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Source : Bulletin SHAP, tome XLIX (1924) pp. 94-99 (extrait).

LE PRIEURÉ DU CHALARD DE RIBÉRAC

Le Chalard, de Ribérac « ainsi nommé par les modernes, parce qu'il fut longtemps défendu par un fort appelé Castellarium, dans le haut Moyen Age, »[1] nous apparaît ainsi singulièrement plus ancien que Ribérac lui-même qui, d'après Léon Dessalles, ne remonte pas au-delà du XIe siècle.

D'après le même auteur, le Chalard et la Ferrière, autre petit village situé près et au Sud-Ouest de Ribérac, constituaient à l'époque de L'occupation romaine, de ces stations ou mansions échelonnées sur leurs voies de communications. Par ces deux stations, deux roules importantes passaient, l'une allant de Vésone à Bordeaux et l'autre de Vergn à Saintes. Cette double voie donnait une singulière importance à ces deux localités, mais moins à la derrière qu'au Chalard qui, situé sur la Dronne, en commandait le gué et, plus tard, les ponts qui y furent construits.

L'importance de ces lieux n'avait point échappé aux premiers comtes du Périgord. Et Wlgrin, quand il fut comte de Périgord et d'Angoumois (866), y plaça un représentant de son autorité, un vicomte, qui fit probablement son centre de résistance du Castellarium.

Approchant le commencement du XIe siècle, ce vicomte qui s'appelait, alors, Alchier, ayant, peut-être, éprouvé les ennuis qui résultaient des débordements de la Dronne, pensa, probablement, qu'il aurait tout autant d'avantages et moins d'inconvénients, en se déplaçant vers la hauteur qui domine la ville actuelle. Quoi qu'il en soit, c'est à lui qu'on attribue la fondation, vers l'an 1000, du château de Ribérac.

Le comte Alchier ou un de ses successeurs immédiats aurait-il appelé au Castellarium, désormais libre, des moines qui, tout en apportant aux habitants de la petite garnison les secours religieux de leur ministère, auraient contribué à assurer, par leur prieuré, une défense et une protection sur la Dronne ? Cela est possible, mais n'est qu'hypothèse. Ce qui est vrai, c'est qu'un pouillé du XIIIe siècle mentionne l’Ecclesia del Chalar[2] et qu'en 1304, Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, dans sa visite du diocèse de Périgueux, s'il ne s'arrêta pas personnellement au prieuré du Chalard, y envoya ses mandataires, pendant qu'il séjournait à Saint-Privat.

« Saint-Privat … Et ledit jour (7 Septembre) aurait envoyé ses visiteurs aux prieurés de Sainte-Aulaye et d'Eschorgnac pour les visiter et, le lendemain, aurait envoyé sesdits visiteurs au prieuré de Chalard près Ribérac... et séjourné avec son train au bourg de Saint-Privat, aux dépens du prieur du Chalard »[3].

Placé sous l'invocation de Saint-Robert[4], le prieuré du Chalard obéissait à la règle de Saint-Benoit et, comme on voit, jouissait, en 1304, d'une prospérité telle que Bertrand de Got n'hésitait pas à l'imposer de la somme nécessaire pour vivre une journée, lui et son train, à Saint-Privat. Et l'on sait par l'anecdote du prieur de Cénac, rapportée dans la même relation, qui, non seulement, refusa de le recevoir, mais usa de violences envers des personnes de sa suite, qu'une telle dépense était loin d'être mince.

Les seigneurs de Ribérac se plurent à favoriser la communauté. Située au passage de la Dronne, elle comptait parmi ses principaux revenus les droits de traversée du pont. Un document, fort instructif, mentionne longuement une convention intervenue à ce sujet entre le prieur du Chalard et le comte de Ribérac. J'en signalerai les principaux points.

