Source : Bulletin SHAP, tome LIV (1927) pp. 72-85.
LE COLLÈGE DE PERIGUEUX
DES ORIGINES A 1792
La
fondation du Collège de Périgueux se rattache à un l'ait d'ordre général. En
France, le xvie siècle ne s'est pas caractérisé seulement par
l'éclat des arts et des lettres, mais aussi par le développement des études
scolaires. Le désir de combattre l'ignorance et d'ouvrir à l'esprit de la
jeunesse des horizons plus larges se traduisit alors par la création de
nouveaux Collèges ou la transformation d'autres, plus anciens. Citons quelques
noms à titre
d'exemples. Dijon eut, en 1531, le Collège des Martins[1], remplacé,
cinquante ans après, par celui des Godrans, où enseignèrent les Jésuites[2], Grâce aux
subventions de la Ville et des Etats provinciaux, grâce aussi aux
encouragements qu'il reçut, le Collège des Godrans prospéra, et des penseurs,
des écrivains préparèrent leur célébrité à cette école qui devait son origine à
un magistrat[3]. Bien loin de
Dijon, Tournon eut, en 1542, un Collège fondé par un illustre cardinal[4], et Uzès
posséda également le sien à partir de 1566[5]. Ainsi, sur les
divers points du territoire, les maisons d'instruction se multiplièrent, comme
par l'effet d'une salutaire émulation.
L'ouest
et le sud-ouest de la France ne furent pas moins favorisés, dans l'ordre intellectuel,
que d'autres parties du royaume. En 1516, François Ier voulant honorer la
province qui formait son apanage, instituait à Angoulême[6] « Collège, Ecoles et Université en toutes
facultés et sciences. » Le Collège, toutefois, n’exista vraiment que vingt cinq
ans plus tard, après l'achat, par un généreux bienfaiteur, d'un ensemble de
maisons et de terrains appelé fief de Montsoreau (1541). A Bordeaux, le Collège
des Arts, qui avait, remplacé, en 1411, la petite Ecole, devint en 1533 le
Collège de Guyenne et rivalisa avec les meilleurs de la capitale. Auch, ville
métropolitaine, il est vrai, et la première des cités de Gascogne dans l'ordre
politique, dut au cardinal de Tournon l'honneur de devenir aussi un foyer
d'études. Persuadé que « la pauvreté de l'esprit est la plus grande de toutes
», le cardinal, archevêque d'Auch pendant quinze ans, crut pouvoir détourner de
sa destination une partie du legs de son prédécesseur, pour l'affecter à la
fondation d'un Collège qui s'ouvrit en 1546[7].
A
Toulouse, des deux Collèges créés par l'Edit royal de 1551, l'un, celui de
l'Esquille, fut achevé en 1556; l'autre, confié aux Jésuites, fonctionna,
suivant l'expression courante, à partir de 1563. De 1556 date le Collège de
Mont-de-Marsan (on le croit du moins), de 1581 celui d'Agen, de 1587 celui de Condom
[8]. A Bayonne,
enfin, où des écoles célèbres dès la fin du XVe-siècle portaient le nom de
Collège général, un centre intellectuel plus important, plus digne aussi d une
ville enrichie par le commerce avec l'Espagne et l'Amérique, fut établi en 1598[9]. Pau devait
être pourvu bientôt après[10] .
Dans
la période de la Renaissance comme dans celle de la Contre-Réforme, les
Collèges, on peut le dire, ont été institués à profusion. Pourquoi Périgueux n'est-il
pas resté en dehors du mouvement ? Un bref aperçu de la Renaissance en Périgord
suffit à l'expliquer.
Malgré
les dures épreuves du moyen âge, le vieux pays des Pétrocores n'avait point
végété, cinq ou six cents ans, dans une ignorance fâcheuse. En 1147, saint
Bernard fut surpris de trouver à Sarlat tant de grammairiens, de physiciens et
de rhéteurs. Aux premières années du xve siècle, Excideuil avait un
instituteur, chargé non seulement de communiquer son savoir à la jeunesse, mais
de quêter des tuiles pour la couverture de l'église et de l'hôpital. En 1456,
le recteur des écoles, Jacques de Codet, jouissait à Nontron de la
considération publique; celait un homme « disert et savant », un maître dans
les arts libéraux. Périgueux, enfin, après avoir eu des écoles romaines avait
des écoles religieuses assez fréquentées. De l'une d'elles était sorti le
célèbre cardinal Hélie de Talleyrand [11].
