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Source : Bulletin SHAP, tome XXVIII (1901)

pp. 72-104.

 

HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS

 

Avant la Révolution, Belvès avait de riches et anciennes archives, et les établissements ecclésiastiques de la région, le couvent des Frères Prêcheurs de Belvès, les abbayes de Fongaufier et de Cadouin, avaient de nombreux cartulaires.

Au moyen de ces documents, il eût été facile d'écrire l'histoire de la châtellenie ; aujourd'hui, la tâche est autrement difficile.

Ces dépôts d'archives ont été détruits ou dispersés, soit au moment de la Révolution, soit depuis cette époque[1].

Et nous n'avons aujourd'hui d'autres documents que ceux que contient le Fonds Périgord à la Bibliothèque nationale, et ceux que conservent les Archives départementales de la Gironde.

Le Fonds Périgord a été constitué par M. l'abbé Lespine, directeur de la Bibliothèque nationale ; et les pièces qu'il contient, pour notre région, proviennent principalement des collections qui avaient été faites, en vue d'une histoire ecclésiastique du Périgord, par les moines de Chancelade, et principalement par Leydet et par Prunis[2].

Ce fonds contient des documents originaux, de nombreuses copies, extraits ou analyses de pièces empruntées aux archives de la région ; et, aujourd'hui que presque tous ces dépôts d'archives ont été dispersés, le Fonds Périgord rend de grands services aux travailleurs : il a conservé un très grand nombre de documents qui, sans lui, seraient irrémédiablement perdus.

Malheureusement, beaucoup trop de ces documents n'ont été reproduits qu'incomplètement, sous forme d'extraits ou de traduction ; le document analysé ne l'a été qu'en vue d'un point spécial, et il ne fournit pas à l'histoire tous les renseignements qu'on en pourrait tirer s'il était complet[3].

En outre de cette première source d'informations, nous avons trouvé un très grand nombre de documents, et quelques-uns de premier ordre, dans le riche dépôt des Archives départementales de !a Gironde[4].

Ces documents sont arrivés aux Archives de la Gironde par l'abandon qu'en a fait très libéralement Mgr l'archevêque de Bordeaux. Or, comme Belvès a été, au moins depuis le XIIIe siècle jusqu'à la Révolution, dans la temporalité des archevêques de Bordeaux, un très grand nombre de documents intéressant son histoire se trouvaient à l'archevêché de Bordeaux. Ils ont été versés aux Archives départementales de la Gironde[5].

Enfin, nous devons quelques documents, soit à des collections particulières[6], soit aux Archives départementales de la Dordogne[7], soit aux Archives des Basses-Pyrénées, à Pau.

Nous n'avons pas manqué de consulter les ouvrages, tant généraux que particuliers, de nature à nous fournir quelques renseignements sur notre localité.

Grâce à ces documents, il nous a été possible de fixer, au moins dans ses grandes lignes, l'histoire de la châtellenie de Belvès.

Cette histoire n'offre pas un très grand intérêt ; elle ne se distingue guère de l'histoire que l'on pourrait écrire pour beaucoup de localités de la Dordogne.

Si l'on veut cependant considérer que Belvès est l'aîné des cités voisines, plus ancien que Domme (1282), Villefranche-du-Périgord (1261), Montpazier (1273), Beaumont (1272-1287) ; qu'il a été, historiquement, plus important que St- Cyprien et le Bugue, on nous pardonnera d'avoir songé à en écrire l'histoire.

En le faisant, nous nous sommes souvenu que là était le berceau de notre famille ; nous avons voulu sauver de l'oubli certains faits, à peu près inconnus de notre génération, et acquitter notre dette de reconnaissance envers une cité qui par deux fois, 1896, 1900, nous a fait le très grand honneur de nous appeler à diriger ses intérêts administratifs.

CHAPITRE Ier.

 

DE LA CHATELLENIE DE BELVES ; LES PAROISSES DE LA CIIATELLENIE ; FORMATION DE LA VILLE, POPULATION; NOBLES, BOURGEOIS ET ROTURIERS; SEIGNEURS DE BELVÈS.

 

Le territoire dont nous nous proposons d'écrire l'histoire formait au moyen âge la châtellenie de Belvès (castellania de Bellovidere ou Bellum videre)[8]. Celle-ci comprenait, d'après le Dictionnaire topographique de M. de Gourgues, treize paroisses; leur nombre parait avoir varié, suivant les époques et comme conséquence des événements politiques ; nous pouvons les énumérer d'après deux documents anciens fort importants.

La première liste des paroisses composant la châtellenie  de Belvès se trouve dans un document des Archives de Bordeaux, contenant le nom des habitanls inscrits en 1351 dans les contrôles du Consulat de Belvès et présentés paroisse par paroisse[9].

La deuxième liste est contenue dans les lettres du duc d'Anjou de 1372 énumérant les privilèges reconnus à Belvès et à son territoire[10].

Nous groupons, dans le tableau suivant, ces anciennes listes, avec la liste donnée par M. de Gourgues, et avec la liste des communes formant aujourd'hui le canton de Belvès.


TABLEAU COMPARATIF DES PAROISSES DE LA CHATELLENIE DE BELVES ET DES COMMUNES DU CANTON DE BELVES.

(a) LISTE de 1351

(b) LISTE de 1372.

(C) LISTE de M. de Gourgues

COMMUNES du canton de Belvès

(1) Parrochia de Bellovidere.

(2)       Parrochia Sancti Pardulpo.

(3) Par. de Urvallo.

(4) Par. de Palayrac.

(5) Par. de Monplasen.

 

(6) Par. de Vielvic.

(7) Par. Sancti Mercury.

(8) P. de Fongala.

 

(9) P. de Aulis de Carves.

(10) P. de Larsat.

(11) P. Sancte Fidis.

(12) P. Sancti Amandi.

(13) P. de Grivas.

 

(14) P. de Satgelaco.

 

(1) P. de Bellovidere.

 

(2) P. de Sancto Perdone.

(3) P. de Urvallo

(4) P. de Palayraco.

(5) P. de Monte-plazentio.

(6) P. de Veteri Vico.

(7) P. de Sancto-Mercorio.

(8) P. de Fonte Galadon.

(9) P. de Aulis de Caraves.

(10) P. de Larsaco

(11) P. de Sancta Fide.

(12) P. de Sancto Amantio.

(13) P. de Grivis.

(14) P. deSagellaco.

(15) P. de Fontis Gautrerii.

(16; P. de Doyssaco.

(17) P. deOrliaco

(18) P. de Pratis[11].

Belvès.

 

Saint-Pardoux.

 

Urval.

»

Montplaisant.

 

Vielvic.

Saint-Marcory.

 

Fontgalau.

 

Salles.

 

Latzac.

Sainte-Foy.

»

 

 

Sagelat.

(1) P. de Belvès.

(2) Saint-Pardoux et Vielvic.

»

»

(3) Montplaisant.

 

(4) Vielvic.

»

 

(5) Fontgalop.

 

(6) Salles-de-Belvès.

 

(7) Larzac.

(8) Sainte-Foy-de B.

(9) Saint-Amand-de-B.

(10) Grives.

 

(11) Sagelat.

 

 

(12) Doissac.

(13) Saint -Germain-de-B.

(14) Siorac-de-Belvès.

(15) Carves.

(16) Cladech.

 

La comparaison des trois premières listes nous permet de constater des lacunes dans la liste donnée par M. de Gourgues.

Ainsi, cet auteur oublie, parmi les paroisses de la châtellenie, les paroisses de St Amand et de Paleyrac qui toujours ont fait partie de son territoire[12] ; au reste, la liste donnée par M. de Gourgues n'est qu'une œuvre personnelle ; nous pouvons la laisser de côté ; nous ne l'avons reproduite qu'à titre de simple renseignement.

La liste des paroisses de la châtellenie de Belvès, donnée par les lettres du duc d'Anjou en 1372, diffère en plusieurs points de la liste se rapportant à l'année 1351.

Elle place en premier lieu dans la châtellenie la paroisse de Fongaufier, et c'est peut-être là une erreur, car on peut se demander si Fongautier a jamais constitué une paroisse particulière, resserré qu'il est entre les paroisses de Sagelat et de Montplaisant. L'abbaye de Fongaufier fut la patronne de ces deux paroisses, et, au XIVe siècle, on lui donna leurs revenus, à la charge d'y entretenir un vicaire ; à partir de ce moment, il est certain que Fongaufier ne put constituer une paroisse[13].

M. de Gourgues affirme que Fongaufier comme paroisse fut réuni anciennement à Siorac[14] ; le document sur lequel on appuie cette union n'étant pas cité, nous nous permettrons d'élever quelques doutes.

Ce qui est vrai, c'est que Fongaufier a été le siège d'une abbaye de femmes; que celle-ci a exercé le droit de basse justice sur le bourg de Fongaufier et sur quelques villages dépendant de la paroisse de Sagelat[15] et qu'elle constituait une enclave dans la châtellenie de Belvès.

C'est avec raison que les lettres du duc d'Anjou, contrairement au catalogue de 1351, placent au nombre des paroisses dépendant de la châtellenie de Belvès les paroisses de Doissac, d'Orliac[16] et Prats et quelques territoires dépendant de Grives et de St Laurent.

Nous verrons, dans la suite, qu'en effet, la juridiction de l'archevêque de Bordeaux s'étendait sur ces paroisses et leurs dépendances ; mais que les limites de la juridiction n'étaient ni bien établies, ni bien respectées, et que des difficultés nombreuses s'élevaient à l'occasion de quelques dépendances de ces paroisses entre l'archevêque et les seigneurs voisins de la châtellenie[17].

Si, d'un autre côté, nous comparons, quant à leur étendue, la châtellenie de Belvès et le canton actuel de Belvès, nous remarquons entre eux plusieurs différences.

1° Le canton de Belvès comprend quelques communes dont les paroisses qui les ont formées n'étaient pas comprises dans la châtellenie. Il en est ainsi de Siorac-de-Belvès, paroisse qui formait au moyen âge une juridiction spéciale, relevant de la juridiction et châtellenie de Bigarroque[18] ; des paroisses de Cladech et de Saint-Germain-de-Belvès, qui faisaient partie de la juridiction de Berbiguières[19] et de la paroisse de Carves, qui relevait de la juridiction de Berbiguières et forma dans la suite une juridiction indépendante et distincte[20].

2° D'un autre côté, et en sens inverse, la châtellenie de Belvès comprenait quelques paroisses, dont les territoires, enlevés au canton de Belvès, sont rattachés aux cantons voisins, ce qui s'applique aux paroisses suivantes: à Urval et à Palayrac, communes du canton de Cadouin ; à Saint-Marcory, commune du canton de Montpazier ; à Orliac et à Prats, communes du canton de Villefranchedu-Périgord, et St-Laurent, commune du canton de Domme.

Les deux territoires, châtellenie et canton de Belvès, ne cadrent donc pas, administrativement parlant. Mais on peut remarquer que les anciennes paroisses, détachées du canton, et faisant partie de la châtellenie, comme aussi les paroisses de Siorac, Cladech, Saint-Germain, Carves et Grives comme aussi les localités plus éloignées de Berbiguières, Prats, Latrape, Bigarroque, sont restées fidèles à l'ancien état de choses, et pour les relations d'affaires et de commerce, les habitants ont toujours considéré Belvès, comme le chef-lieu de leurs territoires[21].

Belvès a obtenu le consulat; à quelle étendue de territoire s'appliquait cette concession ?

Si nous nous en rapportions aux documents de 1351 et de 1372, on pourrait soutenir que le consulat comprenait le territoire tout entier de la châtellenie  et que les pouvoirs des consuls s'exerçaient dans toute son étendue. Il a dû en être ainsi à l'origine, car dans ces textes rien ne limite l'étendue du consulat, et nous avons des exemples multiples de consulat s'étendant à un très grand nombre de paroisses[22].

Mais les choses changèrent à partir de 1470, et au point de vue administratif, le territoire de la châtellenie fut divisé en deux parties distinctes. Le consulat ne s'étendit qu'à la ville et paroisse de Belvès et aux quatre paroisses les plus voisines : Saint-Amand, Sagelat, Montplaisant et Saint-Pardoux.

Arthus de Montauban, archevêque de Bordeaux, seigneur temporel de Belvès, signa avec les consuls et les habitants de Belvès une transaction, destinée à faire cesser les débats et difficultés et à mettre fin aux conflits, qui s'étaient élevés entre lui et les habitants[23]. Cette transaction confirma et organisa le consulat et en restreignit l'étendue[24].

A partir de cette époque et jusqu'à la période moderne, le consulat a conservé ses prérogatives et ses droits : la transaction de 1470, à laquelle l'on se référera constamment dans la suite, et qu'on ne modifiera que sur des points de détail, restera, avec les lettres patentes du duc d'Anjou de 1372, la charte fondamenlale des libertés et des privilèges des ville et consulat de Belvès.

Ainsi, dans le territoire de la châtellenie de Belvès, le Consulat resta le territoire privilégié; son administration était assurée par les consuls agissant de concert avec le bayle, représentant de l'archevêque. Dans l'autre partie de la châtellenie , hors le Consulat, le seigneur archevêque conservait sou autorité complète. A titre exceptionnel et en cas de nécessité urgente, les consuls pouvaient frapper d'impôts tous les habitants de la châtellenie : c'était un reste du pouvoir qu'ils avaient eu, à l'origine, sur le territoire tout entier[25]. Hors ce cas, le seigneur archevêque de Bordeaux et les seigneurs, ses vassaux, exerçaient, sans aucune limitation, les droits afférents à leurs seigneuries, dans le district de la châtellenie.

Le territoire de la châtellenie de Belvès était au moyen âge ce qu'il est encore aujourd'hui. La plus grande partie était occupée par des bois, le plateau au nord-ouest par la forêt de la Becède; la portion la plus riche était le territoire Belvesois et les vallées de sa principale rivière, la Nauze, et de ses affluents[26].

On peut dire de cette portion du Périgord ce qu'on dit du pays tout entier, avec Blaise de Montluc. « J'ay été lieutenant du roy en ce pais, j'ay fort couru le monde, mais je croy qu'il n'y a rien qui esgaie ce pais, soit en richesses, soit en commodités et vivre. »

Si le paysage, dans son ensemble, revêt un grand caractère de sévérité et même de tristesse, « l'œil se repose sur des vallées étroites qu'arrosent des rivières sinueuses bordées de prairies; puis des noyers semés sur des terres labourées, des peupliers le long de l'eau coupent la plaine par tranche verte et conduisent doucement le regard jusqu'aux coteaux où la vigne et le chêne s'entremêlent.... »[27] et le paysage tout entier revêt un charme indéfinissable.

Belvès est admirablement situé : il forme le sommet d'un promontoire détaché du plateau de la Becède et s'y rattachant par des pentes successives.

La partie la plus élevée du promontoire était occupée par le castrum, la ville forte : « Ledit lieu est élevé et fort et le  meilleur lieu de tout le diocèse de Sarlat, après la cité très salubre...», dit Philiparie. Perché au sommet de pentes fort raides, à une centaine de mètres au-dessus de la vallée de la Nauze, isolé, au nord et au midi, sur les côtés par des vallées profondes[28], rattaché au premier contre-fort du plateau par un long couloir étroit, il était facile, en élevant là des fortifications, d'en faire une place de guerre importante, surtout à une époque où la poudre à canon n'avait pas encore mis aux mains des assiégeants les moyens d'attaque à longue portée.

Le castrum, noyau de la ville primitive[29], occupait la partie la plus élevée de la ville actuelle, telle que la dessinent le tracé de la route n° 11 bis, le côté est de la place et les rues du Petit-Sol et de la Brèche.

Puis le commerce, l'organisation politique, la protection des fortifications, attirèrent une population nombreuse, et, autour de la ville primitive, en avant des Portes, vers le nord et sur le long couloir reliant le castrum au premier plateau, se forma peu à peu une ville nouvelle.

Dans les premiers temps, la ville ne dut comprendre qu'un cordon de maisons autour de la place; puis successivement sur les chemins partant de la place, grâce aux constructions élevées sur leurs côtés, se formèrent la rue Foncastel, la rue du Portail-Peint (carriera de Portali Picto); dans la suite, rue Portal, ou Grande-Rue; puis, avec le temps, s'élevèrent les faubourgs ou barris, à Pélevade, en prolongation de la rue Foncastel; et, en prolongation de la rue Portal, les barris de la Turquerie, sur le chemin qui joignait la ville au prieuré des Bénédictins, chef-lieu spirituel de la paroisse.

La fondation, au XIVe siècle, du couvent des Frères Prêcheurs, au nord de la ville, tout près, mais en dehors de la fortification, fut le point de départ de la formation de nouveaux quartiers.

Telle fut la ville ancienne, tels en furent les développements successifs.

Au xvie siècle, elle était, en pleine prospérité; complètement relevée des ruines de la guerre anglaise, elle pouvait aspirer à devenir une des cités les plus importantes de la région ; fort maltraitée pendant les guerres de religion, elle eut grand'peine à se relever, et elle est, depuis cette dernière époque jusqu'à nos jours, restée tout-à-fait stationnaire.

La légende populaire voudrait que Belvès soit le résidu d'un grand établissement urbain, que la ville ancienne ait couvert de ses édifices un grand espace de terrain et ait englobé l'église paroissiale dans ses murs : tout cela n'est que légende.

Les documents sainement étudiés permettent d'affirmer que la ville ancienne, à aucune époque, n'a été plus étendue que ne l'est actuellement la ville moderne ; l'église paroissiale Notre-Dame Sainte-Marie de Moncuc, a été toujours isolée et séparée des barris, ceux-ci n'ont formé qu'un cordon entre la ville et le plateau de l'église ; et la ville n'a jamais occupé que le terrain qu'elle occupe aujourd'hui et qu'entoure de ses replis la route départementale n° 11 bis.

Les choses ont donc beaucoup moins changé qu'on ne le croit généralement, et nous pensons qu'il est facile de suivre les développements successifs de la ville ancienne, et d'en retrouver l'assiette, au milieu de la ville moderne. Ce sera là l'objet principal de nos recherches.

La ville de Belvès, au moyen âge, comprenait trois parties distinctes : le castrum, la ville proprement dite, les faubourgs.

I. LE CASTRUM.

La partie la plus importante et la plus ancienne est le castrum, fort ou château : à l'origine ce fut la ville tout entière.

Le castrum occupait la partie la plus élevée du promontoire, il comprenait les quartiers actuellement constitués par l'hôpital, l'école primaire supérieure [dénommée encore le château] et les habitations élevées sur les rues Malbec ou du Grand-Fort, et Rubigant et dans les espaces qui les séparent. Vers l'ouest, le castrum ne dépassait pas la limite actuelle de la place d'Armes.

Il est facile d'en reconstituer le périmètre.

Comme toute place fortifiée le castrum était protégé par de hautes murailles, flanquées de tours; la muraille était précédée d'un fossé, là où la configuration des lieux, l'exigeait[30].

Une portion de ces fortifications est encore debout, les hautes murailles qui soutiennent les jardins de l'hôpital, les cours et jardins de l'école supérieure et les jardins au midi de la rue Rubigant, en façade sur la rue du Petit Sol, sont les restes du rempart du castrum, à l'est et au midi.

L'aspect de ces vénérables murailles, dans les parties non remaniées, est celui que les fortifications des XIIe et XIIIe siècles présentent, partout où le temps les a respectées. Si quelque changement a été apporté à leur état, c'est principalement à la partie supérieure ; mais elles sont aujourd'hui, dans les portions non remaniées, ce qu'elles étaient au moyen âge.

Si, parti de la place nous descendons vers le midi, par la rue du Petit-Sol, nous avons à notre gauche l'ancien rempart dont nous suivons le pied jusqu'à la route n° 11 bis. Dans cette première partie, il ne reste que quelques fragments intacts, vers l'école primaire supérieure ; dans la rue du Petit Sol, le rempart, à diverses époques, s'est démoli, ou a été détruit et reconstruit sur l'ancienne assiette.

Continuant notre promenade vers le nord par la route n° 11 bis, nous restons au pied du rempart jusqu'à l'hôpital : cette partie est la mieux conservée des anciennes murailles ; dans quelques-unes de leurs parties, elles sont intactes, mais elles out été reconstruites sur bien despoints ; leur élévation moyenne au-dessus de la route n° il bis est d'une dizaine de mètres. Les murs et jardins de l'école supérieure, que soutiennent les anciens remparts sont en contre-bas du plateau supérieur, occupé par l'hospice et la place de Peyrignac, d'une quinzaine de mètres. Ainsi peut-on, au simple aspect, se rendre compte de la force de la fortification de la ville, de ce côté de son établissement.

De l'hôpital l'ancien rempart allait droit vers le nord, coupant la rue Malbec ou du Grand Fort à son débouché sur la place du Terriol : dans cette partie, le rempart forme actuellement le mur de façade des maisons sur la place du Terriol; on a percé au travers les portes et les fenêtres nécessaires au service des bâtiments ; mais on le retrouve avec ses caractères, mur épais, de moellon régulier, présentant la plus grande solidité.

Après avoir dépassé la rue Malbec, le rempart tournait à angle droit, et arrivait à la rue de la Brèche. Dans cette partie, le rempart forme en général le devant des maisons en façade sur le foirail aux bœufs ; cette place, autrefois promenade de Cicé avait été faite, à la fin du siècle dernier, sur l'emplacement des anciens fossés des fortifications. La reconstruction et les réparations faites à beaucoup des maisons formant façade sur la promenade de la Brèche au foirail, ne permettent de retrouver le rempart que par portion peu importante.

A la maison Sully, antérieurement maison Bonfils-Lanauve, le rempart était à l'intérieur de la maison : on le voit encore dans la venelle qui la sépare de la maison précédente, et il formait mur de séparation entre la partie antérieure, sur le foirail, et la partie s'ouvrant à l'intérieur de la ville, dans la rue Malbec.

A la rue de la Brèche, le rempart tournait à angle droit, arrivait au débouché de la rue Malbec sur la place d'Armes, et, suivant la direction indiquée par la façade de la maison occupée par le café Brousse (antérieurement Painkin, Lacarolie, Garisson), il venait se rattacher à la tour de l'Horloge, et de là, suivant une direction que nous étudierons bientôt, se rattachait au porche voûté de la maison Jaubert (antérieurement maison de Comarque, Bonfilh et de l'Archevêque) ; et de là allait rejoindre le Petit Sol, où nous avons choisi notre point de départ. Le circuit est ainsi fermé.

La fortification extérieure du castrum formait donc un grand carré long irrégulier, englobant les hauts quartiers de la ville. Que ce fût là, dans sa direction générale, la fortification du castrum, les débris qui en subsistent, les documents écrits et les plans anciens ne sauraient laisser aucun doute.

Au nord-est de la ville, au débouché de la rue Malbec, hors la ville, et à la promenade de la Brèche, l'état des lieux a été profondément modifié.

La rue Malbec, qui traversait le castrum, se prolongeait hors les murs[31], vers la direction de la côte du Terriol, et la place, en haut du Terriol, avait en face de la ville des maisons, dont quelques-unes ont dû disparaître : les actes les concernant les présentent comme limitrophes au fossé ou valat du castrum [32] tandis que les maisons du castrum dans la rue Malbec sont dites confronter au mur du castrum. Il y avait donc là comme partout, d'après le système de fortification, un mur élevé, un fossé en avant, et probablement un chemin de ronde extérieur le long du fossé, et un chemin de ronde intérieur le long de la muraille ou rempart. Sans ces compléments, toute défense sérieuse aurait été impossible. Mais on laissa usurper aux particuliers le; chemin de ronde intérieur, s'il a existé, et les actes diront toujours, des maisons de l'intérieur de la ville, qu'elles confrontent au mur de la ville, sans mentionner aucun chemin de séparation ; puis, les fortifications étant inutiles, on ouvrira, à travers le mur, portes et fenêtres, et le mur de fortification sera incorporé à l'édilice bâti, qui autrefois s'appuyait contre lui. C'est ce qui est arrivé et à la place du Terriol et sous la Brèche, où toutes les maisons présentent dans leur mur de façade l'ancien rempart de la ville, à travers lequel on a ouvert les portes et fenêtres indispensables au service du bâtiment.

La suppression des fortifications a entrainé dans toutes les villes où elles existaient le comblement des fosses; sur leur emplacement, l'on a construit des places, boulevards, promenades : à Belvès, la place du Terriol, le foirail, antérieurement la promenade de Cicé, ont été établis sur l'emplacement des anciens fossés.

Une des parties de la fortification les plus modifiées est celle qui séparait le castrum de la place et de la ville moderne.

Le rempart arrivait sur la place par la rue de la Brèche, à gauche, où il rencontrait la Porte de la Halle, sur la place.au débouché de la rue Malbec; et à droite, il s'élevait de la rue du Petit-Sol et venait se rattacher au porche voûté de la maison Jaubert (antérieurement de l'Archevêque).

Entre ces deux points, Porte de la Halle et porche, le rempart formait une ligne brisée, déterminant un angle obtus, ouvert vers la place : il est facile, grâce à un plan ancien, de se rendre compte de l'état de la fortification : à gauche de la Porte de la Halle, soit de la rue Malbec, le rempart allait se rattacher à la tour de l'Horloge, suivant la direction de la façade de la maison occupée par le café Brousse. De la tour de l'Horloge, le rempart allait se rattacher au porche de la maison de l'Archevêque, et fermait le castrum, qu'il séparait de la place. La rue des Fillols n'existait pas encore, et un mur fermait son entrée sur la place.

Les maisons Dejean (antérieurement Delcer), Ventelou (antérieurement de Comarque), dont les façades s'ouvrent sur la place, étaient en recul, sur leur alignement actuel, de quatre mètres environ ; et le rempart, sans ouverture, les séparait de la place : elles formaient des maisons ouvertes sur les rues et places du castrum (le Verdier).

Si l'on voulait retrouver l'ancien rempart, il existe encore à l'intérieur de ces maisons : à la maison Dejean, au rez de-chaussée, il forme le fond des magasins ouverts sur la place : à la maison Ventelou, il forme séparation entre les pièces éclairées sur la place et les pièces qui s'ouvrent sur le Verdier. Un fragment de rempart se voit aussi entre la tour de l'Horloge et la rue des Fillols, et indique sa direction générale.

En avant de la muraille, un fossé, qu'une pièce évalue au xviiie siècle à 45 pieds de large, occupait la partie est de la place.

L'ouverture de la rue des Fillols, à la fin du siècle dernier, faisant communiquer directement le quartier de l'Hospice, la place Peyrignac avec la grande place, la démolition du rempart et la construction de maisons sur son emplacement ou en avant de lui, ont modifié complètement l'état des lieux. Heureusement, un plan dressé en élévation au siècle dernier, et conservé aux Archives de la Gironde, permet de se rendre compte de la position exacte du rempart sur la place[33].

Plusieurs portes ouvertes à travers le rempart assuraient la communication avec l'extérieur.

La première porte, appelée Porte du Terriol[34] ou Porte Malbec, était au débouché de la rue Malbec sur la place du Terriol : un des montants de la porte se voit encore dans la maison à droite en sortant de la ville. Cette porte a été démolie en 1774[35].

Cette porte, au moyen de la rue Malbec extra muros et de la grande côte du Terriol, faisait communiquer Belvès avec les territoires voisins, avec Sagelat, Fongaufier, Carves, St-Germain, etc.

Au sud de cette porte se trouvait, vers l'hôpital, une poterne que les documents appellent porte fausse[36]|, et qui n'éait pas éloignée de la grande tour qui servait de prison à l'archevêque, d'après Philiparie.

La deuxième, au nord.au débouché de la rue Malbec sur la place, s'appelait porte de la Halle[37] : elle assurait la communication du castrum avec la place et la ville nouvelle, et, par les rues du Portail-Peint et des Barris, avec leplateau de Moncuc et les territoires voisins.

Enfin, la troisième porte, avec pont-levis[38] sur le fossé, se trouvait au débouché du porche de la maison de l'Archevêque (Bonfilh, de Comarque, Jaubert), et assurait la communication du castrum avec les territoires au midi, avec Foncastel, Pelevade, Larzac, etc.

Ce système de défense était complété par de grosses tours qui, en plusieurs points, venaient flanquer et renforcer la fortification.

Sur la première partie du périmètre par nous décrite, de la maison de l'Archevêque à l'hôpital, le long de la rue du Petit Sol et de la route n° 11 bis, la fortification, par son élévation, déliait toutes les attaques. Aucune tour ne dut être établie sur ce front, car le mur, très élevé[39], adossé au terrain et au rocher du castrum, se suffisait à lui-même.

En avant du castrum, vers l'ouest, s'étendait un terrain uni, sur lequel se développent actuellement la place d'Armes et la ville ; par là, les attaques étaient à redouter, aussi renforça-t-on sur ce côté le mur de défense du castrum.

Cette partie du rempart présentait deux grandes tours de défense, peut-être trois.

