Source : Bulletin SHAP, tome XXXXII (1915)
pp. 270-275.
NOTES
ET DOCUMENTS : SYLVESTRE BUDES EN PÉRIGORD (1371).
Né en
Bretagne, entre 1315 et 1325[1], d'une famille assez étroitement
apparentée avec les Du Guesclin, Sylvestre Budes fut
un de ces aventuriers comme le XVIe siècle
en connut, pour son malheur, tant d'exemplaires. La guerre était alors une
profession fort en honneur, et nombreux les chefs de bandes qui, vivant de leur
épée, ayant leur fortune à faire et toujours en quête de butin, servaient qui les
payait, jusqu'au jour où une surenchère les inclinait à changer de parti.
Personnages peu recommandables en somme et dont la destinée n'était pas, pour
l'ordinaire, de mourir tranquillement dans leur lit !
Sylvestre Budes eut, comme tous ses pareils, une vie fort agitée. Il
était aux côtés de son cousin Bertrand Du Guesclin à Cocherel
et à Auray (1364), et il l'accompagna
dans ses deux expéditions d'Espagne (1367 et 1369). Il pilla la France de 1374
à 1376, ravagea de 1376 à 1379 l'Italie, où il servit successivement le pape
Grégoire XI, puis l'antipape Clément VII, et mourut à Maçon au début de 1380,
décapité par ordre du bailli royal qui l'avait fait arrêter. Pourquoi ?
L'historien de Sylvestre Budes estime, avec toute
apparence de raison, que notre aventurier avait dû commettre quelque crime de
droit commun dont on profita pour se débarrasser de lui. Le roi Charles V tint
peu, sans doute, à sauver ce routier à la réputation plus qu'équivoque. Quant à
croire que le dernier patron de Budes, Clément VII, ait
intercédé en sa faveur, cela est d'autant moins probable que le capitaine
avait, dit-on, réclamé à ce pape de l'argent qu'il lui
avait prêté. Il était assez tentant de laisser éteindre la dette avec le
créancier !
Au cours de son
existence désordonnée, Sylvestre Budes vit bien des
pays. Il était naturel qu'il vint en Périgord, alors théâtre de luttes
incessantes entre Français et Anglais. C'est à ce titre qu'il nous intéresse.
En 1370, «
Sylvestre Budes était associé, pour guerroyer, à un
autre chef breton. Jean de Malestroit. Budes et
Malestroit commandaient pour le duc d'Anjou, frère du Roi, la forteresse de Sainte-Bazeille[2], lorsqu'en janvier 1371 les
Anglais assiégèrent Montpon[3]. A cette nouvelle, les défenseurs
de Sainte-Bazeille décidèrent de secourir la place.
Ne pouvant abandonner leur garnison, ils tirèrent au sort qui porterait du
renfort. Budes fut désigné, et lui, treizième,
parvint à se jeter dans Montpon, qui, du reste, ne
tarda pas à succomber »[4].
Cet épisode
présente Budes sous un jour flatteur, et l'on
reconnaît sans peine dans l'auteur de ce hardi fait d'armes le petit cousin de
Du Guesclin. Mais, à peu de temps de là, notre capitaine semble s'être comporté
à l'égard d'un seigneur périgourdin, de façon à attirer sur lui les foudres de
la justice royale. « En même temps qu'il occupait Sainte-Bazeille,
Budes s'était rendu maître de certains châteaux-forts de la région, celui de St-Jean-de-Côle,
entre autres. La possession de ce dernier lui attira, à la fin de 1371, un
procès en Parlement. Pierre des Monts[5] seigneur de Saint-Jean, l'attaqua,
en effet, lui reprochant de s'être emparé de ce château et de plusieurs autres
lui appartenant. Par action reconventionnelle, Budes
accusa son adversaire de l'avoir injurié en présence du duc de Bourbon. Détenu
au Châtelet, Budes demanda son élargissement. La
Cour, le 19 décembre 1371, arrêta qu'il devrait, avant le 14 mars 1372,
dimanche de la Passion, remettre les forteresses contestées entre les mains du
duc d'Anjou, chargé de les occuper au nom du Roi, qu'il demeurerait prisonnier
dans l'enceinte de la vicomté de Paris jusqu'à cette remise ou jusqu'au
paiement d'une caution de 20.000 1. t., enfin,
qu'après cette restitution ou ce dépôt, il devrait séjourner à Paris, au gré de
la Cour. Il lui était, en outre, interdit, sous peine d'une amende de 10.000 1.
par., de poursuivre pu de tourmenter Pierre des Monts
au sujet de cette affaire »[6].