Aussi
la Renaissance ne fut pas seulement artistique en Périgord.
Sans doute, nombre de châteaux ou de « Maisons », qui fourniraient une ample
matière à la discussion et à la critique, remontent bien à cette époque[12], mais aux
châteaux et aux «Maisons» s'ajoutèrent alors les établissements utiles. La vie scolaire
dut même bénéficier, comme la vie économique, de circonstances nouvelles. Dans
la première moitié du xvie siècle, l'autorité royale, devenue plus forte, fut
plus capable d'assurer l'ordre au dedans, tout en usant au dehors d’ardeur
belliqueuse, de ses sujets. Or, rien ne convient mieux aux études que la paix
intérieure. Les manuscrits de Prunis, composés d'après les archives du
chapitre de Sarlat, attestent que Belvès possédait, en 1500, des écoles de
grammaire, de logique, de philosophie, ainsi que des professeurs de musique.
Excideuil, sous Louis XII et François Ier n'avait pas davantage à craindre pour
ses enfants le manque d'éducateurs. Lors du procès intenté par le comte de
Périgord à l'official de Périgueux, procès dont l'origine était le droit de
nomination des maîtres d'école dans le comté, Jean de Beaulieu, qui enseignait
à Excideuil, figura parmi les témoins déposant[13]. Bergerac, de
son côté, fonda des écoles, destinées, il est vrai, à une existence assez
courte, Ainsi, de toutes parts, on cherchait à procurer à la jeunesse le
bienfait de l'instruction, au moment où La Boétie, Montaigne, Brantôme,
Bertrand de Salignac, le chanoine Tarde, le jurisconsulte Ranconnet, et bien
d'autres encore, avaient procuré ou allaient procurer au Périgord la gloire
littéraire, scientifique et juridique.
Périgueux serait-il
seul exception ? Certes non, d'autant que l'imprimerie, qui aidait si
puissamment à la Renaissance, avait pénétré d'assez bonne heure dans l’ancienne
Vésone. Les premiers livres étaient sortis, eu 1498 et 1502[14], des presses de
Jean Carant. S'ils servaient surtout à ceux qui veillent au salut des âmes,
d'autres devaient leur succéder, plus utiles à ceux dont la
mission est de former les intelligences.
Belvès,
Excideuil, Bergerac ayant des écoles, Périgueux, comme il était
naturel, voulut davantage. Il réclama un Collège, et si le Livre-Noir n'eût pas
été perdu[15], peut-être
saurions-nous à quel moment précis, de 1500 à 1531, le désir fut pour la
première fois exprimé. Le Collège, apparemment, ne se créa pas aussi vite qu'on
l'eût souhaité ; du moins précéda-t-il de plus de trente ans celui de Bergerac[16], et – constatation
non moins agréable pour l’amour-propre local - d'un demi-siècle environ celui de
Sarlat[17].
Eclaircir
les origines du Collège de Périgueux est la première question à résoudre; c'est
aussi l'une des plus malaisées de son histoire.
En
parcourant, aux Archives municipales, le Livre de la Maison de Ville qui
commence à 1513 et finit à 1534, on ne trouve qu'à la date du 21 novembre 1530
les opinions émises, dans un Conseil tenu en Chambre de Consulat, sur les avantages
d'un Collège [18]. Pourtant, dès
le 15 février, si on lit bien, le choix du « lieu le plus séant » pour le futur
Collège avait figuré, comme nous dirions, à l'ordre du jour de la séance. Mieux
encore : la maison de Pierre Dupuy, curé de Manzac, avait paru réunir toutes
les conditions désirables, et le prix en avait été évalué[19]. Mais, que la
chronologie du registre soit exacte ou non, un seul point est à retenir : en
1530, la question du Collège préoccupait les esprits à Périgueux. Nous pouvons
croire, d'autre part, que le Collège existait à la fin de 1531, puisque nous
lisons dans le
même Livre,
à la date du 29 septembre, le passage suivant :
«
premièrement, ont remonstré ledits seigneurs
Maire et Consuls que la Ville est fort pressée de payer 400 livres tournois
pour raison de la maison du Collège dudit Périgueux ; ont faict donc diligence
de faire payer ceux, qui axaient promis argent au Collège et les ont fait
ajourner devant Monsieur le sénéchal de Périgueux on son lieutenant. »
Cette
juridiction supérieure a décidé que les bailleurs de fonds s'exécuteraient,
mais de son côté la Ville s'est engagée â rendre l'argent, dans le cas où
l'institution ne donnerait pas les résultats espérés [20].
