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Source : Bulletin SHAP, tome XXX (1903)

pp. 69-78.

ABBAYE DE CHATRES

Dans ce modeste travail, j'ai simplement l'intention de réunir quelques notes recueillies sur l'antique abbaye de Notre-Dame de Châtres et les sauver ainsi de l'oubli et peut-être de la destruction. Les hommes sont si cruels !... pour les vieux manuscrits, dont trop souvent ils ignorent la valeur. Tout le monde a le droit de connaître l'histoire et surtout l'histoire de son pays. D'ailleurs, les anciens gagnent souvent à être mieux connus et les contemporains peuvent recueillir d'utiles et profitables leçons.

I

Châtres

Châtres est loin d'être un site indifférent. Son altitude (328m) en fait le point culminant des hauts plateaux du Périgord[1].

L'église paroissiale actuelle, de style roman, est relativement récente puisqu'elle a été construite sous la sage et éclairée administration de M. Labrousse de Beauregard, habitant le village de Larre, en 1877. Elle a remplacé une autre vieille église, dédiée elle aussi à saint Nicolas, qui était tombée en ruines. Le rédacteur des visites épiscopales en 1689 faisait la description suivante de l'église et du mobilier :

« Duverdier, curé ou vicaire perpétuel, le sieur abbé curé primitif. Sanctuaire petit, custode d'estain, sans porte-Dieu, n'y a de sacristie, la nef en mauvais état, sans voûte, maison assez bien, deux cimetières, un ouvert, l'autre mal fermé, proche des masures de l'abbaye quy est presque ruinée[2] ».

Il n'a été conservé de cette ancienne église que l'arceau intérieur de la porte d'entrée actuelle. Du mamelon élevé de Châtres l'œil embrasse un vaste et superbe panorama et atteint jusqu'aux derniers sommets des monts d'Auvergne.

Alors que le téléphone et le télégraphe sans fil étaient encore pour des siècles enfermés dans la cassette des mystères de la science, on n'est pas surpris que Châtres ait été un point stratégique important et qu'on ait songé à élever sur cette butte un camp retranché (castrum) servant à la fois de refuge, de défense et de point d'observation. Ce pays, quoique très boisé, mais fertile, a été dès longtemps habité. En sorte qu'il faut, croyons-nous, faire remonter aux temps préhistoriques les légendes des forêts vierges, couvrant toute l'étendue de la Gaule. Il y a quelques années, proche de Châtres, à un kilomètre à l'ouest, au village de Larre, on a découvert des sépultures gallo romaines. Plusieurs objets et en particulier des urnes funéraires ont été offerts au Musée de Périgueux par M. Durand, ancien ingénieur des mines.

Le savant hagiographe périgourdin, l'abbé Pergot, ancien curé de Terrasson, a victorieusement prouvé que Châtres au Ve siècle, a été le lieu de naissance de St-Wast, catéchiste du roi Clovis et premier évêque d'Arras. L'étymologie des noms fournit parfois aux historiens de précieuses indications. Jusqu'au xviiie siècle, on a écrit invariablement Chastres, traduction littérale de Castra (camps, forteresses). Cas assez rare, mais qui s'explique, le nom de Châtres ne s'applique plus aujourd'hui à aucun lieu ou habitation. Le village où de temps immémorial s'est trouvée l'église ou chapelle ayant pour titulaire St Nicolas : ecclesia aut capella Sti Nicolai de Castris (Pouillé du xiiie siècle) s'appelle les Nébouts. Autour, nous trouvons les villages de Vieillemard[3] (1), où habita longtemps la famille noble des La Salle de Bourdeille, Bas-Châtres. Mais aucun endroit ne porte le nom de Châtres. Il faut donc croire que c'était l'abbaye elle-même qui était désignée ainsi. De fait, dans tous les actes on trouve : Abbatia de Castris ou Abbatia B. Mariae de Castris : abbaye de Châtres, ou abbaye de Notre-Dame de Châtres.

Pourquoi ne pas admettre que le monastère fut construit sur l'emplacement du camp retranché devenu inutile par le progrès de la civilisation? Cette opinion d'ailleurs n'est pas gratuite; elle est appuyée sur le témoignage du P. Dupuy, religieux récollet de Sarlat, qui a écrit au commencement du xviie siècle, L'Estat de l'Eglise du Périgord, depuis le christianisme.