Cet arrêt, rendu
par le Parlement de Paris le 19 décembre 1371, nous a paru mériter d'être
reproduit. Outre qu'il est inédit et qu'il offre un certain intérêt pour
l'histoire locale, intérêt grâce auquel il valait de n'être pas négligé, il
apparaît comme éminemment suggestif au point de vue de la procédure. C'est un beau jugement, bien en forme, très
moderne, pourrait-on dire, par l'abondance et la variété des moyens invoqués
tant pour l'attaque que pour la défense. Il dénote, de la part des adversaires,
une connaissance du maquis judiciaire, presque humiliante pour le siècle actuel, qui
verra par là combien peu il doit s'enorgueillir de l'habileté qu'il montre en
chicane. Moins de cent ans après que les légistes de Philippe le Bel eurent,
pour ainsi dire, créé celle-ci, elle avait déjà atteint ce haut degré de
perfection ! Nous donnons ci-après le texte de cet arrêt :
« Lite mota
in curia nostra inter procuratorem nostrum generalem pro nobis ad omnes fines et dilectum ac fidelem nostrum
Petrum de Montibus, militem, ad finem civilem dumtaxat tendentem, actores ex una parte, et dilectum nostrum Silvestrum Budes, armigerum, defensorem, ex altera, tam occasione captionis,
occupationis et detentionis
fortalicii Sancti Johannis de Scola et bonorum mobilium dicti Petri in ipso fortalicio, ut dicebat idem miles, existentium, quam quorumdam aliorum locorum seu fortaliciorum atque bonorum pro parte ipsorum actorum plenius declaratorum, que quidem bona et fortalicia dictus Silvester illicite, dampnabiliter
et injuste in maximum prejudicium atque
dampnum dicti Petri, per certum
tempus, occupaverat et detinuerat ac occupabat
et detinebat, ut iidem actores asserebant.
Pro parte ipsorum
actorum pluribus factis, causis et rationibus per ipsos ptenius allegatis
et declaratis, exstitit
inter cetera requisitum, quod dictus
Silvester, per manus appositionem, de precepto dicte curie nostre, prisionarius arrestatus, et per eandem nostram
curiam, per vicecomitatum Parisiensem, sub penis, promissionibus
et obligationibus in casibus
criminalibus prestare consuetis, per ipsum in manibus dicte nostre curie propter hoc corporaliter prestitis, elargatus, in Castelleto nostro Parisiensi prisionarius poneretur et detineretur, donec dicta fortalicia et bona prefato Petro realiter et de
facto, reddita et restituta,
aut saltem in dicta manu nostra tanquam superiori, absque dicti militis prejudicio,
in casu quo causa hujusmodi
dilationem reciperet, detenta et posita exstitissent et essent, et ad hoc,
aliis viis et modis licitis, dictus Silvester compelleretur, prout dicte nostre
curie videretur, plures
alias conclusiones tam
civiles quam criminales
contra dictum Silvestrum faciendo.
