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Source : Bulletin SHAP, tome XLV (1918) pp. 270-275.

 

LES JOURNAUX DU TRÉSOR DE CHARLES IV LE BEL PUBLIÉS PAR JULES VIARD, CONSERVATEUR AUX ARCHIVES NATIONALES,

PARIS, IMPRIMERIE NATIONALE.

La collection des Documents inédits sur l’Histoire de France, s'est enrichie de la publication de journaux de comptabilité, qui mettent en lumière les ressources et les charges de la royauté pendant le règne de Charles le Bel, successeur de Philippe le Long, de 1322 à 1328, et fournissent par là aux historiens une mine abondante à exploiter.

Ces journaux du trésor royal, rédigés en latin, sont présentés, sur deux colonnes, dans un volume in-octavo de 1.700 pages. J'y ai rencontré de si intéressantes allusions au Périgord, que j'ai cru faire œuvre utile en les signalant à l'attention de nos collègues.

Il est bon tout d'abord de donner un aperçu général de la composition de ces journaux, qui, en plus des sommes versées directement au trésor ou sorties directement de ses caisses, comprennent les comptes des baillis, des sénéchaux, des receveurs et autres officiers ayant à justifier de l'emploi de deniers. En groupant les divers éléments qui les composent, M. Viard a pu établir, d'un côté, le produit des bailliages et des sénéchaussées, du monnayage, des péages, des amendes, etc., et, d'un autre côté, ce qui fut dépensé pour les gages, pour l'hôtel, les travaux, les voyages, les missions, etc.

En Périgord, comme dans tout le midi, un receveur était adjoint au sénéchal. Les versements effectués par eux sont mentionnés sous plusieurs formes différentes. S'ils ont versé entre les mains d'un trésorier, ce trésorier est alors débité de cette manière : Cepimus supra Joannem Billouardi, ou supra Petrum Remigii, Jean Billouard et Pierre Rémi étaient les trésoriers préférés du Roi. Si c'est au profit de celui-ci qu'une somme a été versée, le Roi en est crédité. On indique, en outre, qu'elle fut remise au trésor, au nom de tel bailli ou de tel receveur, et par telle personne.

Les recettes de nos sénéchaussées figurent habituellement pour une somme ronde au journal. Le plus souvent, elles sont employées à faire face à certaines dépenses, pour la justification desquelles les fonctionnaires ayant la gestion des deniers publics devaient fournir un compte. Les totaux de ces comptes, joints aux versements faits directement à la caisse du trésor, permettent d'évaluer les ressources fournies par les provinces au pouvoir central.

Les comptes de la sénéchaussée de Périgord renferment quantité de renseignements, que je vais m'appliquer à relever ici. Nos historiens locaux y trouveront de précieuses indications.

Après la liste complète des sénéchaux donnée par Léopold Delisle en tête du tome XXIV du Recueil des historiens des Gaules et de la France, M. Viard se contente de la rectifier ou d'apporter des précisions, quand il le juge nécessaire.

Voici quels sont les sénéchaux du Périgord, dont les journaux du trésor de Charles IV relatent les noms.

Le premier est Jean d'Arrablai le Vieux, en fonction dès le 12 octobre 1291. Transféré ensuite aux sénéchaussées de Carcassonne, de Beaucaire et de Nîmes, où il resta jusqu'en 1303, il redevint, cette année-là, sénéchal de Périgord et de Quercy. Il mourut le 12 novembre 1329, après avoir été chargé de plusieurs missions par Philippe le Long et par Charles le Bel.

En 1319, c'est Jean d'Arrablai le Jeune, qui apparaît à la tête de la sénéchaussée.

Vient ensuite Foucaud d'Archiac, dont le sénéchalat remonte aux années 1320 et 1321, ainsi que Ta justement marqué M. Philippe de Bosredon dans sa liste des sénéchaux de Périgord (1), tandis que Dessalles, dérouté par les diverses dates auxquelles il le trouve cité, suppose qu'il pouvait être sénéchal pour le roi d'Angleterre.

Aimeri du Cros, nommé, en 1311, sénéchal de Carcassonne, remplit la même fonction en Périgord et Quercy, en 1324.

Jean de Varenne, seigneur de Vivacourt, est désigné, l'année suivante, par le journal du trésor. C'est vraisemblablement le même que M. de Bosredon nomme Jean de Vannes : il le donne comme douteux, et il a raison. Car M. Viard, se rangeant à l'avis de Léopold Delisle, assure que Jean de Varenne ne fut pas sénéchal. Ce qui a pu provoquer cette confusion, c'est que ce chevalier du Roi fut chargé de certaines missions avec le sénéchal de Périgord, notamment, par lettres du 20 janvier 1325, à l'effet de percevoir ensemble dans cette sénéchaussée les finances dues par les personnes non nobles pour des acquisitions qu'elles auraient faites dans des fiefs nobles. Ce fut dans ce même objet, pour lever les finances des acquêts des fiefs nobles, que Philippe VI de Valois devait députer, en mai 1329, dans les sénéchaussées de Périgord et de Quercy son clerc Guillaume de Ventenac, chanoine d'Autun.

