<<Retour

Source : Bulletin SHAP, tome XXXII (1905)

 

·         Lettre de Pierre de Mareuil, abbé de Brantôme (1554)

·         Notes sur Henri IV et la révolte des Croquants (1596)

·         Justice du prieuré de Bussière-Badil (extrait)

·         Liste des paroisses du Périgord dans le Pouillé de Limoges

 

pp. 308-318

LETTRE DE PIERRE DE MAREUIL, ABBE DE BRANTOME, à M. de Lanssac (1554).

Je dois à l'extrême courtoisie de M. Sauzé de Lhoumeau, qui publie en ce moment la correspondance politique de M. de Lanssac, le plaisir de pouvoir offrir de sa part à la Société historique du Périgord la primeur d'une lettre qu'il a bien voulu extraire pour moi de cette précieuse correspondance.

Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lanssac, marié en premières noces en 1545 à Jeanne de la Roche-Andry et en deuxièmes noces à Gabrielle de Rochechouart en 1565, chevalier du St-Esprit en 1579, mort en 1589, fut envoyé en missions ou en ambassades, dans presque tous les pays d'Europe, de 1548 à 1589. Il fut mêlé à tous les événements importants de son temps. C'est dire l'intérêt qui s'attache à la publication de cette correspondance historique.

13 juillet 1554.

Lettre de Pierre de Mareuil, abbé de Brantôme, à M. de Lanssac.

(Arch. de Florence-Medicco, 1862. - 150 autog.)

Monseigneur, mon cousin, ne pensez pas pour estre à Rome et moy à Brantholme que mon affection, laquelle naturellement est de vous aymer, ne soit aussi grande que si vous estiez à Cornefou, mays vrayment je suis si infortuné que je ne puys scavoyr de vos nouvelles que pour oui dire, qui m'est merveilleusement grand desplaysir. Il est vrai que je considère bien les grandes affaires que vous avez entre mains et que vous estes naturellement paresseux à escrire, mays cela ne me peult en tout contenter que je n'en sache. Il s'est présenté une occasion de vous faire scavoir des myennes, car j'ay marchandé un banquier de (Périgueux?) de me lever la bulle et concordat de mes moynes affin que je fasse les choses perpétuelles et plus stables, Dieu mercy, et dont la composition est donnée, et s'il y avoit quelque mystère à la déposition de la bulle, je vous supplie ayder à Monsieur de Saint-Marcel[1], qui est agent de celluy de Périgueux, affin que s'il est possible dedans la St-Michel je puisse avoyr la bulle. Quant à moy, j'ay tousjours la goutte qui me tourmente merveilleusement, touttefois je n'ai encore rien de ….., mays je ne puys pas si bien marcher que je soullay faire, et j'ai grand peur que, à la longue, qu'elle me rendra impotent et qu'elle me face perdre le plus grand plaisir que je pouvay avoir que c'étoit de me promener. J'ay espérance que bientost je vous auroy toujours au bec par plus grande souvenance, en mangeant des mellons de vos jardins, et encore n'en ayt point heu, mays monsieur de Richemont, nostre bon cousin, m'en a fait manger des bons dès la fin de juin. J'estois à Aubeterre quand il reçut ses bulles, il se sent bien tenu à vous. Toute la noblesse de ce pays est à la guerre, sauf monsieur de Jarnac qui a esté excusé. Madame la séneschalle du Poitou et ses deux filles sont à Tourblanche qui font despescher le prieuré de Saint-Vivien, de (Royan?) et doyenné de Saint-Ayrier [2], au nom du fils de Madame de Hardellay. Je les ay assurés que vous estes si honneste et si courtoys aux dames que vous leur feriez tout le plaisir que vous pourriez, car vous scavez qu'elles le méritent et que les querelles que vous scavez ne sont point héréditaires. Je vous supplie bien humblement leur faire cognoistre que vous ne vous ressentez en rien de cela.

Je suis presque aussi ayse de vous escrire que si je parloys à vous et si Périgueux produisoit chose digne de vous escrire vous auriez plus longue lettre, mays il n'y a riens qu'une Chambre de généraux que le Roy leur a donné, de quoy ils sont bien glorieux; mays la noblesse, avant qu'il soit trente ans, s'en sentira. La bonne femme Mademoyselle d'Auzans et moy, sommes icy en mon hermytage et passons nostre temps le mieux que nous pouvons, elle et moy nous recommandons humblement à vos bonnes grâces, mays moy de telle affection que vous n'avez pareil au monde à mon advys qui la vous porte telle et de pareil. Je supplie au Créateur vous donne, Monsieur mon cousin, aultant de bien que je vous désire.

De Brantôme ce XII de juillet.

Vostre très humble et très affectionné obéissant.

(Signature illisible)

Mons. mon cousin mons. de Lanssac, gentilhomme de la Chambre du Roy et son ambassadeur près nostre sainct Père à Rome.

Cette lettre, du 13 juillet 1554, bien que sa signature soit illisible, émane, à n'en pas douter, de Pierre de Mareuil, aumônier de François Ier, abbé de Brantôme, de 1538 à 1556, évêque de Dol, puis de Lavaur, mort le 20 mars 1556, et inhumé dans l'église de Brantôme, très proche parent des Bourdeille[3], des Montberon, des Saint-Gelais et des Aubeterre. Elle a pour nous un grand intérêt historique puisqu'elle nous apprend que Pierre de Bourdeille, avant d'être connu sous le nom de Brantôme, qui s'est identifié avec le sien, était appelé dans sa jeunesse « Monsieur de Richemont. »

Ainsi tombe la légende qui veut que Brantôme ait donné ce nom à son château après l'avoir bâti « en souvenir du royal Richmond, des bords de la Tamise, où il avait vu l'une des plus belles dames de l'Angleterre, et dans lequel, en compagnie de M. de Guise, il avait été reçu en grande pompe par la reine Elisaheth au retour de son voyage d'Ecosse[4]. »

Pierre de Bourdeille avait perdu son père en 1546; il était donc déjà, en 1554, en possession de son apanage « les seigneuries et paroisses en toute justice, haute, moyenne et basse de la Chapelle-Montmoreau, Boulouneix, Bellaygues et St-Crépin où est situé Richemont » ; seigneuries pour lesquelles les Bourdeille rendaient hommage au Roi depuis plus de deux siècles. Quant au château, « qui lui a tant coûté à faire bâtir » et qu’il a laissé inachevé, bien qu'il porte la date de 1581, c'est avant 1554 que Brantôme en aurait conçu le plan et commencé la construction ; c'est-à-dire dès son retour de Poitiers où il faisait ses humanités en 1553, puisque, dès cette époque, il y avait sa demeure, il en portait le nom, et il y cultivait des melons. « Monsieur de Richemont, nostre bon cousin, dit l'abbé, m'en a fait manger des bons dès la fin de juin. » Ce jardin, chose curieuse à noter en passant, renommé déjà du temps de Pierre de Mareuil pour ses fruits excellents et précoces, l'est encore aujourd'hui au même titre.