Les soubassements de la première ont.servi à l'élévation du beffroi existant sur la place.

Entre cette tour et la maison de l'Archevêque, une grosse tour de quatre mètres de côté, en avant de la fortification, existait à l'endroit même occupé actuellement par le magasin Barde (antérieurement Préat, de Comarque , Bonfîlh et l'Archevêque)[40]. Les murs qui forment les côtés du magasin sont les anciens murs de la tour, et c'est dans la muraille de face de la tour qu'on a ouvert, sur presque toute sa largeur, la porte d'entrée du magasin.

Cette tour était en avant du mur d'enceinte du castrum, auquel elle était adossée, de quatre mètres environ ; la muraille du castrum la rattachait d'un côté au Pont-Levé (porche de la maison de l'Archevèque, et de l'autre côté à la tour de l'Horloge.

A la fin du xviiie siècle, lorsqu'on ouvrit la rue des Fillols, pour faire communiquer directement la place Peyrignac avec la place d'Armes, les maisons Delcer (depuis maison Dejean) et de Comarque (depuis Ventelou, Barde et Jaubert), s'alignèrent sur la face antérieure de la tour, qui forma l'alignement nouveau, et l'ancien rempart non démoli fut englobé dans les maisons remaniées, où il existe encore[41].

Il est probable que sur la plece existait une autre tour, à laquelle faisait allusion la transaction de 1571, entre les consuls de Belvès et l'archevêque de Bordeaux. Ce dernier réclamait participation, à quelques droits nouvellement établis, et que les consuls lui contestaient. « Sur ce que ledit seigneur archevêque disait avoir droit.... à la moitié des profits et revenus de la Halle, boucherie et poids de ladite ville, ensemble de la moytié de la Tour-Neuve, près la porte de Malbec, devers la place[42] ».

Cette tour devait se trouver sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la maison Bouysson et (antérieurement maison des demoiselles Bonfils, au xviiie siècle), maison qui était à côté du Portail de Halle, appelé quelquefois de Malbec, au débouché de la rue Malbec sur la place. La tour qui se trouvait là faisait dans la défense le pendant à la grosse tour, à côté du Pont-Levé.

Il existait une tour dite de l'Auditeur, parce qu'elle était devenue la propriété d'un Philiparie, qui remplissait ces fonctions; elle joua un rôle important dans le siège de 1569, dirigé par Vivans, et arrêta longtemps l'assaillant[43] ; elle avait été l'objet d'une inféodation par l'archevêque au profit de Philiparie. On avait concédé à ce dernier le droit d'établir sur cette tour un pigeonnier. Elle devait être située dans la partie de la fortification regardant la place du Terriol, vers la sortie de la ville par la rue Malbec.

D'autres tours devaient encore exister dans la fortification : nous nous demandons si une tour n'a pas existé à l'angle droit de la fortification, à l'endroit où, entrant dans la rue de la Brèche, elle se dirigeait vers la place. Peut-être que les escaliers on pierre, qui faisaient saillie dans la rue, à la maison Bonfils-Lanauve (actuellement Sully : cette partie de l'ancienne construction a été supprimée à la suite de l'application du plan d'alignement), avaient été établis sur les soubassements de la tour.

Enfin, à l'une des maisons donnant sur le foirail des bœufs, à la Brèche, il existe les soubassements d'une petite tour de l'ancienne fortification.

Les documents anciens font allusion à d'autres tours, dont il est impossible de fixer l'emplacement exact[44].

Tel fut le système de défense du castrum, comme défense extérieure. Les sièges successifs que Belvès a soutenus ont dû apporter des modifications au système de défense. Les noms donnés à la rue de la Brèche, à la promenade vers le nord, promenade de la Brèche, paraissent rappeler le souvenir de l'entrée des ennemis à la suite de la destruction de la fortification sur un point spécial : peut-être est-ce vers la porte de la Halle ou Malbec que cet événement se produisit à l'entrée de la rue du Grand-Fort. Les travaux d'édilité, réalisés, il y a une vingtaine d'années, ont fait disparaître la porte de la Halle, et ouvert largement la rue de la Brèche, et ont amené la disparition d'une maison de forme triangulaire, qui, sur un plan du xviiie siècle est indiquée sous le vocable maison du Ravelin. Ce qui indiquerait peut-être sur ce point un travail important de fortification destiné à renforcer la défense. Sur notre plan la maison est marquée en rouge; le bastion ou ravelin qu'elle a remplacé protégeait le castrum et l'entrée de la place.

A l'intérieur du castrum se trouvait le fort ou château : il n'en reste rien et on ne peut dire où était exactement son emplacement. Nous le placerions volontiers dans la partie la plus élevée : de très vieilles murailles, à l'entrée actuelle de l'hospice, un mur isolé, très élevé et très épais, entre les jardins Ventelou et Larroque, des constructions dont les voûtes seules subsistent dans les jardins de l'école primaire supérieure sont peut-être les restes de l'ancien château[45] .

On peut croire et affirmer, d'après certains documents que, le château lui-même avait un système particulier de défense ; un mur, précédé de fossé, paraît avoir existé à l'intérieur du castrum. Deux grandes tours, l'une dans les jardins de M. Lavergne, et dans son état antérieur, l'autre, grande tour[46] à l'opposé du plateau vers la rue Malbec, tour dite de l'Archevêque et qui servit pendant tout le moyen âge de prison au seigneur, faisaient peut-être partie du système particulier de défense au château. Une ancienne porte, dont un des montants existe encore, dans la rue des Fillols, vers la place Peyrignac, faisait peut-être partie du château, ou de quelque enceinte secondaire.

Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, ce qui est certain : le castrum devint de bonne heure le centre d'une agglomération importante.

A l'abri du château et de ses fortifications, la population se groupa. Recueillons à cet égard la tradition telle que la rapporte Philiparie dans son mémoire sur Belvès « étaient aussi dans le dit château, les habitations des nobles et vassaux du dit seigneur et maintenant résident six nobles et vassaux du dit seigneur, et dans la juridiction, au delà du castrum étaient les maisons des nobles... habitant les maisons fortes[47] . »

Le castrum fut ainsi pendant tout le moyen âge habité par les seigneurs du pays, vassaux de l'archevêque de Bordeaux, et peu à peu, la population y devint très dense ; les bourgeois, marchands et laboureurs recherchèrent toujours les maisons sises dans le castrum[48].

Les rues principales du castrum étaient la rue Malbec rue du Fort actuellement, la rue Rubigant ou du Château ; les places Peyrignac et du Verdier, et pour les mettre en communication diverses rues, telles que nous les voyons aujourd'hui encore.

Le seul travail d'édilité qui ait fortement modifié ce quartier, fut la suppression du rempart, sur la place, et l'ouverture de la rue des Fillols mettant en communication directe la place Peyrignac et la place d'Armes, (fin du xviiie siècle et commencement du xixe siècle.) Et, il y a une vingtaine d'années, le redressement de la rue du Fort et de la rue de la Brèche et la suppression de la porte de la Halle ou Malbec

Le castrum, autrefois si populeux, si prospère, est aujourd'hui abandonné, au moins dans sa partie centrale : la rue Malbec seule conserve quelque activité commerciale. Le commerce s'est porté sur la place, et à la Grande-Rue ou rue Portal, et grâce à l'ouverture des nouvelles voies de communication [route de Montpazier, et route de Urval et Montplaisant], la place de la Croix des Frères, à l'entrée du faubourg des Barris est devenue le point central du mouvement et du commerce.

 

II. — La ville.

 

Esquissons rapidement la formation de la ville, en dehors du castrum pendant le moyen âge.

Les documents font défaut pour en décrire d'une manière complète le développement; mais l'examen attentif des lieux, quelques renseignements tirés d'actes anciens permettent de se faire une idée assez exacte de la formation de la ville.

Le castrum fut à l'origine le centre de l'agglomération urbaine, et il a dû exister une époque où il suffisait seul aux besoins de la population.

Pour lui, entouré de puissantes murailles, protégé par sa situation même, le seul point faible et vulnérable fut le plateau à l'ouest : le long couloir qui reliait Belvès au plateau de l'église paroissiale ; mais là aussi fut le seul point sur lequel pouvait se former une agglomération urbaine.

Cette agglomération urbaine s'est formée par étapes successives : la première a été la création de la place ou marché et des maisons qui l'entourent.

Pendant le haut moyen âge, et avant les fondations de Villefranche-du-Périgord, Domme, Molière, Montpazier, Beaumont-du-Périgord, Belvès fut une place importante étendant au loin son influence : elle devint rapidement le siège d'un commerce considérable pour les produits du pays; les marchés s'y tinrent régulièrement et y attirèrent de grandes foules[49]. Or, ni la place du Verdier, ni la place Peyrignac, les seules du castrum, ne pouvaient suffire à leur installation. On songea à utiliser dans ce but l'espace libre à l'ouest du castrum, au delà du fossé, en avant des portes de la Halle et du Pont-Levé : là fut établie la place de Belvès, avec l'étendue qu'elle présente aujourd'hui ; une halle y fut établie fort anciennement[50] pour le service des foires et marchés. Un cordon de maisons avec façade sur la place fut bientôt établi : en arrière d'elles, une rue vers la campagne ; tel fut le premier développement de la ville hors le castrum : la petite rue qui, partant de Petit-Sol, arrive en formant un demi-cercle, à la rue du Portail-Peint, marque ce premier développement urbain : un travail analogue se faisait en même temps au nord de la place.

Si l'on jette un coup-d'œil sur le plan de la ville de Belvès, on verra combien la défense de cette annexe du castrum était facile : chaque maison donnant sur la place et sur la rue circulaire, véritable chemin de ronde, en faisait les éléments ; en fermant par un porche ou portail chacun des accès de la place, on constituait là une place de guerre importante, s'il en était besoin, et on assurait sécurité absolue aux marchands qui s'y donnaient rendez-vous[51].

L'affluence de la population continuant sous l'influence de la constitution politique et le développement du commerce, des constructions s'élevèrent sur les chemins qui, partis de la place, assuraient la communication du castrum avec les territoires voisins. La ville moderne fut ainsi formée sur les rues Foncastel et Portal et leurs dépendances. Mais dans cette formation, comme dans la précédente, rien ne fut fait d'un seul coup : les développements furent successifs. Esquissons-en l'histoire :

Deux voies principales joignaient le castrum et la place aux territoires voisins.

L'une, en pente fort raide, joignait le castrum à la fontaine qui lui fournissait l'eau nécessaire, et qui, à cause de cela, portait le nom de rue de Foncastel, qui lui est resté jusqu'à nos jours.

Au bas de la première pente, elle se bifurquait pour aller par Pélevade [Peyre-Levade] et le Bout-du Monde, vers la banlieue immédiate de Belvès, et vers Fongalop et Montpazier, et par la côte, appelée aujourd'hui de l'Oratoire[52], à Tech-Sec, à Saint Amand et à la vallée de la Nauze.

L'autre voie suivait la direction du long couloir qui reliait le castrum au plateau, et s'élevant, allait rejoindre le prieuré de Bénédictins, devenu église paroissiale : cette voie mettait Belvès en communication avec Saint Pardoux, Vielvic, Montferrand, Cadouin, et avec la forêt de la Bécède, copropriété de l'archevêque de Bordeaux et de la ville de Belvès.

Dans l'espace compris entre ces deux voies allait se former la ville nouvelle.

A droite et à gauche de chacune d'elles, se construisirent des maisons; à Foncastel, comme à la rue Portal, et sur l'une comme sur l'autre, le développement se fit insensiblement.

Au xive siècle, la rue Foncastel devait être formée comme elle l'est actuellement[53].

On en ferma l'accès, au bas de la première pente, au moyen d'une porte, qui reçut le nom de Porte Foncastel[54] ; elle était située en avant de la bifurcation, et fermait ainsi l'accès de la ville par la côte de l'Oratoire et par Pelevade. Dans la suite, un faubourg, ou barri de Pelevade, se forma sur cette dernière voie ; on en protégea l'accès en élevant une porte au Bout-du-Monde, qui coupait le chemin vers la banlieue et Fongalop : elle s'appela Porte de Pelevade ou Peyrelevade[55].

Sur la seconde voie, on ferma la rue nouvelle au moyen d'une porte forlifiée ; cette défense dut faire époque : les documents l'appellent le Portail-Peint. Ce portail, démoli un peu avant la Révolution[56], a valu à notre grande rue actuelle les vocables successifs de rue du Portail Peint et rue Portal. Il était placé, je crois, à la hauteur de la maison de Monnier le coutelier : au moment où il fut élevé, la ville devait s'arrêter là.

Puis, la population augmentant toujours, le Portail-Peint fut dépassé, et il se forma en avant de lui, en prolongement de la rue, un faubourg qu'un acte ancien appelle le barri de la Porte Pincte[57].

Puis les constructions s'allongèrent le long de la voie allant à l'église paroissiale ou prieuré des Bénédictins, et formèrent les barris dits de Turcal ou de Portal.

Si la porte de Pélevade peut être considérée comme une protection pour le barri de Pélevade, on ne trouve aucune défense semblable pour les barris de Turcal.

Si nous faisons abstraction de ces faubourgs (barri de Pélevade et barri de Turcal), la ville de Belvès était complètement formée : elle comprenait une rangée de maisons autour de la place ; et les maisons construites à droite et à gauche[58] des rues Foncastel et Portal.

La configuration du sol ne permet à la ville de se développer ni à droite ni à gauche du long couloir qui réunit le castrum à l'église. Il n'y aura jamais qu'un cordon de maisons à gauche de Foncastel et à droite de la rue Portal ; et dans le triangle que forment la rue Foncastel et la rue Portal et une rue qui les unit transversalement, des jardins occuperont le centre, et une rangée de maisons occupera chacun des côtés. La ville était ainsi ce qu'elle est restée depuis.

Si nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble de l'agglomération, la partie à gauche de la rue du Petit-Sol à la porte de Foncastel, se trouvant défendue par la configuration même du terrain, fort en pente ; les maisons et les jardins qui les entouraient de ce côté, formaient des lignes faciles à défendre ; au nord, à droite, il en élait de même pour les maisons qui formaient la droite de la Grand'Rue (rue Portal) et de la place : le jardin en terrasse que chaque maison avait derrière elle formait un élément de défense.

Il ne restait qu'à fermer l'espace qui séparait les rues Foncastel et Portal, la rue Portal et le quartier nord de la ville. On peut affirmer que, suivant la rue des Pénitents, un fossé a protégé la ville et les jardins dépendant des maisons de la ville[59]. On construisit à l'extrémité de la Grande-Rue une porte,en avant du Portail-Peint; elle portera les noms de Porte-d'Argentail[60] , et plus tard Porte des Frères[61]; un fossé[62] rejoindra cette dernière porte aux murailles des jardins au nord des maisons de la ville, et ainsi, de la rue de la Brèche à la porte de Foncastel, existera une fortification conLinue, et la rue de la Brèche sera fermée elle-même par une porte qui s'appellera porte de Fongala[63].

La ville présentait ainsi, grâce à sa situation, une force défensive considérable, moins forte que le castrum, mais pouvant tenir de longs sièges, comme nous le verrons dans la suite.

En 1321 fut fondé à Belvès le couvent des Frères Prêcheurs, hors la ville fortifiée, dans les faubourgs, disent les documents ; et à la Révolution, après la vente du couvent et de ses dépendances comme biens nationaux, furent commencés des travaux d'édilité importants, qui transformèrent complètement le quartier au nord de la ville, ou Croix des Frères. L'ouverture, à notre époque, des routes de Montpazier et de Montplaisant, achèvera la transformation.

Telle fut la ville de Belvès au moyen âge.

Qu'on rapproche notre description de l'état actuel, et on affirmera avec nous que la ville ancienne fut à peu de chose près, ce qu'est la ville moderne. La situation n'a pas été profondément modifiée; mais le mouvement commercial s'est déplacé : le centre en était, au moyen âge, dans le castrum dans la suite, il s'est transporté à la place, puis à la rue Portal : et aujourd'hui, grâce à l'ouverture des voies de communication, le mouvement se porte vers la Croix des Frères, quartier autrefois délaissé.

 

III. —quartier de Moncuc ; prieuré de Bénédictins ; Eglise paroissiale.

Le troisième centre d'agglomération urbaine se trouve au quartier de Moncuc.

Belvès présente cette particularité que son église paroissiale est hors la ville.

L'église paroissiale, désignée sous le vocable de Notre-Dame-Sainte-Marie de Moncuc, a été élevée sur l'emplacement d'un ancien prieuré de Bénédictins. Autour d'elle se forma une petite agglomération, qu'on entoura d'un mur pour la protéger[64]. Elle est restée toujours séparée des barris, et a formé, au moyen âge comme à la période moderne, un îlot sans grande importance.

A. VIGIE.

(A suivre).

pp. 166-218

HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVES

(Suite).

IV. — Population, nobles, bourgeois et roturiers

 

Après avoir étudié la formation de la ville de Belvès, jetons un coup d'oeil d'ensemble sur le territoire dont elle devint la capitale, fixons les éléments dont se composa la population de la ville et du territoire, déterminons la condition économique du pays.

La féodalité règne en maîtresse : à la tête de la châtellenie se place l'archevêque de Bordeaux, seigneur temporel, investi, à ce titre, de tous les pouvoirs que lui confère le droit féodal, modifiés cependant par la constitution politique de la châtellenie.

Si l'on peut soutenir qu'à une certaine époque l'archevêque de Bordeaux a possédé la châtellenie de Belvès à titre d'alleu sans en faire hommage à personne, ni au roi de France, ni au comte de Périgord[65], cette situation ne se maintint pas longtemps ; et l'archevêque de Bordeaux fut tenu à foi et hommage, d'abord vis à-vis du roi de France, puis du comte de Périgord, depuis 1356 jusqu'à la suppression du comté, et enfin au roi de France jusqu'à la Révolution française.

De l'archevêque de Bordeaux, relevaient tous ceux qui avaient reçu de lui quelque fief sous foi et hommage ; c'étaient les vassaux directs; l'archevêque de Bordeaux était leur seigneur suzerain « seigner de fioutz » (art. 32 des Coutumes de Belvès) ou « seigner fiouzier » (art. 13 des Coutumes de Belvès.)

Mais le seigneur archevêque n'avait pas inféodé la totalité de ses domaines, il en avait gardé par devers lui certaines parties : celles-ci, il les faisait exploiter directement par ses fermiers, ou les concédait à des tenanciers qui jouissaient de leurs tenures à des conditions différentes. Les plus ordinaires de ces conditions étaient des cens ou des rentes en argent ou en nature, et quelquefois des services, le plus ordinairement, en faveur du seigneur ou de ses domaines.

Les vassaux du seigneur imitèrent la conduite du suzerain: ils retinrent dans leurs mains, pour les exploiter directement, une portion de la terre qui leur avait été inféodée.

Avec l'autre portion, ils se créèrent des vassaux et établirent, en leur faveur, des fiefs : ceux-ci relevèrent en première ligne du concédant, et en seconde ligne du seigneur archevêque, suzerain du concédant. Ainsi apparaissent, par rapport à l'archevêque de Bordeaux, des arrière-fiefs. Ces vassaux, vis à-vis de leur propre seigneur, sont tenus aux mêmes obligations que les vassaux directs ; l'article 32 des Coutumes de BeIvès appellera « seigner carnals » le seigneur duquel on relève immédiatement, et ce concédant, seigneur par rapport à ses vassaux, était lui-même vassal vis-à-vis de l'archevêque de Bordeaux, et celui-ci devenait « seigner fiouzier » vis-à-vis des vassaux de son propre vassal.

Tous ces concessionnaires à fief, vassaux immédiats ou médiats de l'archevêque, pour tirer profit de leurs domaines, ou bien les concédaient à fief, ou bien donnaient à cens ou à rente à des tenanciers les domaines leur appartenant, moyennant le paiement de cens ou rente, en argent ou en nature, et avec services à leur profit.

Ainsi, dans la châtellenie de Belvès, vont apparaître immédiatement deux genres de propriété, et deux classes de personnes.

Les propriétés inféodées à titre de fief, sous foi et hommage, formèrent les terres nobles ; les domaines livrés à cens ou à rente seront les terres roturières. Les détenteurs des premières seront les nobles ; les détenteurs des autres, les roturiers.

A Belvès, en concédant le consulat, le seigneur archevêque avait permis la formation d'une troisième classe de personnes, les bourgeois[66]. Ceux-ci jouissaient des privilèges importants que leur assurait l'organisation consulaire: les bourgeois formaient, avec les nobles, la classe élevée de la population, et sous la présidence du seigneur, dont ils étaient les vassaux, ils formaient, avec les nobles, la « cort legal des cavaliers et dels proshomes » (art. 29 des Coutumes de Belvès. Comp. art. 12) et assuraient le service de la justice aux habitants de la seigneurie.

Les nobles portaient les noms de donzels, domicelli, damoiseaux; ils avaient à la campagne, dans le territoire de la seigneurie, un ou plusieurs fiefs et à Belvès, dans le castrum ou la ville, une maison. « La petite noblesse résidait sur ses terres, mais aussi dans le castel. Tout vassal noble y tenait domicile. » (L. Dognon, loco citato, page 39).

Dans beaucoup de ces domaines, il y avait une force ou refuge, où, en cas de danger, pouvait venir se réfugier la population rurale. Dans le territoire de Belvès, Lastours, tour de Balpalme, et divers repaires, le château de Caraves à Salles, le château de Doissac, le Carlou (St-Amand), Pech Gaudou, près Belvès ; Campagnac del Ruffenc, (Vielvic), la Bourrelie (Urval) ; Sinhac, à Grives ; Veziat, à St-Amand, etc. étaient les repaires de la noblesse.

Dans le territoire de Belvès, on chercherait vainement une famille ayant exercé une grande prépondérance ; ce qui domine, c'est la petite noblesse : elle n'a occupé que des situations modestes, a vécu sur ses terres, et parait avoir, même avant la Révolution, perdu sa situation prépondérante et sa fortune. Elle était mêlée aux bourgeois et aux propriétaires ruraux, dont elle se distinguait à peine.

Les nobles étaient rattachés à l'archevêque de Bordeaux, leur suzerain, par le contrat de fief, sous foi et hommage. Le fief, dans le territoire de la châtellenie de Belvès, se présente à nous avec le caractère qu'il offre dans le reste de la France. Il est formé à la suite du contrat solennel, qui entraine l'engagement par le vassal d'être fidèle à son seigneur et de le servir : ce qui comportait, pour le vassal, le service d'ost, le service de conseil et de justice, et pour le seigneur obligation de protéger le vassal, de lui rendre justice et de lui garantir la possession du fief.

L'engagement du vassal n'était pas pris une fois seulement, mais, quand les fiefs furent devenus héréditaires, la foi et hommage durent être renouvelés à chaque changement ou mouvance de seigneur et de vassal. Pour notre seigneurie, l'archevêque de Bordeaux a toujours tenu la main à la stricte observation des régles féodales, et les hommages ont été régulièrement prêtés à chaque changement de seigneur ou de vassal[67].

Nous empruntons à une concession à fiief noble, consentie à Bonfilh, seigneur de la Moissie, les formes du contrat de fief:

« .. Et oultre ce le dit Bonfilh s'est soubmis et obligé tenir la dite maison, ayral et dépendances, soubz hommage noble qu'il sera tenu rendre et ses successeurs rendront, à deux genoux, teste nue, sans manteau, espée, dague, ny couteau, bottes, ny sperons audit seigneur cardinal et aux autres ses successeurs seigneurs archevesque ou leurs procureurs et ce au debvoir d'une croix d'or fin de trois écus à tout changement de seigneur ou vassal, et du droit de prélation, lotz et ventes et autres debvoirs seigneriaux que le dit seigneur archevêque s'est par esprès réservé... Comme aussi a promis estre bon et fidel vassal, procurer le bien, honneur et advantage du dit seigneur et des seigneurs archevêques qui seront à l'advenir, ne reveller son secret, ne porter par soy ni par aultruy au dit seigneur aucun préjudice, ny dommage, ains les advertir s'il en avoit cognoissance, tenir et prester main forte aux officiers et à l'exécution de la justice du seigneur et généralement faire tout ce à quoy est obligé ung bon, fidèle et recongnoissant vassal, ni bailler à arrière fief ni autre soubz accazement noble ou roturier la dite maison et appartenances, la mettre en main morte ni forte... pour laquelle les droits féodaux et seigneriaux du dict seigneur archevesque, ny de ses successeurs, en soient ne puissent estre diminuez ni détériorés en aucune magnière que ce soit.

Comme icelluy seigneur a promis au dict Bonfllh luy estre bon et gracieux seigneur, le garantir d'oppression, aultant qu'en luy est et diminution du dit fief contre toute autre personne qui y voudroit prétendre droict tant en jugement que dehors[68].

Dans toutes les pièces constatant les hommages, nous trouverons des formules identiques ; dans un hommage par noble Alexandre de Robert, écuyer, sieur de Bosredon, habitant du noble repaire de Veziat (Montplaisant), celui-ci :

« fait hommage de tous les fiefs nobles, cens et rentes comme vassal lige etsubject... etc, et s'estant à ces fins le dict sieur de Bosredon, mis de genoux, teste découverte, sans ceinture, épée, dague, ny autres armes, les mains jointes entre celles « du seigneur » a reconnu et confessé estre vassal et homme lige. A juré estre bon et loyal vassal » ;

a promis le dénombrement dans les quarante jours ; et le seigneur de son côté a promis remplir ses devoirs « ainsi qu'un seigneur de fief est obligé envers ses vassaux. »[69]. A quelque époque donc, que nous examinions le contrat de fief, il se présente à nous comme un contrat solennel entre le seigneur et le vassal, faisant naitre, à la charge de chacune des parties, des engagements et des devoirs particuliers. Si l'on ne réalisait pas exactement les anciennes formes et les vieux symboles, tout au moins en repétait-on les formules dans les actes, et grâce à ces actes de foi et hommages et à quelques textes des coutumes de Belvès, il nous sera possible de présenter quelques observations sur les devoirs qu'imposait le contrat de fief, au seigneur et aux vassaux qui y figuraient.

Le service d'ost ou de guerre, que le vassal doit à son seigneur, a existé avec toute son énergie au moment des guerres privées, et la constitution politique de Belvès l'a restreint en ce que le vassal n'était pas obligé de sortir de la seigneurie[70].

Les roturiers devaient, eux, le service de guerre au seigneur archevêque, haut justicier dans le territoire : ce service se transforma en droit de garde et de guet du château seigneurial ; nous nous en occuperons en commentant la charte du 10 février 1470.

Le service de justice consistait à assister le seigneur dans le jugement à rendre sur les contestations, soit entre le seigneur et les vassaux, soit entre les vassaux ou entre les tenanciers. Les articles 30, 29, 32 et 33 de la Coutume de Belvès, joints à la charte de 1470, réglementent le droit dejustice dont nous nous occuperons en commentant ces textes.

Sous la féodalité, le seigneur avait hérité des droits appartenant au souverain : de là le droit de frapper d'impôts les terres et les gens, et d'en percevoir le montant ; de là toutes ces taxes variées, directes ou indirectes, qui se rencontrent dans toutes les seigneuries en France.

La féodalité éveille dans l'esprit de beaucoup de personnes l'idée d'arbitraire et de pouvoir absolu; l'on est porté à penser que le seigneur avait tous les pouvoirs et qu'il en pouvait user arbitrairement: il ne faudrait pas accepter cela sans restrictions. S'il est vrai que le seigneur puissant pouvait sur ses vassaux ou ses tenanciers exagérer ses droits et en abuser; abus et vexations qui expliquent certains soulèvements des populations, notamment celui des Croquants pour le Périgord; tout au moins faut-il reconnaître que tous les seigneurs n'ont pas été des tyrans et que, dans beaucoup de seigneuries, leurs droits ont été très strictement établis et que, dans l'usage, les seigneurs se sont conformés à ces règles.

Ainsi les articles 1 et 27 des Coutumes de Belvès, joints à l'article 1er de la charte du duc d'Anjou de 1372, constituent des garanties précieuses pour les vassaux et les tenanciers de l'archevêque, seigneur deBelvès. L'article 27 des Coutumes, en écartant l'arbitraire pour les agents de l'archevêque, assure à la seigneurie de Belvès une situation très enviée : « Le sr ni sos bails no devo splechar las terras nils homes dels cavaliers ni dels proshomes, salva sa justissa et sa senhoria. » Ce qui revient à dire que tout arbitraire, en matière d'impôts, sur les terres et les tenanciers du territoire est exclu; le seigneur n'a que les droits que comportent sa justice et sa seigneurie ; droits qui ont été fixés et établis par les chartes concédées ou par les Coutumes.

On remarquera dans les actes de concession à fief les précautions que prend l'archevêque de Bordeaux pour conserver intacts les droits de sa seigneurie : aussi fait-il interdiction au vassal de transmettre le fief à un nouveau vassal en arrière-fief, et à le mettre ni en mainmorte, ni forte.

a) Interdiction de concéder le fief en arrière-fief.