Je conjecture aussi qu'environ ce temps (1077), le monastère de Nostre-Dame de Castris de la Chastres, de l'ordre régulier de St Augustin, eut ses premiers fondements. Le bastiment de ses tours dont il a pris sa dénomination monstre son antiquité et dans ses ruines prochaines demande un bon abbé quy rappelle la première ferveur de ses fondateurs[4].

L'abbé Audierne parle, au sujet de l'abbaye de Châtres, de « tours très élevées »[5]. Ce qui en restait en 1722, comme nous le verrons plus loin, le prouve aussi. Malheureusement, le temps qui détruit tout ce qui est humain, et les révolutions qui sont ses agents puissants, ont accompli ici entièrement leur œuvre.

Tout a disparu : camp retranché et abbaye. Les ruines mêmes, qui ont dû être importantes, n'existent plus. Si on s'arrête à considérer l'appareil avec lequel ont été construites beaucoup de maisons et de granges des villages de l'abbaye de Bas-Châtres et des Baris, on remarque facilement que la plus grande partie des matériaux et des belles pierres qui sont entrées dans ces constructions doivent provenir des bâtiments de l'ancienne abbaye tombés en ruine ou démolis. On peut, en particulier, signaler à l'attention des visiteurs, un buste et une tête de Christ, d'un fini et d'une expression remarquables, enchâssé dans le mur ouest de l'habitation de M. J. Lagrange.

II

Fondation de l'abbaye.

On sait le développement extraordinaire que donna, à la fin du xie siècle, aux fondations monastiques, le célèbre moine de Citeaux, Robert d'Arbrissel. Ayant reçu l'ordre du pape Urbain II, de prêcher la pénitence comme Pierre l'Ermite la croisade ; on le vit parcourir divers diocèses, marchant nu-pieds et couvert d'un sac. Le prestige de sa parole, uni à la sainteté de sa vie, obtint des fruits merveilleux de conversion. Son éloquence enflammée, son visage ascétique produisaient une impression si profonde sur ses auditeurs que tous tombaient à ses pieds et, en témoignage de repentir, lui offraient de l'or et des terres pour l'établissement de quelque monastère. C'est ainsi, écrit le vicomte de Gourgues, que la fondation de Cadouin fut le fruit d'une célèbre prédication de Robert à Périgueux[6].

D'après le livre contenant la relation des faits importants de la paroisse de Châtres et rédigé par un ancien curé, l'abbaye aurait été fondée par un comte du Perigord en 1077, sous le pontificat de Guillaume Ier de Montberon. Le duc d'Aquitaine et comte du Périgord était alors Guillaume IX, père d'Eléonore de Guyenne qui, pars on divorce avec Louis VII, attira, tant de troubles et de guerres sur notre belle province[7].

D'après d'anciens écrits trouvés chez les propriétaires du pays, l'emplacement de l'abbaye couvrait 70 ares de terrain, y compris les fossés et murs d'enceinte. L'enceinte était circulaire, il y avait deux immenses cours quadrangulaires, autour desquelles se groupaient les corps de bâtiments ; l'église et ses dépendances, la salle capitulaire, le réfectoire, l'aumônerie, l'infirmerie, la bibliothèque enveloppaient le cloître. Au nord était une maison carrée, attribuée au portier ainsi que la principale porte de l'enceinte, du côté de la chapelle de Saint Nicolas[8].

Le monastère construit, on appela des chanoines réguliers de l'ordre de St Augustin, réformés depuis peu par Nicolas II et Alexandre II, eu 1058 et 1063. La pancarte des bénéfices du diocèse de Périgueux, dressée par Jacques du Repaire, le 15 février 1354, suivant arrêt du Parlement de Bordeaux, fixe à 13 le nombre des chanoines[9]. De Gourgues donne le chiffre de 16[10]. On comptait dans cette maison trois principaux dignitaires après l'abbé : Prior, Cantor, Celerarius, le prieur, le chantre et le cellerier. Ou donnait chaque jour à chacun des religieux un pain et demi, une mesure de vin (pichenam). Le dimanche, mardi et jeudi, chacun recevait trois deniers au lieu d'un seul qu'il avait pour les autres jours. Quarante sols leur étaient donnés chaque année pour leurs vêtements[11].

 

III

Destruction et reconstruction de l'abbaye.

 

Il est certain qu'en 1440,1'abbaye de Notre-Dame-de-Châtres était déjà presque entièrement détruite[12].