Ce serait donc
entre le 15 février «u le 21 novembre 1530 et le 29 septembre 1531 qu'il
conviendrait de placer la création du Collège. Or, précisément, les papiers du
fonds Lapeyre nous apprennent[21] que, le 25
janvier 1531, une souscription volontaire fut laite entre de nombreux
habitants, en vue d'acquérir l'emplacement nécessaire à un Collège. Le terme
d'emplacement permet de croire qu'on voulut acheter, outre le local déjà
choisi, les terrains environnants.
Parmi
les souscripteurs de 1531, figurèrent MM, Martial, licencié, juge de la ville,
qui donna 10 livres, Pierre Adémard et Hélies André, également licenciés,
Etienne Lacoste, conseiller, Jean Bordes, comptable, lesquels versèrent, à eux quatre, un total de 31 livres; Jean
Famé, maître Estienne Barbet, maître Laulanie, tous les deux licenciés,
contribuèrent, à eux trois, pour 24 livres; Pierre Linars et son homonyme [22] pour 4 livres,
20 sols; Fronton Tourtel, Jacques Deyssenier, Jean Lapeyre, dit Bourgougne,
donnèrent l'un 4 livres, les deux autres 20 sols chacun. Le Maire, Jean de
Béraud, le premier Consul, Hélies Charron, fournirent chacun 5 livres; Jean
Froydefon et Pierre Bruzac, prêtre, 5 livres 15 sols ; Mathurin Laborie,
Antoine Chateau, Jean Mayredieu 23 livres en tout. Hélies Lambert, licencié,
lieutenant en la sénéchaussée de Périgord, promît 50 livres dans deux ans. Le
montant de la souscription fut de 1213 livres 5 sols [23], et à la somme
alors recueillie s'ajoutèrent les offres et promesses de dons en nature. L'un
proposa de bailler 12 boisseaux de froment, à titre de rente perpétuelle,
l'autre « de prêter la tierce partie de sa maison »; un troisième s engagea à
contribuer de deux lions d or, un quatrième de cinquante quartiers de pierre,
etc.
Toutefois,
ce fut seulement le 7 octobre 1531 que le Maire et les Consuls achetèrent la maison de Pierre Dupuy, comme l'atteste un
inventaire des archives de la Maison de Ville, de 1598. Le Collège de Périgueux remonte donc,
par ses plus lointaines origines, à la fin de l’année 1531. Contemporain du
premier Collège de Dijon, il fut antérieur de dix ans à celui d'Angoulême[24], et de quinze
ans à celui d'Auch.
Eut-il
une grande importance durant la majeure partie du XVIe siècle ? Jusqu'à
présent, et dût l’amour-propre local souffrir un peu, la réponse est négative.
On trouve, à la vérité, dans la Chronologie Universelle de Belleforest [25], un témoignage
des plus flatteurs pour cette maison et l'un de ceux qui la dirigèrent avant
1574 : le Collège est « bien fourni de régents » ; « les escoliers de tout le
pays affluent »; le Principal est « ce docte, et vertueux docteur Talpin,
Théologal à présent en l’église
cathédrale de Périgueux »; de ce Collège sont sortis, « comme du cheval
troïen », plusieurs « gentils garçons, qui après ont fait service au
public et fait preuve de leur premier apprentissage en cette école sainctement
instituée.
» Mais ces assertions élogieuses gagneraient à être confirmées par d'autres,
également contemporaines, et surtout ou voudrait connaître- les noms de
quelques-uns au moins des « gentils garçons » qui, avant de servir l'Etat,
étudièrent à Périgueux. La vérité, c’est que les renseignements sur la période
assez longue, qui s'étend de 1531 à 1587, se réduisent à peu de chose ; il
serait même difficile de nommer avec certitude les premiers maîtres de la
jeunesse, car les Jésuites, auxquels l'enseignement appartint depuis 1589[26], eurent des
prédécesseurs. Peut-être quelque heureux hasard permettra-t-il un jour de
combler cette lacune fâcheuse, mais très explicable, en raison des troubles qui
agitèrent longtemps le Périgord.