Quel est le sens de cette interdiction? Etait-elle générale à toute la châtellenie, ou spéciale aux fiefs du castrum! L'état des sources ne permet pas de répondre à la question.

Si l'interdiction de concéder en arrière-fief est générale à la châtellenie, il faut y voir une mesure dans le but de sauvegarder les droits du seigneur : celui-ci voulait n'avoir pour vassaux que ceux qu'il avait lui-même choisis.

Mais, en admettant la rigueur de la clause, le seigneur pouvait consentir à une sous-inféodation, et alors peut-être pouvait-il percevoir les entrées, comme d'un fief nouvellement créé; cette interdiction assurerait ainsi les droits pécuniaires du seigneur, sans empêcher les sous-inféodations, dont l'existence est certaine dans la châtellenie.

b) Interdiction de transmettre le fief en mainmorte.

Cette interdiction pour le vassal était traditionnelle à Belvès : elle est consacrée par l'article 13 des Coutumes :

Nulhs hom no pusca, ni fenna, dar eret à la gleya, ni a mayo d'ordre, si dins ung an et ung jorn no avia fachs redre flousatier al sgr fiouzier a bona fe.

Texte que l'on peut traduire ainsi : « Nul homme ne peut, ni femme, donner héritage à une église ou à maison d'ordre religieux, si, dans un an et un jour, ceux-ci n'ont procuré un vassal au seigneur suzerain de bonne foi. »

Au nom de l'intérêt féodal, on a toujours admis, à l'encontre de l'Eglise et des établissements ecclésiastiques, des incapacités d'acquérir les fiefs[71].

Les motifs s'en déduisent facilement : 1° à l'origine, les personnes ecclésiastiques avaient des devoirs professionnels incompatibles avec les obligations du vassal ; 2° ces personnes morales ne mouraient pas et, en général, n'aliénaient pas leurs biens, donc le seigneur perdait les droits de relief et lods et ventes qu'il avait l'habitude de percevoir à la transmission du fief et de la tenure.

Mais pour concilier les intérêts des seigneurs et de l'Eglise, la rigueur des principes fut modifiée. Voici les étapes successives des institutions sur ce point :

1° On autorisait les églises et maisons ecclésiastiques à acquérir héritages, sous la condition spéciale que dans an et jour elles aliéneraient les héritages reçus, sous peine de commise en faveur du seigneur[72].

2° Puis on admit que l'Eglise ou maison d'ordre pourrait acquérir fiefs, à condition de désigner un « homme vivant et mourant », titulaire fictif du fief, pour la perception des droits fiscaux appartenant au seigneur[73].

Notre coutume est rédigée dans le même système.

3° Enfin, à partir du xiiie siècle s'introduisit le système des amortissements; le seigneur sanctionnait, par un droit pécuniaire d'amortissement, les acquisitions faites par l'Eglise et les maisons ecclésiastiques[74].

Et ce système fut suivi à Belvès, comme on le voit par les libéralités faites par l'archevêque de Bordeaux au couvent des Frères Prêcheurs, dans lesquelles il leur remet le droit d'amortissement[75].

Donc, la clause de l'acte de 1612 dut s'interpréter en ce sens, que l'aliénation du fief à mainmorte ne pourra se faire qu'avec l'autorisation du seigneur, pour lui assurer la perception du droit d'amortissement qu'il avait à percevoir.

c) Ni à main forte.

Par là, le seigneur archevêque se protégeait contre l'éventualité d'avoir pour vassal un homme fort et puissant, vis-à-vis duquel l'exercice de ses droits pécuniaires deviendrait problématique.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le fief faisait naître, entre le seigneur, les vassaux et les tenanciers, des relations de sauvegarde réciproques.

Le seigneur menait à la guerre le vassal et le tenancier ; ses inimitiés étaient les leurs; mais, en sens inverse, le seigneur devait protéger les vassaux et les tenanciers dans leurs personnes et leurs biens. Les articles suivants des Coutumes de Belvès ne laissent aucun doute sur le caractère du contrat de fief. Les mêmes obligations existaient entre les membres d'une communauté urbaine, liés par des devoirs réciproques :

« Nulhs hom, senhor, ni autres, no guide home que aïa tort en la vila, senes la voluntat d'aquel cui aura tort. » Art. 17, comp. art. 22.

Seigneur ni bourgeois, à Belvès, ne pouvaient assurer leur protection à une personne coupable d'avoir commis quelque méfait contre un vassal, ou un bourgeois, à moins qu'ils n'agissent du consentement de la victime. Ce principe est posé dans un très grand nombre de coutumes[76].

Au cas d'arrière-fiefs, le vassal indirect de l'archevêque de Bordeaux conservait intacte sa situation et ses droits, au cas où son suzerain, vassal de l'archevêque , viendrait à encourir la commise : il devenait vassal direct de l'archevêque avec la situation qu'il avait, vis-à-vis de son ancien seigneur déchu de ses droits[77].

Tous ceux que liait le contrat de fief, au cas où des difficultés s'élèveraient entr'eux, n'étaient tenus de répondre en justice que devant la cour de Belvès, sans pouvoir être distraits de leurs juges naturels[78].

Dans la suite du temps, les conséquences politiques du fief allèrent s'effaçant et il ne resta plus au profit du seigneur que des droits pécuniaires et fiscaux, au moment de la concession, de la transmission et de la translation des fiefs.

L'ensemble de ces droits constituait sa senhoria, expressément réservée par lui dans l'article 27 des Coutumes de Belvès.

Ces droits étaient les suivants :

Les entrées[79], les droits de prélations, de lods et ventes, et quelques autres devoirs acceptés par la coutume.

Ainsi, les devoirs honorifiques résultant du fief avaient pris le second plan, et la concession à fief était l'occasion pour le seigneur de la perception de droits pécuniaires importants.

Suivant le droit commun[80], le vassal devait, dans les quarante jours de l'hommage, faire par écrit l'aveu, c'est-à-dire reconnaître qu'il tenait le fief du seigneur, et le dénombrement , c'est-à-dire énumérer les objets qu'il tenait du seigneur. Ces aveux et dénombrements étaient pour le seigneur les véritables titres seigneuriaux, et ils gardèrent toute leur importance jusqu'à la Révolution.

A côté du fief, la censive : celle-ci est la concession faite par le seigneur à un roturier à charge de redevances et de services : le domaine éminent restait au seigneur et le domaine utile au tenancier.

La censive, terre roturière, ressemble au fief, terre noble, au point de n'en être qu'un décalque[81].

La différence qui les sépare tient surtout à leur fonction économique : le seigneur qui inféode ses terres poursuit un but polilique, il veut des soldats; celui qui donne des terres à cens recherche des cultivateurs ; il assure le défrichement, la repopulation des terres incultes et désertes.

La censive résulte d'un contrat, bail à cens ou accensement, avec remise de la terre baillée au censier : les actes dressés formaient les reconnaissances censuelles correspondant aux aveux féodaux.

Le censier est tenu à des redevances en argent ou en nature, quelquefois à des corvées en faveur du seigneur direct; mais ce qu'il faut remarquer, et que confirme le carlulaire de 1462, c'est la modicité du cens. Celui-ci ne correspond pas au revenu de fonds, comme de nos jours le fermage, c'est une somme très faible, destinée surtout à reconnaître le domaine éminent de seigneur[82]. En plus, et assez rarement, quelques menues redevances (galine, œufs, etc.) et quelques services (journal de travail).

Il y avait d'autres tenures roturières. Quelques-unes ont même duré jusqu'à nos jours, comme les locataireries perpétuelles, dont nous avons vu quelques exemples se maintenir jusqu'à ces dernières années et se liquider, dans le territoire de la châtellenie de Belvès.

L'on peut se rendre compte du groupement de la population dans le castrum et dans le territoire de la châtellenie, soit au moyen de la liste des habitants inscrits sur les listes du Consulat[83], soit au moyen du cartulaire de 1462, contenant les reconnaissances faites à Belvès entre les mains des officiers de l'archevêque de Bordeaux[84] par les tenanciers de la châtellenie.

Voici les observations que nous a suggérées l'étude complète des documents. Comme l'a fait remarquer M. de Gourgues dans son Dictionnaire topographique de la Dordogne, « dans l'enceinte du castel, habitations nombreuses et mêlées (hostau et hostels) occupées par des bourgeois de la ville et par les seigneurs de plusieurs repaires voisins... » (V° Belvez). Là venaient se retirer, en cas d'alertes ou de guerres, les habitants du territoire. Là étaient heureux d'avoir une habitation les nobles et les bourgeois.

Le dénombrement (incomplet, il est vrai) de 1462 nous fournit de précieux renseignements :

De nombreux tenanciers déclarent les diverses tenures, leur appartenant, dans le territoire de la châtellenie de Belvès, suivant une formule qui se rapproche plus ou moins de la suivante :

« Peyre Miquel, dit Peties, demorant à Belver, comparant en persona, que déclara per son sagramenl quel te en la castellania de Belver, appartenant à monseigneur l'arcevesque de Bordeu, ce que s'en set, ceste à assavoir... »[85]

Chacun des déclarants fait connaître les diverses pièces lui appartenant, suivant leur nature, terre, pré, friches ou bois ; les maisons à Belvès, avec les tenants et aboutissants, les jardins et domaines qui lui appartenaient à lui-même ou en association avec d'autres.

Ces déclarations contiennent ainsi des renseignements très précieux, sur la topographie de la ville et de la campagne. On peut, avec ces indications, énumérer les fontaines, les chemins existant au moyen âge et fixer exactement la position de beaucoup d'établissements agricoles ou industriels (moulins et autres). Ces renseignements nous ont été très utiles pour la partie topographique de notre travail et pour une foule d'indications que seuls ils fournissent. M. de Gourgues a connu notre document et en a fait un judicieux usage dans son Dictionnaire topographique de la Dordogne.

L'étude complète que j'ai faite de ce document m'autorise à insérer ici certaines constatations de nature à étonner, au premier abord, mais très importantes pour la fixation exacte de la condition des populations rurales à cette époque.

On est frappé, en lisant ces déclarations, de l'état de morcellement du sol ; dans la vallée de la Nauze et de ses affluents, pour les prairies; autour de Belvès, dans les quartiers du Pech (paroisse de St-Pardoux, à droite et à gauche de la route actuelle de Belvès à Monpazier) ; à Fonts-de-Brages, à Tourneguil, à Pechavi, pour les vignes; au quartier de Moncuc (autour de l'église, et principalement entre l'église et les barris) et au quartier de las Costes, c'est-à-dire autour du château, sur les premières pentes, pour les orts ou jardins, de même que dans tous les quartiers avoisinant Belvès, on constate que l'état de la propriété ne diffère guère de ce qu'elle est aujourd'hui, dans le territoire belvesois. Les bourgeois du xve siècle recherchaient, avec la même ardeur qu'aujourd'hui les petits industriels, une pièce de pré, terre, vigne ou jardin dans les quartiers indiqués, aujourd'hui morcelés, comme ils l'étaient déjà au xive siècle.

Que devient donc pour des esprits impartiaux, le reproche qu'on a si souvent adressé aux dispositions du Code civil d'avoir activé le morcellement du sol en France.

La vérité est que si les partages entraînent le morcellement de certaines propriétés, la vie active et économe de nos campagnards opère une reconstitution des propriétés, et on peut dire qu'en beaucoup de territoires, la répartition du sol est aujourd'hui ce qu'elle était autrefois.

Je reproduis ici une des déclarations faites en 1462[86] pour qu'on puisse juger de la vérité de nos observations.

Lo xie jeur del mes de haust l'an m iiii lx ii (1462) Arnaud Labasta, donsel, demorant à Belver, déclara per son sagramen quel tenia en la castellania de Belver appartenant à Mosseigneur larcevesque de Bourdeux, soque se en set cest assaber una pessa de terra et de vinha tenens, sitat en la parrochia de Belver, elloc appelat à Fon de Bragas, confront an la vinha de Helias de Vilacère et an la vinha d'Estene Guitart et an lo cami que va de fon de Bragas à las Vernhias, lasquals terra et vinha contenent vi cartonadas et dit que las tenia de Jehan de Casnac an dos [sos de] r[ente].

Item ung ort et ayral tenens sis en la parochia de Belver, elloc appelat à l’hospital velh contenant dos jornals, confrontant an lo cami que va del loc de Belver à la glieya parrochiale de Belver, et an lodit hospital, losquals dis que tenia del seignor de Blancafort an [tres] iii s. [de] r[ente].

Item ung ort assis en la parrochia de Belver, elloc apelat ella Peyrieyra, contenant quatre jornals confrontant an lo ort d'Anthoine de la Moichia et an lo ort de Guillaume de Roumegous et an lo cami que va de Peyralevada à la gleya de Moncuc, loqual te de Gasto de Verdon dit Campanhac an dos s[de] r[ente].

Et ditz quel ne pagu point de commu perque el es noble et ses predecessors nont pageren jamayt.

Le dénombrement de 1462 parait avoir eu une grande importance ; l'on sortait de la guerre anglaise, l'archevêque avait intérêt à faire dresser un titre nouvel de ses possessions et droits ; il ne dédaigna pas de rester à Belvès pendant les opérations ; le cartulaire mentionne souvent sa présence[87].

[88]  vinrent défiler devant ses officiers, tous ceux qui, à un titre quelconque, détenaient quelque bien, dans la châtellenie de Belvès.

Nous donnons en note le nom de tous ceux qui vinrent faire quelque déclaration[89] ; de l'examen attentif que nous avons fait de chacune d'entre elles, résultent des constatations de grande importance pour la détermination de la condition sociale des habitants.

 

En 1462, si les nobles détenaient des fiefs importants, qu'ils faisaient administrer, suivant leurs fantaisies, la plus grande partie du territoire était déjà aux mains de ceux qui par eux-mêmes en assuraient la culture ; ces paysans, descendants des anciens serfs, étaient complètement libres, et n'étaient frappés d'aucuns de ces droits qui, dans d'autres contrées, subsistaient encore, et leur rappelaient leur condition antérieure (droits de formariage par exemple) ; ils jouissaient dans la châtellenie de Belvès d'une liberté absolue , sauf le paiement des cens et redevances auxquels ils s'étaient librement soumis par contrat, et ces cens et redevances, si on les compare à l'importance des terres occupées, étaient de bien faible valeur, et laissaient aux tenanciers tous les avantages et les joies de la propriété.

Ces cens et rentes consistaient la plupart du temps en monnaie. C'était une petite somme en sous ou deniers tournois que devaient payer les tenanciers[90], d'autres fois en monnaies périgourdines[91] ; quelquefois la redevance est fixée en blanques[92] ou en miailhes[93] .

Dans tous les cas, quelque difficile qu'il soit d'apprécier aujourd'hui ce que peut valoir une somme en monnaie du xv6 siècle, il nous paraît absolument certain, qu'il n'y avait aucun rapport, entre le montant des cens ou de la rente et les produits du sol, et nous croyons pouvoir rétablir et pour les pièces de terre isolées et pour les domaines[94].

Les rentes ou cens fixés en monnaie formaient les cas les plus nombreux.

Quelquefois cependant on y ajoutait quelques redevances en nature, mais peu élevées, en froment, seigle[95], avoine[96], [civade], châtaigne[97], foin[98]; on stipulait assez souvent une ou deux « galines », une seule fois trois; le redevable promettait quelquefois une ou deux journées de travail, (I, II, III journals) ; soit que la redevance comprît tous ces éléments ou quelques-uns seulement[99].

A titre tout à fait exceptionnel, on stipulait du tenancier des redevances tout à fait spéciales, en cire ou en autres objets[100].

Ces redevances, à titre de rentes ou cens, étaient « portables», c'est-à-dire payables au domicile du seigneur, où le tenancier devait les payer et aux époques fixées par les contrats : généralement à Noël[101] ou à Notre-Dame de Mars[102].

Quelquefois le seigneur n'en touchait le montant, qu'à la charge de remplir quelque office particulier : il en était ainsi des nombreuses rentes à charge d'obit que renferme notre cartulaire et que touchent les Frères Prêcheurs, le prieur de Belvès et autres prêtres,

Si le plus grand nombre des paysans étaient ainsi rattachés, pour leurs terres, par les liens de la censive ou du contrat de rente, à un seigneur dont ils reconnaissaient le domaine éminent ; quelques-uns possédaient leurs terres à titre de franc alleu, sans payer aucune redevance à personne. Ainsi il en était de ce Jean Martin, laboureur, dont les déclarations de cens ou rentes tiennent 5 pages du cartulaire (fol. 50 v° à 55 r°) sans être complètes, qui, avec des maisons à Belvès, de nombreuses pièces de terres ou prés autour de la ville et dans la rivière, possédait les maynes de la Faurelye (Larzac) et du Mas (Larzac), à propos d'une terre de 3 cartonnées à Fons Gautier, déclare la tenir « franchement sans en rien payer » fol. 54 r°, et à propos d'une cabane et deux cartonnées de terre al Guarric (Larzac) « et la tient franchement comme il dit »[103].

D'autres fois, qu'il s'agisse de cens ou rente, les tenanciers avaient obtenu le rachat du seigneur, et détenaient, sans plus payer aucune redevance, les terres qu'ils cultivaient; ils étaient dans la situation de propriétaires libres de nos jours, avaient même moins à payer que ceux-ci.

Cette situation nous est révélée par notre cartulaire pour beaucoup d'entre les déclarants de 1462[104] ; elle ne fera que se généraliser et nous assistons ainsi à ce relèvement continuel de la classe laborieuse, qui, de serve est devenue libre, qui a su rejeter les charges des cens et rentes, et formera dans la suite cette lignée de petits propriétaires, à l'âme fière et indépendante, digne d'obtenir, avec la Révolution française, l'égalité des droits avec la noblesse et le clergé, et fondera le régime sorial nouveau.

Ainsi, les paysans possédaient, dans la châtellenie de Belvès, une grande partie du territoire, à charge de cens etde rentes, et le morcellement du sol était, à cette époque, tel qu'il est encore aujourd'hui.

A côté de ces parcelles, se présentaient les domaines, ayant une certaine importance : les uns constituaient des fiefs entre les mains de leur propriétaire. (Pech Gaudou qui est resté dans la famille des Comarque jusqu'à la Révolution ; Campagnhac (Vielvic) ; la terre de Doissac (la famille des Vivans) ; le Carlou (St-Amand), les Bonnet, etc.)

Mais beaucoup de domaines étaient déjà dans les mains des paysans qui en assuraient la culture, et les possédaient à charge de cens ou de rente, propriété qui se rapprochait singulièrement de la propriété moderne, tant les charges imposées étaient minimes.

Et, à ce point de vue, la situation économique du pays a très peu changé. Les domaines sont, aujourd'hui, ce qu'ils étaient alors, et il y a eu très peu de morcellement : ils ont changé de main, quelquefois très souvent, mais sans être altérés dans leur constitution[105] .

La restriction des droits appartenant au seigneur dans la châtellenie de Belvès, au moins dans l'étendue du consulat, permet de constater que l'on ne rencontre ici aucun de ces droits féodaux, si gênants et si fréquents : l’obligation, pour les vassaux et tenanciers, de faire cuire le pain au four du seigneur, de faire moudre leurs grains au moulin du seigneur ; à Belvès, tout le monde pouvait avoir son four, ou son moulin, sans aucune restriction, et les moulins étaient, comme aujourd'hui, fort nombreux dans la vallée de la Nauze.

Le propriétaire les exploitait lui-même, les donnait à ferme, à rente fixe[106], ou à moitié produits[107].

Tout ce qui précède nous permet donc d'affirmer que Belvès grâce à sa constitution politique, forma un îlot dans lequel, avec une liberté respectée, la population n'eut pas à souffrir de la féodalité, où chacun, par son travail ou le commerce pouvait acquérir la terre et la fortune : cette population était mûre pour les réformes politiques modernes : c'est peut-être là le motif véritable du calme avec lequel la Révolution fut acceptée dans notre châtellenie ; calme dont se sont étonnés quelques hommes politiques importants.

V.— Seigneur de Belvès.

Au moment où Belvès marque sa place dans l'histoire, la féodalité régnait en maîtresse, tant au nord qu'au midi : la faiblesse du pouvoir central en avaiL permis l'organisation.

Mais à quelle époque faut-il placer la fondation de Belvès?

On ne peut le dire, et, bien que l'on n'ait pas de preuve écrite de son existence avant l'an 1000, il n'en faut pas moins reconnaître avec M. Dessalles[108] que Belvès existait certainement à cette époque, mais aucun document authentique n'en fait mention.

Quoi qu'il en soit, en 1153, la paroisse de Belvès est comprise par la bulle du pape Eugène III, au nombre des bénéfices de l'abbaye de Sarlat, qui était ainsi en possession du droit d'y nommer un vicaire perpétuel, sans que l'on sache exactement à quel moment cette union avec Sarlat aurait été faite[109].

En 1156, un acte notarié est signé « ante hostium ecclesiae sanctae Mariae de Moncuco, anno ab incarnatione Domini MILVI.... »[110].

Un acte de 1271, compromis et nomination d'arbitres entre les abbé et couvent de Cadouin, d'une part, et les prieur et chapitre de St-Avit Senieur, d'autre part, a pour rédacteur un notaire de Belvès.

« Ego Botelli, clericus, notarius de Bello videre hanc cartam scripsi, utriusque partis consensu, regnante dno Edwarto primogenito illustris regis Angliae et Helia Petragori... episcopo »[111].

Et, à partir de cette époque, des preuves certaines de l'existence et de l'importance de Belvès deviennent de plus en plus nombreuses.

A partir du XIVe siècle, suivant l'opinion généralement acceptée[112] Belvès aurait élé placé sous la seigneurie de l'archevêque de Bordeaux.

Il est certain que les archevêques de Bordeaux restèrent les seigneurs temporels de Belvès, jusqu'à la Révolution. Avec Montravel, Bigarroque, Couze, St-Cyprien, Milhac, Belvès fut une de leurs importantes possessions en Périgord.

Mais à quel moment faut-il placer cette acquisition de l'archevêque de Bordeaux?

Si l'on en croyait les Chroniques de Jean Tarde, ce serait en l'an 1307 qu'Arnaud de Canteloup, autrement de Pelegrue, archevêque de Bordeaux, (1305-1332), neveu du pape Clément V, aurait acheté les terres de Bigarroque, Belvès, Montravel et les aurait unies à la mense épiscopale de l'archevêque de Bordeaux[113].

Mais ce point paraît contredit par les renseignements que fournit Philiparie, dans son cartulaire.sur lesacquisitions des archevêques de Bordeaux en Périgord. Ces acquisitions auraient été faites par Bertrand de Got lui même, et complétées par son neveu Arnaud, archevêque de Bordeaux.

Voici le passage auquel nous faisons allusion :

« ... Et il est assavoir que de bonne mémoire, le seigneur Clément, Ve pape de ce nom, archevêque de Bordeaux, fut élevé à la papauté et alors il porta le siège de son pontificat à Avignon, à cause de l'hostilité des Romains, et Arnaud, neveu du dit seigneur Clément, fut dans ce temps là archevêque de Bordeaux, et tous les deux furent puissants et vertueux dans l'Eglise de Dieu, et le dit seigneur Clément donna plusieurs privilèges à l'Eglise de Bordeaux, et entre autres, tant le dit seigneur pape qu'Arnaud, son neveu, archevêque de Bordeaux, lui ont acquis toutes les terres et juridictions que l'Eglise de Bordeaux a, pour le présent, dans la sénéchaussée de Bigarroque, et j'ai entendu raconter par les anciens que, du temps des dits deux pape et archevêque, étaient dans le dit lieu de Belvès, entre autres sept nobles guerriers, du lieu du dit château et châtellenie de Belvès et y détenaient la paix, desquels fut acquise par les dits seigneurs pape et archevêque, la majeure partie, et après cela leurs successeurs acquirent la résidence et la juridiction... ».[114]

Il résulterait de là que l'acquisition de la seigneurie de Belvès aurait été faite, successivement et en plusieurs fois, par Bertrand de Got et son neveu, des seigneurs, qui avant eux détenaient le territoire.

Cette opinion nous paraît plus exacte que celle du chanoine Tarde, mais faut-il la regarder comme conforme à la vérité? Nous ne le croyons pas. Et, si l'état des documents ne permet pas d'arriver à une conclusion, tout à fait certaine, au moins peut-on découvrir une portion de la vérité, et rectifier ainsi les dires de Philiparie et de Tarde.

Des actes incomplets, tirés des archives de Cadouin et rapportés au Fonds Périgord[115], permettent d'affirmer, qu'à une époque antérieure à celle fixée par le chanoine Tarde (1260 à 1279), l'archevêque de Bordeaux avait déjà des propriétés en Périgord.

Aymoin, chevalier de Belvès, par son testament en date de 1269, donne au couvent de Cadouin « domum sitam juxta turrim domini archiepiscopi Burdigalensis apud Bellum videre...» Ce qui démontre l'existence à Belvès, à cette époque, d'un établissement de l'archevêque de Bordeaux.

En outre, par ce même testament, il fait une obligation à ses héritiers de « facere homagium … patri nro in Xto domino archiepiscopo Burdigalensi, suisque successoribus et ecclesiae sancti Andreae Burdigalensis », et il donne la seigneurie à l'archevêque de Bordeaux, « ut justiciam meam habeat, teneat per totam terram meam sicut habet, tenet et possidet per totam aliam terram suam... »[116]

Ces actes permettent donc d'affirmer qu'à cette époque (1269), l'archevêque de Bordeaux avait déjà la seigneurie de Belvès et que ces droits s'augmentèrent des libéralités que lui faisait Aymoin, chevalier de Belvès.

Cet Aymoin avait fondé, par acte de 1262, le prieuré de Beaulieu[117] qui relevait de l'abbaye de Cadouin ; la confirmation de cette fondation est donnée, en 1279, par Simon, archevêque de Bordeaux. Or, l'intervention de l'archevêque, à l'occasion de cette fondation, et l'approbation qu'il donne, démontrent qu'à cette époque l'archevêque de Bordeaux était seigneur de Belvès, et que son assentiment était nécessaire à la validité de l'acte, comme aliénation à maison d'ordre religieux[118].

Un autre acte de 1250[119] constate qu'un chevalier Bonefoy avait donné à la maison de Falhiapave, fille de Cadouin, tout ce qu'il possédait dans la paroisse de Doissac et la confirmation de cette donation est donnée dans les termes suivants :

Idem vero Willelmus Aymoni, tanquam rei dominus, et nomine Domini gratia Dei Burdigalensis archiepiscopus apud Begaricam et Bellovidere, qui litteris presentis cyrographum ex parte sua et Dni archiepiscopi confirmavit, in festo Sanctae Catherinae martyris...

Tous ces actes prouvent donc qu'à cette époque, vers 1250, l'archevêque de Bordeaux était déjà seigneur temporel, au nom de son église St-André de Bordeaux, des territoires de Belvès et de Bigarroque[120].

Il y a donc erreur de rattacher, à l'année 1307 seulement, l'acquisition de la seigneurie de Belvès, comme l'ont fait Philiparie, le chanoine Tarde, et tant d'auteurs à leur suite.

Par là-même, nous réfutons l'opinion rapportée par M. de Gourgues dans le Dictionnaire topographique de la Dordogne, suivant lequel la seigneurie de Belvès aurait été vendue au xive siècle, à Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, par Guillaume de Biron[121]. Il n'y a là qu'une simple affirmation sans preuve, l'instrument d'une telle opération n'est pas produit ; il serait en contradiction avec les faits et les documents rapportés plus haut. L'archevêque de Bordeaux avait des droits en Périgord, depuis une époque fort antérieure et indéterminée, comment aurait-il eu à acheter une seigneurie qui lui appartenait déjà ?

Dans un acte daté de Villefranche, du diocèse de Périgord, in festo apostolorum Petri et Pauli, anno incarnationis Domini 1287, par lequel les délégués de Philippe-le-Bel, roi de France, Raymond, duc de Bourgogne, chambellan du roi, et Raymond, seigneur d'Orgel et connétable de France, assignaient 758 livres de revenus au roi d'Angleterre, sur divers territoires dépendant du Quercy, en déduction des 3,000 livres promises, il est fait la mention suivante, après l'énumération des territoires assignés, et notamment la Bastide de Villefranche-de-Périgord, les paroisses de Loubejac, Saint-Etienne-des-Landes, Saint-Sernin-de-I'Herm et Mazeyroles, avec la haute et basse justice :

Parrochiae de Trappis et de Pratis sunt in manu domini regis, tanquam superioris, propter discordiam quae est super jurisdictionem alta et bassa dictarum parrochiarum inter dominum regem et archiepiscopum Burdegalensem et debent tradi regi Angliae si dominus rex obtineat [jus] in dicta causa, alioquin de alta et bassa justicia dietarum duarum parrochiarum fiet regi Angliae competens emenda... »[122] .