« Convenu au lieu de Ribérac, le septiesme jour du mois de Septembre de l'an du Seigneur 1496, présens et en l'auditoire de vénérable personne Me François Barré, prestre, noble homme Mre Martial Germain, licencié es loix, père Pierre de Martroy, prieur d'Ardan et Estienne de Renoncenac, témoins connus et, personnellement présens et constituez, noble et puissant seigneur Odet Desdye, chevalier, vicomte, d'Espeluche, seigneur de Ribérac et dame Anne Despont, son épouse... avoir concédé par eux et leurs héritiers et leurs successeurs à l'avenir d'une part, et vénérable et religieuse personne père Poncet de Juessaye, prieur du prieuré de Chalard, ordre de Saint-Benoit, proche Ribérac... membre dépendant immédiatement du sacré monastère de la Maison Dieu[5], aussy pour luy et ses successeurs audit prieuré, lesquelles parties ont confessé que cy-devant, les seigneurs successeurs prédécesseurs dudit seigneur de Ribérac ont, en augmentation du prieuré de Chaslard, donné et conféré au même prieuré tous les domaines, dixmes dudit lieu de Chaslard, tant en bled que grain situés sur la rivière de Dronne entre les moulins vulgairement appelés des Vigoyaux[6] et un bras de ruisseaux avec ses rives, engagements, chaussées, acqueducs et générallement ce qui en dépend, comme aussi les droits et émoluments de pesche dans les mesmes moulins et leur appartenance et, encore, les droits et émoluments des ponts et passages du même lieu de Chaslard, sur lad. rivière de Dronne, exceptez et réservez à soy et lesdits donateurs vingt sols tournois de redevance chacun an, à lever et percevoir par lesdits seigneurs donateurs sur lesd. moulins.

Et quoique, par le présent, les revenus du prieuré soient presque réduits à rien, tant à cause des grandes inondations qui ont renversé les ponts, que d'un nouveau moulin qu'a fait construire ledit seigneur à proximité du prieuré et qui concurrence fâcheusement celui des pères,

« le procureur de notre Roy poursuit vertement led. prieur de refaire et réparer lesd. ponts .... réparation qu'il ne saurait faire sans une grosse somme de deniers. Par ces raisons, led. prieur auroit requis lesd. seigneurs de Ribérac de faire lesdites réparations de pont et passage et obliger ses vasseaux à moudre au moulin du prieuré ….. cela mis en considération que ces mêmes seigneurs et leurs prédécesseurs ont été les fondateurs ou ont dotté led. prieuré desdites choses et que ce même prieuré continue de faire le service divin dans l'église. »

Lesdits seigneurs de Ribérac répondirent qu'ils n'étaient point tenus à ces réparations et ne pouvaient obliger leurs sujets à moudre au moulin du prieuré. Les choses en étaient là, quand, par l'intervention « de personnes nobles circonvoisines et autres honnestes gens qui savent vouloir bien faire, » un accord fut proposé.

« Ledit prieur de Jussaye a associé et appersonné lesd. seigneurs vicomte et vicomtesse d'Espeluche et les seigneurs de Ribérac dans les droits et émoluments des ponts et passages et droits de pesche audit lieu de Chaslard et, avec ce, ledit seigneur sera tenu de faire et réparer les ponts et faire faire et tenir en bon état les ponts et passages et bien réparés en perpétuel temps et, avec ce, les émoluments, droits et devoirs desdits ponts et passages et pesche seront communs entre jceux seigneurs de Ribérac et led. Prieur ….. Plus …… led. Prieur ….. a ceddé….. aud. Desdye, chevallier, seigneur dudit lieu, son dit moulin avec ses logements, rives aqueducs et autres ses appartenances, les émoluments annuels duquel montent à six ou sept pipes de blé, moyennant ce, lesd. seigneurs comtes et vicomtes ont, maintenant, assigné... au même seigneur prieur et ses successeurs neuf pipes de bled, savoir six de froment et trois de méteil, à la mesure de Ribérac, à lever et percevoir, chaque année, pour en payer led. seigneur prieur et ses successeurs, au pardessus la moitié des dixmes de la paroisse de Saint-Martin-Peint du même seigneur, appartenances de Ribérac et que ce même seigneur tient inféodées du seigneur évesque de Périgueux.:... et led. prieur percevra sur le moulin délaissé soixante dix sols tournois.... à lever tous les ans à la feste de la Nativité du Seigneur et le prieur aura le droit de faire moudre son bled et celui de ses gens dans le moulin sans qu'il soit prélevé de mouture par le meunier. Enfin, les religieux demeurent exempts du droit de passage sur le pont, eux, leurs biens et leurs animaux »[7].