En attendant, un
point reste hors de doute, ou plutôt l'hypothèse suivante est, jusqu'à preuve
du contraire, assez vraisemblable. Le Collège de Périgueux, moins favorisé que
celui d'Auch, n'eut pas l'honneur ou la bonne fortune de compter parmi ses
régents et Principaux, de 1531 à 1587, des hommes comparables à Bernard du Poey
et à l'Italien Massé. Le premier, qui, tout jeune encore, avait célébré en vers
latins et parfois fréquenté d'illustres contemporains, composa, entre autres
œuvres; un poème intitulé : De Collegio auscitano. Carmen ad
posteritatem [27]. Malgré la
place trop grande, faite à la mythologie, du Poey apprenait aux générations
futures l'histoire de la maison où il professa plusieurs années, les noms de
ceux qui y « régentaient » alors, et n'oubliait pas les détails matériels.
Massé dédia à l’archevêque-cardinal d'Este, sous le nom de Tabula legum, un plan d'études
rédigé dans un latin sobre, concis, mais très intelligible[28]. On y sentait
un organisateur véritable, connaissant bien son métier et désireux de le
prouver. Pour le Collège de Périgueux, rien de semblable n'a été découvert,
jusqu'ici du moins. Est-ce à dire que l'Établissement fondé en 1531 n’ait pas
eu à sa tête, dès le XVIe siècle, des chefs éminents ? L'un d'eux nous est
connu, et non pas seulement par les éloges que lui décerne Belleforest. Jean
Talpin, originaire de Coutances, avait été en 1542 régent de sixième au Collège
de Guyenne. Brouillé avec le Principal, André de Gouvea, au sujet d'un
règlement de comptes, il avait quitté fort jeune le Collège avec le seul titre
de maitre-ès-arts. Devenu docteur en théologie, il s'était rendu à Paris, et
divers ouvrages où il défendait l'orthodoxie romaine avaient attiré sur lui
l'attention[29]. C'était un
esprit distingué, qu'il ne faut pas juger d'après la notice irrévérencieuse contenue
dans Le
Manuel du Libraire, Humaniste de premier ordre, Talpin
connaissait parfaitement le grec et l'hébreu[30].
En
dehors de sa présence au Collège, tout ce que l'on sait, d’une manière
positive, sur la période antérieure à 1587, c'est qu'une amende de 100 sols
pour la réparation du bâtiment fut imposée, en 1557, à un coupable qui
avait obtenu des lettres de grâce[31]. En outre,
d'après le Registre d’état-civil de la paroisse Saint-Silain, Me Jean
Bonnichon, mari de Catherine Filepart, aurait été régent au Collège en 1583 [32].
Supposer
que, durant plus d'un demi-siècle, le Collège végéta, ou n'eut qu'une
organisation provisoire et rudimentaire, ne serait peut-être pas aller trop
loin, malgré le témoignage si favorable de Belleforest. On saura la vérité sur
ce point quand l'histoire de la ville elle-même sera mieux connue. En tout cas,
La situation changea en 1587, par suite de la vacance d'une chanoine et d'une
prébende après la mort de Poncet Maignan, chanoine de l'église collégiale de
Saint-Front. A la suite du décès, l'évêque et le chapitre[33] décidèrent, le
21 décembre 1587, sur la demande du Maire, que, selon l'article 9 de
l'ordonnance d'Orléans, les revenus de la chanoinie et prébende seraient
affectes à l'entretien d'un régent, lequel serait tenu d'instruire la jeunesse
de la ville sans aucun salaire[34]. Moins d'un an
après, le 1er août 1588, la Ville et communauté d'une part, les deux chapitres
de l'autre, passèrent une transaction en vue de projeter l'établissement du
Collège[35]. Le mot «
établissement » est à remarquer; il semble indiquer la nécessité de fonder pour
ainsi dire à nouveau l'institution qui datait de 1531.