« Je trouve, dit le P. Dupuy, cette abbaye avoir esté en ruines environ l'an 1440, a raison de guerres et de malheurs dont nous parlerons[13].

Mais la bonne foi du rédacteur du livre de Châtres a dû être trompée dans la cause qu'il donne de la dévastation du monastère.

Il l'attribue aux hérétiques albigeois. Or, les troubles et le vandalisme, causés par eux dans le Périgord, prirent fin vers 1235. C'est donc à la guerre de Cent Ans, pendant l'occupation anglaise de la province de Guyenne, qu'il faut rapporter ce désastre pour être dans la vérité. D'ailleurs, nous allons donner ici même la traduction d'une pièce très importante, découverte par le P. Denifle, dans les archives de la Bibliothèque Vaticane[14].

Ce document, écrit en latin, ne laisse pas de doute sur l'état lamentable de l'abbaye dans la première moitié du xve siècle.

En voici la traduction :

B. P. expose à Votre Sainteté et la prie très dévotement au nom de Frère Nicolas Réalitas, chanoine du monastère de Notre Dame de Châtres, ordre de Saint Augustin , qu'autrefois à ce monastère vacant par la mort d'un certain Jean Lavada, dernier abbé de ce monastère, mort hors de la Curie Romaine, le dit exposant, pendant plus de dix ans, gouverna et administra, sans opposition de personne, comme gouverne et dirige à présent le dit monastère, désolé, ruiné et entièrement destitué du culte divin et de tout autre chose : monasterium ipsum ... desolatum, ruinosum et servitio divine et aliis totaliter destitutum. Mais comme, R. P., ce monastère, à cause des malheurs rapportés plus haut, est à ce point faible et petit quant aux revenus qui ne dépassent pas annuellement la somme de dix livres tournois, que de plus il est presque inhabitable et qu'il est à croire que le souvenir de ce couvent eût disparu depuis ce temps jusqu'à celui-ci, s'il n'eût été soutenu et administré par le dit exposant au prix de grands travaux. Il supplie qu'avec le monastère il puisse retenir le prieuré de Périnhac[15], dont les retenus sont de six livres.

Concessum ut petitur : Accordé ce qui est demandé. Donné à Florence, le 14 des calendes de février, la cinquième année du Pontificat d'Eugène IV [19 janvier 1436 [16] »         

Par cette supplique, adressée au pape, il apparaît qu'en 1436, l'abbaye de Châtres était ruinée depuis plus de dix ans « per decem annos et ultra ». Ce qui reporte déjà sa dévastation vers 1420 à 1425. Mais le monastère n'eut-il pas à souffrir dès le début de la guerre, commencée en 1328 ? Les événements qui se sont succédé en Perigord portent à le croire. Le 8 mai 1345, Henri, comte de Derby, est nommé, par Edouard III, capitaine et lieutenant des troupes anglaises en Guyenne. Au mois d'octobre, il fait des tentatives infructueuses contre Périgueux. Mais autour de cette ville se trouvaient les religieux de Terrasson, Tourtoirac, Ligueux, des chanoines de Chancelade et de Sainte-Marie-de-Châtres. Or, l'abbaye de Tourtoirac fut presque entièrement détruite en 1345 et celle de Terrasson en 1352[17]. C'est sans doute à ces temps malheureux que s'applique ce passage du P. Dupuy :

Le siège d'Auberoche est encore plus funeste aux Français, car 10,000 furent surpris par 1,000; plusieurs seigneurs sont faits prisonniers, entre lesquels fut le comte du Périgord. De là à quelque temps le vainqueur repasse dans la province ravageant comme un torrent tout ce qui s'opposoit à sa furie[18].

Placée entre Terrasson et Tourtoirac, et étant de plus par ses tours menaçantes une véritable forteresse, l'abbaye de Châtres, si elle ne fut pas entièrement détruite à ce moment, eut beaucoup à souffrir. C'est le lieu de rapporter ici un trait du dévouement d'une humble femme, conservé par la tradition locale. Marguerite Nébout, poussée par son patriotisme et sa foi, ayant eu connaissance de l'arrivée prochaine des Anglais et prévoyant leur intention de ruiner l'abbaye, arme ses varlets et excite ses concitoyens à la guerre religieuse. Mais cette poignée de braves ne dut pas arrêter longtemps l'ennemi. Ne serait-ce pas en souvenir de cette défense héroïque, que les concitoyens de Marguerite Nébout auraient donné son nom au village où se trouve actuellement bâtie l'église paroissiale? La famille Nébout ne s'est éteinte que peu avant la Révolution française[19]. L'état lamentable de l'abbaye, dépourvue de religieux, est certifié au commencement du xviiie siècle par Dom Jacques Boyer, moine de la Congrégation de Saint-Maur [20]:

Le 15 septembre 1712, je passai la Vézère à Condat et fus à Châtres, où il y a une abbaye de chanoines réguliers, sous le titre de N. Dame, mais comme il n'y avait ni moines, ni église, ni monastère, je fus voir M. le curé de St-Nicolas pour lui demander des nouvelles de cette abbaye défunte. Il me dit que M. d'Aubusson en avait le revenu et les titres.

Il ajoute à la date du 29 avril 1743 :

Je fus voir M. d'Aubusson, abbé de Chastres, et M. de Vincenot, abbé de Tourtoirac, où je trouvai fort peu de choses, leurs abbayes sont sans moines.

Peu de temps après le passage de Dom Boyer, Pierre de Tesserot de Segonzac fut nommé à l'abbaye de Châtres et obligea les héritiers de Georges d'Aubusson, précédent abbé, à faire relever les bâtiments tombés en ruine par sa négligence et son incurie. Mais cette réparation se borna à construire sur l'emplacement de l'ancien monastère les bâtiments nécessaires à l'exploitation des biens de l'abbaye[21]. Cet état de choses subsista jusqu'à la Révolution française. A cette époque les biens de l'abbaye de Châtres ayant été saisis furent vendus au profit de la nation. Voici le procès-verbal ou inventaire fait le 9 février 1791 :

Art. 1er. - L'abbaye consiste en un corps de logis de cinq pièces en bas et cinq en haut qui peuvent servir de cuisine, salon, chambre, et antichambre. Ladite abbaye est entourée d'un ancien fossé circulaire déjà comblé qui renferme trois quartonnées de terrain dont la moitié est en culture, le reste a été sans doute assencé à deux ou trois particuliers qui y ont bâti des maisons. Le revenu que ce bâtiment pourait produire en ferme, irait tout au plus à vingt livres à cause de l'isolation et du peu de commerce qui se fait dans ce lieu, celui qui provient dans l'enceinte du fossé et dans le païs qu'on a conservé peut valoir 10 livres. Il y a au midi de l'abbaye deux pièces de terre qui contiennent environ 30 quartonnées, le revenu net et annuel desquelles nous estimons qu'il vaut 150 livres.

Art. 2 e. — Il dépend de la dite abbaye une étendue de pais connu sous le nom de forêt de Chastres contenant 100 quartonnées environ, ce qui monte à 600 livres, nous estimons qu'il tarde depuis au moins 30 ans, de faire couper ces arbres.

Art. 3 e. — L'étang dépendant de la dite abbaye, contenant environ 60 quartonnées, donne le revenu net et annuel de 500 livres. Il est assorti d'un moulin, le revenu net et annuel duquel nous estimons qu'il vaut la somme de 200 livres.

Art. 4e. - La forêt de Châtres appelée de Lare, limitrophe de l'étang, contenant environ 30 quartonnées dont le revenu net et annuel vaut 15 livres.

Total : 1.100 livres, à laquelle somme il faut ajouter 180 livres pour l'abbaye et ses enclaves [22]. »

Les rentes et dîmes qui constituaient le principal revenu de l'abbaye n'entraient pas en ligne de compte.

Le 5 avril 1791, Julien Verlhiac se rendit acquéreur de l'abbaye et de ses dépendances pour la somme de 31.400 livres [23]. Les bâtiments négligés tombèrent bientôt en ruine et les habitants des villages voisins trouvèrent là une carrière de pierres toutes prêtes où ils purent se fournir abondamment.

IV

Abbés de Châtres.

Avant de dresser la liste des abbés de Châtres, donnons quelques renseignements historiques sur les nominations des supérieurs dans les monastères et les abbayes. Il n'est pas facile de déterminer l'époque où l'autorité laïque commença à s'immiscer dans l'élection des abbés des monastères. Mais déjà, sous la première race, la puissance qu'avaient acquise les couvents avait excité la jalousie des maires du Palais. Aussi au IXe siècle, Charlemagne, voulant réagir contre cette tendance, rendit aux monastères leurs anciens droits et détendit au pouvoir laïque de les troubler dans leur administration intérieure (Cap. liv. I. cap. 50). Mais peu à peu ces sages ordonnances tombèrent en désuétude et la richesse des couvents, considérablement accrue par les donations de l'an mil, tenta la cupidité des puissants. Les rois de France, malgré les justes réclamations des papes, s'arrogèrent le droit de nommer aux monastères comme aux évêchés vacants. En sorte qu'à la fin du XIIe siècle, le droit de régale est définitivement établi.

