Depuis la réforme de Charles de Bonneval, on comptait douze officiers claustraux : le prieur, l'hôtelier, l'infirmier, le camérier, le chantre, le prévôt, le sous-chantre, l'aumônier, le cellerier, l'ouvrier, le sous-prieur, le sacriste, et deux simples prébendiers. D'autre part, étaient donnés en bénéfice aux religieux et desservis par des vicaires perpétuels les prieurés de Saint-Sardos, près Montauban, Laurenque, Doudrac, Monteton et Calviac d'Agenais, Saint-Léon-sur-Vézère, Saint-Thomas de Montignac, Tamniès, Sainte-Marie de Sarlat, Belvès et Saint-Siméon de Gourdon.

Ils pourraient ajouter que plusieurs officiers claustraux ont vu unir à leur charge les revenus de certaines églises. Au cellerier appartiennent ceux de Valojoulx, Marquay et Carsac ; au prieur, ceux de Redon-Espic ; au camérier, ceux de Tursac et de la Chapelle-Aubareil. Les évêques ont annexé à la sacristie 1’église de Saint-Martial-de-Nabirat ; à la chantrerie, celles de Caudon et de Mazeyrolles; à l'infirmerie, Saint-Cybranet ; à la prévôté, Proissans, Eynesse et Cahuzac ; à l’aumônerie, Puvguilhem.

Il n'est pas davantage fait mention de certains prieurés, détenus jadis par des religieux sarladais, et qui relèvent toujours du monastère : ceux de Saint-Rabier et Monestier en Périgord, La Sauvetat-du-Drot, Envals, Cavarc et Monsec en Agenais, Berrac, prés Lectoure, et Ruffiac en Bazadais. D'autres ont été détachés du monastère pour être assignés à la mense épiscopale, particulièrement ceux de la Sauvetat-de-Caumont, Saint-Pardoux, Saint-Sardos d'Agenais, Issigeac, Saint-Quentin, Temniac et Calviac en Quercy. Enfin les bulles de 1153 et 1170 n'ont été annulées par aucun document postérieur[2].

Telle est la situation des moines à la veille de la Réforme. Quels arguments proposent-ils pour justifier leur requête?

Ils n'ont plus ni dortoir, ni greniers, ni celliers, ils n'ont même pas de cloître. Or, leurs ressources sont trop faibles pour leur permettre de faire construire. L'enceinte du monastère est si restreinte qu'on ne peut songer à y entretenir prairies et jardins. Les religieux sont donc dans l'obligation de traverser la ville, soit pour se rendre dans leurs maisons particulières, soit pour aller dans leurs jardins. Le couvent renferme l'unique fontaine de Sarlat ; on y entre de jour et de nuit et nombre de gens, qui y viennent sous prétexte de prendre de l'eau, ne consentent à s'éloigner qu'après avoir reçu quelques victuailles. Là se trouve également le cimetière Saint-Benoit, le seul qui soit dans la ville : chaque enterrement amène donc une invasion de laïcs et de prêtres séculiers; les uns pleurent, les autres chantent. En un mot, il est impossible de faire respecter la clôture. Et si les moines sont constamment mêlés au monde, ce n'est pas seulement leur propre salut qui se trouve en péril, c'est aussi celui des fidèles, qui ne peuvent sans danger supporter ce scandale. Les ordres religieux en sont discrédités, la foi est atteinte dans les âmes.

De cet état de choses l'église de Sarlat souffre même au point de vue temporel, Les édifices menacent ruine et l'on n'a pas plus d'argent pour réparer que pour construire. L'entretien des ornements et des vases sacrés est devenu un insoluble problème. Et il n'y a pas à attendre de ressources nouvelles, puisque les fils des nobles maisons — ceux-là même qui accepteraient l'aumusse — refusent de devenir moines en un si pauvre chapitre.

Veuille donc le Saint-Père supprimer bénéfices et offices réguliers, instituer à la place des canonicats séculiers avec prébendes et donner aux chanoines le statut qui régit les autres églises cathédrales.

Les doléances des religieux sont-elles conformes à la réalité ? Nous nous garderons bien de l'affirmer, et celui-là parait avoir raison qui écrit, en marge de notre vidimus, et à plusieurs reprises; « l'exposition n'en est pas véritable... Exposition non véritable, ni vraisemblable ; pas à prétendre que la ville n'eût d'autre fontaine que celle de l'enclos ». Il est certain que les moines ont un cloître et toute la place nécessaire pour greniers et celliers. Que s'ils n'ont plus ni dortoir, ni réfectoire communs, ils l'ont bien voulu. Se délivrer de contraintes que l’on trouve gênantes, obtenir des accommodements avec la règle, arguer ensuite de ce que ces licences scandalisent les fidèles pour en demander de plus grandes encore, c'est un procédé que nous pouvons très aisément concevoir, mais qu'il est fort difficile de justifier.