On lit de plus,
dans un document manuscrit relatif à l'année 1595, que, le 30 janvier, maître
Hélie de Jean (ou Dejean), conseiller magistrat au siège présidial de la ville
et Maire d'icelle, vint à une réunion du chapitre de l'église cathédrale
Saint-Etienne de la Cité[36]. Il « remonstra
» à l'assemblée que, dès l’année 1589, les Maire et Consuls alors en charge «
auraient entrepris l'érection d'un Collège pour l'Institution de la jeunesse à
la piété et bonnes lettres. » Cela montre bien que le premier, déjà vieux de
cinquante-huit ans, ne leur paraissait pas offrir toutes les garanties ou
réunir toutes les conditions désirables[37]. En 1590, la
communauté prit, sur le même objet, un arrêté signé du Maire et des Consuls. En
1591, une transaction fut conclue, le 1er
août,
entre le Maire et les Consuls encore et le chapitre cathédral, après action
intentée à ce dernier par le Syndic de la communauté, eu vue d'obtenir de lui
la prébende que l'Ordonnance d'Orléans l'obligeait à donner[38]. Désormais, le
Collège était assuré de vivre puisqu'on s'intéressait à lui.
A
ce moment-là, les Jésuites se trouvaient à Périgueux depuis le mois de juillet
1589. Ils y étaient venus au nombre d'une vingtaine, en partant de Bordeaux,
d'où les avait chassés le maréchal de Matignon[39]. Bien que de
Bordeaux à Périgueux le trajet ne fut pas long, il offrait encore certains
dangers. Deux Pères, en effet, tombèrent aux mains des « hérétiques »,
c'est-à-dire des huguenots. L'un d'eux donna quelque argent à un soldat, qui le
relâcha à l'insu de son chef[40], l'autre fut
battu avant d'être renvoyé. On exprima, paraît-il, de grands regrets, lorsqu'un
billet trouvé sur lui eut fait connaître sa qualité véritable. Le texte qui
fournit ces détails
n'indique pas avec précision de qui vinrent les regrets.
La
même année (1591), les autorités locales, après avoir pris l'avis de l’évêque,
celui des chanoines des deux églises, des nobles, des officiers royaux et « du
conseil général des autres habitants de la ville » conférèrent, le 23 décembre,
avec le Père Clément, Provincial. D'après les articles alors rédigés, le Maire
et les Consuls, la population, l'évêque, les deux chapitres dotaient le
Collège, d'une « rente et revenu annuel de 3.000 livres tournois », dont 400 prises
sur les revenus des chapitres provenant de deux prébendes. Cinq cents autres
livres seraient imputées sur « les gros fruits » de la paroisse de Razac, à la condition
que les Maire et Consuls poursuivraient, à leurs dépens, l'union de ce bénéfice
au Collège. Enfin les 2.100 livres qui restaient seraient données par la
communauté[41].
Ce
lendemain, d'autres articles relatifs à la future maison d'éducation furent
convenus à l'assemblée générale de l'Hôtel de Ville, entre le Maire, les
Consuls et le P. Debord. Ces articles, soumis ensuite à Claude Aquaviva,
général des Jésuites, reçurent son approbation le 23 avril 1592, et le 9
octobre suivant, les magistrats de la ville, le Provincial Louis Richeome[42] et le P. Debord
passèrent un acte que l'on peut regarder comme la Charte du Collège. Il n'y
établit pas les Jésuites, mais il consacra leur enseignement[43]. Il fut
stipulé, entre autres dispositions, que, si les deux chapitres ne payaient pas
les 400 livres par eux dues, le Procureur-Syndic, en ce cas responsable,
acquitterait lui-même la somme sauf recours ; il serait également tenu de
poursuivre, à ses dépens, la réunion au Collège du bénéfice de Razac, Si, la
chose faite, les Pères étaient troublés dans la jouissance de leurs biens, le
Maire et les Consuls, en qualité de fondateurs du Collège, devraient les
soutenir. Ils s'engageaient aussi à l'achat, dans un délai de dix-huit mois,
des maisons les plus voisines du local alors occupé.
Ces
arrangements obtinrent, dès le 13 octobre, l'approbation du Conseil de Ville.
Ce fut vraiment à cette date que le Collège exista. Ou, plus exactement, il
acquit, à partir de l592, une importance réelle. On s'explique ainsi que le P.