Le spirituel abbé, qui se délectait avec les melons de Richemont et qui « avoit espérance que bientôt il aurait toujours au bec, par plus grande souvenance, Monseigneur son cousin l'ambassadeur[5], en mangeant ses melons de Cornefou », était évidemment un fin gourmet, et s'il ajoutait : « encore n'en ayt point heu »...., c'était que les siens moins précoces à cause de la fraîcheur du vallon, se faisaient attendre, dans cet immense jardin d'un hectare qu'il avait créé devant son abbaye et dans lequel il cultivait avec amour les légumes et les fleurs. Car il était aussi un délicat artiste, si l'on en juge par ces deux petits et ravissants édicules en pierre, ornés de colonnes géminées et de rinceaux, du style le plus pur, formant une guirlande ininterrompue de fleurs, de fruits, et de feuillage, que l'aimable vieillard, tourmenté de la goutte... « merveilleusement » ..., s'était prudemment fait construire aux deux extrémités de l'allée centrale de ce grand jardin pour s'y reposer. « Je ne puys pas si bien marcher, disait-il, que je soullay faire, et j'ay grand peur que, à la longue, qu'elle (la goutte) me rendra impotent et qu'elle me fasse perdre le plus grand plaisir que je pouvoy avoir que c'étoit de me promener. » Délicieux « hermytage », qui n'avait rien de monacal ni d'ascétique, mais où l'on se représente aisément la gracieuse silhouette de « la bonne femme Mademoyselle d'Auzeins », sa petite nièce, dont la compagnie égayait sa vieillesse[6].

La lettre de Pierre de Mareuil nous donne aussi la date précise, inconnue jusqu'à ce jour, à laquelle « Monsieur de Richemont » fut pourvu de l'abbaye de Brantôme. Nous y voyons qu'il obtint ses bulles du vivant même de son prédécesseur, « estant fort jeune alors », comme il le dit lui-même et qu'il dut cette faveur que lui fit «  le grand roy Henry II », non pas seulement aux instances de M. d'Ausances[7], mais aussi à l'appui de M. de Lanssac, ambassadeur de France près du St-Siège, et par conséquent tout puissant. « J'étois à Aubeterre[8] quand il reçut ses bulles, il se sent bien tenu à vous », écrit Pierre de Mareuil à M. de Lanssac.

« Madame la seneschalle de Poitou qui était à la Tourblanche avec ses deux filles», en juillet 1554, était Louise de Daillon du Lude, la grand'mère de « M. de Richemont », veuve d'André de Vivonne, grand sénéchal du Poitou, mort en 1532. Ses deux filles étaient: Jeanne de Vivonne, mariée à Claude de Clermont, dame d'honneur de la reine Louise, morte en 1583, et Anne de Vivonne, veuve de François de Bourdeille, la mère de Brantôme.

Mais « madame la seneschalle » avait eu aussi un fils, François de Vivonne, seigneur d'Ardelay, Vivonne-Lachâtaigneraye, mort en 1347, victime du fameux coup de Jarnac, laissant veuve « madame de Hardellay[9] », Philippe de Beaupoil de Sainte-Aulaire, et un jeune fils pour lequel la grand'mère et les tantes faisaient « despècher les prieurés de St-Vivien et de Royan et le doyenné de St-Yrieix, héréditaires chez les Bourdeille. »

Pierre de Mareuil, en réclamant les bons offices de l'ambassadeur en faveur du jeune orphelin, faisait allusion au duel célèbre, lorsqu'il écrivait :

Je les ay assures que vous êtes si honneste et si courtoys aux dames que vous leur feriez tout le plaisir que vous pourriez, car vous scavez quelles le méritent et que les querelles que vous scavez ne sont point héréditaires.

C'est que Vivonne-Lachâtaigneraye avait accusé Jarnac de s'être vanté d'être dans les bonnes grâces de sa belle-mère, Madeleine de Puyguyon, seconde femme de son père, Charles de Chabot-Jarnac, et le jeune Jarnac était fils de la première femme, Jeanne de Saint-Gelais. Rien d'étonnant alors que M. de Lanssac, étant un Saint-Gelais, eût, dans la querelle, pris parti contre les Vivonne ; mais après le triste dénouement que l'on sait, il pouvait sans faillir se montrer généreux et magnanime envers les vaincus ; aussi l'abbé, en fin diplomate, ajoutait:

Je vous supplie bien humblement leur faire cognoistre que vous ne vous ressentez en rien de cela.

Cette lettre, on le voit, joint au mérite littéraire de précieux renseignements. Souhaitons que dans la volumineuse correspondance de M. de Lanssac, elle ne soit pas la seule due à la plume alerte et spirituelle de Pierre de Mareuil.

Ce nom de Mareuil, qui revivait l'an passé en des fêtes mémorables en l'honneur du célèbre troubadour, reviendrait, rajeuni de deux siècles, briller d'un nouvel éclat parmi nos écrivains périgourdins du XVIe.

Enfin, dans cette intéressante lettre, il n'est pas jusqu'à l'éphémère Cour des Aides de Périgueux qui n'ait excité la verve caustique de Pierre de Mareuil : « Ceste chambre de généraux que le Roy leur a donné, de quoy ils sont bien glorieux. »

Cette Cour venait, en effet, d'être érigée par édits royaux de mars et juin 1554. Bordeaux et Périgueux se l'étaient disputée. Lagebaton et Rochefort avaient rivalisé d'habileté et d'intrigues. Bordeaux avait offert de la payer 50,000 écus ; mais, faute d'argent comptant, c'est Périgueux qui l'avait obtenue pour 10,000 écus seulement, payés comptant et à découvert. N'y avait il pas de quoi se glorifier ! Il est vrai que la ville avait payé très cher cet honneur. Le 28 mai 1554, elle avait été obligée de vendre à deux bourgeois, marchands de Limoges, pour 2,500 écus sol « l'émolument du poids de la chair lui appartenant », afin de payer son acquisition, et en 1568, elle était obligée d'avouer « ne plus posséder aucuns deniers communs ou patrimoniaux, ayant dû aliéner ceux qu'elle avoit autrefois, et même recourir à une imposition pour s'acquitter de ses engagements envers le Roi, lors de l'établissement dans ses murs de ceste Cour », qui, peu après, fut transférée à Bordeaux.

L'amabilité coutumière de notre cher président me vaut la bonne fortune de pouvoir offrir aux lecteurs du Bulletin, en même temps que la lettre de Pierre de Mareuil, où apparaît pour la première fois, le nom de Richemont, deux excellentes photographies[10] de cette demeure de Brantôme, Pierre de Bourdeille.