Nous voyons en effet Philippe-Auguste, en 1190, avant son départ pour la croisade, écrire dans son testament:

Lorsqu'une prébende ou autre bénéfice viendront à vaquer, pendant que la régale sera en notre main, la reine et l'archevêque les conféreront à des hommes vertueux et lettrés.

Depuis lors, jusqu'à la Révolution, les rois, par diverses ordonnances, déclarèrent que la régale était un droit de leur couronne et nommèrent aux abbayes.

Il faut soigneusement distinguer entre les abbés titulaires ou en règle et les abbés commendataires. Les abbés en règle étaient des religieux portant l'habit de leur ordre et résidant au milieu de leurs moines.

Les abbés commendataires étaient des ecclésiastiques séculiers et quelquefois des laïques qui percevaient les revenus de l'abbaye. Il est vrai que, d'après le droit canon, les abbés laïques devaient se faire ordonner prêtres dans l'année de leur provision par le roi ; mais ils obtenaient facilement la dispense non promovendo. On ne doit pas s'en plaindre, vu les conditions dans lesquelles se faisait leur nomination. La faveur, l'intrigue, la naissance, décidaient plus souvent le choix du roi, que le mérite, la vertu et les services rendus à l'Eglise.

L'abbaye de Châtres ne garda pas longtemps son autonomie, puisque nous voyons, en 1347, Philippe VI céder au comte du Perigord l'hommage que lui devaient les abbayes de Châtres, Saint-Amand de Coly et Terrasson. Nous croyons néanmoins que la vie religieuse dut subsister dans cette abbaye jusqu'à la destruction de 1440.

(A suivre).                                                      E. Comte.

 

pp. 118-139 (extrait)

ABBAYE DE CHATRES.

(Suite et fin).

M. Philippe de Bosredon, vice-président de la Société, a donné autrefois la liste des abbés de Châtres relevée par lui soit dans le fonds Perigord[24] de la Bibliothèque nationale, soit dans les volumes parus de la Gallia Christiana [25]. Nous n'avons aucun doute sur la valeur et l'exactitude historiques de cette publication[26]. Aussi allons-nous la reproduire ici, en y ajoutant pour la compléter les noms nouveaux et les détails particuliers que nous avons découverts sur chacun d'eux[27].

I. — Pierre I, témoin de la fondation de l'abbaye de Dalon en 1114[28].

II. —  Guillaume, vers 1120[29].

III. — Lambert, vers 1146. Il figura comme témoin dans une donation qu'Aloïs de Bourdeille et ses fils, Hélie et Héblon, firent à l'abbé et aux religieux de Chancelade[30].

IV. — Pierre II, vers 1150[31].

V. — 1178. Etienne, témoin dans un acte passé à Hautefort, intéressant l'abbaye de Dalon[32].

VI. — 1204. N. (Arch. nat.).

VII. — 1226. Raymond. Une charte de l'abbaye de Dalon est signée R. en 1226. Il est probable que cette lettre désigne le même abbé[33] .

VIII. — 1239-1244. Jean I [34].

IX. — 1264. Alexandre[35].

Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, qui devint pape sous le nom de Clément V et fixa sa résidence à Avignon, vint, en l'année 1304, visiter le monastère de Châtres.

Le dict seigneur seroit aussy allé de l'abbaye de Castres, annoncer la parole de Dieu et en ycelle confirme, corrige, réforme, baylle la tonsure et faict autres actes dépendant du droit de Visitation, séjourna au dict lieu avecq son train, au dépens de l'abbé, et le dict jour avoit anvoyé ses visiteurs au prieuré de St-Julien de Terrasson[36].

X. — 1320. Bernard de Verneuil. Il régla, le 19 novembre 1320, une contestation entre Raymond La Combe, recteur de l'église de Vilhac, et Gouffier Flamenc, damoiseau, au sujet de la dime[37].

XI. — 1340. Adhémard de Rovello ou Rovellero. En 1340, il confère le prieuré de Pont-Romieu à un religieux de son abbaye[38].