Le dernier sénéchal mentionné est Jourdain de Lubert, qui exerça cette fonction de 1324 à 1328.

Quant aux sénéchaux Guillaume de Mornay (1321) et Bertrand de Roquenécade (1325) figurant sur la liste de M. de Bosredon, ils ne sont pas nommés ; ce qui porterait à croire qu'ils ne furent pas sénéchaux.

Pour les receveurs, adjoints au sénéchal, que, dans son Inventaire d'anciens comptes royaux, M. Robert Mignon n'a pas distingués des baillis ou des sénéchaux, M. Viard en donne la liste, avec les dates de leurs fonctions.

C'est Arnaud de Pourbolain qui est receveur de Périgord et de Quercy, durant le règne de Charles le Bel. Il l'était déjà en février 1317, date à laquelle Philippe le Long l'avait gratifié de 100 livres t. de rente annuelle et perpétuelle. Au 30 septembre 1323, sa charge est tenue par Giraud de Sabanac, valet du Roi, auquel on a donné à tort le titre de sénéchal de Périgord en 1298, 1300 et 1303, et qui fut, dans la suite, receveur de la sénéchaussée de Bigorre, d'Agenais et de Gascogne. Mais ce ne fut que momentanément-, car, un mois après, on retrouve Arnaud de Pourbolain. Au 21 mai 1324, celui-ci ne remplit plus sa fonction dans notre sénéchaussée. Il mourut en 1329, l'année où fut anobli son fils Jean de Pourbolain, qui l'avait remplacé.

Les comptes de la sénéchaussée fournis par le receveur paraissent d'ordinaire arrêtés à la Saint-Jean. Parmi les revenus les plus importants relatés dans ces comptes, figurent :

1° Les prix des biens confisqués. Ce sont apparemment des propriétés confisquées que celles vendues par Pierre de « Souplesent » et Gaillard « Sopplesan ». Le prix du château de « Treschac », s'élevant à 4.898 livres, 63, 8dt, est touché par l'ancien lieutenant du sénéchal Arrablai le Jeune, Bernard Gervais, juge mage de la Cour du Roi en la sénéchaussée de Périgord et de Quercy (de 1316 à 1328), et le receveur de ladite sénéchaussée, Arnaud de Pourbolain, en mars 1322. L'année suivante, M0 Guy de Porchères, notaire du Roi dans la sénéchaussée de Périgord, pour des actes de son ministère, est payé sur la somme de 5.878 livres en florins de Florence, provenant de la vente du château de « Treihac », acheté par Arnaud de Trian, neveu de Jean XXII et grand maréchal de justice du palais de ce pape.

2° Les amendes, comme celles infligées : en avril 1322, à Bernard de « Boingniaco », ancien bailli d'Eymet, condamné à payer 150 livres ; M. Viard se demande si ce personnage dont je traduis le nom terrien par Bouniagnes, serait le môme que Bernard « de Podio Acuto » (Puyagut , bayle d'Eymet, condamné par un arrêt du 27 mai 1311, à payer 40 livres, qu'il avait promis, devant les commissaires royaux, de donner au Roi pour être délivré de la prison où il avait été enfermé, sous l'accusation d'avoir favorisé l'évasion d'un prisonnier. En avril 1323, à Guillaume Seguin, seigneur de Rions-sur-Gironde, condamné par le sénéchal du Périgord à 10.000 livres tournois, pour excès commis par ses gens. Et en mars 1324, à Guillaume de Court, condamné par ledit sénéchal au paiement de 80 livres parisis pour un délit qui n'est pas spécifié.

3° Les compositions ou sommes offertes au Roi, afin d'obtenir des franchises ou des privilèges, ou versées sous forme de transaction à la suite de difficultés avec l'autorité royale. Je place dans cette catégorie la somme de mille livres, payée par les consuls et les habitants de Bergerac, en décembre 1322, pour certaine, confirmation consentie par le Roi en leur faveur et concession relative à la seigneurie de la ville. Quant aux compositions, je n'ai remarqué que celles occasionnées par la guerre des Pastoureaux.

Ce fut au mois de mai 1320 que le soulèvement général des populations rurales gagna le Périgord. Des bandes organisées commencèrent à ravager le Bergeracois. La répression fut rude. Il fallut plus de deux ans pour tout faire rentrer dans l'ordre. Des paroisses presque entières s'étaient soulevées. Les rebelles étaient désignés sous le nom de Pastoureaux. On saisit leurs biens, et on en tira profit. Dans les quelques pages que Dessalles a consacrées à cette agitation, il s'appuie surtout sur le journal du trésor de 1322, dont il avait consulté l'original aux Archives nationales (2). Il y relève la mention de la «saisie des biens des Pastoureaux dans la sénéchaussée de Périgord ». Le produit des ventes et compositions fut versé entre les mains de Renaud de Moulins, chanoine de Troyes, notaire en la Chambre des Comptes, clerc et secrétaire du Roi, désigné à cet effet. La cause de ces versements est indiquée en ces termes dans le journal du mois de février : « De quibusdam compositionibus et bonis Pastorelorum factis et receptis in senescallia Petragoricense ». Le compte définitif « super facto Pastorelorum » fut rendu, le 20 mai suivant, par Foucaud d'Archiac, sénéchal du Périgord et du Quercy. Il est bien regrettable pour nos annales périgourdines que le détail de ce compte ne nous ait pas été conservé.