Dupuy, après avoir parlé d'une fondation en l530, en ait mentionné une seconde
soixante ans plus tard[44]. C'est qu'en
effet l'acte du 9 octobre 1592 créa pour ainsi dire le Collège à
nouveau. Alors
seulement, et par suite de la sanction donnée, nous l'avons dit, à l'œuvre
municipale, le nom même de Collège remplaça celui
de Missio,
qui
figure encore dans les Lettres Annuelles de 1591-1592 ;
le « Supérieur de la Mission » s'appela de même, désormais, le « Recteur du
Collège ».
Un
bref historique, rendu peut-être plus intéressant à l'aide de comparaisons,
montrera par quelles vicissitudes a passé ce premier établissement dans une
période de deux siècles.
(A
suivre). Ch. Lambert.
[1] Cf. Muteau : Les Ecoles et les Collèges en province
depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, p. 126.
[2] Ibid. Id., p. 245
[3] Odinet Godran, Président et
Garde des sceaux du Parlement de Bourgogne. Par son testament du 1er
août 1580, il institua les Jésuites ses seuls héritiers, conjointement et par indivis avec la ville et commune de
Dijon Op. cit. p. 254.
[4] Le cardinal de Tournon. Voir
l’étude de M. Bénétrix qui a pour titre : Un collège de province pendant la Renaissance. Les origines du Collège
d’Auch, p. 12.
[5] On en a la monographie écrite
par M. Frandin. Cf. La Revue historique,
tome CI, p. 106.
[6] Par lettres-patentes datées d'Amboise. - Voir l’Histoire du Collège et du
Lycée d’Angoulême, par MM. Boissonade et Homard, p. 4.
[7] P. Bénétrix, p. 13.
[8] Voir l’introduction, p. XXII, de l’ouvrage de M. Bénétrix.
[9] Ecrit d'après une Notice sur le Lycée de
Bayonne, extraite de la
thèse de M. Dovron.
[10] Il n'est pas douteux que cette ville ait eu un Collège dans
les premières années du xve siècle ; mais c'était ou collège protestant, où des professeurs de l’université d'Orthez venaient faire des cours, Cf. l’Histoire du Lycée de Pau par MM. Delfour et Lespy, p.
9. En 1625 seulement, Louis XIII accorda aux Jésuites la permission de fonder ici
et d'y bâtir et rebâtir un Collège. »
[11] Fondateur du Collège de Périgord à Toulouse. - Pour les
détails donnés ici, se reporter à l’intéressante étude de M. Dujarric-Descombes
sur l'instruction en Périgord avant 1789 (Bull. de la Soc. hist. et arch.
du Périgord, tome VIII, année
l88l. pp. 480-494).
[12] A Périgueux, la Maison
longtemps appelée, à tort, Maison des Consuls, la Maison Estignard, la Maison
dite autrefois du pâtissier, l’Hôtel Gamanson.
[13] Voir ici encore l’étude précitée de M. Dujarric-Descombes.
[14]
Ces deux raretés biographiques
furent mises en 1883 par M. de Montégut sous les yeux de la Société historique
et archéologique du Périgord (cf. le Bulletin de la société, tome V, pp. 244 245). Elles
formaient deux plaquettes en caractères gothiques réunies en un
volume. Les titres étaient en latin.
M. de Montégut,
se fondant sur la beauté et la netteté des caractères, pensait qu'avant ces
deux livres, Carant avait dû imprimer d'autres ouvrages
aujourd'hui disparus. Suivant lui, les livres de 1498
et de 1502 ne pouvaient être l’œuvre d'un débutant.
M. Hardy, archiviste
municipal, avait découvert, en fouillant les Archives de la ville, la présence
d'un libraire à Périgueux des 1480, et d'un autre nommé Guy, en 1492. Ce furent
eux, peut- être, qui tirent venir à Périgueux l'imprimeur
Carant.
[15] Le registre 17 de la série BB ne supplée le Livre Noir
que pour la période 1541 1614.
[16] Fondé seulement en 1564 (Bulletin de la Soc. historique et archéologique du Périgord, tome VII, année 1880 : Notes et documents inédits, relatifs aux
institutions de la ville de Bergerac (suite), chapitre III, section V. Il y est dit, a la
page 323, que Les Lettres-Patentes de Charles IX, accordant aux habitants la
permission demandée, sont du mois d'août 1564. Le Collège de Périgueux existait
alors depuis trente-trois ans.