Acte très important : il démontre qu'en 1287, un débat s'était élevé, relativement à la justice, à l'occasion des paroisses de La Trape et de Prats, entre le seigneur du lieu et le roi de France, et que ce dernier avait, comme suzerain, mis sa main sur les dites paroisses, jusqu'à la conclusion du débat. Or. ces paroisses faisaient partie de la châtellenie de Belvès : c'est donc à ce titre que l'archevêque de Bordeaux, seigneur de Belvès en 1287, réclamait la justice, haute et basse, sur les paroisses de La Trape et de Prats, comme il le fera dans la suite à diverses époques.

L'ensemble de ces documents démontre, d'une manière certaine, l'existence des droits de l'archevêque sur Belvès, dès le milieu du xiiie siècle; mais nous n'avons trouvé aucun document qui nous permette de fixer la date exacte de leur acquisition.

Faudrait-il la rattacher aux conséquences de la croisade contre les Albigeois dans notre région ? Nous savons que Simon de Montfort combattit l'hérésie albigeoise jusque dans notre pays; qu'il prit et détruisit Dome Vieille (Génac), Montfort, Castelnau et Beynac ; et qu'à la suite des modifications territoriales qu'entraîna la conquête, il reçut les hommages du seigneur de Bergerac et de l'abbaye de Sarlat ; serait-ce, à cette même époque, que l'archevêque de Bordeaux serait devenu seigneur de ses domaines en Périgord ?

Aucune mention d'inféodation au profit de l'archevêque ne se rencontre, il est vrai, au nombre des concessions faites par Simon de Montfort ; tout au moins est-il très probable, sinon certain, que l'archevêque de Bordeaux avait pris part à l'expédition de Simon en Périgord, et le passage où est conservé ce souvenir peut servir de base à l'une ou l'autre des deux hypothèses suivantes: ou bien que l'archevêque de Bordeaux avait déjà des domaines en Périgord, et qu'il s'était mis à la tête de ses vassaux, pour participer à la croisade ; — ou bien qu'il eut pour prix de sa participation les seigneuries du Périgord[123].

Donc, tous les documents démontrent d'une manière certaine qu'au commencement, tout au moins vers le milieu du xiiie siècle, l'archevêque de Bordeaux était devenu seigneur de Belvès, Bigarroque, Couze, Milhac et Montra vel.

Mais comment concilier cette conclusion avec un document, rapporté par Rymer[124], d'où il paraîtrait résulter qu'en 1305 l'archevêque de Bordeaux aurait acquis ces seigneuries à la suite d'un échange fait avec le roi d'Angleterre, auquel il aurait abandonné des fiefs qu'il avait en Saintonge.

Ce dernier texte, suivant nous, ne saurait détruire l'autorité des preuves, antérieurement données, et suivant lesquelles la seigneurie de l'archevêque sur Belvès et Bigarroque existait, certainement, dès le milieu du xiiie siècle. Dans l'échange proposé, nous ne verrions qu'une confirmation des droits antérieurs de l'archevêque, imposés, sous couleur d'échange, par le roi d'Angleterre, maître du territoire.

Quoi qu'il en soit de l'obscurité, qui entoure l'acquisition, par l'archevêque, des seigneuries de Bigarroque et de Belvès, l'archevêque est resté, sans contestation et jusqu'à la Révolution française, seigneur temporel de Belvès ; nous avons à voir quelle organisation il donna à la châtellenie.

CHAPITRE II.

Organisation administrative de Belvès pendant le moyen age.

Belvès, avec son territoire, fut donc placé sous la suzeraineté des archevêques de Bordeaux.

Depuis Bertrand de Got[125] , jusqu'à la Révolution, ceux-ci conservèrent cette dépendance de la mense épiscopale. Ils furent pour le pays, l'histoire le démontre, des seigneurs pleins de mansuétude ; ils concédèrent, confirmèrent ou reconnurent, au profit de Belvès et de son territoire, les privilèges les plus importants.

Ce sont ces privilèges, accordés à Belvès et à son territoire, qui donnent à son organisation administrative une physionomie particulière et que nous avons à étudier.

Belvès, propriété privée des archevêques de Bordeaux, fut regardée par eux comme un lieu de villégiature dans lequel ils aimèrent à venir pour s'y reposer de leurs fatigues ; quelques-uns y moururent : ainsi Amanieu de Cases, premier du nom, archevêque de Bordeaux, mourut à Belvès le le 9 août 1348[126]  et y fut enseveli.

Il en serait de même d'Arthus de Momauban, archevêque de Bordeaux, suivant le dire de Philiparie; nous lisons, en effet, au registre de Philiparie (traduction française faite sur l'original latin en 1756 :

« Auquel (Blaise de Grêle) succéda de bonue mémoire notre seigneur Arthus de Montauban, il vécut jusqu'en l'année 1479 et décéda à Belvès et duquel repose le corps dans l'Église des Frères Prêcheurs  de Belvès près le grand autel, à la porte gauche, dans un tombeau fait et taillé en pierre dans lequel nul autre n'avait été enseveli...»[127].

Mais c'est probablement une erreur. Arthus mourut à Paris, d'après le Gallia christiana[128] et d'après les documents conservés aux Archives de la Gironde[129]. Les archevêques de Bordeaux vinrent très souvent à Belvès, où ils avaient un palais important, et plusieurs documents, pour beaucoup d'enlre eux, nous permettront, dans la suite, de constater le séjour qu'ils y auront fait[130].

Les lettres du duc d'Anjou de 1372 constatent que très anciennement Belvès jouissait de nombreux privilèges (art. 1) « cum temporibus retrolapsis, terra archiepiscopi Burdigalensis, cujus est dictus locus de Bellovidere, cum honore ejus, fuerit semper privilegiata... » d'où il faudrait induire que si le duc d'Anjou a pu confirmer et préciser les divers privilèges accordés à Belvès, ces privilèges existaient anciennement ; et ainsi nous ne posséderions pas la charte qui, la première fois, les avait formulés ; soit que cette charte première ait été perdue, circonstance qui se rencontre dans beaucoup de localités, soit que ces privilèges n'eussent été établis que par l'usage. Peut-être pourrait-on voir l'origine de ces privilèges dans une ancienne association, formée en vue du salut public, entre les seigneurs du lieu. Nous savons que des associations de ce genre, sociétés de secours et de défense mutuels, se sont multipliées pendant la seconde moitié du xie siècle, et qu'elles ont donné naissance aux communes jurées[131]. Or, le récit de Philiparie ne permettrait-il pas, pour Belvès, une semblable origine à sa commune ?

«  Et j'ai entendu raconter par les anciens, que, du temps des dits deux pape et archevêque [Bertrand de Got et son neveu], étaient dans ledit lieu de Belvès entre autres sept nobles guerriers du lieu du dit château et châtellenie de Belvès y détenant la paix...[132] »

Et serait-il téméraire dépenser que ces seigneurs, en abandonnant leurs domaines à l'archevêque de Bordeaux, stipulèrent à leur profit des privilèges, dont ils étaient en jouissance pour restreindre la puissance seigneuriale sous laquelle ils venaient se placer.

Et, si on n'accepte pas cette origine, tout au moins est-il incontestable que les archevêques de Bordeaux, devenus seigneurs de Belvès, accordèrent à la localité des privilèges importants: le fait est constaté par le traité du 16 septembre 1442, au moment de la réduction de la ville de Belvès par Jean de Bretagne, dans lequel il est stipulé, article 4 :

« Item est dict et accordé entre nous et les dits consuls et habitants que nous leur tiendrons et fairons tenir, de tout notre pouvoir, eux et chacung d'eux, leurs hoirs et successeurs, en leurs droits, libertés, privilèges, franchises et exemptions à eux jadis données et octroyées, par l'archevêque de Bordeaux leur seigneur... ».

sans que nous puissions dire si ces concessions furent faites volontairement par les archevêques de Bordeaux ou leur furent arrachées par la violence.

Quoi qu'il en soit de ces origines, l'acte le plus ancien, mentionnant la situation privilégiée de Belvès,est les lettres du duc d'Anjou de 1372[133].

La France venait de reprendre possession de territoires enlevés aux Anglais, et le roi de France et le duc d'Anjou, son représentant, confirment au profit de Belvès et de son territoire les privilèges dont ils jouissaient.

Ces privilèges, comme nous l'avons vu, avaient été accor­dés à l'origine par les archevêques de Bordeaux ; les Anglais les avaient respectés et maintenus : il ne paraît pas qu'ils en aient accordé de particuliers : dans tous les cas nous n'avons pas trouvé l'instrument de cette concession.

Les pièces et documents qui mentionnent les privilèges dont Belvès jouissait, sont, d'un côté, les lettres patentes du duc d'Anjou déjà mentionnées, d'un aulre côté, le traité fait entre Belvès et Jean de Bretagne, et enfin les diverses tran­sactions intervenues, à diverses époques, entre les consuls de Belvès et les archevêques de Bordeaux, pour mieux fixer ou déterminer l'étendue des droits du seigneur et les privilèges des consuls et pour faire cesser les difficultés élevées dans la pratique à leur occasion.

Enumération des documents dans lesquels sont mentionnés les privilèges de Belvès:

1° Lettres patentes de Louis, duc d'Anjou, données à Cahors au mois de novembre 1372 et rétablissant à Belvès l'autorité du roi de France, après l'expulsion des Anglais ;

2° Traité, après la réduction de la ville de Belvès et l'expulsion des Anglais, entre les consuls et les habitants de Belvès, et Jean de Bretagne, comte de Périgord, Pierre comte de Beaufort, Jacques seigneur de Pons.

(D'après une copie du Fonds Périgord).

3° Diverses transactions, intervenues entre les consuls de Belvès et les archevêques de Bordeaux, sur l'étendue respective des droits appartenant à chacun : ces transactions se réfèrent presque toutes à la transaction intervenue entre les habitants de Belvès et Arlhus de Montauban, qui, quoique modifiée sur quelques points secondaires, reste la charte du consulat de Belvès.

a) Transaction entre Arthus de Montauban, archevêque de Bordeaux, et les habitants et consuls de Belvès, le 10 février 1470. Ce titre avait été dressé par Me Jean Gisson, notaire à Siorac, et Guillaume Philiparie, et avait été ratifié par le chapitre de St-André[134].

b) Transaction du 23 août 1530, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr Charles de Gramont, archevêque de Bordeaux[135].

c) Transaction du 8 mars 1550, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr le cardinal du Bellay, archevêque de Bordeaux, relative aux droits sur la Becède[136].

d) Transaction du 16 juin 1571, entre les consuls et habitants de Belvès, et Mgr Antoine Prévôt de Sanssac, archevêque de Bordeaux[137].

e) Arrangement du 25 octobre 1609, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr le cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, par lequel celui-ci s'engage à ne pas aliéner la seigneurie de Belvès[138].

f) Transaction et reconnaissance des consuls de Belvès avec Mgr Henri de Béthune, archevêque de Bordeaux, du 11 avril 1673[139].

g) Transaction de 1727 entre Mgr illustrissime et révérendissime François-EIie de Voyer d'Argenson, archevêque de Bordeaux et les consuls de Belvès[140].

h) Transaction entre l'archevêque de Bordeaux et les consuls de Belvès en 1773[141].

i) Pièces relatives à l'entrée de Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, dans sa ville de Belvès en 1788[142].

4° Enfin une pièce capitale et très importante, le texte en langue romane des Coutumes de Belvès.[143]

Tels sont les documents au moyen desquels on peut étudier la situation administrative de Belvès pendant le moyen âge.

Parmi ces documents les plus importants et auxquels tous les autres se rapportent, sont les lettres du duc d'Anjou (1372), le traité avec Jean de Bretagne (1442) et la transaction entre les consuls de Belvès et Arthus de Montauban (1470) : ce dernier titre, le plus explicite, est celui auquel se référeront exclusivement dans la suite les archevêques et les consuls, lorsqu'ils apporteront quelque modification au fonctionnement du consulat.

Une question domine toute l'organisation administrative : A quel titre l'archevêque de Bordeaux détenait-il le territoire de Belvès ?

On peut, en effet, comprendre, sur ce point, une double solution : ou bien dire que l'archevêque, seigneur de Belvès et suzerain, à ce titre, et des consuls et de tous ceux qui étaient dans le territoire de Belvès, ses vassaux ou ses tenanciers, relevait à son tour d'un seigneur plus puissant, comte de Périgord ou roi de France, par exemple, à titre de vassal, et qu'à ce titre l'archevêque de Bordeaux leur devait foi et hommage pour la seigneurie de Belvès et ses dépendances.

 

 

Ou bien on pourrait comprendre que l'archevêque de Bordeaux, seigneur suzerain de Belvès et de son territoire, ne relevât, pour cette seigneurie, d'aucun autre et possédât ainsi, comme le disent quelques documents, le territoire de Belvès à titre d'alleu[144].

Dans ce dernier sens, l'on peut soutenir qu'au moins pour les premiers temps, l'archevêque de Bordeaux fut seigneur indépendant de Belvès[145]. Cette solution résulte en effet des documents suivants :

Un jugement contradictoire du sénéchal de Périgueux du 23 janvier 1400, rappelant des lettres patentes du roi Charles VI, données à Paris le 5 octobre 1396, et sur les plaintes des consuls de Beauvoir, reconnaît sur certains et justes titres :

Qu'ils sont en bonne possession et saysine de plusieurs héritages, cens, rentes, fiefs, arrière-fiefs, et autres droits nobles tenus de l'archevêque de Bordeaux, comme seigneur du lieu, lequel arche­vêque les tient en franc-alleu, sans les tenir de nous, ni d'autres ; qu'eux et leurs prédécesseurs n'ont oncques payé de redevance et servitude, et ordonne à son délégué en cette partie de maintenir les complaignants en la dite possession et saisine contre quelques-uns de ses officiers qui les troublent[146].

De ce jugement reproduisant les lettres de Charles VI, au profit des habitants de Belvès, il résulterait donc que l'archevêque, féodalement parlant, n'avait pas de suzerain pour sa seigneurie de Belvès, qu'il la possédait en franc-alleu; dans le même sens, nous pouvons invoquer un passage de Philiparie, dans son registre :

... Et toujours out tenu les archevêques de Bordeaux les dites terres et leurs temporels en franc-alleu, jusques au temps de la susdite bonne mémoire du seigneur Blaise de Grêle, qui reconnut les tenir sous hommage au seigneur Charles, alors roy des Français et, après cela, j'ay entendu raconter que les successeurs du même seigneur firent hommage au roy de France de tous leurs privilèges de leur temporel[147].

Et il est certain que si la possession en franc-alleu pouvait se défendre à l'origine, dans la suite on fut contraint de l'abandonner. Le Roi, sous l'influence des légistes, se fit facilement reconnaître comme seigneur fieffeux du royaume, et l'archevêque de Bordeaux, pour ses domaines du Périgord, devait féodalement relever de lui : aussi ne sommes-nous pas étonnés de trouver dans la suite la preuve des hommages que les archevêques de Bordeaux prêtaient au roi de France, pour leurs seigneuries du Périgord[148].

Mais, malgré cela, la seigneurie de Belvès restait une terre privilégiée, suivant les expressions des lettres du duc d'Anjou, et ce privilège consistait à ne pouvoir être frappée ni par l'archevêque, ni par le suzerain de celui-ci, d'aucun impôt ni redevances, autres que ceux réservés dans les lettres du duc d'Anjou et les titres qui les complètent.

Ce point mérite d'attirer un instant notre attention :

Cum temporibus retrolapsis terra archiepiscopi Burdigalensis, cujus est dictus locus de Bellovidere, cum honore ejusdem, fuerit semper privilegiata, taliter quod nulla subsidia, focagia, impositiones gabellae vel aliae subventiones levatae fuerunt in eodem, nec habitatores ejusdem in guerram sequi dominum cogi debent, ejusdem consulibus, habilatoribus presentibus et futuris concessimus et concedimus per presentes quod ipsi de cœtero et futuris temporibus sint quiti franchi, liberi et immunes ab omnibus impositionibus [149].

Constatons tout d'abord la généralité de ces privilèges : ils s'étendent à Belvès et à son territoire « terra... cujus est Bellovidere cum honore suo[150] ; et ce ne sera pas seulement aux habitants du consulat, mais aux habitants de l'ensemble du territoire que profitera l'exemption complète d'impôts de tout genre, de quelque nature qu'ils soient. « Subsidia, focagia, impositiones, gabellae vel aliae subventiones. »

Cette exemption s'appliquait d'abord au regard de l'archevêque de Bordeaux, seigneur immédiat et direct et restreignait ses droits pécuniaires aux seuls impôts ou redevances que les titres, complétant les lettres du duc d'Anjou, lui permettaient de prélever et que nous étudierons dans la suite.

Mais, en même temps, cette exemption accordée par le duc d'Anjou en 1372, confirmée par Jean de Bretagne en 1442, au nom du Roi, protégeait les habitants du territoire contre tous les impôts que le Roi, comme suzerain de l'archevêque de Bordeaux, voudrait imposer[151]. Il faut remarquer, en effet, que les relations entre vassaux et suzerains se réglaient, par les termes du contrat de fief; or, ici le roi de France, en acceptant par ses représentants, le duc d'Anjou et Jean de Bretagne, que la terre de Belvès fùtprivilégiée et ne pût être frappée d'impôts, s'interdisait par là même, à l'avenir, d'en exiger, sous quelque forme que ce fût.

C'est dans ce sens que la solution fut donnée, à propos de droits de francs-fiefs que l'intendant de Sève voulait percevoir dans le territoire de Belvès.

Les droits de francs-fiefs devaient être payés par tout roturier qui devenait propriétaire d'un bien noble ; le Roi suzerain les percevait, à cause de l'autorisation qu'il devait à l'aliénation du fief.

Dès que l'intendant eut manifesté l'intenlion de percevoir les droits de francs fiefs, Mgr de Sourdis, par ordonnance du 20 octobre 1633, fit défense à tous ses justiciables de Belvès, Bigarroque, Couze, Milhac et Mauzac de payer les droits, attendu qu'ils en étaient exemptés par leurs privilèges d'immunité. Sur l'opposition de l'intendant, l'affaire fut portée au Conseil d'Etat, qui, par ses arrêts de mars 1672, 28 janvier 1673, déclara les droits de francs-fiefs non dûs, à cause du privilège d'immunité contenu dans les lettres du duc d'Anjou et actes confirmatifs ; l'intendant se conforma à ces décisions et renonça à toute levée de droits par une décision du 23 février 1674[152].

Et cette immunité pour le territoire de Belvès ne sera atteinte que lorsque la féodalité vaincue, on accordera au roi de France, au nom de la souveraineté dont il est investi, de frapper d'impôts les divers territoires de la France : contributions que chacun devra pour assurer le repos public et la prospérité de l'Etat dont le Roi est le représentant ; mais alors nous toucherons aux temps modernes.

L'article 1er accordait en outre aux habitants du territoire de Belvès, et avec le même caractère de généralité, une autre immunité très importante : le service militaire que tout vassal devait à son suzerain, était modifié, à Belvès, en ce sens que les habitants ne pouvaient pas être forcés de suivre leur seigneur à la guerre hors de la seigneurie. Les vassaux assuraient, comme nous le verrons dans la suite, la sécurité et l'indépendance de la seigneurie par le service de guerre ; dans l'intérieur de la seigneurie, cette obligation avait toute son énergie; mais elle expirait aux limites de la seigneurie, et si le seigneur voulait faire la guerre à l'extérieur, les vassaux n'étaient pas obligés de le suivre.

Ces privilèges importants donnent à la seigneurie de Belvès une physionomie spéciale et on comprend la vérité des paroles de Mgr de Béthune au xviie siècle : Belvès a « toujours passé dans le rang des villes franches, comme en effet il n'y en a point, dans toute la province du Périgord, qui en ait de plus beaux et de plus anciens titres de son exemption »[153].

La ville de Belvès, sa paroisse et les paroisses voisines, Saint-Pardoux, Saint-Amand, Sagelat et Montplaisant formaient, dans la seigneurie, un territoire privilégié, tout au moins à partir de 1470 (Transaction avec Arthus de Montauban) ; il était organisé en consulat; par là, il était mis en possession d'une administration presque indépendante et de grandes immunités.

A quelle époque exacte remonte l'établissement du consulat?

Il est impossible de le dire, il était en plein fonctionnement en 1351, car nous avons à cette date une liste des habitants inscrits sur les contrôles du consulat[154], et en 1372 le duc d'Anjou en mentionne l'existence déjà ancienne.

Le consulat fut-il une création des archevêques de Bordeaux ? Fut-il établi sous l'influence et à l'instigation des Anglais ? Il est impossible de répondre à ces questions dans l'état des documents.

Mais qu'importe ; nous pouvons affirmer qu'à Belvès le consulat était une institution fort ancienne ; son existence reconnue par les représentants du roi de France, le duc d'Anjou en 1372, Jean de Bretagne en 1442, recevait de cette approbation une consécration légale «  de novel disait Beaumanoir L, 2, nus ne pot fere vile de commune sans l'assentement du roy, fors que li roys. »

Le consulat de Belvès se trouvait ainsi régulièrement constitué et conformément aux principes da droit, suivis au xive siècle, suivant lesquels un seigneur ne pouvait organiser une ville de commune qu'avec l'autorisation royale[155].

L'organisation municipale, conséquence du consulat ou de l'établissement d'une commune, donnait aux villes une physionomie spéciale : au milieu du plat pays resté plus ou moins rigoureusement soumis au régime féodal et, dans une certaine mesure, à l'arbitraire seigneurial, elles forment comme des îlots ayant chacun sa physionomie propre et jouissant de libertés municipales très appréciées.

Belvès. à ce point de vue, a été dans une des situations les plus enviées : sa constitution municipale lui a assuré les privilèges caractéristiques des villes libres : c'est ainsi qu'on lui avait reconnu : 1° une juridiction civile et pénale (jusqu'à un certain taux) ; 2° le pouvoir réglementaire, au pointde vue municipal ; 3° le droit d'imposer les habitants en cas de nécessité, 4° enfin une force armée particulière. A tous ces points de vue, la ville de Belvès échappait aux règles du régime féodal, et grâce à ces privilèges et immunités, s'administrait elle-même : chez elle nous trouvons l'hôtel de ville, le sceau spécial pour les officiers, la cloche et la juridiction : tous les signes extérieurs de la souveraineté municipale[156].

Des armoiries lui avaient été accordées, sans que nous sachions, ni par qui, ni à quelle époque; « la ville de Belvès porte de gueules à trois tours crénelées d'argent, massonnées et ouvertes, de sable, deux et une. »[157]

Organisation du Consulat.

Section Ire. — Fonctionnement normal.

On avait admis autrefois que le consulat, comme organisation municipale, était d'origine italienne[158] ; d'Italie, le consulat aurait gagné la Provence, le Languedoc et la Guyenne[159], et pour Belvès, dans cette opinion, on aurait pu faire remarquer que les archevêques de Bordeaux, à cause de leurs relations avec l'Italie et le Midi de la France, pouvaient être portés plus tôt que d'autres seigneurs, à ce genre d'organisaliun pour leur seigneurie. Mais, aujourd'hui, l'opinion généralement acceptée[160] voit dans le consulat une institution nationale ; dans notre région, dans des villes où l'influence italienne ne se fit pas sentir, nous trouvons un très grand nombre de communes organisées en consulat ; et l'absence du titre de fondation est un indice certain de l'ancienneté de l'institution. Il en est ainsi pour Belvès, la charte fondamentale du consulat fait défaut : le consulat y était donc une institution fort ancienne.

En consentant à la concession du consulat, au profit de Belvès, l'archevêque de Bordeaux, s'il n'avait pas abdiqué tous les droits qu'il tenait de son litre de seigneur, avait consenti tout au moins à leur limitation en associant à leur exercice les consuls.

Autorités en présence.

L'organisation en consulat d'une cité mettait en présence des autorités diverses, déterminons ies droits et les pouvoirs de chacune.

§ I. — Le seigneur archevêque de Bordeaux ou ses représentants : bayle et procuratores.

La seigneurie de Belvès, comme conséquence de la transaction du 10 février 1470, formait un double territoire; le district consulaire, composé de la paroisse de Belvès et des quatre paroisses les plus voisines (St-Pardoux, St Arnaud, Sagelat et Montplaisant) dans lequel les pouvoirs du seigneur étaient limités par l'organisation du consulat.

Les autres paroisses de la châtellenie formaient un territoire distinct : là, l'archevêque de Bordeaux avait conservé, presque intacts, les droits appartenant à tout seigneur dans sa seigneurie.

Occupons-nous seulement du district consulaire.

L'archevêque de Bordeaux et ses successeurs étaient tenus, au moment de leur entrée, à leur première venue dans la ville de Belvès, de prêter serment aux consuls de la ville, de tenir et respecter tous les privilèges de la cité et aussi de tenir et de respecter les Coutumes établies et les changements légalement justifiés, qui auraient pu y être apportés[161]. Par cette déclaration solennelle, chaque archevêque ratifiait ainsi, s'il en était besoin, la concession du consulat faite par ses prédécesseurs.

Si le seigneur se trouvait à Belvès, il exerçait lui-même tous les droits dépendant de sa seigneurie [par exemple il pouvait présider la cour de justice, art. 30 des Coutumes de Belvès] en même temps qu'il exerçait les prérogatives dont seul il était investi.

Au nombre de ces dernières se place la garde des clés des fortifications pendant son séjour dans la ville.

Aux consuls, pendant que l'archevêque n'était pas à Belvès, appartenaient exclusivement la garde et la surveillance des fortifications ; les clés restaient dans leurs mains.

Mais si l'archevêque venait à Belvès, à son entrée dans la ville, les consuls devaient lui :

apportare omnes claves, tam villae quam castri et dictus dominus quamdiu manebit in dictis castro vel loco, poterit apud se tenere claves dicti castri, claves autem dictae villae unam tenebitar restituere alteri de consulibus, alleram vero uni burgensi mercatori aut habitatori de Bellovidere, interim custodiendas, in suo autem regressu omnes claves restituat, seu restitui faciet dictis consulibus[162].

La distinction faite entre les clés du château et de la ville avait pour objet de protéger le seigneur : son palais était dans le castel[163], lorsqu'il venait l'habiter, il devait y venir en maître, les clés des portes du châteaului étaient remises.

Pour la ville, dans laquelle le seigneur n'habitait pas, une des clés restait aux mains des consuls et l'autre était confiée à un bourgeois choisi par le seigneur et qui en avait la garde, tant que l'archevêque restait à Belvès.

Ces règlements paraissent toujours avoir été observés et en 1788, au moment de l'entrée à Belvès de Mgr de Cicé, on se préoccupa de l'exécution de ces dispositions, et les fortifications n'ayant plus aucune importance, on remplaça la livraison des clés par la remise d'une clé en or « qui tiendra lieu de celles de la ville, de celles des châteaux et tours et  que sous le rapport de ce dernier emblème, [l'archevêque] voudra bien la retenir et la conserver à titre de gage et de marque d'allégresse, de la vénération et de l'amour que son honorable visite inspire à tous ses vassaux... »[164].

Le seigneur archevêque avait droit à certaines redevances de la part des chasseurs.

Il faut rappeler à cet égard, qu'en Périgord le droit de chasser paraît anciennement avoir été reconnu à tout le monde. On peut le supposer d'après la formule générale qui se trouve en tête de l'article 28 de la transaction du 10 février 1470 : « Quicumque habitator tam de Bellovidere quam totius castellaniae venatu... ». Or, nous savons, par lettres de Philippe-le-Bel de 1292, au sénéchal de Périgord, que semblable privilège existait dans beaucoup d'endroits du Périgord, et que le sénéchal devait le maintenir[165].

Tout habitant de la châtellenie de Belvès avait donc le droit de chasser dans le territoire de la seigneurie et le chasseur devait au seigneur, quand celui-ci se trouvait dans ses domaines de Périgord, un quartier de la bête tuée. Le texte est intéressant pour l'histoire de la chasse et la détermination du gibier en Périgord.

Quicumque habitator tam de Bellovidere quam totius castellaniae venatu capiens animal seu animalia silvester aut silvestria, si dominus tunc fuerit praesens in castelnariis de Bellovidere, Cosa, Milhaco, Bigaruppe, aut Sancti Cypriani, tenebitur eidem domino seu ejus procuratori aut receptori in loco predicto de Bellovidere, solvere ultimum quartarium dextrum cervorum, cervarum, et capriolorum seu caprialarum, apri vero vel suis quarterium dextrum anterius... »

La fin de l'article fixe la redevance due au représentant du seigneur, lorsque celui-ci n'était pas dans ses domaines du Périgord : redevance moins forte que celle due au seigneur.

Comme le seigneur de Belvès, par ses fonctions d'archevêque de Bordeaux, était presque tout le temps retenu loin du siège de sa seigneurie, et, comme il lui eût été difficile d'exercer par lui-même ses droits, il pouvait se faire remplacer par des fondés de pouvoir.