Il me semble nécessaire de les accompagner.de quelques explications, la configuration des lieux ne permettant pas de donner une bonne vue d'ensemble du château.

Je dois dire, d'abord, qu'avant Brantôme, on ne retrouve nulle trace, dans la généalogie de sa maison, ni dans aucun document écrit, du nom de Richemont, dans celte région du Périgord, et que si, avant lui, les Bourdeille se qualifiaient depuis deux siècles simplement seigneurs de St-Crépin, c'est qu'ils n'avaient là ni hôtel, ni repaire, ni maison noble dont quelqu'un des leurs aurait assurément ajouté le nom, selon l'usage, à ses qualifications seigneuriales. On en était si prodigue alors !

Brantôme n'aurait donc pas eu là de construction ancienne à utiliser, et lui seul aurait bâti le château déjà commencé et baptisé dès 1554 et couronné de sa première lucarne en 1581.

Le château consiste en un pavillon d'angle servant de défense de très massive allure, couronné de mâchicoulis et flanqué à un de ses angles de deux ailes en équerre, d'égale dimension, sans mâchicoulis ; le tout surmonté de grands combles, d'ardoise pour le pavillon, de tuile pour les ailes[11].

Celles-ci sont dissemblables.

Dans l'une, celle de l'ouest, sur le grand jardin aux melons, côté de l'arrivée, la façade extérieure a ses fenêtres, y compris celles du pavillon, de même style, longues et très étroites. Elle a reçu après coup un allongement ajouré de fenêtres semblables, mais dont l'amorce, très visible, donne la longueur exacte du bâtiment primitif[12].

Par ces étroites ouvertures, régnant au premier étage seulement, comme pour le pavillon surmonté de mâchicoulis et percé de meurtrières, on a voulu montrer aux passants que le château ferait bonne et fière résistance si jamais hobereaux ou malandrins s'avisaient de tenter quelque surprise.

De ce côté, les deux porches cintrés de l'avenue, par lesquels il fallait passer pour pénétrer dans la cour du château, séparés par un étroit couloir de 108 mètres de long, enfermé de murs, le premier flanqué d'une tour ronde pour le guet, donnent en effet à cette arrivée un étrange aspect de défiance. Les guerres de religion ne firent que raviver partout ce besoin d'étaler à l'extérieur une certaine apparence de force.

Sur l'autre façade, au contraire[13], vue de profil à l'arrivée, moins accessible, on pouvait sacrifier à la mode du jour, satisfaire derrière cet appareil de maison-forte ses goûts de faste et d'élégance, en ouvrant à l'extérieur de plus larges baies sur de plus vastes salles. Toutes les fenêtres, même celle du pavillon, sont grandes et à croix de pierre. Il y en avait quatre au corps de logis inégalement placées, mais symétriques, les deux du milieu, plus rapprochées, pour se trouver en face de celles qui encadrent la porte d'entrée du premier étage, sur la façade intérieure. Disposition nécessitée par l'éclairage de la grande salle et des deux pièces qui l'accompagnaient. La quatrième fenêtre a été remplacée au XVIIIe siècle par les deux fenêtres modernes du salon actuel. Ce corps de logis a subi, lui aussi, à celte époque, un fâcheux prolongement dont l'attache est très apparente.

Tandis que dans l'autre aile tout le premier étage est de plain pied avec celui du pavillon, dans celle-ci, pour pouvoir donner une plus grande élévation aux appartements d'apparat, sans exhausser les murs, et sans toucher à la ligne de faîte de l'édifice, tout l'étage a été établi en contre-bas d'un mètre. Du pavillon, on n'y accède que par un petit escalier de pierre de cinq marches, construit dans l'épaisseur du mur. Par suite, les fenêtres diffèrent de niveau et de dimension pour chaque corps de logis.

Sur la cour, la façade intérieure, dont la photographie reproduit le haut perron de pierre et la porte d'entrée de la grande salle[14], il n'y a aussi de fenêtres à croix qu'au premier étage correspondant à celles de l'extérieur. L'une d'elles, la plus rapprochée du pavillon, est surmontée d'une lucarne avec fenêtre à croix. Comme à l'extérieur, la quatrième fenêtre a fait place aux deux du salon. Le rez-de-chaussée très bas, sans ouvertures à l'extérieur, était éclairé sur la cour par d'étroites fenêtres, presqu'au ras du sol, aujourd'hui bouchées.

La façade intérieure de l'autre aile en retour, où l'on pouvait sans crainte ouvrir aussi de larges baies, est ajourée sur la cour par de larges fenêtres à croix de pierre, aussi bien au rez-de-chaussée qu'au premier étage, le niveau de celui-ci ayant permis de faire deux grandes pièces à cheminées de pierre et à poutrelles peintes au rez-de-chaussée. Au premier étage, les grandes fenêtres, dont la plus proche du pavillon est surmontée d'une lucarne, en pendant de l'autre, mais datée de 1581, alternent avec d'autres de même hauteur, plus étroites, pareilles à celles de l'extérieur, disposées sans symétrie. Au centre, la porte d'entrée moulurée est au rez-de-chaussée et s'ouvre sur un large escalier de pierre montant jusque sous les combles.

La différence de niveau et de dimension des fenêtres, sur les deux ailes, est encore plus apparente du côté de la cour, que sur les façades extérieures[15].

Dans cette aile, aménagée pour les petits appartements, existent encore les portes principales, les boiseries, les hautes cheminées de bois mêlé, les grosses poutrelles moulurées, contemporaines de Brantôme. Là était son appartement privé, où il a écrit ses « cinq volumes » de mémoires, le cabinet où étaient rangés « et serrés les plus grands livres de sa bibliothèque.

On comprend aisément que ce style architectural lourd et si dépourvu d'ornements, malgré les deux portes moulurées, ce haut perron, ces toits aigus, le grand parc clos de murs qui entourait le château, luxe encore inconnu en Périgord, aient pu faire croire à une importation anglaise.

Brantôme a fait, dans ses écrits, une place importante à son château de Richemont et ne fait pas mystère du grand effort qu'il lui a coûté.

« Ma maison et beau chasteau de Richemont que j'ay faict bastir curieusement et avecques peine et grand coust », dit-il, « où l'air est beau, bon et salutaire » ; et qu'il évalue à 20.000 écus.

Il avait mis plus de trente ans à le bâtir ; mais on s'explique aisément la durée de cette importante construction, quand on songe combien souvent dût y manquer l'œil du maître qui visitait la Suisse, le Piémont, Milan, Rome, Ferrare et Naples en 1557 et 1558, était à Amboise, à Péronne, en 1559 et 1560, visitait l'Ecosse et l'Angleterre en 1561, le Portugal et l'Espagne en 1564, faisait une courte apparition à sa maison en 1565, parcourait de nouveau l'Italie en 1566, et suivait la Cour dans toutes ses pérégrinations jusqu'en 1582.