[17] Fondé en 1578 par Pierre Blanchier, conseiller au
Parlement de Bordeaux.
[18] Archives municipales, BB 18, folios 164-165.
[19] Peut-être, cependant, l'anomalie relevée ici n'est-elle qu'apparente : on
a pu amorcer, au mois de février l531, la question du Collège, en
ordonnant l'estimation d'un local, et renvoyer à plus tard 1a
consultation de l'opinion publique sur le même sujet.
[20] « Si le cas estoit que ledit Collège ne sortît pas
son effect. (Arch. mun., BB 18, folio 186 recto.)
[21] Cartun 3, numéro 11.
[22] Dont le nom est écrit Linards.
[23] M. F. Villepelet, secrétaire général de la Société
historique et archéologique du Périgord, communiqua ces chiffres à la Société
dans la séance mensuelle du 7 février 1878. Voir le tome V du Bulletin de !a Société,
p. 90. M. Villepelet eut également la
bonne fortune de retrouver les noms des premiers souscripteurs dans un vieux
calepin que lui avait donné Mme Charrière, veuve d'un juge de paix C'est de ce
calepin qu'est extraite la liste abrégée ci-dessus intercalée.
[24] Ouvert seulement, comme en l'a vu, en 1541. A titre d'indication,
nous ajouterons que le Collège de Périgueux fut postérieur de
deux cent trois ans à celui de Castres et de deux cent un à celui de Gaillac.
[25] De l'ancienne Cité de Périgueux, colonne 206.
[26] D’après les Letttres Annuelles, un Jésuite avait prêché à Périgueux sept ans
avant cette date. Voir le volume relatif à l’année 1582, p. 158.
[27] Ce poème, de 250 vers, a été publié pur M. Bénétrix
à la fin de son livre sur les origines du Colley d'Auch (Appendice A, pp.
184-197).
[28] Appendice B, pp. 197-210, délivre de M. Bénétrix.
[29] Il en composa encore bien
d’autres, dont la Société Nationale Académique de Cherbourg donna la liste en
1873 : Poésie chrétienne,
Institution pour les curés, Traité de sordres et des dignités de l’Eglise,
Institutions des Princes chrétiens. Talpin semble avoir eu, avec le savoir,
une grande puissance de travail.
[30] Sur Jean Talpin, lire, outre la Note imprimée dans l’ouvrage de M. Bénétrix (chapitre
IV, pp. 71-72), L’Histoire du Collège de Guyenne,
pp. 166-170,
et dans le Bulletin de la Société historique
et archéologique du Périgord, t. V, pp. 132-136, un Rapport concernant la succession du chanoine Jean
Talpin, Principal du Collège de Périgueux. Ce rapport, communiqué à la
Société par M. l'abbé Goyhenèche, dans la séance 7 mars 1878, ne contient toutefois aucun détail biographique sur
Talpin, mort le 18 juillet 1574. Il ne parle que d'un procès entre l’abbé Prade
et les chanoines de Périgueux, procès dans lequel la prébende théologale qui
avait appartenu à Talpin était l'objet d’un litige, Prade la réclamait en
s'autorisant d'an article du Concordat de 1516 (l'auteur du rapport dit 1517),
qui reconnaissait aux seuls gradués
en théologie le droit de posséder un bénéfice devenu vacant au mois de juillet.
Prade était docteur, et Talpin était mort précisément en juillet.
[31] Archives départementales de la Dordogne, B 63. Ces indications sont un peu vagues ; on ne sait
pas où ont été « entérinées » les
lettres de grâce, ni quel délit avait commis « l'impétrant ».
[32] Ajoutons qu'en 1573 un certain Guillaume de Soudeys
était chambrier au Collège de Périgueux.
(Archives départementales de la Dordogne, E, Famille Huard.)
[33] On pourrait croire qu'il s'agit du chapitre cathédral, mais le Registre qui embrasse, dans l'histoire du
Collège, la période 1763-1786 et mentionne, (folio 30
verso) l'acte du 21 décembre 1587, ajoute, après les mots : note
capitulaire de l'évêque de
Périgueux, le bref commentaire suivant : en qualité d'abbé de l'église
collégiale de Saint-Front et des chanoines et chapitre de ladite église, par lequel ils consentent
qu'en vertu de l'ordonnance d'Orléans il soit accordé au Collège de Périgueux
les fruits d'une prébende et chanoinie de ladite église pour l'entretien d'un
Régent au Collège. Le chapitre dont il est ici question est donc le chapitre collégial.