Pour une affaire déterminée il se faisait représenter par un procurator spécial ; par exemple, s'il s'agissait pour lui de choisir avec les consuls un trésorier, chargé, sous l'obligation de rendre compte, d'opérer la rentrée des droits pécuniaires dans l'étendue du consulat.

Et pour les fonctions permanentes que le seigneur avait à remplir dans le fonctionnement du consulat, il se faisait représenter par un fonctionnaire spécial, son représentant général. Celui-ci portait, suivant l'usage alors suivi, le nom de bayle ou bajulus; le.bayle, s'il était empêché, pouvait désigner un officier pour le remplacer.

Tout le monde était intéressé à ce que le bayle présentât les conditions de capacité indispensables à ces fonctions. La transaction du 10 février 1470 s'était bornée à exiger de lui la résidence dans la châtellenie de Belvès[166]; dans la suite on voulut davantage et en 1727 on posa en règle que le bayle ne pourrait être qu'un habitant de la présente châtellenie, qui devait être désigné a par le seigneur, sans finance et gratuitemeut et eu égard à sa capacité, probité et bonnes mœurs, et qui fut au moins licencié en droit... »

Ces conditions étaient des garanties précieuses que le bayle serait à la hauteur de ses fonctions et n'en abuserait pas[167].

§ II. — Les consuls et autres fonctionnaires.

Les consuls étaient les représentants légaux de la communauté des habitants.

Les règles relatives à leur nomination ont peu varié ; telles elles furent fixées dans la transaction avec Arthus de Montauban, en 1470, telles on les retrouve dans les documents postérieurs : quelques points de détail ont seuls été modifiés[168].

Suivant les règles anciennement suivies, les consuls sont au nombre de quatre, deux nobles et deux bourgeois (marchands ou habitants de la ville ou du consulat).

La présence de deux consuls nobles a une grande importance ; il en résulte qu'à Belvès, comme dans d'autres communes, à Aire, par exemple[169], les nobles et, suivant les documents, les ecclésiastiques faisaient partie du consulat et en étaient membres, au même titre que les bourgeois et manants.

Ces règles furent maintenues jusqu'aux temps modernes, et seulement précisées dans quelques détails. Aux termes de l'article 2 de la transaction de 1727, avec le cardinal archevêque de Bordeaux, Elie de Voyer d'Argenson, il y avait quatre consuls, deux nobles, ayant « du bien et relevant de mondit seigneur, à cause de la présente châtellenie… les consuls nobles étaient tenus de résider dans la présente ville pendant plus de six mois. »

Les fonctions des consuls étaient annuelles : ils étaient nommés le jour de la Purification de la Vierge Marie[170]. Belvès était placé d'une manière spéciale sous le patronage de la Vierge : son église paroissiale était sous le vocable de Sainte Marie de Moncuc ; l'église des Jacobins, sous le patronage de l'Annonciation de la Vierge, et quand, sous Louis XIV, il s'agit de déterminer les jours des six grandes foires, on choisit les grandes fêtes de la Vierge, le 25 mars, le 15 août et le 8 septembre. Tout près, existait depuis fort longtemps le pèlerinage de la Vierge à Capelou (paroisse de Belvès).

D'après la transaction de 1470, l'élection avait lieu soit à l'église paroissiale (Ste Marie de Moncuc), soit à la chapelle du château, soit dans la maison commune, et l'élection était faite « per antiquos consules et saniore consilium communitatis de Bellovidere », par les anciens consuls et la plus saine partie de l'assemblée communale de Belvès ; à l'origine, cela comprenait l'ensemble des citoyens réunis à cet effet[171].

Dans la suite, très probablement, au lieu de l'assemblée générale des habitants, on n'admit qu'une assemblée limitée pour les affaires du consulat, et, partant, pour l'élection des consuls[172].

Enfin, pour mettre fin à des difficultés qui s'étaient élevées dans la pratique, la transaction de 1727 fixa de la manière suivante les règles relatives à l'élection des consuls ; suivant les articles 3 et 4, chaque consul sortant de charge choisira trois prud'hommes : les listes seront remises au curé et au juge, transmises à l'archevêque qui les approuvera ou les modifiera, si bon lui semble. Les listes approuvées, les douze prud'hommes procéderont, avec les anciens consuls, à la nomination des nouveaux consuls[173].

Les consuls nouvellement, investis étaient installés le jour de la fête de la Purification de la Vierge, après avoir prêté serment à l'église paroissiale, en touchant l'autel et sur le missel, en présence du curé et du juge.

Après le serment, les nouveaux consuls assistaient à la messe et à la procession, et recevaient le cierge, s'ils en avaient fait bénir[174].

A l'origine, les consuls ne paraissent pas avoir eu un costume spécial ; mais à partir de 1727 (art. 1), le seigneur renouvelle l'autorisation donnée aux consuls de porter un chaperon rouge et noir : elle leur avait été déjà donnée en 1571[175].

Les conditions d'éligibilité au consulat paraissent n'avoir jamais varié : on ne pouvait être nommé consul qu'à 25 ans ; et si un habitant de la ville ou du territoire avait été consul, personne de la même maison, soit son fils, soit son frère, en pouvait l'être qu'après l'expiration de trois années[176].

Les consuls, comme représentants des intérêts de la communauté, le bayle, comme représentant du seigneur, étaient les principaux fonctionnaires du cousulat[177].

Chacun de ces officiers avait des fonctions propres et particulières, que seul il devait remplir; et pour authentiquer les actes de son ministère, un sceau spécial lui était accordé.

Quod dicti consules habeant sigilla sua quae habere consueverunt.

Ce sceau des consuls de Belvès est connu. La matrice en a été retrouvée, il y a quelques années, par M. Barrière, pharmacien à Belvès ; l'empreinte a été reproduite dans le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord.

« Et bajulus habebit suum ». Le bayle avaitaussi son sceau particulier, probablement aux armes du seigneur.

Enfin, lorsque le bayle et les consuls remplissaient quelqu'une des fonctions communes qui leur avaient été conférées, ils avaient un sceau particulier :

Et ipsi bajulus et consules habebunt unum commune sigillum[178].

Et en 1727 on détermina la composition de ce sceau commun au bayle et aux consuls. Les baillis et consuls auront un sceau commun, qui comprendra les armes du seigneur, accostées avec les armes de la ville (les trois tours)[179].

Au-dessous de ces fonctionnaires, un receveur comptable : pour la perception des droits pécuniaires du consulat, dont, par la constitution municipale, moitié appartenait au seigneur et moitié aux consuls.

Ce receveur était nommé par le juge seigneurial ou le procureur de l'archevêque et des consuls, à charge de rendre compte de gestis et palpatis; il prêtait serment entre les mains du bayle seigneurial et des consuls[180].

La basse justice, jusqu'à concurrence de 60 sous d'amende, avait été abandonnée par l'archevêque au consulat : le bayle et les consuls en avaient l'exercice ; de là pour eux le droit de constituer les fonctionnaires « assessorem, scribam et servientes ad justiciam exercendam et exequendam necessarios » ; ceux-ci prêtaient serment de bien remplir leur mandat entre les mains du bayle et des consuls[181].

La haute justice était réservée au seigneur ; pour en assurer l'exercice, celui-ci nommait un juge, un lieutenant de juge, et à côté d'eux, un procureur d'office pour la représentation directe de ses intérêts.

En outre, à un receveur comptable, pour le compte de l'archevêque, était confié l'encaissement des redevances seigneuriales.

Tels sont les officiers municipaux ou seigneuriaux qui existaient à Belvès. Voyons quelles étaient exactement leurs fonctions.

(A suivre.)   A. Vigie.

 

pp. 266-321

HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVES

(Suite).

§ III. — Administration du consulat.

La transaction du 10 février 1470, véritable charte du consulat à Belvès, en a confié la direction aux bayle et consuls ; ces agents forment un collège investi des pouvoirs d'administration, de police et de justice. Nous aurons tout à l'heure à étudier avec détail ses droits et ses attributions.

Mais en outre, pris individuellement, le bayle et les consuls ont des fonctions et des prérogatives spéciales qu'ils exercent seuls, et sur lesquelles nous avons à dire quelques mots.

 

A) FONCTIONS PARTICULIÈRES DU BAYLE ET DES CONSULS.

a) Le Bayle.

Le bayle représente l'archevêque, il est investi de prérogatives particulières.

Seul, il a qualité pour donner aux consuls l'autorisation défaire sonner la cloche communale ; cependant, au cas d'incendie, les consuls pouvaient faire sonner la cloche sans autorisation[182].

Le bayle devait être appelé, bien qu'il n'eût pas à donner son consentement aux assemblées municipales, en vue d'établir les tailles et impôts sur les habitants du consulat[183]; le bayle jouait là le rôle de conseil ; sa présence était de nature a protéger les intérêts des redevables, et à provoquer l'examen attentif des consuls.

Enfin la qualité de représentant de l'archevêque donnait au bayle le droit d'intervenir dans une foule d'affaires dans lesquelles le seigneur pouvait avoir des intérêts[184].

Il était obligé à la résidence, dans la châtellenie de Belvès[185] et, par serment, il devait promettre de remplir fidèlement ses fonctions[186] .

b) Les Consuls.

Les consuls avaient des droits particuliers et des prérogatives très importantes, en dehors des hypothèses où avec le bayle ils avaient à diriger le consulat.

Les consuls pouvaient agir seuls, sous leur responsabilité, mais quelle que fut la nature de l'acte à accomplir, s'il présentait quelque importance, ils devaient ou pouvaient s'éclairer en consultant l'assemblée du peuple.

A l'origine, suivant le droit commun municipal, l'ensemble des bourgeois devait être convoqué ; tous participaient ainsi à la gestion des intérêts de la communauté; et les consuls agissaient suivant la décision prise.

Mais dans la suite cette règle fut abandonnée, et pour certains objets, au lieu de convoquer l'assemblée plénière, les consuls pouvaient ne consulter qu'un petit nombre de bourgeois, ceux-ci formaient le conseil ordinaire de la cité et représentaient l'ensemble de la population.

Nous voyons cette pratique autorisée pour la première fois dans la transaction du 23 août 1530 relative à la forêt de la Becède[187], suivant les dispositions de l'article onzième, d'après lequel, toutes les fois où le recours à l'assemblée générale des membres du consulat est imposé, les consuls sont autorisés :

A prendre avec eux huit personnages, gens de bien, qui seront appelés hommes de conseil, qui avec les baillif et consuls représenteront toute la université et communauté du dit consulat et pourront pourvoir aux occurents, comme si le dit consulat et tous les habitants d'icelluy étaient tous assemblés.

L'autorisation ainsi donnée relativement à la Becède, de remplacer l'assemblée générale des membres du consulat par un conseil, fut généralisée par l'organisation de la jurade : on décida que s'adjoindraient aux consuls, pour les éclairer de leurs conseils, huit jurats, quatre comme représentants de la ville de Belvès et quatre pour les paroisses du dit consulat. Souvent les consuls agirent assistés seulement des jurats; ainsi le 8 mars 1550[188] pour fixer les bases d'une transaction avec l'archevêque relativement à la Becède : Jehan Tinel bayle, fermier de l'archevêque de cardinal du Bellay) et Pierre Tinel, consul, agissent assistés :

« De Pierre Delmont, Jehan Pecharry, Gerauld Lescure, François Dufour, marchands et bourgeois du dit Belvès, Anthoine Gamot de la paroisse de Saint-Pardoux, Martin Viguié, de la paroisse de Sagelat, jurats et députés pour advizer, opiner et décider des affaires de la dite ville et consulat, avec eux Jehan Cassaignes de la paroisse de Montplaisant, et Gilles Pelugue de la paroisse de Saint-Amant et jurats duement inthimés et appelés par Estienne Besse, sergent de parole, qui respondit, qui se sont deffaillis... »

On peut même supposer d'après certains documents, que ces assemblées de jurats avaient une certaine périodicité, puisqu'ils sont dressés le « jour de la jurade ».

Mais, si, rigoureusement et théoriquement, les consuls, assistés des jurats, avaient le droit de décider de toute affaire, lorsque celle-ci paraissait délicate et difficile, en même temps qu'on convoquait la jurade, on invitait à se joindre au conseil rassemblée plénière des habitants inscrits au consulat. Par là les consuls évitaient toute récrimination, à l’encontre de la mesure prise.

C'est ainsi qu'il fut procédé « le 9 avril 1571, jour de consulade et jurade, en la maison commune de la ville de Belvès... » où à côté des syndics et consuls figurent les jurats et un très grand nombre de bourgeois de la ville appelés à délibérer sur les concessions à fief de la Becède[189].

Il en fut de même le 11 avril 1673 lors de la délibération, relative à la reconnaissance féodale par les consuls au profit de l'archevêque, dans laquelle figurent, à côté des jurats, un très grand nombre de bourgeois[190], et, à la veille de la Révolution, une assemblée de cette nature délibéra sur la nécessité de réunir les Etats, afin de délibérer sur les innovations à introduire dans le gouvernement[191].

 

Fonctions particulières des consuls.

1° Les consuls avaient la garde des clés de la ville et des fortifications, (murs, fossés, tours, etc.), sauf au cas où l'archevêque se trouvait à Belvès, leur droit était alors modifié (voir plus haut page 211).

2° Les consuls avaient seuls la garde de la maison commune. Ils pouvaient, à leur volonté, et toutes les fois que cela leur paraissait utile[192], provoquer des assemblées du peuple, sous l'obligation de prévenir et d'inviter à y assister le bayle ou son remplaçant ; mais pourvu qu'avis de la convocation eût été donné au bayle, l'absence de ce dernier n'empêchait pas la réunion d'être régulière.

3° A tout changement de seigneur, les consuls, au nom de la communauté des habitants, devaient faire hommage à l'archevêque de Bordeaux, pour le consulat et la basse justice et payer, en conséquence, dans les mains du receveur de ce seigneur à Belvès, un noble en or de la valeur de soixante sous tournois[193].

4° A l'entrée dans la ville de chaque nouveau seigneur archevêque, les consuls recevaient son serment, de respecter les privilèges de Belvès et les coutumes du lieu et sa promesse d'approuver, dans la suite, les modifications légalement constatées, qui pourraient y être apportées[194].

5° En cas de nécessité, les consuls pouvaient frapper de tailles et d'impôts les habitants du consulat et de la châtellenie elle-même, pourvu que le montant ne dépassât pas trente livres[195].

6° Enfin si, d'aventure, l'archevêque, ses successeurs ou leurs officiers, venaient à méconnaître les privilèges de Belvès et de son territoire, les consuls, « absque bajulo » de leur seule initiative, pouvaient provoquer l'assemblée du peuple, et se défendre contre un semblable forfait « omnibus viis et modiis juris »[196] .

En garantie des multiples fonctions dont ils étaient investis, soit seuls, soit avec le bayle, les consuls prêtaient serment entre les mains du seigneur, ou de son vicaire, ou du juge de Belvès ou du lieutenant du juge :

Quod erunt boni et fideles domino archiepiscopo, seu ejus ecclesiae et quod bene et fideliter se habebunt in administratione consulatus et, genibus flexis, modo et forma contentis in instrumente de hoc facto[197].

La charte qui donnait les formes de la prestation du serment des consuls n'est pas venue jusqu'à nous.

B) Pouvoirs conférés au collège des bayle et consuls.

L'archevêque de Bordeaux, en concédant le consulat à Belvès, n'avait pas seulement accordé quelques privilèges à la communauté des habitants ; mais il avait associé cette dernière à l'administration, à la police, et à la basse justice.

C'était en conséquence le collège, composé du bayle, pour l'archevêque, et des consuls, pour la communauté des habitants, qui administrait le consulat, assurait la police, et exerçait la basse justice. Et quel que fut l'acte à réaliser, acte d'administration, de police ou de justice, le bayle avait des pouvoirs égaux aux pouvoirs des consuls. Ainsi ce n'était que lorsque ces officiers étaient d'accord, qu'ils pouvaient réaliser l'acte ; l'abstention ou l'opposition de l'un des deux éléments, bayle ou consuls, rendait impossible l'opération.

Cette règle administrative était une mesure de sage administration ; elle était la sauvegarde des intérêts en présence et quelquefois contradictoires, du seigneur et de la communauté des habitants ; elle rappelait l'organisation que les Romains avaient donnée à leurs magistratures[198].

Quod vos, opinio, judicium dicti bajuli domini archiepiscopi, in omnibus et singulis fiendis, ordinandis et judicandis, habeat tantum valorem et efficaciam, quantum habebunt vox, opinio et judicium dictorum consulum, dum tamen in simul existant et non scpariter, aliter non potest judicari, nisi ne continetur in articulo[199].

Ainsi, réunis et d'accord, les bayle et consuls pouvaient tout faire; chacun d'eux isolément ne pouvait rien, et l'abstention ou l'opposition de l'un des éléments, bayle ou consul, arrêtait toute initiative chez l'autre.

En conséquence, les actes administratifs exigeaient la participation du bayle et des consuls; et comme le consulat comprenait plusieurs titulaires, on vit très souvent (les documents en font foi) un ou deux consuls agir pour le consulat tout entier ; de même les consuls confiaient souvent la gestion d'une affaire déterminée, à un ou à deux syndics.

En 1727, ces pratiques furent réglementées, en ce qui touche l'administration et la police, (art. 9.) :

Le bayle et les consuls feront ensemble toute la police ; mais chaque semaine un consul alternativement opérera avec le bayle ou son représentant. En matière judiciaire et de police, la voix du bayle vaudra la voix des quatre consuls, et il n'y aura pluralité des voix que lorsque l'un des consuls au moins se rattachera à l'opinion du bayle[200] (1).

Toutes les affaires intéressant le district consulaire, l'administration, la police et la basse justice, relevaient du collège des consuls et du bayle.

Ainsi, il lui appartenait de recevoir le serment de fidélité des habitants du consulat, aux seigneur et consuls.

Quod bajulus et dicti consules recipiant et recipere habeant juramenta ab hominibus habitantibus in dicta villa et consulatu supra limitato, dum et quando opus eis fuerit, hoc de et super fidelitate et legalitate domino et dictis consulibus praestandum[201].

Cette promesse de fidélité et de loyauté, en faveur du seigneur et des consuls, devait être prêtée dans les circonstances où sa prestation paraissait utile au collège du bayle et des consuls ; probablement, au cas de changement du seigneur, et aussi après l'élection et l'installation de nouveaux consuls.

Au collège du bayle et des consuls, il appartenait d'acheter la maison commune, d'y établir la cloche, symboles de l'indépendance municipale[202].

A. Belvès, pendant le moyen âge, la maison commune était la maison attenante au clocher de la place, et dans laquelle loge actuellement l'appariteur de la ville.

La cloche fut placée dans le beffroi élevé sur la place, au-dessus d'une des anciennes tours des fortifications.

D'une manière générale, au collège du bayle et des consuls appartenaient tous les pouvoirs d'administration, de police et de basse justice, de fixation et détermination des recettes et des dépenses municipales.

Sous ces divisions multiples, nous grouperons les renseignements sur les fonctions du collège des bayle et consuls.

 

I. — Pouvoirs administratifs confiés au collège des bayle et consuls.

Les pouvoirs administratifs confiés au collège des bayle et consuls ne seront connus d'une manière complète que lorsque nous aurons parcouru nos diverses divisions; mais sous ce premier paragraphe, nous voulons étudier les attributions du collège, en ce qui touche la défense de la cité, les services des eaux et de la viabilité.

Les municipalités modernes, si elles ont conservé tout ce qui touche au service des eaux, partagent avec l'Etat les charges de la viabilité, et elles ont été complètement dépouillées au profit de l'Etat des services de la défense du territoire. Au moyen âge, où la notion de l'intérêt général ne s'était pas encore fait jour, les municipalités concentraient dans leurs mains tous les pouvoirs, aussi avaient-elles dans leur domaine des prérogatives, qui aujourd'hui sont reconnues à l'Etat, seul capable de les exercer.

a) Mesures ayant pour objet la défense de la cité.

D'après l'article 5 de la transaction avec Arthus de Montauban (10 février 1470), le collège des bayle et consuls était particulièrement chargé de veiller à la réfection, réparation et surveillance des murs, fossés et de tous les ouvrages défensifs de la ville[203].

Dans l'intérêt de la défense, il pouvait ordonner toutes les mesures qui lui paraissaient utiles, réfection, réparation et, par exemple, construction sur les murailles des luguria ou abris pour protéger les personnes faisant le guet. Mais il devait s'abstenir de toute mesure qui n'aurait eu pour bu que l'intérêt particulier des habitants. Ses pouvoirs ne lui étaient conférés qu'en vue d'assurer la défense de la cité.

Les fortifications devaient être tenues en bon état; le consulat devait refuser toute autorisation pour des travaux de nature à paralyser ou à compromettre la défense de la cité. Ainsi, probablement[204], on ne pouvait autoriser les habitants ni à appuyer leurs maisons contre les remparts, ni à établir sur les murs, terrasses ou pigeonniers, etc., pas plus qu'à s'emparer des fossés pour y déposer des matériaux ou fumiers, y creuser des excavations ou y élever des constructions.

Pour les travaux de construction et de réparation, le collège des bayle et consuls avait à sa disposition les ressources ordinaires de la ville, les taxes extraordinaires en vue de la défense, et enfin, il pouvait procéder par voie de réquisition, en contraignant les habitants aux travaux.

Pendant la durée des guerres avec les Anglais, comme pendant les guerres de religion, ces règles, qui assuraient la défense de la cité, furent certainement respectées; mais, dans la suite, à Belvès, comme dans toutes les autres villes, elles tombèrent en désuétude et les consuls firent sur les fortifications des concessions de toute nature, et peu à peu les voisins des murailles et des fossés se permirent bien des empiétements, jusqu'à se saisir de leur possession d'une manière exclusive.

La perte des archives de la ville ne permet pas de suivre la série des concessions faites ; nous pouvons cependant citer quelques actes intéressants qui se rattachent à notre sujet.

1° Un acte du 28 août 1494[205], par lequel le procureur de l'archevêque, Jean de Boussac, et les consuls de l'année et les syndics de la ville de Belvès[206] concèdent à Philiparie le droit de protéger, au moyen de la construction d'un bastion ou balloart, une maison lui appartenant au dehors de la rue Malbec.

Grâce à ce travail, la maison sera protégée et les défenses de la ville seront renforcées.

L'acte stipule la hauteur des murs formant le bastion, l'emplacement libre qui doit le précéder, les portes et ouvertures pour canons qu'il faudra laisser à droite et à gauche ; le droit pour les officiers de la ville de se faire ouvrir lesdites portes du bastion, et, si celui-ci paraissait nuire à la défense et en paralyser les opérations, le droit absolu, pour les représentants du seigneur et de la ville, d'en obtenir immédiatement la démolition aux frais de Philiparie ou de ses ayants-cause, ou, à défaut, le droit de le faire démolir aux frais de ceux-ci, récalcitrants à obtempérer aux ordres des magistrats de la ville.

2° Un acte du 25 février 1562, aux minutes de Jacques Adenet, notaire tabellion royal de la ville et cité de Bordeaux, par lequel le seigneur temporel de Belvès, révérendissime père en Dieu, messire Antoine Prévost avait concédé à Guillaume Philiparie [2e du nom] ou à son procureur et cousin-germain, Jean Roumegous, le droit d'établir sur une tour de la ville un pigeonnier.

L'acte constate que ledit Guillaume Philiparie avait fait couvrir ladite tour; le seigneur, réservant la propriété de la tour, concède ledit pigeonnier, moyennant une rente annuelle de 12 deniers, autant d'acapte, payables à la Noél et, avec réserve que, pendant le séjour du seigneur à Belvès, celui-ci aura droit à tous les pigeons, sans que Guillaume Philiparie puisse en prendre pour lui-même.

C'est probablement cette tour, qui sous le nom de Tour de l'auditeur (fonction de Philiparie) joua un rôle important dans la défense, pendant un des sièges de Belvès par Vivans.

3° Le terrier de 1462 mentionne que plusieurs personnes avaient des excavations ou grottes, dans les fossés des fortifications, et s'en servaient comme de caves[207].

Plus nous approcherions des temps modernes, plus les exemples de ce genre deviendraient nombreux.

Ces concessions soulèvent une intéressante question de droit public. A quelle autorité appartenait-il d'accorder de semblables faveurs ; ce droit devait-il être exercé par le seigneur et les consuls, comme conséquence de l'organisation de la seigneurie en consulat? Dans ce sens, on pourrait invoquer la première concession au profit de Philiparie et il nous paraît que cet acte donne la solution exacte.

Belvès est une seigneurie appartenant par indivis au seigneur et à a commune [les consuls] ; n'est-il pas naturel que puisque le bayle [représentant de l'archevêque] et les consuls [représentants de la communauté] doivent réparer, refaire et entretenir les remparts, à eux seuls d'accord entr'eux, il peut appartenir de faire des concessions à des particuliers sur les dits remparts et fortifications.

L'acte de 1494 est consenti par le seigneur et les consuls ; d'autres fois les consuls seuls font quelque concession sur les remparts, et le seigneur donne dans la suite son approbation[208] ; nous retrouvons encore ici l'intervention des deux autorités, dont l'union formait le consulat.

Mais les deux pouvoirs en présence paraissent avoir voulu, chacun, s'arroger le droit exclusif de, faire des concessions sur les remparts.

Le seigneur soutenait qu'en vertu du droit de supériorité, il pouvait, seul, disposer en tout ou en partie des remparts[209].

Les consuls, de leur côté, cherchèrent aussi à disposer seuls des remparts et des fortifications : ils agirent ainsi en faveur de M. de Comarque, François Delcer, et Antoine Capoulle[210] ; l'archevêque protesta contre ces empiétements à rencontre de ses droits ; et un procès ayant été commencé contre les consuls.une transaction intervint, à cette occasion, entre l'archevêque de Bordeaux et le sieur Raymond de Bonnet, seigneur du Carlou, premier échevin de la ville et commune de Belvès, et procureur fondé de la communauté des habitants.

La transaction de 1773 reconnut de la façon la plus formelle le droit exclusif de l'archevêque à disposer des fortifications.

En conséquence, le dit sieur de Bonnel... déclare par ces présentes et reconnaît que la dite ville et communauté de Belvès n'a aucune participation à la seigneurie de la dite ville, et juridiction foncière et directe, cens, rentes et autres droits et devoirs seigneuriaux sur les places, vacants, tour de ville, ancien château du dit Belvès...[211]

Cette transaction nous paraît être une abdication des droits appartenant aux consuls; elle peut s'expliquer par le peu d'intérêt de la question, à l'occasion de laquelle elle intervint, et aussi par ce fait, qu'au moment où elle intervint les anciennes fortifications étaient presque toutes occupées par les particuliers.

Toutes les mesures relatives à la défense de la cité devaient être prises par le collège des bayle et consuls. Ainsi il lui appartenait de forcer les habitants à faire le guet, à quoi fait allusion la fin de l'article 5 de la transaction du 10 février 1470.

... « Et ad faciendum dictas escubias, habitatores compellantur per dictos bajulum et consules, tempore necessitatis ».

Faire le guet au château seigneurial de Belvès était une conséquence du service de guerre, que les vassaux devaient au seigneur archevêque et des droits du seigneur sur tous les habitants de la seigneurie ; la réglementation en avait été faite de la manière suivante : tous ceux qui habitaient dans la châtellenie « focum et larem tenentem » devaient venir faire le guet à Belvès ; mais ils en étaient dispensés moyennant une redevance annuelle de 12 deniers, de monnaie courante ; en ajoutant cependant que s'il survenait quelque hostilité, guerre ou alerte et bien qu'ils eussent payé la redevance, ils devaient le guet en nature dans le castrum où la villa ; mais, pendant qu'ils y étaient soumis, le paiement de la redevance était suspendu.

Quant aux habitants de Belvès et de la paroisse, ils n'avaient pas à payer la redevance à l'occasion du guet ; ils n'étaient tenus de le fournir en nature, qu'ils habitassent la ville ou les faubourgs, qu'en cas d'hostilité ou de guerre[212].

Il est probable que ces règles furent modifiées dans la suite, car elles étaient contraires et aux règles générales de la réglementation du guet dans les autres villes, et aux règles suivies dans d'autres parties de la seigneurie de l'archevêque[213] : d'où l'on peut induire, sans en avoir la preuve cependant, que le taux de la redevance en compensation du guet fut abaissé à Belvès, comme il le fut à Bigarroque, peut-être même la redevance fut-elle supprimée complètement.

c) Service des eaux.

Le collège des bayle et consuls était spécialement chargé de fournir et de procurer les eaux nécessaires à la cité[214].