Il ne prit sa retraite à Richemont qu'en cette année-là. Le château était alors terminé. On en avait posé les deux premières lucarnes l'année précédente, et peut-être faut-il attribuer l'absence des autres à la hâte qu'avait Brantôme de pouvoir abriter sa tète et goûter enfin le repos.

Il ne reprit la truelle, un instant, que dix-huit ans plus tard. La date de 1610 de la clé de voûte et du support de l'ancien autel[16] de la chapelle au rez-de-chaussée, du pavillon, nous dit, en effet, que c'est par l'aménagement de son tombeau eu ce lieu qu'il couronna son œuvre, ce qu'il confirme d'ailleurs par cette phrase de son testament :

«  J'eslis ma sépulture dans la chapelle de mon chasteau de Richemont que j'ai faicte et construite exprès pour cest effect avecques la voûte, espérant que le tout sera faict et parachevé, s'il plaist à Dieu, advant que je meure, pour y estre enterré. »

La pensée de la mort lui venait tardive ; il avait alors 76 ans.

Cette chapelle, où se voit encore son épitaphe de 1614, a été décrite dans le Bulletin de 1880 ; nous n'y reviendrons pas[17].

Rien n'indique qu'il soit entré dans les plans de Brantôme de clore son château des quatre côtés, comme ceux de Frugie et de Laxion, ses contemporains. Parlant longuement de son œuvre, il n'y fait aucune allusion et ne se préoccupe que d'assurer son entretien.

« Je charge ma nièce d'entretenir la maison comme elle est, sans la laisser desmollir ny despérir, et qu'elle la laisse aussy entière et belle comme je la luy laisse. »[18]

Telle qu'elle est, il en est fier, et il se réjouit à la pensée que son petit neveu « si bien né et si joly » pourra se dire un jour:

« Voilà un présent que mon grand oncle me fit. »

Marquis de CUMOND.

pp. 377-381

NOTES ET  DOCUMENTS : HENRI IV ET LA RÉVOLTE DES CROQUANTS (1596).

Notre regretté président, M. de Roumejoux, dans son Essai sur les guerres de Religion qui fut publié ici-même, a donné, d'après la Chronologie novennaire de Palma Cayet[19] et un extrait du Livre Noir de la ville de Périgueux[20], d'intéressants détails sur la révolte des Croquants ou Tard-avisés qui désola le Périgord durant les dernières années du XVIe siècle. Ce mouvement populaire, selon Cayet, aurait pris naissance en 1594. Le Livre Noir assure que la journée de Saint-Crépin-d'Auberoche, où le vicomte de Bourdeille, sénéchal de Périgord, défit les rebelles (26 août 1595)[21], marqua « la fin de ce grand soulèvement qui avoit fait voir aux champs plus de 15,000 hommes ». M. de Roumejoux n'accepte pas cette assertion. Il incline à croire qu'il faut retarder la date de la pacification d'une semaine, jusqu'à la prise de Condat-sur-Vézère, survenue le 4 septembre, qui décida les chefs des Croquants à faire leur soumission[22]; après quoi l'effervescence se serait calmée jusqu'en 1597, où l'historien d'Aubigné témoigne qu'elle se produisit de nouveau pour disparaître enfin l'année suivante, après la promulgation de l'édit de Nantes qui ramena la tranquillité dans le royaume épuisé par une si longue suite de guerres civiles. La prise de Condat termina-t-elle, comme l'assurait notre regretté président, le premier soulèvement des Croquants? Sur cette question, l'important arrêt du Conseil d'Etat, que nous donnons ci-après, rendu le 30 novembre 1596 sur le rapport du conseiller d'Incarville, ne produit aucun argument péremptoire. Mais, à le lire attentivement, on se prend à douter si l'agitation populaire n'a pas persisté au-delà du terme indiqué et si les deux mouvements, celui de 1594-1593 et celui de 1597, ne se sont pas suivis avec un intervalle moindre encore qu'on ne l'a dit[23]. Il est du moins assez raisonnable de supposer que, si la prise de Condat a clos les opérations régulières de l'armée royale contre les rebelles, tous les Croquants n'ont pas immédiatement désarmé et que l'émotion a duré quelques mois encore, sans événements notables et se prolongeant en simple brigandage.

L'arrêt qu'on lira plus loin ne présente pas qu'un intérêt chronologique. Il en offre un autre et plus élevé, qui est d'apporter une preuve nouvelle à l'appui d'une opinion qui n'a plus besoin, il est vrai, d'être étayée : c'est que Henri IV, en politique avisé, sut tirer de la clémence, opportunément employée, des effets qu'il eut en vain demandés à la sévérité. Cette adroite modération parait déjà dans la lettre qu'il écrivait, à la date du 3 août 1595, au sénéchal de Bourdeille, alors occupé à soumettre les Croquants :

« J'escris à mon cousin le mareschal de Matignon ce qui est de mon intention sur l'assemblée des peuples en mon pays de Périgort, que je ne veux pas estre supportez en leur désobéissance, non plus que violemnent traictez, pour le péril qu'il y auroit en l'un et en l'autre....[24].

Elle a dicté de même ces belles paroles, inscrites dans l'arrêt du 30 novembre 1596, qui y metlent une note si profondément humaine :

« Le Roy en son Conseil, voulant que la mémoire des choses passées demeure ensevelye et réduire son peuple par douceur et clémence à l'obéissance qu'il luy doit... »

A ce titre, notre arrêt intéresse l'histoire générale de la France et il eût été regrettable qu'il restât ignoré.