[34] Archives municipales de Périgueux, GG 172.
[35] Voir aux Archives départementales de la Dordogne les papiers du fonds Meredieu d'Ambois, qui
mentionnent « les titres » relatifs au Collège conservés au greffe de l'Hôtel de Ville.
[36] L'église Saint-Front ne devint, en effet, cathédrale
qu’en 1609
[37]
D’après les Lettres Annuelles, la Ville demandait un Collège
dès 1582 (Cf. le volume relatif à cette année-là, p. 158) ; en 1589, elle renouvela sa demande. (Lettres Annuelles volume de l'année, p. 307.)
[38] Archives départementales de la Dordogne, E, Famille Meredieu
d'Ambois.
[39] Bibliothèque municipale de Périgueux. Papiers du
fonds Lapeyre, carton 3, n° 11.
[40] Lettres Annuelles, volume de 1589, p. 307.
[41] Archives départementales de la Dordogne, E, Famille
Meredieu d'Ambois,
[42]
Le P. Richeome ayant collaboré à la fondation du Collège de
Périgueux, on a cru devoir lui consacrer la note suivante, qui reproduit, en
les abrégeant, des passages d'un article de M. Beaunier sur l’Humanisme dévot, inséré dans la Revue des Deux-Mondes du 1er mai 1916, pp. 204-215.
L’Humanisme dévot est le titre du tome Ier de l’Histoire
littéraire, du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu'à nos jours, par M. l'abbé Henri Bremond.
Louis Richeome était né en 1544 à
Digne. Il était donc Provençal, et se montra toujours fier de cette qualité,
qu'il inscrivait au commencement de ses livres à côté de sa qualité de Jésuite.
Après avoir entendu eu Collège de
Clermont les leçons de l'Espagnol Maldonat, « un lion on chaire, un
agnel en conversation » il entra chez les Jésuites, occupa les plus hautes
charges de son ordre à Lyon et à Bordeaux, fut à Rome assistant de France et mourut, au
premier quart du xviie siècle.
Doux et néanmoins capable de violence,
Richeome détestait les ennemis de L'Eglise. On a de lui des libelles farouches
comme une Chasse du renard Pasquier découvert et pris en sa tanière, pleine
d'injures et de gros mots qu'Etienne Pasqnier releva.
Mais, si Richeome employait sans
scrupule des expressions trop crues, il y avait aussi eu lui un écrivain doublé
d'un artiste. C’est ce que montrent ses Tableaux sacrés, où maintes scènes de l’Ancien Testament sont en quelque
sorte dessinées avec des mots et, qui plus est, coloriées, au point que le
livre aurait pu se passer des illustrations du graveur Léonard Gaullier.
A ces qualités s'en ajoutait une autre non moins précieuse, quoique d'un caractère différent. Richeome ne
voulait pas que la dévotion fût triste, et la religion « renfrognée et sourcilleuse »
n'était pas de son goût. Devancier de saint François de Sales, il avait aussi
en lui quelque chose de l'autre saint François, et l'on peut dire qu'il tenait
de sa Provence « un peu de cette allégresse adorable que saint François
d'Assise devait au soleil d'Ombrie, au paysage lumineux, aux vignes et aux
oliviers ».
On conviendra que, si les
professeurs envoyés à Périgueux réunissaient quelques-unes des qualités de leur
Provincial, les élèves du Collège n'étaient pas à plaindre.
[43]
Actif et même florissant dès
les années 1589-1590, d'après le Catalogus provinciae Aquitaniae. A cette date, le Collège possédait même une classe
de philosophie, et en 1588 son personnel comprenait vingt-deux Jésuites. Les Lettres Annuelles mentionnent, pour 1590-1591,
six classes y compris la philosophie, et attribuent à rétablissement un total
de 400 élèves (p. 586 du volume relatif à ces deux années).
Pour l’acte du 9 octobre 1592, voir le Chroniqueur du Périgord et du Limousin, première année, pp. 257-259, A la teneur de cet acte
fait suite (pp. 257-262) celle des articles convenus et arrêtés le 24 décembre 1591.