En conséquence le collège des bayle et consuls pouvait faire ouvrir des puits, capter des sources, réparer ou établir des fontaines : à ces travaux, il pouvait affecter les ressources municipales, qui, comme nous le verrons, devaient être dépensées au service de la cité. Pour les travaux à faire, à défaut de ressources générales disponibles, il pouvait créer des ressources spéciales au moyen d'impositions extraordinaires, et même pour les travaux procéder par voie de corvées et réquisitions: les récalcitrants étaient frappés de peines corporelles ou pécuniaires, édictées par la municipalité. Le produit de ces amendes était partagé entre la caisse municipale et la caisse de l'archevêque.

La question des eaux a toujours été une des grandes préoccupations des municipalités de Belvès. Par sa situation au sommet d'un promontoire fort élevé, on peut supposer que Belvès doit manquer d'eau ; et cependant la situation est loin d'être aussi mauvaise qu'on pourrait le croire.

Dans le château et dans la ville des puits à eau de source ont existé de toute antiquité.

Puits à l'hospice ; puits à l'Ecole supérieure; puits à la maison Bonfils Lascaminade, antérieurement maison Fauvel et Lapalisse ; puits maison Labeille, antérieurement Montet, etc.

Il y avait aussi des puits publics, un à la Croix des Frères[215], un autre à Montcuc, etc. Au dehors des sources dont quelques-unes très abondantes viennent émerger tout près de la ville.

Le quartier de Malbec avait à son service une fontaine peu abondante, mais suffisante ; le cartulaire de 1462 la désigne sous les noms de Foncz Exant[216], Forn Ayssen[217], Fon Arsen[218], actuellement elle est connue sous le vocable de Fournassen.

Le château, partie la plus élevée de la ville, fut obligé de venir chercher l'eau, au pied des premiers escarpements rocheux, au bas de la rue Foncastel dans les roches qui dominent la route n° 11 bis, et servent d'assiette aux maisons des deux côtés de la rue Foncastel, l'eau se trouve en abondance ; ce fut là la Fon du Castel ; elle était probablement placée au-dessus de la fontaine moderne que longe la route n° 11 bis, à la réunion des rues Foncastel et des Pénitents.

La rue conduisant à la fontaine, et le quartier environnant prirent leur nom de la destination de la fontaine : la rue qui y conduisait s'appelait rue de Foncastel, nom qu'elle porte encore aujourd'hui ; la ville fut protégée de ce côté par une porte dite de Foncastel et le territoire voisin porta le nom de Foncastel[219].

Enfin, de puissantes sources viennent sortir au pied des escarpements du plateau de Moncuc, au nord de la ville. Ces sources, grâce aux travaux effectués à la fin du siècle dernier[220] et il y a une vingtaine d'années, fournissent l'eau nécessaire à l'agglomération urbaine.

Ces sources ont été reliées les unes aux autres, de manière à réunir dans la plus rapprochée de la ville une grande quantité d'eau, en laissant cependant la faculté de puiser l'eau à chacune d'elles. Leur nom moderne vient de leur situation par rapport à la ville [Fontaine première ; Fontaine du milieu ; Fontaine dernière]. Combien les noms anciens étaient plus pittoresques : l'une s'appelait Fon Gala [actuellement Fontaine première] : elle avait donné son nom à la porte de la ville, qui de ce côté fermait la fortification ; et aussi à la combe profonde qui commence aux fontaines et va se rattacher à la vallée de la Nauze[221] ; une autre de ces fontaines s'appelait Foncs Jolive[222], [actuellement Fontaine du Milieu] ; dans le même quartier existait une autre source qui portait le nom de Fonc Peyrinha[223] [actuellement Fontaine Dernière].

Enfin la fontaine actuelle, qui se trouve dans la rue des Pénitents, existait sous le nom de Font Saint-Pierre au XVe siècle[224].

c) Service de la Viabilité.

Le collège des bayle et consuls était spécialement chargé du service de la viabilité, dans la ville et le consulat ; l'ouverture des rues et chemins, leur entretien, etc… entraient dans ses attributions[225].

Donc le collège des bayle et consuls avait le pouvoir, tant dans la ville que dans l'étendue du consulat, dès qu'il en avait constaté la nécessité ou l'urgence, de faire ouvrir des voies et chemins, de tenir les places publiques et les chemins en bon état de viabilité.

Il pouvait à cet objet appliquer les ressources municipales disponibles, créer des ressources particulières, si les ressources générales étaient insuffisantes ou faisaient défaut ; enfin il pouvait convier, par voie de réquisition ou corvée, les habitants du district consulaire, à participer de leurs personnes ou avec leurs animaux aux travaux ordonnés, ayant le droit de punir les récalcitrants de peines corporelles ou d'amendes.

Le produit de ces amendes, suivant la règle générale suivie à Belvès, pour les recettes de la basse justice et autres, se partageait par égale portion, entre l'archevêque et les consuls ; à quoi fait allusion la fin de l'article « et medietas eis applicabitur ».

Il nous est impossible, pour le moyen âge, dans l'état des documents, de citer quelques grands travaux de viabilité faits par les consuls, mais en approchant des temps modernes, les municipalités de Belvès, antérieures à la Révolution, ont placé le service de la viabilité au rang de leurs préoccupations. Nous pouvons citer, à leur honneur, la réfection des deux grandes côtes, qui établissaient la communication de la ville avec la vallée de la Nauze ; en ville, la suppression des remparts sur la place, l'ouverture de la rue des Fillols, le redressement de la rue de Limeuil, la création du foirail des boeufs, au milieu des fossés, et les promenades de Cicé et de Sous la ville[226].

Ils firent démarches et rapports, pour faire passer par Belvès la grande route de Sarlat à Agen[227].

Les rues de la ville étaient au moyen âge, ce qu'elles sont aujourd'hui, si l'on fait abstraction des travaux d'édilité faits depuis la Révolution ; ils ont consisté en la suppression des portes de la ville ; des porches, qui se trouvaient à l'entrée des rues sur la place ; en l'élargissement de la rue du Fort, à son débouché sur la place, et de la Grande Rue ou rue Portai, dans une partie de son cours.

Dans la banlieue de Belvès de nombreux chemins unissaient Belvès aux paroisses voisines ; les documents permettent de retrouver dès le xve siècle les chemins, qui dans la suite sont devenus, et sont encore nos chemins vicinaux ou ruraux[228].

Voici les principaux que nous pouvons citer, d'après le cartulaire de 1462 :

Chemin de Belver à Cahors (fol. 50, 70 r°, etc.)

De Belver à Villefranque (fol. 31); de Belver à Montferrand (fol. 35, 76) ; chemin Romiou qui de Belver va à Cadoun (fol. 37) ; chemin Romiou qui va de Belver à Rocamadour (fol. 46, 59, etc.,) [les mots chemin Romiou indiquent un chemin de pèlerinage et non un chemin Romain] ;

Chemin de Belver ad Montem passierum [Montpazier] fol. 69.

Chemin de Belver à Saint-Pompon (fol. 60), de Belver à Castelnaud (fol. 63).

A Saint-Germain-de-Belver (fol. 39), de Belver à Carves (fol. 156).

Belvès était rattaché aux diverses paroisses du district : chemin de Belver à Palayrac (fol. 155), de Belver à St-Amand (fol. 155), de Belver à Larzac (fol. 51), de Belver à Beaulieu ou a Belloloco, petit prieuré près St-Laurent relevant de Cadouin (fol. 47, 48) ; cami que va de la gleysa de Moncuc vers la gleysa d'Urval (fol. 63), de Belver à Montplaisant (fol. 06) ; chemin de la gleysa de Moncuc vers Vielh-Vic (fol. 64), de Belver à Sieurac (Siorac).

Chemins dans l'intérieur du district : chemin de St-Pardoux à Sieurac (fol. 60, 72), de Larzac à Fongaufier ; de Fongaufier au port de Fourcques [en amont de Siorac], de Fongaufier à Siorac (fol. 155) ; de Larzac à Viel-Vic (fol. 62) ; de Vielh-Vic vers Cazal (fol. 64), de Fontgaufier à Montplaisant (fol. 67), de St-Pardoux à Montferrant, de St-Amand à St-Pompon ; de Montplaisant à Siorac, etc.

Dans la banlieue de Belvès nous trouvons : chemin de Peyrelevade à la gleya de Moncuc ; de Fonpeyrine à Fongaufier ; de la Tour de Bat palme à la Mote del Mercat (fol. 53), de Belver à fon de Bragas ; de fon de Bragas à Las Vernhas ; chemin qui va de camp Batailler vers las Tours ; chemin de Fongaufier à la gleysa de Moncuc (fol. 63) ; chemin qui va de Belver à la peyre do Tourneguil, lo cami que va de la porte de Peyrelevade au Pont romiou, etc., etc.

Ainsi au XVe siècle, la viabilité était bien organisée ; tous ces chemins existent encore aujourd'hui et forment le réseau de nos chemins vicinaux, et leur état doit être ce qu'il était au XVe siècle ; car on n'a fait pour eux presque aucune réparation.

Dans la période moderne, ce réseau des chemins vicinaux a été singulièrement amélioré et complété, par les routes départementales, par les voies d'intérêt commun ou vicinales, qui sillonnent le pays dans tous les sens[229].

II. — Pouvoirs de police, attribués au collège des bayle et consuls.

La transaction du 10 février 1470 avait conféré au collège des bayle et consuls les pouvoirs de police les plus étendus. Toutes les mesures relatives au bon ordre dans le consulat étaient édictées par lui ; il formulait des règlements obligatoires pour tous et en assurait la sanction au moyen d'amendes, dont le maximum ne pouvait en général dépasser soixante sous.

Les contraventions à ces règlements étaient constatées par les membres du collège, ou par des agents investis par lui du droit de dresser les procès-verbaux. Le collège d'abord, aidé de bourgeois siégeant comme jurés, dans la suite le collège seul, siégeant comme cour de justice, appliquait les amendes aux contrevenants.

Le produit de ces amendes était partagé par égale portion entre le seigneur et la communauté des habitants.

Dans les pouvoirs de police attribués au collège des bayle et consuls, il faut faire entrer divers articles de la transaction, relatifs les uns à la vente des denrées alimentaires, viandes, pain, vin et autres subsistances; les autres à la garde, à la protection des fruits et récoltes, des jardins, vignes et prés, à la surveillance des boucheries, des poids et mesures, etc.

1° Quod dicti bajulus et consules valeant et possint, ad utilitatem dicti loci et habitantium ejusdem, facere et ordinare proclamationes et inhibitiones circa venditiones carnium, panis et vini aliorumque victualium prout expediens et utile; et pœnam imponere transgressoribus dum tamen non excedat summam sexaginta solidorum et medietas emolumentorum inde provenentium domino ad sui dispositionem, et alia vero consulibus ad opus communitatis ut supra applicabitur[230].

Ainsi, le collège du bayle et des consuls formulait tous les règlements, qu'il croyait utiles, relativement à la vente de la viande, du pain, du vin et des autres substances alimentaires.

Les pouvoirs du collège étaient, à cet égard, les plus étendus.

Suivant une mention empruntée au registre de Philiparie, n° 82, les consuls affermèrent, pour deux années, les boucheries de Belvès à Pierre Roumegous et à Jean Delpuch, les exemptant de tailles et impositions, à condition qu'il ne fût vendu par eux que de bonnes viandes et à un prix déterminé. Nul autre que les concessionnaires n'avait le droit de vendre de viande, sous peine de confiscation : les consuls et le bayle constituaient ainsi, pour la vente de la viande, un véritable monopole, sous certaines obligations déterminées.

Mais il ne paraît pas que ce régime du monopole de la vente de la viande ait été longtemps suivi; des circonstances exceptionnelles l'avaient justifié, et on revint bientôt au régime de la vente de la viande ouverte à tous, sous la condition d'observer les règlements municipaux.

En outre de l'observation des règlements municipaux sur la vente de la viande, les bouchers devaient encore ne vendre que de la viande saine, et ne pas tromper sur la qualité de la viande vendue. « Totz maseliers que vendes carn de trega per porc, ni milhargosa per sana, gatge vii s. si no ansava jurar que no o saubes »[231].

Pour le pain, nous ne connaissons aucun règlement particulier qui en ait réglementé la vente; sa cuisson, sa fabrication paraissent avoir été libres, sans l'existence d'aucun monopole en faveur du seigneur.

Le pouvoir de faire des règlements, à l'occasion des denrées alimentaires, emportait pour le collège des bayle et consuls l'obligation de maintenir une proportion raisonnable entre les prix sur les marchés et les prix de revente au détail, et lorsque les consuls constataient une trop grande différence entre ces éléments, ils édictaient des taxes obligatoires fixant le prix de la viande et du pain[232].

En outre, il pouvait prendre les mesures les plus diverses dans l'intérêt général : en 1773, sous peine de confiscation et de 3 livres d'amende, on oblige les aubergistes à acheter le poisson au marché, et après huit heures du matin[233].

2° Le vin, comme matière alimentaire, restait dans le pouvoir réglementaire du collège des bayle et consuls, qui, suivant les termes de l'article 8, pouvait en réglementer la vente ; en outre, par la fixation du ban des vendanges, les consuls déterminaient, suivant la maturité, l'époque où les vendanges devaient commencer[234].

Mais en outre, le collège des bayle et consuls pouvait, s'il le trouvait juste et équitable, interdire, à certaines époques, l'entrée et la vente du vin dans la ville de Belvès :

« Poterunt dicti bajulus et consules facere prohibitionem et inhibitionem de vino in dicto loco ponendo vel introducendo, prout utile visum fuerit, domino et duobus officiariis ejusdem per eumdem dominum nominandis pro usu suo duntaxat, et paenam transgressoribus opponere, dum tamen non excedat summam ut supra et emolumenta inde provenientia dividendo ut supra » [235].

La défense d'introduire et de former des entrepôts de vin dans la ville[236] avait pour but d'assurer la vente exclusive du vin, pendant la durée de la prohibition, aux habitants de la ville, propriétaires de vigne. Mais cette mesure n'était applicable ni au seigneur, ni à deux de ses officiers, désignés par lui, et pour le vin à leur usage.

L'observation de ces règlements était assurée par une amende qui ne pouvait pas dépasser 60 sous, et aux produits de laquelle s'appliquait le partage par moitié, entre le seigneur et les consuls[237].

3° Les articles 10 et 11 de la transaction du 10 février 1470 ont pour objet d'assurer la protection de la propriété : le bayle et les consuls peuvent interdire l'entrée dans les jardins, vignes, prés, terres, pour empêcher les dommages que l'on pourrait y occasionner, au détriment du propriétaire, soit par soi-même, soit par ses animaux.

Comme sanction, le bayle et les consuls édictaient des amendes dont le maximum était de soixante sous, et dont le produit se partageait entre le seigneur et les consuls.

Il appartenait au collège des bayle et consuls, tant pour empêcher les contraventions que pour en assurer la répression, de nommer des gardes champêtres, avec droit de dresser les procès-verbaux[238].

Ces dispositions réglementaires, à sanction pénale, se combinaient avec les dispositions de nos coutumes, qui unissaient les vols de petite valeur; et le délinquant pouvait encourir ainsi pour un même fait une double pénalité[239].

4° Le collège des bayle et consuls avait aussi, suivant le droit commun du moyen âge, la surveillance des poids et mesures, en usage dans le district : ce qui entraînait une inspection des poids et mesures par les agents municipaux, et l'existence d'étalons à l'hôtel de ville pour les vérifications.

Ces pouvoirs étaient traditionnels à Belvès pour les agents de la municipalité : la Coutume de Belvès fait allusion à l'inspection des poids et mesures :

Tel qui te falsa mesura, ni fais pes gatge vii s. et aquellas sian regardadas pers conseilh dels cavaliers et dels prohomes[240].

Dans le Midi chaque ville avait ses poids et ses mesures particuliers ; des émissions en étaient faites avec les armes soit des villes, soit des seigneurs ou avec des emblèmes spéciaux[241] ; Belvès avait ses poids et ses mesures particuliers qui ne se confondaient pas avec ceux des villes voisines[242].

On ne peut pas affirmer que la municipalité ait fait frapper des poids aux armes de la ville; mais le fait peut être considéré comme probable, puisque à Saint-Cyprien les poids en usage étaient frappés aux armes du prieur[243]. Dans tous les cas, aucun poids belvesois, que nous sachions, n'est venu jusqu'à nous.

A Belvès, tout au moins, a-t-on conservé des étalons des poids et mesures pour faciliter la vérification[244].

Les vérifications des poids et mesures étaient faites par des agents de la municipalité ; les mesures et les poids non conformes aux étalons étaient confisqués et détruits, et des amendes encourues par les délinquants : le produit en était partagé entre le seigneur et les consuls[245].

Tous les pouvoirs de police, reconnus au collège des bayle et consuls par la transaction du 10 février 1470, lui ont été maintenus par les transactions postérieures. En 1727, aux termes des articles 11, 12, 14, 15, 16, le baillif [bayle] et les consuls ont les mêmes pouvoirs de police qu'antérieurement. Les dispositions nouvelles ne font que fixer certains détails sur lesquels des difficultés s'étaient élevées dans la pratique[246].

 

III. Autres avantages résultant de la création du consulat.

En organisant le consulat à Belvès, l'archevêque n'avait pas seulement voulu conférer aux bayle et consuls des droits d'administration et de police indépendants, mais encore d'autres avantages : les uns se rattachent à la gestion financière, les autres à l'administration de la justice; d'autres constituent des droits particuliers dont étaient investis les habitants du consulat.

Nous les examinerons successivement.

a) Avantages particuliers résultant de l'organisation en Consulat.

La grande préoccupation des rédacteurs de la transaction de 1470 avait été de faciliter aux habitants du pays l'élevage du bétail : de là, le droit de pacage qui avait été stipulé, non seulement au profit des habitants du consulat, mais même à tout habitant de la châtellenie, sur tous les biens vacants appartenant à l'archevêque de Bordeaux, mais sous une double restriction : la première, que les biens vacants de l'archevêque ne fussent ni assensés, ni arrentés; la seconde, que ce droit de pacage ne put être réclamé que par ceux qui payaient à l'archevêque le droit de commun, pour eux et pour leurs animaux[247].

Quant aux habitants du consulat, ils avaient, eux, en dehors de ce droit général, un droit particulier sur le bois commun, la Becède.

Cette forêt qui occupe au nord-ouest de Belvès un grand plateau boisé, appartenait à l'archevêque de Bordeaux en très grande partie, il voulut qu'elle devînt une copropriété indivise entre le consulat et lui, sans avoir le droit de forcer les consuls au partage de la dite forêt.

Quels avantages conférait aux habitants du consulat, cette copropriété indivise de la forêt ?

L'article 23 de la transaction du 10 février 1470 l'indique très exactement : il n'y a qu'à analyser cette disposition. L'existence de glands dans la forêt ne donnera pas aux habitants de la ville de Belvès le droit d'exiger que la forêt soit livrée au pacage; mais la forêt pourra être donnée à cens, et le prix en sera partagé par égale portion entre l'archevêque et la communauté de Belvès, avec cette réserve cependant, qu'à prix égal, les habitants de Belvès seront préférés à tout autre emphytéote, qu'il y ait ou non des glands; et si la forêt n'a pas été donnée à cens, chaque habitant de la ville et de la châtellenie pourra amener dans la forêt, pour le pâturage, (les animaux gros on petits, à la charge de payer au seigneur et aux consuls, par chaque tête d'animal, une redevance annuelle de deux deniers de monnaie courante. Pour les animaux de petite taille et tetant leur mère, on n'aura rien à payer.

Le droit ainsi concédé aux habitants est un droit de pacage simple: les censitaires ne peuvent ni avoir des cabanes, ni organiser des gîtes pour les animaux dans la dite forêt.

Le seigneur avait des droits plus étendus : pour les besoins de sa maison, il pouvait, sans avoir à payer de redevance, tenir dans la forêt des animaux, au maximum cinquante têtes de gros bétail et cent de menu bétail, et il pouvait, pour leur service, avoir une cabane dans la forêt, ou y organiser des gîtes.

Si suivant ces hypothèses, la forêt était accensée, le prix du cens devait se partager par égales parties entre le seigneur et les consuls. Le contrat de cens devait être consenti par le bayle et les consuls, copropriétaires de la forêt, et le cens était encaissé par le receveur trésorier du seigneur et des consuls (Comp. art. 2, transact. du 10 fév. 1470).

Ce régime devait donner lieu à des contraventions nombreuses : il appartenait aux bayle et consuls de dresser les règlements, d'édicter les prohibitions et de les sanctionner d'amendes, sans que le maximum de ces dernières pût être supérieur à soixante sous. Le produit de ces amendes appartenait par moitié au seigneur et aux consuls[248].

Un point important, résultant de cet article, et que confirmeront bien des titres postérieurs, est la copropriété de la Becède entre l'archevêque de Bordeaux et les consuls de Belvès. Or, cette copropriété devait entraîner d'autres droits que ceux mentionnés à l'article 23; il est certain que, dans la suite, on reconnut, aux habitants du consulat, le droit de prendre dans la forêt le bois mort, pour le chauffage[249] ; qu'en fait les consuls firent couper des bois de futaie pour des réparations à des édifices municipaux[250] ; de plus, de nombreuses usurpations furent consommées, au préjudice des archevêques et consuls, par des particuliers; comme aussi les vassaux de l'archevêque, exagérant leurs droits et en abusant, en arrivèrent à commettre de tels dommages qu'en 1565 dans un procès-verbal de l'état de la foret on constate que c'est à peine si l'on pourrait trouver dans toute la forêt « vingt pièces de bois, bon et sain, de la longueur de vingt pieds »[251].

Antérieurement, la situation n'était guère meilleure comme cela résulte de l'enquête de 1549, faite par Antoine de Salvador, chargé d'informer sur les dégâts et les dépopulations et ruines faites par les habitants de Belvès et autres circonvoisins, en la forêt de la Becède. Les enquêteurs Antoine de Salvador et Cotchirau, vicaire général, après avoir parcouru la Becède de Cadouin à Belvès,

A l'heure de deux heures après mydy du dit jour, partismes eu la compagnie du dit Cotchirau et quelques uns des habitants de la ville de Belvès, pour nous transporter en icelle aux fins sus énoncées et dans la dite forest, passant par laquelle le long du chemin tirant droict du dit bourg de Cadouing en la dite ville de Belvès, trouvâmes grand nombre d'arbres deppopulés et gastés, dont les aucungs étaient fraischement et depuys peu de temps coupés au pied et d'autres depuis longtemps, un grand nombre d'autres bruslés à pied ….. et d'autres esbranchés  du tout et coupés jusqu'au corps ….. et plusieurs autres dégâts, déppopulation et ruynes revenant à grand dommaige au susdit archevesque....[252]

Cette situation durait depuis longtemps ; les archevêques, à plusieurs reprises, avaient espéré y mettre fin, et ramener dans le devoir les tenanciers et voisins de la forêt, en modifiant les anciens règlements ; de là les transactions du 23 août 1530 entre Mgr Charles de Gramont, archevêque de Bordeaux, et les consuls et habitants de Belvès devant Mes Chauvin et Garrisson, notaires royaux[253], Et du 8 mars 1550 entre Jean II du Bellay, archevêque de Bordeaux, et les consuls de Belvès[254], dont nous devons analyser rapidement les dispositions :

La transaction de 1530 avait pour objet d'assurer la conservation de la forêt et en même temps de fixer les droits des copropriétaires.

Défense est portée de couper aucun arbre, vert ou sec, et cela sous peine d'une amende de 10 livres par chaque pied d'arbre et aucune branche sous peine d'une amende de 3 livres. (Art. 1.)

Tout acte ou manœuvre de nature à entraîner la perte d'un arbre est puni d'une amende de 10 livres. (Art. 2.)

Tout habitant qui s'emparera d'arbres ou branches, tombés par tempête, vent, vieillesse ou autrement payera une amende de 10 livres par arbre et de 3 livres par branches. (Art. 3.)

Toute personne qui sera trouvée dans la forêt, avec bœufs, vaches, chevaux, juments, ânes ou ânesses, chargés de bois, payera, par bœuf et vache, 10 livres d'amende ;

Par cheval, mule, mulet et jument, 5 livres ;

Par âne, ânesse, 2 livres, si mieux n'aime perdre et délaisser, pour les dites sommes, les dits bœufs, vaches et bêtes. (Art. 4.)

Toute personne qui sera trouvée chargée du dit bois de garrissade payera 7 sols dix deniers. (Art. 5.)

Le contrevenant est responsable; et, en outre, les pères et mères de famille seront tenus de répondre et payer, pour leur famille, leurs valets, chambrières et locatifs. (Art. 6.)

L'article 7 étend la compétence du collège des baillif et consuls : bien que, depuis la transaction de 1470, il ne puisse connaître que des actes de basse justice, et jusqu'à 60 sous seulement, l'archevêque lui confère, par la transaction de 1530, la connaissance des délits commis dans la forêt et réprimés par les amendes ci-dessus indiquées (10 livres par arbre.)

Les bayle et consuls n'en auront pas la connaissance exclusive ; la répression de ces amendes appartiendra en même temps au juge seigneurial ou à son lieutenant ; mais de manière que celle des deux juridictions qui la première en aura été saisie ait le droit exclusif de connaître de l'affaire, sans que l'autre puisse provoquer son dessaisissement. (Art. 7.)

Cependant, si les bayle et consuls, saisis de l'affaire, n'avaient pas prononcé, dans les deux mois :

Incontinent passés les deux mois depuis le premier jour que le procès sera commencé, la connaissance de cette procédure sera dévolue au dit juge, et seront tenus les dit baillif et consuls, s'en départir entièrement et remettront au dit juge toutes pièces et actes par eux faits. (Art. 8.)

Si les faits reprochés aux contrevenants permettaient de constater à la charge de ces derniers des crimes ou excès, la connaissance en appartiendrait exclusivement au juge seigneurial et à son lieutenant (art. 7).

Toutes les amendes, encourues dans les contraventions sus dites, seront partagées entre le seigneur et la communauté des habitants : le seigneur en fera à son plaisir, les consuls devront les affecter aux réparations de la ville.

Les bayle et consuls et le juge seront tenus de créer un receveur pour recevoir :

Toutes et chacune amende et autres revenus et émoluments appartenant aux dits consuls et, chacune année, en rendre compte ; et sera à eux loisible, en suivant la dite transaction, à avoir et prendre un assesseur lettré de pratique pour instruire et adresser le procès et autres affaires et actes. » (Art. 10.)

Enfin, dans l'article 11, se trouve une disposition qui a une portée générale : le bayle et les consuls, qui, pour les décisions à prendre, devaient en référer à l'assemblée générale des membres du consulat (intitulé de la transaction de 1530) sont autorisés :

A prendre avec eux huit personnages, gens de bien, qui seront appelés hommes de conseil, qui avec les baillif et consuls représenteront toute la université et communauté du dit consulat et pourront pourvoir aux occurents, comme si tout le dit consulat et tous les habitants d'icelluy étaient tous assemblés.

Cette transaction, fût-elle exécutée, ne mit pas fin à l'état lamentable dans lequel était la Bécède, et un procès était engagé entre l'archevêque et les syndics, manans et habitants de Belvès, et pour y mettre fin une transaction fut présentée au nom de la communauté des habitants à l'acceptation de l'archevêque[255].

Suivant ces dispositions, la forêt devait être limitée et bornée ; les usurpations faites dans la dite forêt poursuivies.

Quatre gardes devaient être choisis, gens de bien et des lieux voisins, «  qui presteront serment solemnel de bien et loyalement garder la dite forêt. »

On renouvelle et rappelle les défenses de la transaction de 1530.

Si d'aucuns prétendent des droits d'usage sur la dite forêt, ils seront invités à produire leurs titres.

Cependant, on confirme l'ancien usage, suivant lequel les habitants de Belvès peuvent prendre pour leur chauffage le bois sec, mort, ou tombé par cas fortuit.

On impose à l'archevêque l'obligation de replanter les parties dépeuplées de la forêt.

En outre on lui reconnaît le droit de prendre « mille arbres dans la dite forêt et lieux moingts dommageables pour ses ressources, à son plaisir et volonté. »

Enfin :

Item est urgent à notifier à ceux qui sont accoustumés faire telles pilleries  par l'arrestation et oultre la  peine encourue dans la dite sauvegarde, seront confisqués les bœufs, chevaux, charrettes et les animaux portant les boys et le tout vendu à cri public, pour être converti aux frais et mises affectés pour la garde et entretenement de la forêt.

Ces dispositions ne portèrent pas remède au mal, et l'enquête de 1571 démontra le mauvais état de la forêt.

Comme l'archevêque de Bordeaux avait été autorisé, pour se procurer les fonds, dont les biens du clergé de France avaient été frappés, à aliéner tout ou partie de son temporel, il fut reconnu par l'assemblée capitulaire de la cathédrale de Bordeaux que le meilleur moyen, pour tirer quelque avantage de la Bécède, serait de renouveler les concessions à fief, antérieurement faites, ou d'en faire de nouvelles[256].