R. Villepelet.

Veu par le Roy en son Conseil la requeste présentée par le scindic des trois Estatz du païs de Périgord, par laquelle il auroit remonstré que s'estant le menu peuple et habitans du plat païs de Lymosin excité à prendre les armes en trouppes et assemblées publicques, ils se seraient espenduz par le païs de Périgord avec telle force et multitude qu'ilz auroient contrainct grande partye du menu peuple et habitans dudict païs de Périgord de leur adhiber, prendre les armes avec eulx et les suivre là part où ilz auroient voulu ; à raison de quoy, il se seroit faict dans le païs de Périgord plusieurs assenblées  dudict peuple, traictez et conventions particulières et quelque collecte de deniers pour envoyer vers le Roy soubz le nom du Tiers Estat dudict païs, ce qui avoit occasionné plusieurs gentilzhommes dudict païs avec les villes cappitalles et communaultez d'icelles de penser que lesdictes assenblées et portz d'armes estoient faictes et dressées contre eulx, si bien que pour obvier aux desseings qu'ilz croyoient estre brassez à leur préjudice, ilz auroient prins les armes et se seroient mis aux champs soubz l'auctorité du sieur de Bordeille, sénéchal audict païs.   Et, d'autre part, le peuple appréhendant sa ruyne des assenblées faictes par lesdicts seigneurs et gentilzhommes, et, d'ailleurs, séduict par certaines impostures qui se mesloient entre eulx, auroient de toutes partz dudict païs prins les armes et se seroient mis aux champs contre l'auctorité de Sadicte Majesté et dudict sénéchal, si bien qu'ilz estoient à d'autres foys venus au combat comme à guerre ouverte, tant en forcement de bourgs et places qu'en plaine campagne, mesmes le vingt-sixième aoust mil  cinq cents quatre-vingtsquinze, au lieu de St-Crespin, audict païs, et en divers autres endroictz avant et depuis, ausquelles rencontres, oultre la mort d'un infini nombre de paisans et autres dudict menu peuple, s'en seroient ensuiviz plusieurs actes d'hostillité, à raison desquelz aucunes parties avoient intenté diverses poursuites criminelles contre ceulx qui estoient restez du peuple, lesquelles poursuictes estans par eulx appréhendées, ilz auroient eu recours à la court de Parlement de Bordeaulx; laquelle, avec l'advis du sieur mareschal de Matignon, auroit ordonné que telles poursuithes surceoiroient pendant six moys, dans lesquels Sa Majesté seroit supplyée leur octroyer grâce et abolition desdicts actes, requérant attendu que lesdictz soublèvemens estoient tournez à la ruyne du peuple, mesmes que la punition de tous les coulpables embrasseroit presque tout le menu peuple dudict pays, qui sera la désolation de tous les ordres et estalz d'icelluy païs, et que, par la grâce qui est requise à Sa Majesté, le suppliant n'entend couvrir aucuns crimes qualeffiez meurdres et excès commis de partie à partie, il plaise au Roy octroyer au peuple dudict païs abollition de toutes prinses, levées d'armes faicts par ledict païs contre l'auctorité de Sa Majesté et tous actes d'hostillité commis de part et d'autre à raison desdicts soublèvemens, tant audict lieu de St-Crespin que aultres, à la prinse et forcement d'aucuns bourgs et places ou autre semblable revertion faicte en armes d'une part et d'autre dans ledict païs.

Veu aussy l'arrest de la court de Parlement de Bordeaulx du XIIe jour de juillet dernier, donné après avoir oy le rapport de Me Thibauld de Camarin, conseiller en ladicte court, commissaire par elle depputé pour aller au païs de Périgord, pour rechercher les moyens d'appaiser les soubzlèvemens populaires, l'ecdit du mois d'aoust mvc quatre-vingts quinze, par lequel Sa Majesté auroit octroyé pardon général desdictz soubzlèvemens.

Le Roy en son Conseil, voulant que la mémoire des choses passées demeure ensevelye et réduire son peuple par doulceur et clémence à l'obéissance qu'il luy doit, ayant esgard à ladicte requeste, a ordonné et ordonne que toutes les poursuictes criminelles et recherches que son procureur général et autres particulliers pourroient faire pour raison desdictz soubzlèvemens, assemblées, portz d'armes et excès commis par voye d'hostillité, demeureront estainctes, abollyes et assopies, faict deffenses à sondict procureur général, ses substitutz et à tous particulliers en faire cy-après aucune recherche, et à sa court de Parlement et à tous autres ses juges et officiers d'en prendre congnoissance sur peyne de nullité de toutes proceddures et de tous despens, dommages et intérestz.

(Archives nationales, E 1b, fol. 132.)

pp. 291-297

JUSTICE DU PRIEURÉ DE BUSSIÈRE BADIL.

 

Comme préliminaire, j'ai cru utile de rappeler en quelques mots ce qu'était la justice féodale.

Dans le principe, la justice était rendue par les seigneurs eux-mêmes. Le droit de justice était, en effet, un des attributs de la souveraineté ; il lut donc conféré par les rois aux chefs militaires et autres qui devinrent plus tard seigneurs des terres que leur donnèrent les rois à titre de bénéfices. Ce droit, qui était d'abord personnel, devint par la suite héréditaire, comme les bénéfices.

A l'époque de la féodalité, il y avait deux sortes de justice, la justice rovale qui était rendue dans toute l'étendue du royaume et la justice seigneuriale qui était rendue par chaque seigneur dans l'étendue de ses terres. Nous ne nous occuperons que de la justice seigneuriale.

On distinguait trois degrés de justice seigneuriale qui étaient désignés sous les noms de haute, moyenne et basse justice. Le haut justicier, qui avait en même temps haute, moyenne et basse justice, connaissait de tous les délits et crimes commis sur l'étendue de son territoire, sauf les cas appelés royaux comme les crimes de lèse-majesté et de fausse monnaie. Pour punir ces crimes, il avait le droit de glaive, c'est-à dire il pouvait condamner au fouet, à la marque, aux galères et à la mort ; pour exercer ce droit, il devait avoir des prisons et pouvait faire élever des piloris et des gibets. Cette dernière construction, établie ordinairement au bord de la grande pouge ou grand chemin était appelée Justices; nom qui a traversé les siècles et qui est resté dans plusieurs endroits. Entre Varaignes et Bussière, un bois taillis situé au bord du grand chemin et à l'embranchement des routes de Bussière, Montbron, Varaignes et Soudat est encore appelé : « aux Justices. » Plus un gibet avait de piliers, plus le seigneur était puissant ; ainsi le comte pouvait faire élever un gibet a six piliers, le baron avait droit à quatre, et le seigneur châtelain à trois.

Le moyen justicier, qui avait aussi la basse justice, pouvait connaître de toutes les causes civiles; mais en matière criminelle sa compétence variait suivant les lieux et les usages ; elle était toujours minime et ne pouvait, en général, dépasser soixante sous d'amende.

Le bas justicier ne connaissait que des affaires civiles jusqu'à soixante sous parisis, et en matière criminelle il ne pouvait juger que les délits qui pouvaient entraîner jusqu'à dix sous parisis d'amende.

Plus tard, les seigneurs ne voulant plus exercer la justice eux-mêmes, nommèrent des officiers pour les remplacer et rendre la justice en leur nom. Ils en arrivèrent donc à nommer :

Un juge, un lieutenant de juge, un greffier et des sergents ou huissiers.

Ils nommaient aussi les notaires et le geôlier de la prison, qu'ils étaient tenus d'avoir dans leur château.

Quant aux sergents chargés de faire exécuter les sentences des juges, le comte pouvait en nommer douze, le baron six, le seigneur châtelain quatre, et les autres petits seigneurs deux.