Dicto Silvestro, pluribus
factis, defensionibus et rationibus, pro parte sua, in contrarium
latius propositis, inter
cetera petente dictum militem ad proposita per ipsum, attento
quod eundem Silvestrum, de
et super detentione dictorum
fortaliciorum et presertim dicti fortalicii de Sancto Johanne et aliis premissis, alias quittaverat non admitti ac restas et conclusiones contra ipsum per dictos procuratorem
nostrum et militem, ut dictum est, petitas, minime fieri, et quia dictus miles, in blasfemiam, dedecus et vituperium dicti Silvestri, eodem Silvestro absente, in presentia carissimi fratris nostri ducis Borbonii,
dixerat et exposuerat quod prave, false et injuste, dictus Silvester predictum fortalicium de Sancto Johanne detinuerat et occupaverat ac detinebat et occupabat, requirebat idem Silvester quod dictus miles, in dicta nostra curia et in presentia dicti ducis, de verbis hujusmodi tanquam dedecoratus se dediceret, nisi eadem verba contra ipsum Silvestrum manutenere aut verificare vellet, quo casu idem Silvester tanquam venerabilis et fidelis nostri ut defensor, per gagium duellare
aut per bellum
se super hoc defendere offerebat
ac predictum militem super hoc summabat, litteras nostras super hoc tradi requirendo. Et ulterius protestabatur de prosequendo de
et super hoc militem sepedictum
coram nobis et alibi, dum
et quotiens ac prout sibi videretur expedire, manum nostram ad ejus corpus, ut predictum, appositam levari et amoveri cum instancia requirendo, pluresque alias conclusiones peticionibus et requestis dictorum actorum contrarias faciendo.
Prefatis actoribus replicando
dicentibus quod, attento
quod causa predicta in eadem
curia nostra, superiori regni nostri justicia, personamque nostram representante, fuerat et erat introducta et pendebat, dictus Silvester coram nobis aut alio
quocunque, prefatum militem alibi quam in ipsa nostra curia,
occasione premissorum, per gagium duellare
vel alias prosequi non poterat nec debebat in futurum, quapropter littere nostre per dictum Silvestrum,
ut; premittitur, requisite,
sibi nullatenus concedi debebant, sed quia dictus Silvester verba injuriosa et diffamatoria de dicto milite ac in sui dedecus redundantia per advocatum per ipsum
advocatum pro ferri fecerat, ipse Silvester,
nobis et dicte nostre curie
ac prefato militi, emenda honorabili et utili per dictam nostram
curiam arbitranda, emendare debebat, sic dici et pronunciari et ad dictas requestas predictum militem protestationibus et siimmationibus per dictum Silvestrum, ut premittitur, factis, protestationes contrarias facientem
admitti, petendo, et ad nonnullos alios fines concludendo.
Eodem Silvestro plura ex
adverso dupplicando proponente et quod pro dictis verbis aliquam emendam facere seu prestare nullatenus
teneretur et alias, ut supra, concludente.
Tandem auditis dictis partibus in omnibus que circa
premissa dicere, proponere, petere et requirere voluerunt, consideratisque ipsarum partium rationibus et omnibus aliis que dictam nostram curiam circa premissa movere poterant et debebant.
Predicta nostra curia, per arrestum suum,
fortalicium Sancti Johannis de Scola supradictum, una cum omnibus bonis, rebus, redditibus,
emolumentis et aliis quibuscunque redibentiis seu profectibus, que causa et occasione hujusmodi fortalicii ab habitatoribus ample
patrie circum vicine et aliis per dictum
Silvestrum aut ab eo doputatum vel
deputatos, pretextu pactionum, conventionum, redemptionum vel alias quomodolibet, exigi, capi, recipi et levari consueverunt, in manu nostra posuit atque
ponit, et ulterius per idem arrestum ordinavit et ordinat quod fortalicium predictum una cum emolumentis antedictis in manu carissimi germani et locumtenentis nostri in partibus occitanis, ducis Andegavensis, pro nobis, absque dictorum
militis et Silvestri ac alterius cujuscunque
prejudicio, realiter et de
facto tradetur et ponetur, ac in et sub dicta manu prefati germani nostri tanquam in nostra tenebitur, per alium quam
per predictos militem et Silvestrum regendum, gubernandum et tute servandum, quousque per dictam nostram
curiam fuerit super hoc aliud ordinatum.