Là, d'ailleurs, n'est pas la question. Seul le fait importe. Le voici : par lettres du 1er (ou du 3) mars 1555, Jules III souscrit sans réserve aux propositions sarladaises. Ainsi fait Henri II, exactement à la même époque.

Désormais, le chapitre de Sarlat sera formé, non plus de religieux, mais de chanoines séculiers. Ils diront les heures canoniques et célébreront tous les offices selon le rite romain. Il y aura quatorze chanoines, dont six dignitaires ; le prévôt, le chantre, les trois archidiacres de Sarlat, Marquay et Biron, et, le premier de tous, le doyen. Les revenus particuliers du prieur passeront au doyen ; ceux du prévôt régulier au prévôt séculier[3] ; ceux de l'hôtelier à l'archidiacre de Biron. Le chantre percevra ceux de son prédécesseur sur Mazeyrolles et sur un jardin des environs de Sarlat ; l'archidiacre de Sarlat, ceux du camérier sur Sarlat, Saint-André et la Chapelle-Aubareil ; l'archidiacre de Marquay, ceux du cellerier sur cette paroisse, sur les distributions de vin, et la moitié des rentes du même officier à Carsac. Le reste reviendra à la mense commune, pour être administré par le prévôt et le syndic.

Outre les quatorze chanoines — chiffre qui ne devra pas être; dépassé — le clergé de la cathédrale comprendra quatre prêtres, deux diacres, deux sous-diacres, un maître de chant et quatre enfants de chœur, qui seront à la charge du chapitre.

Tout nouveau chanoine abandonnera entre les mains du syndic dix écus d'or sur ses premiers revenus pour servir aux besoins de l'église. Les six dignitaires seront logés dans les maisons de ceux qu'ils remplacent. Quant aux autres, ils achèteront, lors de leur nomination, pour l'habiter leur vie durant, une des maisons jadis occupées par les religieux; l'argent qu'ils verseront en paiement permettra d'acheter des ornements et des vases sacrés.

Les chanoines de Sarlat jouiront des mêmes privilèges que ceux des autres cathédrales ; ils pourront, en particulier, obtenir des bénéfices avec ou sans cure, il leur sera loisible d'agir en tout comme s'ils n'avaient jamais pris l'habit religieux ni fait profession : ils auront donc la faculté de tester.

Les contestations entre chanoines ou ministres de la cathédrale, les procès engagés contre eux et portés devant le doyen seront du ressort de l'official. L'évêque, assisté du doyen et des chanoines les plus âgés, connaîtra des causes les plus graves. Le même prélat, avec son conseil, ou 1’assemblée capitulaire en son absence, pourront édicter des statuts applicables aux intérêts spirituels et temporels de la cathédrale et du chapitre.

Le pape, toutefois, prévoit une période de transition. Les moines ne seront pas, du jour au lendemain, libérés de tous leurs anciens devoirs. L'église de Sarlat ne sera réellement sécularisée que lorsque tous les offices réguliers seront devenus vacants par décès ou cession. Les religieux resteront donc personnellement astreints à leurs obligations ; ils pourront, cependant, revêtir l'habit séculier et paraître en public. Pour hâter la transformation, il est permis aux officiers claustraux de renoncer à leurs bénéfices sans en perdre les fruits; à plus forte raison pourront-ils, leur vie durant, les conserver avec les revenus afférents.

Telles sont, en résumé, les propositions de François de Saint-Nectaire ; telles les décisions de Jules III. Mais ce pontife meurt avant que ses bulles aient pu prendre effet. L'affaire est donc remise. Marcel II n'occupe le siège romain que durant vingt et un jours ; après lui, Paul IV laisse les choses en l'état. Enfin, le 15 janvier 1560, Pie IV confirme les lettres de Jules III ; le même jour, il invite l'archidiacre de Bordeaux et les officiaux de Cahors et Sarlat à les faire publier ; le 16 février 1561, Charles IX souscrit à leur mise à exécution. Elles sont donc fulminées, le 16 avril suivant, à l'heure de midi, par l’official Pierre de Beynac. «Tous ces religieux qui, le matin, avoint assisté à la messe avec leur habit noir de saint Benoît, se trouvèrent à vespres avec leurs surpelis et aumusses ».

Ainsi disparait le vieux monastère autour duquel est née la cité de Sarlat.

J. MAUBOURGUET.



[1] Voir aussi, aux Archives de la Dordogne, B 1381, n° 9, et G IV, 16.

[2] Pour les faits qui précèdent, voir nos ouvrages sur Le Périgord Méridional, surtout tome I, p. 60-61, 247-249, 337-338, 353, et tome II, p. 111-112. Sur les terres de la mense, voir aussi I, p. 250, 354-355, et II, p. 112-114.

[3] Un texte des Archives de la Dordogne (G IV, 16) déclare que le prévôt ne conserva, avec Froissans, qu'un pré à Larzac et la dîme de Gondris, dans la paroisse de Tamniès.

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