Le prieur de Bussière avait moyenne et basse justice dans l'étendue de son prieuré, ces droits de juridiction sont énumérés tout au long dans l'accord suivant, que je traduis :

Nous Poncius de Salaignac[25], licencié en droit canon, abbé da Clérac, au diocèse d'Agen, archidiacre (in umatencis), et doyen de l'église de St-Yrieix (de achuno), arbitre unanimement choisi quant aux affaires ci-après énoncées, à tous ceux qui les présentes lettres verront, liront ou entendront lire, savoir faisons que pardevant nous ont été personnellement constitués : honorable et savant homme Me Jean de Colonges[26], prieur du prieuré de la bienheureuse (vierge) Marie de Bussière-Badil, du diocèse de Limoges, pour lui et au nom de son dit prieuré et pour tous les siens sieurs prieurs ses successeurs à l'avenir dudit prieuré, d'une part;

Et nobles et puissants seigneur Gauthier de Péruse[27], chevalier, seigneur des Cars et de Varaignes, et dame Andrée de Montbron, son épouse, dame des dits lieux. La dite dame Andrée avec la permission, consentement et autorité du dit seigneur son mari, lesquelles choses le seigneur des Gars a accordées et concédées à la dite dame son épouse pour faire passer et reconnaître toutes et chacune des choses ci-après écrites par les leurs et leurs héritiers et successeurs quelconques d'autre part.

Alors les parties et chacun des leurs ainsi constitués ont déclaré que naguère il était survenu une contestation entre le frère Simon Guyon, alors prieur du dit prieuré de Bussière-Badil, d'une part, et les seigneurs conjoints d'autre part, à cause et à raison de la juridiction du bourg précité de Bussière.

Que le prieur dont s'agit affirmait qu'il avait, dans ce bourg, la basse et moyenne justice, que de leur côté les seigneurs conjoints prétendaient posséder dans le même bourg de Bussière, à cause de leur château et de leur châtellenie de Varaignes, dans les limites desquels il se trouvait enclavé, la haute, moyenne et basse justice mère, mixte, impère et l'exercice d'icelle, avec jouissance de ces mêmes droits et qu'ils étaient en bonne possession et saisine de ces mémes droits. Qu'un procès au sujet des droits contesta eut lieu en la cour de Varaigues pardevant Me Pierre Gérard, homme discret et sénéchal de celle même cour, entre le prieur déjà nommé agresseur et requérant et le procureur des seigneurs conjoints défendeur. Le procès aboutit à celle fin que le même sénéchal adjugea au même prieur le droit de basse justice jusqu'à concurrence de soixante sous et un denier, dans le bourg de Bussière et ses dépendances comprises au dedans des limites de la châtellenie de Varaignes, ainsi que cela avait été jugé par le même sénéchal et au même lieu dans les assises tenues à Varaignes, le 28 décembre de l'an du Seigneur 1401. Que les choses promises n'étant pas exécutées, la contestation recommença entre le révérend père André de Livene, prieur du dit prieuré, prédécesseur immédiat du prieur actuel, et les seigneurs époux précités, et que par une seconde décision ajoutée à la première par le même sénéchal de Varaignes, il fut établi entre les parties que le dit prieur et ceux qui viendraient après lui jouiraient comme leurs prédécesseurs perpétuellement, et dès maintenant, de la dite juridiction de Bussière-Badil, jusqu'à concurrence de 60 sous et un denier, ainsi que cela fut établi et constaté par la transaction passée par Mes Pierre de Mazia et Pierre de Borie, le 10 septembre de l'an du Seigneur 1474. Mais, comme en même temps les parties dirent et affirmèrent ouvertement et publiquement qu'elles voulaient et désiraient que cette décision fut observée de point on point, il était juste d'établir la différence qui devait exister entre les deux juridictions. D'une part, le prieur disait que puisqu'il était convenu que la juridiction de Bussière lui appartenait jusqu'à concurrence de 60 sous et un denier, lui et ses officiers (juges), pouvaient connaître dans le bourg précité de toutes les causes tant réelles que personnelles, soit en matière possessoire ou pétitoire, des actions pour injures réelles ou verbales, qu'il pourrait tenir prisons, punir les malfaiteurs, nommer des tuteurs et des curateurs, prononcer contre les débiteurs, assigner les parties, punir d'une amende, pourvu toutefois qu'elle ne dépassât pas la somme convenue de 60 sous et un denier, donner des mesures, avoir le droit de sceau et de garde (vigerie).

D'autre part, les seigneurs époux disaient au contraire que comme le bourg de Bussière était enclavé dans la châtellenie de Varaignes, eux et leurs prédécesseurs avaient dès la plus haute antiquité toute juridiction sur le bourg précité, savoir : la haute, moyenne et basse justice, mère, mixte et impère ; mais que, en l'honneur de la glorieuse Vierge Marie, en l'honneur de laquelle le prieuré de Bussière avait été fondé, ils avaient consenti, dans la convention ou accord précité, que le prieur exercerait la basse justice jusqu'à concurrence de 60 sous et un denier, et qu'il résultait de l'examen attentif et sérieux de cette même convention que ledit prieur et ses juges ne pourraient connaître des injures verbales ou réelles, qu'ils ne pourraient donner ni tuteurs, ni curateurs, ni condamner les débiteurs, ni faire assurer la sécurité, ni tenir prison, ni incarcérer les criminels, ni donner des mesures, ni avoir le droit de sceau, ni de vigerie, enfin qu'ils ne pourraient connaître d'aucune autre cause que des plus minimes de la basse justice, et qu'en outre, les seigneurs époux pourraient faire tenir les assises de leur juridiction dans ledit bourg par leur sénéchal ou juge, ainsi que cette manière de faire et d'exercer leur juridiction a été exercée et dont ils sont en bonne possession et saisine.

Conformément à la volonté des parties, comme elles en sont convenues, après avoir remis dans nos mains la convention précitée faite avec le susdit révérend père André de Livene, ainsi que les autres documents que les parties elles-mêmes ont bien voulu nous confier; ensemble les avis donnés par des hommes instruits sur les droits contestés, nous avons formulé notre décision arbitrale sur tous les points en litige. Mais désirant que notre décision soit observée et respectée et honorée tout comme si elle était un jugement rendu par une cour de parlement ; en l'honneur et en considération des parties, après avoir pris conseil d'hommes habiles et savants , après avoir délibéré avec eux, après avoir bien pesé tous les termes de ladite transaction, conformément à l'avis de plusieurs hommes nobles et instruits, voulant sauvegarder les droits de l'église de Bussière, désirant aussi maintenir la paix entre les parties ; après avoir entendu tous leurs dires et allégations, les mêmes parties me demandant personnellement de régler leur différend, nous avons décidé ce qui suit sur le fond de la contestation et sur le modus Vivendi des parties : Ledit prieur pourra connaître dès maintenant des causes civiles, pétitoires ou personnelles, de quelque quantité ou qualités, qu'elles soient pour les choses ou les personnes comprises ou habitant dans le bourg de Bussière et au-dedans des limites de ses appartenances (dépendances); il pourra aussi connaître des injures verbales et réelles, pourvu toutefois qu'elles ne soient pas atroces et telles que la peine ou l'amende encourue ne dépasse pas la somme déjà indiquée de soixante sous et un denier. Néanmoins, il pourra prononcer contre les débiteurs, faire et assurer la sécurité, pourvu que la peine ou l'amende n'excède pas ladite somme de soixante sous et un denier; mais ledit prieur ne pourra connaître des causes qui entraîneraient une peine ou une amende corporelle, ni des affaires dépassant la somme précitée, et il ne pourra assigner les parties adverses pour les concilier. Le même prieur ne pourra donner ni tuteurs, ni curateurs, ni retenir des prisonniers, à moins que ce ne soit dans l'intention de les livrer au sénéchal ou juge de la juridiction de Varaignes ; lequel juge pourra tenir la cour ou les assises de ladite châtellenie de Varaignes dans ledit bourg de Bussière-Badil et au-dedans des limites déjà mentionnées, et y connaître de toutes les causes concernant sa juridiction, tout en laissant audit prieur les causes qui seraient de son ressort, ainsi que nous l'avons déjà réglé. Le même prieur pourra, dans le bourg et ses dépendances, donner et assigner des mesures et percevoir tout droit et denier de vigerie.