XII. — 1390. Hugues de Valence[39].

XIII. — Jean II Lavada, mort avant 1425[40].

XIV. — 1436. Nicolas Réalitas, abbé en 1436. Supplique adressée par lui au pape Eugène IV, pour unir au monastère ruiné de Châtres le prieuré de Peyrignac[41]. La demande fut accordée. Ces deux abbés ne sont pas cités dans la Gallia Christiana (tome II, page 1504).

XV.            — 1455. Mathieu Lilhaud. Assenées diverses faites par lui. En particulier il assence à un sieur Pilhouquet une « maison et un jardin joignant les fossés de l'abbaye. Il fut parrain de la petite cloche de Saint-Nicolas de Châtres[42].

XVI. — 1456. Bertrand [43].

XVII. — 1462. Pierre III Bretenèche[44].

En 1532, les abbés de Châtres et de Terrasson furent officiellement invités aux funérailles de François de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, qui eurent lieu à Brive[45].

XVIII. — 1541. Gabriel Lilhaud se démit de sa charge en 1841. Il vivait encore en 1555.

XIX.— 1555. Bertrand II Lilhaud, clerc du diocèse de Limoges, pourvu de l'abbaye en commende de Châtres en 1541, prit seulement possession en 1555 et se démit en 1571.

XX.  — 1571. Jean II Vilalte, prieur de St-Geniès et de Peyrignac[46].

XXI.          — 1613. Gaspard du Chaptau.

Pierre Raffailhac, de Badefols, dit à l'année 1667 de son livre de raison que sur huit abbés qu'il a vus se succéder dans l'abbaye de Châtres, Gaspard du Chaptau a été le premier.

Puisque le chroniqueur commence ses mémoires vers 1600, ce fut donc vers la fin du XVe ou au commencement du XVIe siècle que Gaspard du Chaptau obtint ce bénéfice de la munificence royale. Sans indiquer ni son origine ni ses antécédents, l'auteur dit qu'il estoit goutteux et demeuroit à Badefol dans le chastau et faisoit la recepte de tout le revenu du chastau, de l'abbaye et de la cure de Badefol ». Gaspard du Chaptau fut témoin, en 1594, du mariage d'Etienne de Féletz avec Hélène de Badefols de Peyraux. Il mourut en l'année 1613.

[…][47]

Prieurés

Comme toutes les abbayes d'une certaine importance, celle de Châtres posséda plusieurs maisons secondaires, auxquelles on donnait le nom de prieurés. Le prieuré dépendait du monastère principal et avait à sa tête un prieur, généralement nommé par l'abbé. Il existait également souvent d'autres dépendances de l'abbaye appelées granges. Les granges, éloignées à l'origine de l'abbaye, étaient de véritables exploitations agricoles dirigées par les moines. Mais à partir du XIIe siècle, les abbayes, enrichies par des donations nombreuses, agrandissent leur domaine autour d'elles. Il y a alors une grange qui est bâtie proche du couvent, qui fait partie de son plan et parfois est enfermée dans l'enceinte qui la protège. On envoit un exemple à Saint-Amand-de-Coly[48]. Ne possédant pas le cartulaire de l'abbaye, nous ne connaissons aucune grange ayant dépendu de Châtres. Il est probable cependant qu'il a dû en exister. Il y a quelques années seulement, sur le Taravelou, se trouvaient les ruines du moulin de la Grange. Le livre de Châtres dit simplement que l'abbaye posséda dix prieurés dont trois dans le diocèse de Saintes. Mais il ne donne pas les noms. « L'abaye, écrit le P. Dupuy, avoit plusieurs priorez et curez de la collation de l'abbé, en divers diocèzes »[49].

De Gourgues, dans son Dictionnaire topographique de la Dordogne[50], et la pancarte de Jacques du Repaire[51] indiquent ceux du diocèse de Périgueux et du diocèse de Sarlat. Ils sont, en effet, au nombre de sept.

Malheureusement nous n'avons pu découvrir aucun renseignement historique sur ces prieurés. Aussi devons-nous nous contenter d'en donner la liste, en désignant, autant que possible, les lieux où ils étaient situés.