4° Enfin, les décimes ecclésiastiques, qui, d'abord accordées au Roi quand la guerre ou des circonstances extraordinaires exigeaient des ressources supplémentaires, étaient devenues une imposition permanente et régulière.

Les dépenses acquittées par la sénéchaussée sont peu nombreuses.

J'ai rappelé plus haut le paiement du salaire d'un notaire royal. On peut y ajouter les frais nécessités par quelques missions spéciales, comme celle confiée à Oudart de Maubuisson, seigneur de la Haute-Roche, chevalier, chargé de signifier les ordres du Roi à la noblesse de Périgord, de Saintonge et d'Agenais. Il arrivait parfois que le monarque faisait venir à Paris des personnes de la province pour avoir leur avis. Un périgourdin, Pierre de Périgueux, fut jugé digne, avec Guillaume dit le Mestre, de Montpellier, de la confiance de Charles le Bel. Ils furent appelés, l'un et l'autre, par son ordre, afin de l'éclairer de leurs conseils sur le fait des monnaies. Ils reçurent, pour être défrayés de leurs dépenses, le 7 août 1322, vingt livres p., et, le 27 novembre suivant, cent livres, « in relevationem expensarum quas fecerunt veniendo Parisius ad mandatum Regis et morando ibi, pro eorum habenda deliberatione super facto monetarium Regis. »

La guerre, entreprise en Gascogne contre l'Angleterre, la principale action militaire à cette époque, terminée par traité en mars 1327, fut une source de dépenses exceptionnelles. Elles eurent une certaine répercussion dans notre sénéchaussée, en janvier 1326. Le journal du trésor mentionne les sommes avancées par le receveur Jean de Pourbolain à Jean Le Mire, sergent d'armes, envoyé par le Roi en Occitanie pour des affaires concernant cette guerre et à Théodorio de Tulle et Jean Bridoul, écuyers du feu comte Charles de Valois « pro pluribus garnisionibus faciendis, pro dicto comite, pro guerra Vasconie. »

Des monnaies offertes en payement par les débiteurs du trésor, la principale était une variété du gros tournois d'argent, gros d'argent, gros denier, gros denier d'argent, ayant la même valeur, soit, en général, 12 deniers parisis, ou son équivalent l0 deniers tournois. On la désignait encore simplement sous le nom de gros. Il résulte de documents en ma possession que, plusieurs fois, dans le cours du XIVe siècle, le chapitre Saint-Etienne de Périgueux, « aiant esgard à la pénurie et disette et aux réparations de l'esglise », décida l'amortissement du « gros » ; c'est sans doute une allusion aux rentes payées aux chanoines avec cette monnaie.

A propos de la cathédrale de la Cité, il en est fait mention, en mai 1323, au sujet du payement de la première annuité d'une redevance de 90 livres t., « de scolasteria et prebenda Sancti Stephani Petragoricensis », sur laquelle le Roi n'avait rien levé, comme étant due à Me Pierre Faure, notaire du pape, pour une cédule de la curie.

Pour les versements effectués chez nous, on trouve encore le florin de Florence, le florin à l'agnel, les esterlins d'origine anglaise.

En dehors des monnaies royales, on employait aussi des monnaies particulières à notre province. Deux fois, l'emploi de la monnaie périgourdine (monete Petragoricensis) est constaté, à l'occasion des décimes du diocèse de Périgueux et du diocèse nouvellement créé de Sarlat. Il s'agit ici d'un paiement de ces décimes biennales, que Charles IV avait obtenues du pape Jean XXII.

Les monnaies de Périgueux valaient un quart en moins que la monnaie tournoise, c'est-à-dire que 20 livres de notre monnaie valaient 16 livres de monnaie tournoise. C'était des deniers et des oboles de billon ou d'argent, variant pour l'aloi, la taille et la valeur, mais avec les mêmes type et légende. Ces monnaies portaient, sur une face, le nom de Lodoicus, autour d'une croix pâtée, et sur l'autre celui d’Egotissime, autour des cinq annelets représentant les cinq coupoles de l'église abbatiale de Saint-Front. Félix de Verneilh et l'abbé Audierne en ont reproduit le dessin.

A. Dujarric-Descombes.

 

(1) Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, tome XVIII, p. 340.

(2) Histoire du Périgord, tome II, p. 154-6.

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