Telle est la déclaration, l'arrangement, le traité, la transaction faits par nous et que les parties tant pour elles et les leurs que pour quiconque pourrait y avoir quelque intérêt dans le présent ou dans l'avenir, ont approuvés, acceptés, ratifiés pour valoir, tenir et avoir force et solidité à toujours, elles y ont donné leur assentiment et consentement pour toutes et chacune des choses promises, s'engageant pour eux et les leurs à les tenir et observer à perpétuité, à ne rien opposer, alléguer, dire et faire qui y soit contraire en quoi que ce soit, et par eux-mêmes, ni par autrui, ni secrètement, ni ouvertement, ni tacitement, ni distinctement, à ne fournir à aucune personne ennemie, ni cause, ni moyen, ni subterfuge pour cause de vigerie, ni secours, ni conseil, ni faveur pour venir à l'encontre des présentes.

Les parties, après avoir promis toutes ces choses, les ont confirmées par leurs serments sur les saints évangiles de Dieu avec renonciation de fait et de droit et de discussion. En outre, pour la garantie et le maintien à perpétuité des choses promises, les parties ont d'ores et déjà obligé (hypothéqué) les uns à l'égard des autres pour eux et leurs héritiers et successeurs savoir : Le dit seigneur prieur tous les biens de son prieuré. Lesdits seigneurs conjoints tous et chacun leurs biens mobiliers et immobiliers, présents et futurs quel que soit le lieu qu'ils occupent et le nom qu'ils portent. Les parties consentent à être contraintes à l'exécution (observation) des présentes par tous les moyens de justice nécessaires et opportuns . En outre, pour la sûreté et l'assurance des choses promises et de chacune d'elles, cet acte a été fait en présence et d'après la volonté et consentement des parties si souvent nommées et des leurs qui s'y sont trouvés d'une part, et y ont consenti d'autre part par leurs fondés de pouvoir présents et stipulant solennellement par Pierre de Marandi et Léonard de Chesrade, clercs à la cour du seigneur official de Limoges, commis et délégués et soussignés pour la lecture et l'exécution des actes de cette cour. Les parties ayant ensuite promis spontanément de se soumettre à ce qui va être dit ci-après comme à une sentence juridique. Alors nous official de Limoges, accordant une foi entière aux présentes conventions, telles que les actes nous en ont été remis par nos commissaires précités, qui les ont reçus et rédigés à notre place et sous notre autorité, voulons qu'il y soit ajouté une foi aussi complète que si ces mêmes actes avaient été rédigés ou reçus par nous. Nous leur donnons notre ratification et approbation, voulant ainsi qu'ils aient la même autorité que s'ils résultaient d'un jugement prononcé par nous en notre cour provinciale, nous y avons fait apposer notre sceau de la cour de Limoges afin qu'il soit accordé une foi pleine et entière à toutes les choses y contenues.

Donné et fait au château des Cars en présence de homme noble Me Antoine de Sanète, fidèle damoiseau, seigneur de la Ribière, homme religieux Jean        de l'ordre de saint Benoit, Jean de Lamarie et Jean de Rosin, clercs, tous témoins commis et appelés et présents le 24 du mois d'avril de l'an du seigneur 1481. Ainsi signé : De Chaneyde avec le jurisconsulte précité, de Marandv avec le jurisconsulte de Cheyrade.

Voici donc quels étaient les droits de juridiction du prieuré de Bussière-Badil. Ce droit fut toujours contesté par les seigneurs de Varaignes, ainsi qu'il résulte des accords survenus en 1401, 1474, 1481, 1495, 1503 et 1541 [28] ; mais les prieurs eurent toujours gain de cause, en voici quelques preuves.

En 1764, Lajamme de Belleville et delle Thomas, son épouse, assignés à la cour de Varaignes, déclarent par leur procureur Thomas Bernard, jeune, qu'ils n'ont pu être valablement assignés à Varaignes puisqu'ils résident à Bussière-Badil, où il y a justice qui connaît de toutes causes à l'exception des affaires criminelles. Sur les conclusions du procureur d'office, Me Léonard Bernard, la cause est renvoyée pardevant le juge du prieuré de Bussière-Badil.

[…]

 

pp. 352-353.

LISTE DES PAROISSES DU PÉRIGORD MENTIONNEES DANS LE

Pouillé du diocèse de Limoges.

La Société archéologique du Limousin a publié, il y a quelque temps[29], le Pouillé du diocèse de Limoges, qui a eu pour auteur l'abbé Nadaud, dont le labeur infatigable ne saurait être trop loué, et pour éditeur M. l'abbé Lecler, qui s'est montré le digne continuateur de Nadaud. Un certain nombre de paroisses, qui dépendaient autrefois du diocèse de Limoges et qui, par suite, sont comprises dans le travail de Nadaud, font aujourd'hui partie du diocèse de Périgueux. J'ai pensé qu'il serait utile, non pas de reproduire les notices qui les concernent, puisqu'elles sont imprimées, mais d'en dresser la liste, afin qu'on puisse y recourir au besoin, et consulter les détails intéressants qu'elles donnent sur les origines et l'ancienne organisation de ces paroisses.

Voici celle liste. Les communes y sont classées par canton, suivant l'ordre alphabétique, avec l'indication de la page du Bulletin qui les concerne :

Archiprètre de Lubersac.

Canton d’Excideuil. — Génis, p. 506. — Saint-Mesmin, p. 506.

Canton d’Hautefort. — Boisseuilh, p. 506. — Coubjours, p. 509.

Canton de Lanouaille. — Payzac. — Saint-Cyr-les-Champagnes, p. 511.

Archiprètré de Nontron.