I. — Pont-Roumieu, cne deSaint-Germain-et-Mons (1654. Archiv. du Vatican)[52].

II.   Guilhgorce, cne de Saint-Laurent-des-Bâtons(1340. Lesp. 33. Châtres)[53].

III.  St-Jean-de-Bosco, diocèse de Sarlat (Pancarte de l'évêché, 1556).

VI. — Lomagne, cne de St-Jean-d'Estissac (1310. Lesp. 33, Châtres).

V. — Doudrac, autrefois dans le diocèse de Sarlat, maintenant dans le Lot-et-Garonne, proche de Castillonnès (Pancarte de Sarlat 1566)[54].

VI. — Le Chalard, cne des Farges.

VII. — Bolerii ?

Dans le diocèse de Saintes :

 St-Jacques-Bosco-Florido.

II. — Ste-Colombe[55].

VI.

pèlerinage.

 

Il est certain par la tradition locale, que très anciennement Châtres a été un lieu de pèlerinage très fréquenté, en l'honneur de la Ste-Vierge. Est-ce une statue de Marie, une simple image peinte, ou un fait miraculeux qui a donné naissance à cette dévotion ?

Aucun monument écrit ne nous l'apprend. On sait seulement que la fête de la Nativité de la Ste Vierge attirait chaque année, le 8 septembre, un nombre considérable de pèlerins. Les mères principalement venaient y consacrer leurs enfants à Marie et lui demander pour eux la pureté et la chasteté de son cœur virginal. Le P. Carles[56] (2) et l'auteur du livre de Châtres nous apprennont qu'on offrait, dans cette circonstance, à Notre-Dame de Châtres, des poulets blancs. Le nombre en était parfois si considérable que le chœur de la chapelle en était rempli[57] (S). On rapproche, tout naturellement, cette pieuse pratique de l'offrande de deux colombes faite par Marie et Joseph au temple de Jérusalem. C'est en souvenir du concours nombreux des pèlerins, le 8 septembre, que la Nativité est restée fête patronale de Châtres. Contrairement à l'usage commun, la solennité de la fête n'est jamais renvoyée au dimanche ; on la célèbre le jour de la semaine où elle tombe. Quel était le lieu du pèlerinage où était située la chapelle dédiée à Notre Dame ? Pour nous, le sanctuaire vénéré des fidèles était renfermé dans l'enceinte de l'abbaye et les religieux en étaient constitués les gardiens. On peut donner des preuves à l'appui. Dans tous les anciens actes on trouve : Abbatia Beatae Mariae de Castris, abbaye de Notre-Dame de Châtres.

[…][58]

VII

Tombeaux.

 

Il y a une quinzaine d'années, M. Joseph Lagrange, possesseur de l'emplacement de l'abbaye de Châtres, mit à jour deux tombeaux fort remarquables. Les savants, entendus en cette matière, les font remonter à une haute antiquité. Le vas ou auge monolithe a la forme et les dimensions du corps humain. La place de la tête, du cou, des pieds, est exactement marquée. Dans le milieu, on remarque un trou circulaire destiné à laisser écouler le liquide provenant de la décomposition du corps. Le couvercle, également d'une seule pierre, est orné d'une guirlande de feuillage. Ces tombeaux ont dû renfermer des personnages importants, peut-être des abbés de Châtres. Mais ils ont voulu que leur nom fût ignoré comme leur vie. Ils restèrent plusieurs années à l'endroit même où ils furent découverts. M. le curé, recueillant avec respect ces vénérables restes de l'antique abbaye, les a fait transporter dans le cimetière de Saint-Nicolas où on peut les voir maintenant contre le mur sud de l'église. Destruction, ruine, mort et oubli, voilà bien les idées qu'évoquent ces tombeaux sans ossements, sans inscription, sans date, gardant le secret de ceux qu'ils ont renfermés et des choses dont ils ont été les témoins muets !

Maintenant que nous voilà arrivé à la fin de ce modeste travail, nous regrettons presque de l'avoir entrepris, parce qu'il reste nécessairement incomplet. Disons cependant, en toute sincérité, que si nous n'avons mieux fait, c'est que nous ne l'avons pu, à cause du défaut de documents disparus ou inconnus. Mais peut être aurons-nous ouvert la voie à quelque chercheur plus heureux qui achèvera un jour cette plaquette. Si cela arrive jamais, nous aurons notre récompense ; car c'est l'amour seul de la vérité qui nous a fait entreprendre cette étude.

E. Comte.



[1] Carte de l'Etat-major.

[2] Chanoine Brugière : L’Ancien et le Nouveau Périgord (inédit).