En l'an 1572, en exécution de ces décisions, il fut consenti par l'archevêque de Bordeaux et par les consuls de la ville de Belvés, d'accord entr'eux, et agissant comme copropriétaires de la forêt de la Bécède, des concessions à fief nouveau, à divers tenanciers : les émoluments provenant de ces concessions étaient partagés, par égale portion, entre l'archevêque et la communauté de Belvès.

Grâce à ce procédé d'exploitation, tout était simplifié : les tenanciers, en vertu des concessions à fief nouveau avaient tous les avantages utiles de la forêt, et les propriétaires (archevêque et communauté) se partageaient les redevances en argent ou en nature qui en étaient la conséquence.

Mais en 1609, une modification assez grave, par les conséquences qu'elle entraîna dans la suite, vint à se produire.

A ce moment, l'archevêque de Bordeaux, Mgr de Sourdis, sous le coup de grands besoins d'argent, et en présence des petits produits que lui donnait la seigneurie de Belvès, manifesta l'intention de vendre la seigneurie.

Le conseil de ville s'émut et demanda à M. de Sourdis de prendre l'engagement de ne pas aliéner ses droits de seigneurie et de juridiction ; qu'en compensation, le conseil de ville, à la demande des consuls, lui offrait une redevance de 1 sou par feu, sans autres droits, ou bien l'abandon des rentes que la ville de Belvès retirait de la Bécède[257].

Il est probable que la transaction proposée fut acceptée par l'archevêque ; ce qui est certain, à partir de ce moment, les concessions à fief, au lieu d'être faites comme antérieurement, au nom de l'archevêque et de la communauté de Belvès, en qualité de copropriétaires, ne furent plus consenties qu'au nom de l'archevêque.

Les choses paraissent avoir été ainsi maintenues sans protestation ; mais en 1783, à l'annonce du renouvellement des reconnaissances et arrentements par le sieur Dejean, procureur de l'archevêque, le conseil de ville réclama, faisant valoir qu'il était, avec l'archevêque, copropriétaire de la forêt, la Bécède[258].

Mais il n'insista pas, en présence de la lettre du 19 juillet 1783, par laquelle l'archevêque invoquait à son profit et la transaction de 1609 et la transaction de 1673 avec la municipalité[259].

L'archevêque, à partir de ce moment, se considéra comme seul propriétaire de la forêt : un projet d'abandon de la dite forêt au profit de M. le chevalier de Raymondies, moyennant 90,000 tournois et sous d'autres conditions, était encore à l'étude au moment de la Révolution[260], et, dans la suite, la Bécède, comme bien ecclésiastique, devint forêt de l'Etat, et fut vendue, comme telle[261], sans aucune protestation du conseil municipal de Belvès : les réclamations de 1788 contre l'archevêque ne furent pas renouvelées contre l'Etat.

b) Avantages résultant du consulat et tenant à l’administration de la basse justice.

En concédant le consulat, l'archevêque avait abandonné au collège du bayle et des consuls l'administration de la basse justice jusqu'à concurrence de soixante sous ; et les produits de cette justice se répartissaient par égales portions entre le seigneur et les consuls[262].

Pour comprendre la portée de cette disposition, rappelons-nous que l'on peut distinguer la justice, sous le régime féodal, en justice seigneuriale et justice féodale.

Le droit de juger est un attribut essentiel de l'autorité souveraine ; la société serait impossible s'il n'y avait pas un pouvoir, chargé de juger et de mettre fin aux contestations. Cet attribut de la souveraineté, les seigneurs s'en étaient emparés, dans l'étendue de leur seigneurie : ce qui entraînait, pour eux, le droit de juger tout procès, né dans leur territoire : cette justice, certains auteurs l'appellent justice seigneuriale.

La féodalité reposait sur le contrat de fief ; et ce contrat impliquait, pour le seigneur, l'obligation de rendre la justice à ses vassaux, et, pour les vassaux, le droit de composer la cour de justice pour mettre fin aux procès élevés entr'eux ou entr'eux et leur seigneur : de là la justice féodale.

En outre, suivant la nature ou l'importance du litige, on avait pris l'habitude de distinguer la justice en haute et basse justice, et suivant la formule empruntée à un historien moderne du droit :

« La haute justice seule pouvait connaître de toute accusation criminelle, entraînant une peine afflictive, la peine de mort ou une mutilation et tous les procès civils où pouvait intervenir le duel judiciaire,  ce qui dans la procédure féodale était le cas de tous les  procès quelque peu importants. A la basse justice appartenaient les autres causes »[263].

L'organisation du consulat avait donc eu pour conséquence, à Belvès, la limitation des droits du seigneur, en matière de justice : celui-ci avait abandonné au collège du bayle et des consuls l'administration de la basse justice jusqu'à 60 sous, et voulu que le produit des amendes et des droits de justice fût partagé par égale portion entre lui et les consuls.

Cette compétence du bayle et des consuls avait été singulièrement augmentée, eu égard aux contraventions dans la forêt de la Bécède, par les transactions de 1530 et 1550 rapportées plus haut.

Il résulte de là qu'à Belvès et pour le consulat fonctionnaient côte à côte deux justices :

La justice seigneuriale rendue par l'archevêque ou ses représentants, dont la compétence s'étendait à tous les procès, civils ou criminels, de quelque importance ; et la justice consulaire, rendue par le collège du bayle et des consuls, dont la compétence était limitée, d'une manière générale, aux actes de basse justice, et dont l'importance ne dépassait pas 60 sous, à moins qu'il ne s'agît de contraventions dans la Bécède.

La justice seigneuriale sera étudiée avec les dispositions de la coutume qui la concernent : qu'il nous suffise de dire que le sénéchal de Bigarroque était juge d'appel seigneurial pour les juridictions seigneuriales de Belvès : on pouvait aussi appeler au juge royal, le sénéchal de Périgueux, et, après sa création, au sénéchal de Sarlat, et au Parlement, des décisions rendues par les sénéchaux royaux.

La justice consulaire fonctionnait suivant les règles générales ; indiquons ici les règles particulières, conséquences de ce que cette justice était confiée à un collège, le bayle et les consuls.

« Vult dominus quod quando, in praedictis, bajulus et consules, tenebunt eorum curiam quod semper debeant esse duo consules aut plures cum dicto bajulo, alias non possent tenere audientiam neque curiam. Et si per casum dicti consules fuerunt requisiti per dictum bajulum de tenendo curiam dictam et negligentes sint quod eo casu, idem bajulus solus curiam expedire possit ; et si dictus bajulus requisitus fuerit per dictos consules de tenendo et expediendo dictam curiam, negligens fuerit, quod dicti consules expedire possint eamdem.... »[264]

Ainsi, le vœu des rédacteurs de la transaction de 1470 était que le bayle et les consuls participassent les uns et les autres à l'administration de la basse justice ; et pour faciliter cette entente, on admettait que le bayle pouvait siéger avec deux des consuls, si les autres ne venaient pas tenir l'audience[265]. Et même tenir seul l'audience, si les consuls négligeaient de venir se joindre à lui, pourvu qu'ils en eussent été régulièrement requis.

De même, si le bayle, requis par les consuls, était négligent et ne venait pas, les consuls tenaient seuls l'audience. Il est probable qu'à l'origine la justice municipale était rendue par les bourgeois, espèce de jurés, sous la présidence des bayle et consuls ; mais que, dans la suite, les bourgeois perdirent l'habitude de venir former la cour municipale. Alors les bayle et consuls siégèrent seuls ; et même ils eurent le droit de nommer un assesseur, qui, à titre de juge municipal, pouvait rendre des jugements.

Telles étaient les règles générales; et nous ajoutons qu'aux termes des articles 16 et 25 le bayle et les consuls pouvaient élire, en outre d'un assesseur, des greffier et sergents, ad justiciam exercendum et exœquandum necessarios.

 

c) Avantages du consulat tenant à la gestion financière.

Le régime féodal entraîne, au profil du seigneur, des droits pécuniaires très étendus. Il ne faut pas oublier, en effet, que le seigneur a usurpé, à son profit, tous les droits de souveraineté appartenant à l'autorité publique (roi, empereur ou république) et en conséquence le droit de frapper d'impôts les personnes et les choses de la seigneurie.

Mais ce droit absolu du seigneur fut modifié de plusieurs manières, soit par la coutume, soit par la concession de commune, soit par des conventions spéciales entre le seigneur et ses vassaux.

En accordant le consulat aux habitants de Belvès, en consentant avec la communauté des habitants des transactions spéciales, le seigneur archevêque avait fortement altéré les prérogatives que le droit commun féodal lui attribuait.

Partout, où le régime du consulat a fonctionné, en conséquence des pouvoirs administratifs à eux accordés, les consuls ont acquis une autorité financière; dès qu'ils ont eu le gouvernement de la communauté, ils en ont géré les biens et les finances.

Examinons donc, avec les détails que peut comporter l'état des documents, la condition financière, le régime fiscal du consulat et du district belvesois.

Les deux autorités en présence, l'archevêque et les consuls avaient, chacun en leur qualité particulière, quelques droits dont ils jouissaient exclusivement : l'archevêque, comme conséquence de sa seigneurie, les consuls, comme représentant la communauté des habitants.

Mais en outre, l'organisation du consulat, ayant associé à la gestion du consulat l'archevêque et les consuls, au point de les considérer comme copropriétaires indivis des propriétés du consulat, notamment de la Bécède, il résultait de là, comme nous l'avons vu antérieurement, au profit du collège du bayle et des consuls, des droits égaux, des prérogatives communes et des droits pécuniaires importants, dont les produits se partageaient par égales portions entre l'archevêque de Bordeaux [ou le bayle son représentant] et les consuls : c'était le régime de la medietas, pour les droits et les devoirs, qu'applique dans beaucoup de ses articles la transaction du 10 février 1470.

Comme conséquence de cette organisation, il appartenait au juge ou représentant de l'archevêque et aux consuls de désigner à l'élection un trésorier chargé, sous l'obligation de rendre compte, du soin d'encaisser les redevances communes.

« ….. Cum hoc quod judex vel procurator dicti domini et ipsi consules habebunt eligere unum receptorem seu thesaurarium qui habebat reddere computum de gestis et palpatis bajulo domini et novis consulibus dictae villae, jurabitque dictus receptor seu thesaurarius, ut est consuetum, in manibus bajuli et consulum, reddere legale computum de emolumentis provenientibus dictis bajulo et consulibus, ratione rerum infra scriptorum, quorum emolumentorum medietas domino applicabitur pure et ad sui dispositionem, alia vero medietas dictis consulibus ad usum et utilitatem totius communitatis et non aliter, nec in alios usus[266]  ».

Quant à l'affectation des fonds revenant à l'archevêque et aux consuls, il existait une grande différence : l'archevêque disposait comme il l'entendait de la part lui revenant et lui donnait telle destination qui lui paraissait convenable ; les consuls, au contraire, devaient affecter leur part aux besoins municipaux, sans pouvoir rien en distraire pour autre usage.

4° Ressources communes au seigneur et aux consuls.

Quelles sont les ressources dont les produits se partageaient ainsi par moitié entre l'archevêque et les consuls ?

Ces ressources nous les connaissons pour le plus grand nombre, nous les avons étudiées, en nous occupant des prérogatives des bayle et consuls ; ainsi, conformément aux articles 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 23 de la transaction du 10 février 1470, les droits de basse justice, le produit des amendes pour violation des règlements de police municipale, les amendes encourues pour dommages aux fruits des jardins, vergers et prairies, et les produits et amendes relatifs à la Bécède formaient les principaux droits dont le produit se partageait entre l'archevêque et les consuls; à quoi font allusion les mots de l'article 17, relatifs à l'hommage des consuls : ceux-ci devaient reconnaître tenir du seigneur et de son église métropolitaine, avec le consulat :

«  Medietatem nemoris communis [la Bécède], et dictae bassae justiciae usque ad sexaginta solidos, et aliarum rerum predictarum... »

Il y avait une autre ressource fiscale dont nous n'avons pas encore parlé, et dont les produits se partageaient par moitié entre le seigneur et les consuls : c'est le jus coti.

L'article 19 de la transaction du 10 février 1470 dit à son propos :

« Quod dicti bajulus et consules ordinabunt de jure coti, et dominus medietatem emolumentorum coti.... recipiet et consules aliam medietatem...

En quoi consistait le jus coti dont il est question dans notre article ?

 

 

Ce droit est connu de toute ancienneté à Belvès ; son fonctionnement avait donné lieu à des difficultés, dont nous ignorons l'objet, entre l'archevêque et les consuls[267] ; la transaction de 1470, en le mentionnant, n'en a pas exactement précisé les caractères ; mais en rapprochant notre disposition des règles suivies dans d'autres parties des domaines de l'archevêque[268], des articles 98, 99, 100, 101, et 102 de, la Coutume de Bergerac[269] et des textes et autorités cités par Ducange, au mot Cotus, on peut affirmer que par jus coti il faut entendre les règlements relatifs aux dommages faits aux champs par les animaux et, par extension, la réglementation du droit de pacage, réservé aux habitants de la châtellenie par l'article 24 de la transaction, comme aussi la réglementation des droits sur la Bécède.

Au cas de contraventions à ces règlements, les amendes perçues à l'occasion du jus coti étaient partagées par égale portion entre le seigneur et les consuls.

Les contraventions étaient constatées au moyen de procès-verbaux, que dressaient les gardes champêtres et les gardes de la forêt ; et la répression en était poursuivie devant le tribunal municipal, bayle et consuls.

Si, par application de ces règlements et à suite de dommage, des animaux venaient à être saisis, leur mise en fourrière donnait lieu à un droit particulier au profit du seigneur[270] (2).

Les animaux, pris en dommage et placés en fourrière dans les granges ou étables du seigneur, s'ils ne sont réclamés qu'après 24 heures, donneront lieu contre leurs propriétaires à une amende de cinq sous de monnaie courante.

S'ils sont réclamés avant l'expiration des vingt-quatre heures de leur prise, quels qu'en soient les qualité, quantité ou valeur, n'y aurait-il qu'un seul animal, le délinquant paiera au seigneur une amende de douze deniers.

Les amendes, conséquences de la mise en fourrière, ne se confondaient pas avec les amendes pour dommage ; les premières paraissent former une ressource spéciale et particulière au seigneur archevêque. Au contraire, les amendes encourues à l'occasion des dommages, et formant le jus coti proprement dit, se partageaient par égales portions entre le bayle et les consuls.

2° Ressources particulières des consuls

En outre de la part leur revenant dans les ressources communes qu'ils partageaient avec le seigneur, les consuls avaient des ressources particulières dont profitait exclusivement la caisse municipale et sur lesquelles nous avons à insister.

a) Tailles et collectes.

La première ressource consiste dans les tailles et collectes que les consuls pouvaient imposer sur les habitants de la ville, du consulat ou de la châtellenie, suivant les règles fixées par l'article 14 de la transaction du 10 février 1470[271].

Au cas de nécessité urgente seulement, les consuls pouvaient imposer les tailles ou collectes.

Si ces tailles ne devaient atteindre que les habitants du castrum de la ville ou du consulat et que leur produit ne fût pas supérieur à 30 livres, les consuls les établissaient, à la seule condition d'avoir donné avis de leur réunion au bayle du seigneur; celui-ci ne faisait qu'assister à l'assemblée, sans avoir à fournir son consentement ; il jouait le rôle de conseil auprès des consuls, qui restaient les maîtres de prendre telle décision qui leur paraissait convenable.

Si, dans le cas précédent, la somme à retirer des tailles ou collectes était supérieure à trente livres, l'affaire prenait une importance grave, et on entourait de garanties la solution à intervenir : il fallait alors le consentement du seigneur ou de son procurateur, l'approbation donnée à la mesure parles habitants du district et le consentement formel du représentant du seigneur. Ce n'est qu'au cas où toutes ces conditions étaient remplies, que la taille ou collecte pouvait être imposée.

Au cas d'événements intéressant la châtellenie tout entière, comme au cas de guerre générale, les consuls étaient les représentants légaux de la châtellenie et, probablement, en remplissant les conditions indiquées tout à l'heure, ils pouvaient frapper de tailles les habitants de la châtellenie et ceux qui y détenaient des immeubles même habitant hors la châtellenie.

Ces tailles ou collectes étaient imposées, suivant le droit commun de ces matières, à Belvès, sur les immeubles bâtis et la valeur commerciale, et dans le district consulaire et la châtellenie, sur les immeubles possédés : la somme à lever était répartie sur tous les redevables, eu égard à l'importance des choses imposées au sou la livre suivant la règle acceptée partout[272].

b) LE SOUQUET.

La caisse communale avait la jouissance exclusive d'un impôt sur le vin qui portait le nom de souquet[273] .

L'article 30 de la transaction du 10 février 1470 réglemente cet impôt[274].

Cet impôt fonctionnait à Belvès depuis fort longtemps « antiquitus » ; en quoi consistait exactement cet impôt du souquet ? il n'est pas facile de le dire.

Un impôt de ce nom a existé dans plusieurs villes au moyen âge ; en certains lieux, le souquet :

Etait la défense de vendre le vin pendant un certain temps [trois jours par semaine, par exemple] pendant lequel temps le vin était vendu par l'intermédiaire des consuls, qui prélevaient un droit sur le vin vendu[275].

D'autre part, suivant les lettres de Charles VIdu 17 octobre 1392[276], le souquet serait :

Une certaine charge appelée communément le Soquet; en sorte que la mesure du vin est diminuée d'une certaine quantité, et que le profit de la diminution ou du Soquet est converti, partie pour l'usage de la ville de Toulouse, partie pour l'utilité du roi[277].

Si d'après ces passages le souquet est toujours un impôt sur le vin, suivant les localités, cet impôt présentait un caractère tout à fait différent[278].

Etait-ce avec l'un ou l'autre de ces caractères qu'il fonctionnait à Belvès ? Il est impossible de le dire. Cependant des termes de l'article 30, .suivant lesquels l'impôt devait atteindre tous ceux, vis-à-vis desquels il y aurait utilité et nécessité à le faire fonctionner, il en résulte que cet impôt devait probablement frapper les débitants de vin et les marchands en gros[279].

Quoi qu'il en soit, c'était un impôt purement municipal ; son produit était exclusivement affecté à la ville de Belvès ; il était imposé, à titre exceptionnel, par le collège des consuls et bayle, et le receveur devait fournir, à son occasion, un compte spécial et particulier aux bayle et consuls. .. Ce point paraît avoir été modifié dans la suite : car dans le compte des revenus de Belvès, de Guaray de Montrigaud (cité plus bas), le droit du vin vendu en détail figure parmi les droits communs à l'archevêque et aux consuls.

3° Ressources propres au seigneur.

L'archevêque de Bordeaux tirait de Belvès de multiples ressources. En premier lieu, l'archevêque avait la moitié du produit de tous les droits qu'il partageait avec les consuls ; nous les avons étudiés plus haut, il n'est pas nécessaire d'y revenir[280]. Rappelons seulement à leur propos, que l'archevêque disposait, suivant sa volonté, des ressources mises ainsi à sa disposition.

En second lieu l'archevêque percevait à Belvès de nombreux droits et redevances, qui lui appartenaient pour le tout et exclusivement, et dont voici la nomenclature :

a) Les taxes à suite de la décharge du guet (art. 20, transaction du 10 fév. 1470). (Voir plus haut, page    ).

b) Les amendes à suite des mises eu fourrière des animaux.

c) Les droits résultant de sa senhoria, et de sa justice : c'est-à-dire les redevances et droits à payer par les vassaux, à titre d'hommage, de cens ou rentes. Les produits de la haute justice dans le district consulaire de Belvès ; et, dans la châtellenie, hors le consulat, les droits de haute, moyenne et basse justice.

d) Enfin, parmi les ressources particulières à l'archevêque de Bordeaux, seigneur de Belvès, se place un impôt de capitition perçu sur les chefs de famille, et sur les animaux leur appartenant, et connu sous le nom de commun de la paix ou droit de commun.

Pour Belvès, il est fait allusion à cet impôt :

1° Dans l'article 24 de la transaction de 1470 organisant le consulat, où, à propos du droit de pacage reconnu aux habitants de la châtellenie sur les biens vacants appartenant à l'archevêque, on ajoute que ce droit n'appartiendra qu'à ceux qui payent le commun « et hoc sibi solventibus commune de se et eorum animalibus ».

Ce texte prouve donc la perception du droit de commun dans l'étendue de la châtellenie, et fixe la nature de la redevance perçue sur les chefs de famille et sur leurs animaux.

2° Dans l'article 31 des Coutumes de Belvès, dans lequel il est dit que tout homme étranger, qui viendra se fixera Belvés devra s'entendre avec le seigneur pour les XII deniers de capitation.

Totz hom estranhs de fora la honor que sia vengut ni venga estagiers a Belver, parle ab lo Sor Carnal ab xii deniers per son cors.

Texte important, qui s'applique évidemment à l'impôt de capitation perçu au profit du seigneur, et qui, par le rapprochement avec les documents relatifs à Cabans, petite localité de la sénéchaussée de Bigarroque voisine de Belvès et autres seigneuries, s'élevait à 12 deniers, par chef de famille et 12 deniers pour le bétail[281].

L'impôt connu sous le nom de commun se rattache par son origine aux institutions destinées à assurer la trêve de Dieu et la paix entre les hommes ; il se répandit et devint un impôt presque général et fut perçu en Albigeois, en Rouergue, en Quercy et en Périgord.

Si l'impôt était général, il ne fut pas perçu de la même manière dans toutes les seigneuries ; il faut voir en lui, comme caractère général, la compensation pour le seigneur des charges que lui imposent la sûreté, la défense et le maintien du bon ordre dans la seigneurie.

L'origine de cet impôt pour le Midi offre un grand intérêt historique.

Au onzième siècle, les guerres privées, les violences féodales prirent de telles proportions que toutes les classes de la société, l'Eglise, le peuple et la noblesse, se réunirent pour établir la paix et la trêve de Dieu. Les perturbateurs de la paix publique furent désignés à la vindicte publique ; dans le Midi, le maintien de l'ordre fut assuré d'une manière efficace par l'institution de paissiers ou pacificateurs, sortes de gendarmerie, toujours prête à marcher, à la réquisition de l'évêque, contre les perturbateurs. Les paissiers étaient pris dans le sein de la noblesse ; ils étaient payés avec le produit d'un impôt spécial nommé commun de paix ou pezade. [282]

Cette institution avait fonctionné à Belvès ; Philiparie paraît y faire allusion dans son historique de la cité ; elle s'était développée dans tout le Périgord, où fut établi, d'une manière générale, le commun de la paix à titre de redevance[283].

Au XIIIe siècle, saint Louis, voulant s'éclairer sur les droits et les revenus de la Guienne, dont, après la bataille de Taillebourg (1242), il venait de prendre possession, sollicita le clergé de Périgueux et la communauté du Puy St-Front [Périgueux] de l'édifier sur la perception du droit du commun de la paix ; par lettres du 25 des kalendes de février [18 janvier] 1243, ceux-ci répondirent que la perception du commun de la paix était légitime...

Nous avons reconnu devoir déclarer à votre sérénité, par le témoignage des présentes lettres, en parole de vérité, que d'ancienneté, pour conserver la paix dans le diocèse de Périgueux, le commun y est dû, et que le commun fut levé dans le susdit diocèse, par les rois Henri [Henri II d'Angleterre] Richard [Cœur de lion] Jean sans terre] et beaucoup d'autres et tout récemment par Louis VIII votre père d'illustre mémoire, après la prise de la Rochelle et pendant deux années consécutives par les mains du comte de La Marche son sénéchal dans notre diocèse....[284]

Les rois tant de France que d'Angleterre le perçurent pour leur compte ; souvent ils en aliénèrent la perception aux personnes ou communautés qu'ils voulaient favoriser ou récompenser ; d'autres fois, ils en firent remise pure et simple[285].

Pour Belvès, l'archevêque de Bordeaux, seigneur temporel du lieu, et les seigneurs, ses vassaux, étaient en possession de percevoir cet impôt aux XIVe et XVe siècles, sans que nous sachions de qui ils tenaient ce droit[286].

Un cartulaire de 1462, contenant les hommages et reconnaissances en faveur du seigneur archevêque, nous fournit des documents qui nous permettent de fixer, pour Belvès, les règles de sa perception.

En premier lieu, d'après nos documents, le commun de la paix ne frappait pas les nobles, mais seulement les roturiers et manants[287] :

Raymond La Renye, laboureur demourant à Belver (après avoir fait le dénombrement de ses biens) « il ne paie pas le commun à nul, car il a couronne »[288].

Lo XIe jeur del mes de haust l'an m. IIII lx II, (1462) Arnaud La Basta, donsel, demorant à Belver, déclara per son sagramen quel tenia en la castellania de Belver, appartenent à Monseignor l'Arcevesque de Bordeux so que se en sa et ditz quel ne paga point de commun perque et es noble et ses predecessors n'ont pagarent jamayt[289].

Arnault de Gabalz, bourgeois et habitant de la ville de Belver, comparant personnellement pour déclarer ce qu'il tient dans la juridiction de mon dit seigneur l'arcevesque, lequel a déclaré tenir ce qui s'en suit …..  dit qu'il est clerc et bourgeois de la ville et est noble et ainsi n'est homme de nul et n'a pour accoustumé de payer le commun ne ses predecessors[290] (4).

De même, le commun de la paix ne paraît pas atteindre les hommes indépendants de tout lien seigneurial :

Poncet Espanel, laboureur, demeurant à Belver ….. et dit qu'il n'est homme de negun et quel ne los seous no pageron jamas le commun annuellement, dit que luy, son gendre, le père de sa molher, ung bœuf, une vacque, ung porc …. [291]

Mais dès qu'une personne libre se plaçait sous la dépendance d'un seigneur, et devenait son homme, ou s'affranchissait des liens d'un seigneur pour se placer sous la protection d'un autre, le commun était dû au seigneur, dont le tenancier devenait l'homme.

Les trois déclarations suivantes, empruntées au cartulaire de 1462, démontrent ces propositions :

Pierre Barrau (déclaration du 17 août), laboureur, paroisse de Montplaisant, après la déclaration de ses biens,

Dit qu'il est homme de Palayrac et luy paie le commun, et dit que luy, estant audit lieu, par avant qu'il fust marié, il n'avait rien, mais que de Palayrac lui deist que s'il vouloit estre son homme, qu'il le soutiendroit contre tous, et dès lors fut son homme[292] .

Die quarta mensis julii, anno Domini mil(lesimo) iiii lxii, Aymart Roset, habitant de la parrofia de Larsat, comparegut personalement, que el declara per son sagrament que el te en la castellania de Belver, appartenenta a mosseignor l'arcevesque de Bordeus, so que s'en set :           …. dit qu'il est tout seul ung paire de bœufs et un bœuf qui ne laboure point, plus a une vache et 3 porcs et est homme de Palayrac, deffendu qu'il ne paie rien sur peine de le recevoir sur luy et de l'amende. Aujourd'hui xxi jour d'aoust 1462, ledit Aymeric s'est fait homme de monseigneur et a promis payer à luy le commun[293].

Raymond Phelipe, laboureur.... et après s'est fait homme de monseigneur[294] .

Parmi ceux qui viennent faire le dénombrement de leurs tenures aux officiers de l'archevêque, nous trouvons mentionnés plusieurs tenanciers relevant d'un autre seigneur que l'archevêque, et leur payant le commun.

I. Payent le commun à Pierre de Bostredon :

Pasqual de la Flaquière, laboureur... « dit qu'il est homme de Pierre de Bostredon[295]. »

Pierre de Marsilhat, demeurant à Belver, « dit qu'il est homme de Bostredon et luy paie le commun[296] ».

II. Payent le commun à Pierre de Paleyrac :

Peyre Delvinhac, dit Petro, habitant de Belver... « et dit quel es home coustumar deld. Peyre de Paleyrac et paga et ha acostumat de pagar lo comu [297]; »

Guillem Delugac, laboureur, demourant à Belver... et dit qu'il est hom de Paleyrac et lui paie le commun[298]. »

Guillaume Belaugier, laboureur,.... « dit qu'il paye le commun à Pierre de Paleyrac et (a) deux hommes, deux boeufs, un porc.. »[299].

Estienne Brun, laboureur, demeurant au dit lieu de Belver... «  dit est homme de Paleyrac et n'a que luy, deux bœufs, etc....»[300].

Jehan Ayrault, laboureur.... « item dit qu'il paye le commun à Pierre de Paleyrac, etc. »[301].

Martin Vilatte, demourant à Montplaisant... «  et dit payer le commun à Pierre de Paleyrac»[302].

III. — Payent le commun à Monseigneur l'archevêque :

Bernard et Girard de la Barde, laboureurs, demourant à Belver... « et est homme de Monseigneur et lui paye le commun. »[303].

Pierre Fauvel le Cordouand, demourant audit lieu de Belver... « dit qu'il est homme de Monseigneur l'arcevesque et luy paie le commun ». [304].

IV. — Payent le commun au seigneur de Serval :

Helyes de Lapares, laboureur, demourant à Belver ... dit qu'il est homme du seigneur de Serval et luy paie le commun. »[305].