Canton de Bussière-Badil. — Busserolles, p. 479. — Bussière-Badil, p. 497. — Champniers, p. 500. — Etouars, p. 494. — Piégut-Pluviers, p. 479. — Reilhac, p. 499. — Saint-Barthélémy, p. 485. — Soudat, p. 498. — Teijat, p. 477. — Varaignes, p. 475.

Canton de Nontron. — Abjat, p. 473. — Augignac, p. 473. — Bourdeix (Le), p. 497. — Chapelle-Saint-Robert (La), p. 499. — Hautefaye, p. 175. — Javerlhac, p. 485. — Lusses, p. 494. — Nontron, p. 495. — Nontronneau, p. 474. — Saint-Estèphe, p. 477. — Saint-Martial-de-Valette, p. 484. — Saint-Martin-le-Peint, p. 477[30] (1). — Savignac-de-Nontron, p. 483.

P. B.



[1] Probablement Guillaume d'Avançon on Avanson, fils de Jean, seigneur de St-Marcel, et nommé archevêque d'Embrun en 1561, puis cardinal en 1600, qui succéda à M. de Lanssac à l'ambassade de Rome.

[2] St-Yrieix.

[3] Pierre de Mareuil était cousin-germain du grand-père de Brantôme.

[4] Voir Bulletin historique du Périgord, t. VII, p. 201.

[5] Louis de St-Gelais « M. de Lanssac », était cousin de Brantôme par sa femme, Jeanne de la Roche-Andry, petite-fille d’Andrée de Bourdeille, sœur de son grand-père.

[6] Louise de Montberon, Mlle d'Ausances, morte en l390, fille de Jacques de Montberon, seigneur d'Ausances, chevalier des ordres du Roi, cousin issu de germain du père de Brantôme.

[7] Jacques de Montberon, ci-dessus.

[8] Louis Bouchard d'Aubeterre était l'époux de Marguerite de Mareuil, fille de Guy de Mareuil, cousin-germain du grand-père de Brantôme.

[9] D'Ardelay. Brantôme écrivait aussi Hardelay.

[10] Non reproduites ici (note C.R.)

[11] Une dentelure en tuile plate règne sans interruption tout le long du faîtage.

[12] Le balcon à terrasse et les trous sont modernes.

[13] Voir la photographie. (non reproduite ici – C.R.)

[14] Voir la photographie de celle façade (non reproduite ici – note C.R.).

[15] Voir la photographie, côté de la cour intérieure (non reproduite ici – note C.R.).

[16] Aujourd'hui au Musée.

[17] T. VII p. 200.

[18] « Je serois bien marry si estant là-haut où Dieu fasse la grâce de m'y recepvoir s'il lui plaist, je visse ceste belle maison et chasteau, que j'ay fait bastir avecques si grand travail, eut changé de main et tombé entre une étrangère. »

Ce vœu de Brantôme a été en partie exaucé, car si le château est sorti de la maison de Bourdeille, c'est par alliance et par les femmes qu'il a passé successivement et sans interruption des Bourdeille aux Jussac, aux Chabans et aux St-Légier.

[19] Chronologie novennaire ou histoire de la guerre sous Henri IV, de 1589 à 1598, publiée eu 1608.

[20] Le livre mémorial de l'hôtel-de-ville de Périgueux, dit Gros Livre Noir (on l'appelait ainsi à cause de sa couverture en basane noire; il y avait aussi le Petit Livre Noir actuellement conservé aux archives de la ville de Périgueux, sous la cote BB. 13 et qui concerne les années 1360-1449), fut soustrait à la fin du XVIIIe siècle. Il commençait en 1511, finissait en 1618 et contenait 553 feuillets. Il en existe des copies prises au XVIIIe siècle, à la mairie, sous la cote FF. 174, et à 1a Bibliothèque nationale dans les tomes 50 et 158, de la Collection Périgord. M. de Roumejoux, dans son Essai, en reproduit un assez long passage qui s'applique, non à l'année 1594, ainsi que le texte qui l'accompagne pourrait le faire croire, mais à l'année 1595.

[21] L'acte que nous publions plus loin permet de la dater exactement.

[22] Sur la prise de Condat par les troupes royales et ses conséquences, on pourra lire utilement une intéressante lettre de Marguerite de Saint-Astier, épouse de Jean de Foucauld, seigneur de Lardimalie, gouverneur des comté de Périgord et vicomte de Limoges, datée du 6 septembre 1595, à Lardimalie, que M. Dujarric-Descombes a publie dans le tome XXIII du Bulletin de notre Société, (pp. 64-66).

[23] Remarquons, en effet, que l'arrêt du Conseil d'Etat dit en propres termes que des combats furent livrés avant et depuis la journée de Saint-Crépin, et que ces rencontres furent elles-mêmes suivies de plusieurs actes d'hostilité. D'autre part, si l'on considère la date de la sentence du Parlement de Bordeaux visée par ledit arrêt (12 juillet 1598), on est fondé à croire que la mission du conseiller de Camarin, sur le rapport duquel elle fut basée, eut lieu au plus tôt dans le courant du printemps. Et il y a toute apparence que, si ce magistrat était chargé « de rechercher les moyens d'apaiser les soulèvements populaires », ces soulèvements étaient apaisés depuis peu, si toutefois ils l'étaient quand M. de Camarin vint en Périgord.

[24] Recueil des lettres missives de Henri IV, éd. Berger de Xivrey, t. IV, pp. 388-390.

[25] Poncius ou Pons de Salignac était probablement de la famille des Salignac de La Mothe-Fénelon, qui était alliée aux des Cars ou d'Escarts.

Gallia Christ. - P. 943. — Ecclesia Aginnensis - Abbés de Clérac XII. Pontius de Salignac e decano Sancti Aredii diœcesis Lemov. Bulla Pii papae II anno 1462, data fit abbas Clariac. Reperitur memoratus anno 1485.

[26] Jean-Hélie de Colonies (Nob. du Lim., t. II, p. 503 et Bul., de la Soc. Hist. du Périgord, t. XX, p. 142.)

[27] Noble et puissant seigneur Gauthier de Péruse, IIe du nom, chevalier, reçut de son père, par testament, les seigneuries des Cars, de la Coussière, de la Vauguyon, de Nontron, de Juillac, de la Tour-de-Bar, etc., et l'hôtel de Péruse. Il avait épousé en secondes noces le 17 octobre 1451, Andrée de Montbron, dame de Varaignes, fille de François, Ier du nom, vicomte d'Aunay, etc. Nob. du Lim., t. I, p. 282).

[28] Bull. de la Soc. Hist. du Périgord, t. xix p. 100 - De Laugardière.

[29] Dans son Bulletin, t. LIII, 1903.

[30] Sanctus Martinus Pictus (aujourd’hui, par une erreur choquante, Saint-Martin-le-Pin).

<<Retour