[3] C'est au village de Vieillemard qu'en 1849 on découvrit 4,000 monnaies de divers comtes du Périgord ; les plus remarquables sont au Musée départemental (Grand : Annales du Terrassonnais.)

[4] P. Dupuy, recollet de Sarlat, tome ???,  p. 20.

[5] Le Périgord illustré, p. 574.

[6] Saint-Suaire de Cadouin, p. 103.

[7] Périgueux par M. l'abbé Pécout.

[8] Annales du Terrassonnais par M. Grand, p. 90.

[9] Archives de l'évêché de Périgueux.

[10] Dictionnaire topographique de la Dordogne, Verbo Châtres.

[11] Note du chanoine Brugière.

[12] Livre de Châtres. Périgueux par M. l'abbé P. Pécout, pag. 161.

[13] Estat de l'Eglise du Périgord, P. Dupuy, t. II, p. 20.

[14] La Guerre de Cent Ans. Désolation des églises, monastères et hôpitaux en France, vers le milieu du xve siècle, par le Père Denifle, des Frères Prêcheurs, correspondant de l'Institut, t. I, page 162, n° 402.

[15] Peyrignac, canton de Terrasson.

[16] Suppl. Eugen. IV, n° 311, fol. 144 bis, in n° 318, fol. 69, ad. Jul. 17, de eodem fere agitur. - Denifle, t, I, 162, n°402.

[17] P. Denifle, Dévastation des églises, t. Il, p. 20 et 21.

[18] Estat de l'Eglise du Périgord, P. Dupuy.

[19] Cahier de Châtres. — Act. not. Saze, Badefol-d'Ans

[20] Journal de Voyage dans les diocèses... de Sarlat, Périgueux... de 1710 à 1714, p. 269 et 393.

[21] Voir plus loin la liste des abbés : Pierre de Tesserot.

[22] Archives de la Dordogne, série Q. 313.

[23] Ibidem, série Q. 543, n° 58.

[24] Fonds Perigord, tome XXXII, folios 387-419.

[25] Gallia Christiana, tome II, pag. 1504 et s.

[26] Bulletin de la Société, tome ler, 1874, p. 260.

[27] Je dois remercier ici M. Ch. Aublaut du concours dévoué qu'il m'a prêté dans ces recherches.

[28] Ph. de Bosredon, Bulletin de la Soc. hist. et arch. du Perigord, tome I, p. 268.

[29] ibid.

[30] Annales du Terrassonnais par V. Grand, p. 221.

[31] Ph. de Bosredon, ibid. Bibl. nat.

[32] Cartulaire de Dalon, mss. Gaignières, 17,120. Bibl. nat.

[33] Ph. de Bosredon, Sigillographie du Périgord, p. 252.

[34] Ph. de Bosredon, Bull. de la Soc. hist. et arch.du Périgord, tom. I, p.268.

[35] Ibid.

[36] Bull. de la Soc. hist. et arch. du Périgord. tome XIII, liv. 2.

[37] Sigill. du Périgord, Philippe de Bosredon, p. 189 et 253.

[38] Bull. de la Soc. hist. et arch. du Périgord, tome I, p. 268. Bibl. nat. mss. Fonds d'Hozier.

[39] Ibid.

[40] P. Denifle, La Guerre de Cent Ans, tome 1, p. 162 note.

[41] P. Denifle, Guerre de Cent Ans, tome 1, p. 162, n° 402.

[42] Livre des rentes et assencements de l'abbaye. Ce livre a été malheureusement perdu, on n'en a conservé que quelques notes dans le cahier des curés de Châtres.

[43] Livre de Châtres. Cahier des rentes et assencements de l'abbaye.

[44] Ibid.

[45] St-Aulaire, La Fronde, t. II, p. 396.

[46] Biblioth. Vat.

[47] Nous interrompons ici cette liste. Se référer SVP au bulletin en cas de besoin (note C.R.)

[48] Grange de St Amand de Coly. Bull. de la Soc. hist. et arch. t. xxvi, 3e livraison.

[49] Estat de l'Eglise du Périgord, t. II.

[50] Voir Châtres.

[51] Arch. de l'évêché de Périgueux.

[52] Dictionnaire topographique de de Gourgues.

[53] Ibid.

[54] Ibid.

[55] Notes du chanoine Brugière.

[56] Titulaires et Patrons, par le P. Carles.

[57] Livre de Châtres.

[58] Nous interrompons ici le texte concernant les pèlerinages aux XVII, XVIII et XIXème siècles. (note C.R.)

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