Dictusque Silvester in statu quo nunc
est, videlicet infra vicecomitatum
Parisiensem, ut premittitur,
elargatus prisioniarius remanebit, donec fortalicium predictum in manu dicti germani nostri
vel commissarii seu commissariorum ab ipso
germano nostro super hoc deputandi
seu deputandorum realiter et de facto reddetur et tradetur, aut quousque dictus Silvester in manibus dicte nostre curie cautionem viginti mille librarum turon. de dicto fortalicio,
in manibus ipsius germani nostri vel commissarii seu commissariorum suorum hujusmodi, infra instantem diem dominicam qua cantabiturin ecclesia Judica me, reddendam et tradendam prestiterit,
quem quidem terminum eadem nostra curia
prefato Silvestro propter hoc prefixit et prefigit. Dicto autem fortalicio sic reddito et tradito, aut prestita seu
reddita cautione predicta, dictus Silvester, sub penis, promissionibus, obligationibus et submissionibus
in casibus criminalibus in ipsa curia nostra
prestari solitis, domicilium infra bastidas ville nostre Parisiensis in hac causa et ejus dependentiis eligendo usque ad bene placitum
et ordinationem dicte nostre
curie, ubique elargabitur ac ipsum eo
casu dicta curia nostra ubique elargavit
et elargat, quodque dictus Silvester pro verbis predictis non emendabit nec litteras per eum, ut premittitur,
requisitas habebit. Per idemque arrestum
dicta nostra curia prefato Silvestro sub pena decem
mille librarum par., nobis et dicto militi mediatim, si secus egerit, reddendarum
et solvendarum, inhibuit et
inhibet ne predictum militem, occasione premissorurn, alibi quam in dicta
nostra curia qualitercunque prosequatur. In ceteris autem hinc
inde petitis et requisitis,
partes predicte et earum quelibet erant et sunt admittende et ipsas dicta nostra curia admisit et admittit, sed sine factis non poterant neque possunt expedire,
et idcirco facient facta sua, super quibus certi per dictam
nostram curiam deputabuntur commissarii, qui veritatem inquirent, qua inquisita et prefate nostre curie reportata, flet jus.
Pronunciatum XIXa
die decembris M° CCC° LXXI°. Seris[7] ».
Qu'advint-il
ensuite de Sylvestre Budes ? Il semble qu'il se libéra rapidement
et qu'il ne tarda pas à rejoindre les Bretons demeurés, avec Jean de
Malestroit, à la solde du duc d'Anjou. Celui-ci, pour le récompenser de ses
services, lui donna 200 francs destinés à l'achat d'un cheval[8]. Apres quoi, notre routier courut
à de nouvelles aventures jusqu'à la dernière, qui, comme nous l'avons dit, lui
fut fatale.
R. Villepelet.
[1] D'après Léon Mirot,
dont nous avons utilisé l'intéressante étude Sylvestre Budes (13 ??-1380) et les Bretons en Italie, publiée dans la Bibliothèque de
l'Ecole des Chartes, années 1897, 1898, tomes LVIII, LIX, puis tirée à part.
[2] Lot-et-Garonne, arr. et cant. de Marmande.
[3] M. Mirot, op. cit. (p. 7, note 2, du tirage à part) identifie Montpon avec Montpaon, Aveyron,
arr. de Saint-Afrique, cant. de
Cornus. L'erreur a été rectifiée par Denifle, La guerre de Cent
Ans, etc., t. 1,
p. 566, note 5, qui donne à l'appui de son identification (Montpon,
Dordogne) d'excellentes raisons. D'après Froissart, rectifié par S. Luce
(Froissart, t. ix, p. xi-xii),
Budes serait parti de Saint-Macaire (Gironde, arr. de
La Réole) et non de Sainte-Bazeille.
[4] L. Mirot, op. cit., p. 7. A la suite de la prise de Montpon, Louis
d'Anjou envoya diverses sommes d'argent aux défenseurs de la place pour payer
leur rançon (d'après un acte daté de Nîmes, 26 mars 1371 ,(cn. st.), Bibl. nat , ms: fr. 20586, fol. 33, cité par L. Mirot,
ibidem, note 1). Sur le siège et la prise de Montpon
par les Anglais, v. Dessalles, Hist. du Périgord. t. ii, p. 298-299, où, par
suite d'une erreur d'impression, le nom de Sylvestre Budes
est travesti en Souvestre Rudes.
[5] Ou Desmons
(de Montibus).
[6] L. Mirot, op. cit., p. 7-8.
[7] Arch. nat. (X2a)8, fol.
262.