Il est curieux qu'après une si minutieuse convention, il ne soit plus trouvé trace des Bénédictins du Chalard.

J'en ai cherché la cause et j'imagine, sans toutefois pouvoir le prouver, que l'engagement pris par le comte de Ribérac de pourvoir aux réparations du pont s'étant trouvé bien au dessus de ses prévisions, il dut résilier un contrat par trop onéreux.

Les deux parties convinrent définitivement que c'était là dépense supérieure à leurs ressources. Mais privés, désormais, de leur principal revenu, les religieux quittèrent, vraisemblablement; des lieux où les conditions de leur existence s'étaient si modifiées à leur désavantage. Ils durent réintégrer le monastère de la Maison-Dieu.

Et, sans doute, est-ce pour suppléer au départ des moines du Chalard que, moins de quatre ans plus tard, le comte de Ribérac fonda la collégiale qui devait, subsister jusqu'à la Révolution. Ainsi, aux causes que développe l'auteur anonyme de « La Collégiale de Ribérac » dans le journal de Ribérac[8], pour expliquer la fondation de cette collégiale, convient-il, peut-être, d'ajouter le désir du comte de Ribérac de remplacer les religieux du Chalard, partis de leur propre gré. Et je me demande si, tout compte fait, cette raison ne fut pas la plus importante, je n’ose pas dire la seule, que firent valoir en Cour de Rome les seigneurs de Ribérac, pour obtenir d'Alexandre VI la bulle d'érection qui leur donna satisfaction.

Cette hypothèse me paraît d'autant plus plausible que l'on voit, plus tard, les chanoines de la Collégiale être possesseurs d'une partie des dîmes de Saint-Martin et jouir d'une rente sur le moulin du Chalard. Le 29 mars 1792, le procureur syndic du directoire de Ribérac écrit au chanoine Dusolier des Granges :

« A Monsieur l'abbé Dégranges. Le receveur du droit d'enregistrement me demande le titre qui assurait aux ci-devant chapelains de Ribérac une rente sur le moulin du Chalard. Nous ne trouvons point trace de ce titre parmi les papiers que vous nous avez donnés. Veuillez bien, Monsieur, nous le faire passer ….. Signé : Borac[9].

On s'est demandé où existait exactement le prieuré du Chalard. Il est certain qu'il n'en reste pas la moindre trace aujourd'hui. Mais les textes permettent de le situer avec une suffisante approximation. Le Chalard désigne encore, de nos jours, une petite agglomération de maisons située dans l'angle formé par la rive gauche de la Dronne et la rive gauche du Ribéraguet, lequel Ribéraguet ne peut être que le ruisseau mentionné dans la convention plus haut rapportée. Le prieuré ne pouvait être que là, dans cet angle. Sur la rive droite de la Dronne, il eût été de la paroisse de Villetoureix ; sur la rive droite du Ribéraguet, il eut été de la paroisse de Saint-Martin. Or, il était de la paroisse de Faye qui était précisément limitée en ce point par la rivière et le ruisseau.

(…)

Dr Emile Dusolier.



[1] léon dessalles, Ribeyrac in l’Echo de Vésone, 1865 : 21-25 juillet.

[2] Dictionnaire de Gourgues : Chalard.

[3] Visite de Clément V. Trad. de l'orig. en latin. Arch. dép. de la Gironde.

[4] Arch. dép. de la Dordogne. L. 776 F- 58.

[5] Traduction de Casa Dei. L'abbaye gothique de la Chaise Dieu (Haute-Loire) la plus belle de l'Auvergne après Notre-Dame de Clermont-Ferrand fut bâtie de 1344 à 1352 aux frais du pape Clément VI.

[6] Il faut lire Vigeyreau. Nom d'un ancien moulin sur la Dronne à proximité du Chalard.

[7] Arch. dép. de la Dordogne. Fonds d'Aydie E. 7 Traduction de l'original en latin.

[8] La Collégiale de Ribérac. Journal de Ribérac 1913.

[9] Arch. dép. de la Dordogne. L. 823, f° 12.

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