Etienne Martin de Carves, «  dit qu'il est homme de Serval et luy paie le commun. »[306].

V. — Au seigneur de Campaignac :

Jehan Lacrose, laboureur, demourant à Belver... « dit qu'il est homme de Campaignac et luy paie le commun. »[307].

VI. — A la dame de la Bourrelie.

Guillaume Vierge, fustier, demourant en la paroisse d'Orval... « dit qu'il est homme de la dame de la Bourelie et luy paie le commun. »[308].

VII. —Au couvent de Cadouin :

Estienne Guitart, laboureur, demourant au dit lieu de Belver... a dit qu'il est homme de Gadount et luy paie le commun — que les » lui ont donné. »[309].

Le commun de la paix est ainsi devenu un impôt seigneurial que tout seigneur perçoit dans sa seigneurie.

Cette redevance fut-elle perçue pendant une longue période de temps ? Cela ne parait pas probable.

Ce fut une règle presque invariable pour la royauté de pousser à sa suppression, ou d'en faire remise[310].

Nous pouvons induire de documents déposés aux Archives de la Gironde[311] qu'à Belvès le droit de commun dût rapidement disparaître ou être atténué, comme cela se produisit à Bigarroque et dans les autres possessions de l'archevèque[312].

Les officiers royaux paraissent s'être opposés à sa perception, au prétexte qu'il faisait double emploi avec la taille royale. Ce motif devait entraîner sa suppression, partout ou les impôts royaux seraient organisés.

Pendant les temps troublés, le commun de la paix avait sa raison d'être, il devait disparaître avec les progrès de la paix et de l'autorité royale[313] au préjudice des droits des seigneurs.

Telles furent les impositions seigneuriales ou municipales qui pesèrent sur le consulat de Belvès ; il eût été intéressant de recherchera quelles sommes elles pouvaient s'élever. Malheureusement les documents   font défaut pour ces recherches.

Nous ne pouvons pas davantage apprécier exactement le montant des droits pécuniaires seigneuriaux qui pesaient sur Belvès et son territoire[314]. Nous pouvons dire seulement que ces droits n'ont jamais été très élevés et que la situation des populations belvesoises a été très tolérable pendant le régime seigneurial, grâce aux immunités résultant du consulat.

Ces impositions se modifièrent dans quelques-uns de leurs éléments ; ainsi, le commun de la paix ne fut plus perçu à Belvès à partir du xve siècle ; mais, en général, elles subsistèrent, avec quelques changements peu importants, jusqu'à la Révolution[315].

(A suivre.)        

A. Vigié

pp. 400-439

HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS

(Suite).

CHAPITRE II.

Section II. — Modifications apportées au fonctionnement du consulat.

Nous avons esquissé le fonctionnement du consulat à Belvès, pendant le moyen âge : les choses restèrent dans le même état jusqu'aux temps modernes ; ainsi, sauf quelques changements dus à des circonstances particulières et sauf certaines modifications de peu d'importance, fut maintenu intact l'état créé par la transaction avec Arthus de Montauban (10 février 1470).

a) Modifications anciennes.

Faisons connaître quelques-unes de ces modifications :

Les Anglais, pour soutenir la guerre contre la France, avaient voulu faire de Belvès une de leurs principales villes fortes, et, tout en respectant le consulat et les privilèges, et la seigneurie de l'archevêque de Bordeaux, ils avaient établi dans la cité un capitaine, à la tête de plusieurs compagnies ; ce capitaine, commandant de place était le véritable chef et devait faire subordonner la direction de la ville aux intérêts de son souverain.

Lorsqu'eu 1442, la ville de Belvès devint définitivement française, les commissaires du roi de France, tout en confirmant les privilèges de la cité (art. 4 du traité) et les droits qui appartenaient, à titre de seigneur, à l'archevêque de Bordeaux (art. 5), prirent, dans l'intérêt du roi de France, certaines mesures, qui modifièrent en quelques points la situation faite à l'archevêque et aux consuls parla transaction avec Arthus de Montauban.

Ainsi, après avoir proclamé et reconnu les droits de l'archevêque, comme seigneur de Belvès, ils ajoutaient que si l'archevêque peut y mettre officiers «....de par lui pour exercer la dite justice et la recette ceux-ci devaient être de l'obéissance du roy notre souverain sire et non suspects à nous et à notre parti » (art. 5 in fine). On prenait ainsi des précautions, à l’encontre de l'archevêque de Bordeaux, que l'on considérait comme le représentant de l'influence anglaise, tant que les Anglais restaient les maîtres de Bordeaux.

Par des considérations de même ordre s'explique la disposition de l'article 6, suivant lequel, pour entrer dans la ville, l'archevêque de Bordeaux ou son représentant, quoique seigneur du lieu, ne le pourrait que par le congé et licence du capitaine français, commandant de la place, et cela, « tant que le dit archevêque tiendra le parti des dicts ennemis, avec son état simplement ». (Art. 6.)

Enfin pour la continuation de la lutte contre les Anglais, Belvès, place forte de grande importance, devenait un des points d'appui pour les Français dans leur marche en avant, et ceux-ci, pour s'en assurer la possession, à l'image de ce que les Anglais avaient fait eux-mêmes, y établirent un capitaine français leur représentant, duquel relevait tout ce qui touchait à la défense de la cité.

Item est dit et accordé entre nous et les dicts consuls et habitants de ladite ville et chastel que nous mettrons capitaine de par nous à la garde et gouvernement d'eux et de la dite ville et chastel, tel qu'il nous plaira, lequel capitaine ne leur faira tort ni force,  en corps ni en biens, mais les gardera et deffendra de tout mal et oppression en son pouvoir, et fairont service les uns aux autres, comme il est accoustumé de faire le temps passé[316].

Le maintien d'un chef de la force publique, en dehors du seigneur et des consuls et relevant exclusivement d'une autorité étrangère, constituait une diminution des privilèges de la cité ; l'existence d'un tel chef pouvait s'expliquer par la nécessité de la défense pendant la guerre avec les Anglais, comme nous le retrouverons pendant les guerres de religion ; mais ces circonstances exceptionnelles passées, comment aurait on pu méconnaître à ce point les privilèges solennellement reconnus à la cité ?

Aussi peut-on supposer, d'après un passage de Philipparie[317], que vers 1455 le capitaine, représentant du roi de France, disparut, et la cité resta régie suivant sa charte fondamentale, telle que les consuls et Arthus de Montauban l'avaient établie.

Les consuls et le bayle se partagèrent les pouvoirs, comme nous l'avons expliqué plus haut.

Mais si l'organisation resta en principe la même, il n'en est pas moins certain, que les deux pouvoirs en présence, dans plusieurs circonstances, cherchèrent chacun à augmenter ses prérogatives et à diminuer la situation de l'autre : il nous reste à faire l'histoire de ces tentatives multiples, qui, probablement, agitèrent profondément notre cité, et perdent, à nos yeux, une partie de l'importance qu'elles durent avoir pour les contemporains.

Vers 1612, le seigneur archevêque de Bordeaux, l'illustrissime et révérendissime cardinal de Sourdis, primat d'Aquitaine, conféra, à titre de fief nouveau et nouvelle inféodation, à M. Guillaume Bonfilh, bachelier ès droits, juge ordinaire de la ville et juridiction de Belvès et seigneur de la Moissie, une maison de l'ancien domaine l'archevêché.

Laquelle maison tant à cause des guerres que pour le longtemps qu'il y a qu'elle n'a esté habitée, est maintenant inhabitable et en tel estat qu'elle menace ruyne [318].

Cette maison parfaitement indiquée dans l'acte de concession est celle qui a appartenu dans la suite à MM. de Commarque, à Préat et Jaubert et actuellement à Barde et Jaubert.

A côté de cette maison était une tour des fortifications de la ville dont le soubassement forme aujourd'hui les côtés du magasin Barde.

Laquelle tour ne sera comprize au présent bailh, ains a esté par exprès accordé que le dit Bonfllh fera faire à ses propres coûts et dépens ung degré de pierre convenable pour la montée et descente de la dite tour et d'avantage la faira à ses dépens réparer, boizer et rendre entièrement habitable pour le logement du capitaine de la dite ville qui y sera pourveu par le dit seigneur.

D'autres obligations assez onéreuses étaient encore mises à la charge du sieur Bonfilh, que nous pouvons laisser de côté[319].

L’archevêque, par un acte postérieur, que nous ne connaissons pas, pourvut de la fonction de capitaine de la ville, le dit Bonfilh, en lui concédant la dite tour. L'archevêque lui attribuait des droits importants, porter des armes à feu, etc.

Aucune tentative aussi grave n'avait été encore dirigée contre les privilèges des consuls : c'était la main mise sur leur indépendance, la violation de la situation que leur faisait, en face du seigneur, la transaction d'Arthus de Montauban ; celle-ci plaçait presque sur la même ligne comme autorités, les consuls et le seigneur. Si la nomination du capitaine était maintenue, les pouvoirs du seigneur devenaient tout à fait prépondérants.

Aussi l'émotion fut-elle vive : le consulat dut se faire autoriser, conformément à l'article 29 de la transaction de 1470 à agir contre l'acte attentatoire à ses libertés « omnibus viis et modiis juris ». Le détail de l'affaire ne nous est pas connu ; mais l'arrêt du Parlement de Toulouse[320] du 3 juillet 1614, qui donna gain de cause aux consuls est venu jusqu'à nous. Voici les extraits importants :

Sans avoir esgard à icelles lettres royaux accordées au dit Bonfilh ni à la réception et installation du dit Bonfilh et à tout ce qui s'en est suivi, a fait et fait inhibitions et défenses au dit sieur Bonfilh de s'intituler capitaine et gouverneur du dit château, ville et juridiction de Belvès, ni s'ingérer en la dite charge, troubler ny empescher les susdits consuls en la garde du château, tours et murailles de la dite ville et château, et autres facultés à lui acquises par la dite transaction et lui a fait aussi inhibitions et deffenses de porter armes à feu, sous les peines portées par les édits  [321].

Ainsi, par cette décision de justice, les consuls voyaient leurs droits et privilèges respectés, ils conservaient les avantages de toute nature que leur avait donnés la transaction du 10 février 1470.

Un autre débat en sens inverse paraît avoir profondément agité la cité de Belvès. Il donna lieu à une assignation au Grand Conseil, à la date du 30 mai 1645, à la requête de Mgr l'archevêque de Bordeaux, contre les consuls et jurats de Belvès. Nous ne savons pas quelle fut la solution.

Mais un mémoire, relatif à l'assignation, conservé aux Archives de la Gironde[322] nous permet de nous rendre compte du débat soulevé.

Rappelons que, par suite de l'établissement du consulat, la haute justice appartenait exclusivement à l'archevêque de Bordeaux ; la basse justice jusqu'à concurrence de soixante sous, [et, même suivant la transaction de 1530 pour les délits commis dans la forêt de la Bécéde, jusqu'à plus forte somme,] était exercée par le collège des consuls et du bayle.

Or, il paraît qu'à la suite des guerres civiles « qui portèrent jadis grand trouble et grand désordre dans ce royaume» et des vacances nombreuses qui se produisirent pour le siège archiépiscopal,

Les consuls de Belvès s'attribuèrent la connaissance en seuls de la basse justice, à cause qu'il n'y avait pas d'officier pour le seigneur.

Cette usurpation de toute la dite basse justice du consulat fut si douce aux dits consuls que du depuis toutefois et quantes que les seigneurs archevêques de Bordeaux ont pourveu à quelqu'un du dit office de baillif, les dits consuls ont toujours tâché d'empescher qu'il en jouit[323]          .

Et l'auteur du mémoire rapporte que lorsque messire Antoine de Prévôt de Sansac, archevêque de Bordeaux, eut pourvu de l'office de baillif Me Guillaume Roumegoux, «à présent lieutenant de juge à Belvès (1645) » les dits consuls empêchèrent qu'il n'en fit la fonction par des menaces qu'ils lui firent de faire soulever le peuple contre lui.

Qu'en 1627, Mgr l'illustrissime cardinal de Sourdis, en ayant pourvu Me Pierre Bardes, les consuls firent opposition à sa réception, et, sur l'insistance de l'archevêque, en vue de sa réception,

Les dits consuls députèrent à l'archevêque un des principaux habitants de Belvès pour le supplier de ne trouver pas mauvais qu'ils se fussent opposés à la réception dudit Bardes, luy protestant que s'il y mettait un catholique, ils les reconnaîtraient audit office de baillif : ce que mondit seigneur le cardinal leur promit de faire.

Le cardinal de Sourdis mourut, sans avoir fait une nouvelle nomination.

Son successeur, sachant qu'il avait le droit de commettre un officier à l'exercice de la basse justice du dit consulat, pour l'exercer conjointement avec les dits consuls, nomma aux fonctions de baillif Me Pierre de La Porte, avocat en la Cour et Parlement de Bordeaux, le 5 février 1645 ;

Lequel Laporte, quelques jours après, se fit recevoir au dit office par le lieutenant de juge et fit enregistrer les lettres de sa provision au registre du greffe de la Cour du dit Belvez.

Mais, au premier acte de police que voulut faire le dit Laporte, il y eut opposition de la part des consuls et jurats, et l'assignation au Grand Conseil fut donnée le 30 mai 1645, contre les consuls et jurats pour faire respecter la nomination de baillif faite par l'archevêque.

Le mémoire analyse les arguments présentés par les parties en présence ; nous ne savons, ni s'il intervint sur le procès une décision, ni quelle fut cette décision.

Mais l'analyse des moyens présentés doit motiver quelques observations de notre part.

Du chef de l'archevêque, on prétendait que la transaction du 10 février 1470 avait été violée en deux points essentiels : le premier, en ce que la communauté de Belvès nommait, outre les quatre consuls, deux syndics,et que cela ne pouvait être qu'à la suite d'une usurpation; le second, en ce que chaque année, il était nommé huit jurats : quatre pris dans la ville, et quatre dans les paroisses du consulat, un par paroisse, et que ces jurats formaient le conseil des dits consuls. Que par là l'assemblée du peuple n'était plus réunie, et que la transaction du 10 février 1470 se trouvait violée, dans son esprit et dans sa lettre.

Or, il faut reconnaître qu'à ces points de vue les prétentions de l'archevêque n'étaient pas fondées : quant aux syndics, la communauté avait de toute antiquité procédé à leur nomination ; et, malgré la perte de nos archives municipales, il nous est possible de faire connaître les syndics des années 1494, 1525, 1549, 1550, 1559, 1571, 1600. Et ces nominations étaient possibles suivant les dispositions formelles de la transaction de 1470.

Quant aux jurats, ils avaient remplacé l'assemblée des habitants ; mais ce point avait été accordé formellement par la transaction de 1530.

Restait donc comme point en litige, l'existence de la baylie. L'archevêque avait négligé de procéder à la nomination de cet officier, et cela depuis longues années, soit par abandon de ses droits, soit à la suite de la vacance de l'archevêché.

La communauté de Belvès avait exercé, par ses consuls, la basse justice, sans intervention du bayle ; n'était-elle pas fondée à soutenir que sa longue possession avait modifié l'organisation du consulat?

Il était peut-être difficile de voir là une possession suffisante pour prescrire à rencontre de l'archevêque, et la prétention des consuls devait être rejetée : elle le fut probablement, car dans la suite nous voyons que le bailly fut à nouveau nommé, et en 1727, par transaction avec les consuls, on fixe les conditions dans lesquelles la nomination devra être faite.

b) Conflit entre les autorités.

Ainsi devaient vivre dans une même localité des officiers de tous ordres, dont les fonctions n'étaient pas toujours bien délimitées; d'un côté, les représentants de l'archevêque, les juge et lieutenant de juge, chargés d'assurer le service de la justice, le procureur d'office, représentant de l'archevêque, avec le bayle, et, en face d'eux, les consuls et syndics de la ville, jaloux de leur indépendance, cherchant à maintenir intacts, à augmenter même, les droits reconnus à la cité par la transaction de 1470 et les transactions postérieures. Au-dessus d'eux, l'archevêque de Bordeaux, seigneur du lieu, qui ne s'occupait que très peu d'une possession de petite importance pour lui, et l'Intendant de la province, dont le pouvoir ne se fit sentir sur les municipalités, que quand le pouvoir central fut fortement organisé.

Aussi ne faut-il pas s'étonner que des conflits graves, des rivalités se soient élevés entre ces divers magistrats.

Un conflit d'une très grande gravité eut lieu entre le procureur d'office Pierre Rousset et Guillaume Roumegoux, juge de la juridiction. Ce dernier fut violemment injurié; l'affaire fut successivement portée au Sénéchal de Périgueux et au Parlement de Bordeaux.

Voici l'arrêt du Parlement, tel qu'il nous a été conservé par un inventaire dressé à la mort de M. Garray de Montrigaut[324].

« Le second est un arrêt en forme du Parlement de cette ville de l'an 1567, portant que sur l'appel interjeté du procureur général du roy, il avait été mal jugé par le Sénéchal de Perrigor et desamendant aurait ordonné M. Pierre Rousset, procureur d'office de la juridiction de Belver, faire esmende honorable, au parquet et auditoire de ladite juridiction, à jour de séance de plaid, estant à genoux, teste nue, illec demander pardon à Dieu, au roy, à justice, à M. Guillaume Roumegoux, juge de la juridiction, déclaré que témérairement il aurait proféré les paroles injurieuses contre le caractère du juge; l'aurait privé de l'exercice de sa charge, condamné à 10 livres d'amende envers le roy, pareille somme envers le dit seigneur archevêque et aux dépends. »

Les rivalités entre ces divers fonctionnaires aboutissaient à des questions de préséance de nature à troubler toutes les solennités publiques où ils se rencontraient.

Ainsi Pierre Thourenc, procureur d'office de la ville et juridiction de Belvès, et représentant en cette qualité l'archevêque de Bordeaux, se plaignait d'aveir été troublé dans l'exercice de ses prérogatives par J. B. Boyer et Jean Alary, consuls, ou se disant tels : ces derniers, le jour de la Fête-Dieu, avaient empêché Thourenc de prendre à la suite du poêle sa place accoutumée ; ce dernier, devant la violence faite, s'était retiré et avait porté plainte devant le juge de Belvès.

Thourenc, en qualité de procureur d'office, prétendait que Boyer et Alary, nommés consuls, ne pouvaient pas en exercer les fonctions, car au lieu de prêter serment devant le juge, ils l'avaient prêté entre les mains du curé.

Le sieur Mourlane, consul de la ville, le 15e jour d'août, le jour de Notre-Dame, à la procession qui se faisait à Belvès pour le vœu du Roi, fut troublé dans l'exercice de ses prérogatives et assigna Palisse, juge, au Parlement.

Ces rivalités entre fonctionnaires d'une même cité, peuvent faire sourire ; mais ne sont-elles pas en rapport avec la nature des choses et ne les voit-on pas se produire aujourd'hui, malgré la forte hiérarchie, imposée aux fonctionnaires, et les règles du décret de messidor?

Quoi qu'il en soit, ces difficultés se renouvelant trop souvent et portant atteinte au prestige des fonctionnaires[325], on réglementa les préséances entre fonctionnaires dans la transaction intervenue en 1727 entre les consuls de Belvès et l'illustrissime et révérendissime François-Elie d'Argenson, archevêque de Bordeaux[326].

D'après l'article 6 de cette transaction, au cas de processions, offrandes, adoration de la Croix, les préséances sont ainsi réglées : le juge et son lieutenant partiront de leur banc en même temps que les consuls partiront du leur, et, si les consuls nobles y assistent, le juge cédera le pas au 1er consul noble et le juge viendra ensuite à la cérémonie, et le second consul noble y viendra ensuite et le baillif du seigneur après, ensuite le premier consul bourgeois, ensuite le lieutenant du juge, ensuite le 2e consul bourgeois et le procureur d'office, etc.

Un autre débat, autrement important, s'éleva entre les consuls et l'archevêque de Bordeaux : il tenait au régime fiscal sous lequel vivait Belvès ; les consuls cherchaient à s'approprier en entier des ressources spéciales, dont l'archevêque prétendait avoir sa part.

Ce débat ne tendait à rien moins qu'à maintenir ou à modifier la charte constitutive du consulat du 10 février 1470.

Nous savons en effet (voir l'exposé fait plus haut) que l'archevêque de Bordeaux avait admis au partage les consuls, pour les produits de la basse justice, les amendes encourues à l'occasion de la Bécède et de dommages aux champs. Or, depuis cette époque, des droits avaient été établis par les consuls, qui probablement n'existaient pas en 1470 ; dans tous les cas, leurs tarifs avaient été remaniés et à ces droits devait-on appliquer le principe du partage avec l'archevêque, fallait-il au contraire les attribuer entièrement à la caisse des consuls ?

Le débat est exposé et la solution est consignée dans un acte notarié du 16 juin 1571, devant Me Jacques Aderiet, notaire à Bordeaux[327].

Voici l'objet du débat :

Le dit seigneur archevêque disait avoir droit et être en possession, prendre et percevoir la moytié des amandes provenant des condamnations qui étaient données par son assesseur en la dite ville avec les consuls d'icelle, aussi la moytié des émoluments du greffe des dits consuls, et en outre le dit seigneur archevêque demandait la moytié des profits et revenus de la halle, des boucheries et poids de la ville, ensemble la moytié de la tour neuve près la porte de Malbec, devers la place,

A quoy, les dits consuls répondant, disaient, qu'ils étaient en possession immémoriale, connaître et décider avec l'assesseur du dit seigneur archevêque ou, en son absence, de tous les dommages donnés jusques à soixante sols et un denier d'amende et des causes de police, des quelles amendes et du greffe, le dit seigneur archevêque avait la moytié seulement, mais quant aux; autres droits par le dit seigneur préteudus, il n'en prenait rien...

Et les consuls demandaient à être autorisés à porter chaperons noirs et rouges ; ils suppliaient l'archevêque d'augmenter leur juridiction,

Pour reconnaître et condamner en plus grandes amandes, à cause que la malice des hommes croissait de jour en jour.

Dans ces conditions, pour éviter les frais et les ennuis de procès, les parties se sont accordées et ont transigé de la manière suivante :

La transaction a été consentie par l'archevêque de Bordeaux seigneur de Belvès, d'une part, et par Me Jean Roumegoux, consul, et Me Hélie Bonfilh, syndic de la ville,

Se faisant fort de l'autre consul et sindic, d'autre part.

Premièrement que les dits consuls conjointement avec le dit assesseur et le dit assesseur conjointement avec les dits consuls, et les uns en l'absence ou légitime empêchement des autres, pourront connaître entre les habitants de la dite ville et consulat d'icelle, dans lequel la forêt de la Becède est comprise, de tous procès et différents, à cause de tous dommages donnés, ensemble des causes de police, et condamner les délinquants et coupables jusque à l'amande de dix livres tournois, pour le paiement des quelles amandes et punitions des délinquants en la dite police, les dits consuls et assesseurs pourront user de capture et emprisonnement ès prisons toutesfois du dit seigneur archevêque. Au cas où la dite condamnation excéderait les dites dix livres, les assesseur et consuls seront tenus renvoyer les dits procès devant le juge ordinaire du dit seigneur en la dite ville, la moytié des dites amandes et des défauts et du greffe du dit assesseur et consuls appartiennent au dit seigneur archevêque et l'autre moytié aux dits consuls...

Cet article a le grand mérite de fixer nettement la compétence respective des tribunaux de la ville (assesseur et consuls) et des juridictions seigneuriales (juge ordinaire du seigneur.) Et eu étendant la basse justice jusqu'à dix livres d'amende de rendre plus simple la répression des contraventions commises dans le district consulaire ; de déterminer la part de l'archevêque et des consuls dans les produits en provenant.

Aussi le dit seigneur archevêque accorde que les dits consuls pourront porter chaperons, si bon leur semble, de drap noir et rouge.

Autorisation qui sera renouvelée en 1727.

Deuxièmement, a été accordé que les dits consuls auront la moitié des entrées de toutes les ferrières, de tous péages, qui sont ou seront dressés à l'avenir dans la dite jurisdiction, et aussi la moytié des entrées et aussi la moytié des leydes , tant des foires que marchés de la dite ville et consulat, aussi le dit seigneur archevêque aura la moytié des profits, revenus et émoluments de la halle, boucheries, poids, et moytié de la dite tour neuve près la porte de Malbec devers la place..., à la charge aussi que le dit seigneur archevêque contribuera pour une moytié aux réparations nécessaires des dites halles, boucheries et tour.

Par là les consuls et l'archevêque obtenaient satisfaction dans leurs demandes.

Les consuls obtenaient, ce que la transaction de 1470 ne leur avait pas reconnu, moitié des droits de toute nature qui frappaient les marchandises sous les noms de péages, ferrières, entrées, leydes, tant à l'entrée des marchandises que sur leur transport aux marchés et foires.

Nous n'avons pas trouvé pour Belvès de tarifs de ces droits ; mais on pourra examiner le tarif des péages pour Bigarroque[328] qui, sauf quelques changements tenant à la situation différente des localités, ne devait pas beaucoup différer du tarif de Belvès. Ces droits ou leudes avaient anciennement existé à Belvès, et un document en évalue le montant à neuf livres tournois[329].

L'archevêque voyait ses prétentions sur les produits de la halle, des boucheries, poids et tour neuve, ratifiés. La moitié des droits perçus lui appartiendra à l'avenir[330], comme lui appartenait la moitié des droits similaires perçus en vertu de la transaction du 10 février 1470. La solution ratifiée en 1571 était donc conforme à l'esprit de la charte consulaire, et puisque l'on reconnaissait à l'archevêque la moitié de ces droits, il était légitime de lui faire supporter la moitié des charges à eux relatives (réparations à la halle, etc.)

Enfin, en ce qui touche la forêt de la Bécède, les consuls se réservaient les privilèges qu'ils avaient autrefois au cas d'excès commis dans la forêt et sur les amendes[331].

Le rapprochement de la transaction et du compte de Guarray de Montrigaut et des baux à ferme (cités plus haut) nous permet de dire que le régime fiscal du consulat avait conservé ses caractères antérieurs et s'était très peu modifié.

En 1576, l'archevêque afferme la perception de droits tout-à-fait semblables à ceux que le moyen âge nous a montrés en vigueur :

Au profit du seigneur exclusivement, le revenu des rentes, lods et ventes et acaptes, le revenu des greffes civil et criminel, avec les amendes arbitraires et droits de justice, ce qui correspond aux anciens droits de seigneurie et de justice, réservés par le seigneur au moment de l'organisation du consulat;

En partage avec les consuls, les droits de basse justice, le greffe des consuls, plus le droit des boucheries, la laude ou pied fourchu[332] ;

Les mollines ou ferrières, ce qui correspondait à des droits sur les marchandises apportées en foire ou marché (transaction de 1571);

Le droit de vin vendu au détail (l'ancien souquet) ;

Le poids commun et le péage : droits anciennement perçus, à l'occasion des pesées à faire sur le marché, et des choses transportées pour vendre, ou enlevées comme venlues.

La situation fiscale était bonne; mais elle sera, comme nous le verrons dans la suite, singulièrement aggravée par les droits et impôts royaux qui viendront s'ajouter aux redevances seigneuriales et municipales.

c) Intervention du pouvoir central ; modifications apportées à l'organisation municipale jusqu'en 1789.

Les modifications au régime municipal de Belvès, signalées jusqu'ici, n'ont pas grande importance: et on peut affirmer que le régime, tel qu'il avait été organisé par la transaction du 10 février 1470, subsista avec son caractère distinctif pendant plus de deux siècles.

La monarchie allait lui faire subir de graves atteintes.

Protéger les municipalités, les soutenir, les développer, fut l'œuvre de la royauté, tant que dans ces procédés elle trouva un moyen de combattre le pouvoir seigneurial; mais une fois la féodalité abattue politiquement, la royauté ne put tolérer des corps qui détenaient, au mépris de ses droits, quelques parcelles de souveraineté. Beaumanoir avait très anciennement fait le procès des bonnes villes et demandé qu'on les tînt en tutelle.

Grant mestier est que on sequeure les villes de commune en aucun cas, aussi comme on ferait l'enfant qui est sous aagié.

Et lorsque les pouvoirs des intendants se furent affermis, toute liberté d'administration fut enlevée aux villes, on n'y put ni remuer une pierre, ni engager une dépense, quelque minime fut-elle, sans l'intervention et l'autorisation de l'intendant[333].

Au reste, les prétextes ne manquèrent pas à l'intervention des agents du pouvoir; les finances municipales présentaient la gestion la plus défectueuse; les comptables ne rendaient pas leurs comptes et les procès nombreux absorbaient les plus claires ressources des municipalités. Les luttes, quelquefois violentes, s'étaient élevées dans leur population. Aussi la monarchie n'hésita pas à aborder le problème de l'organisation  des municipalités ; son intervention se fit surtout sentir à un double point de vue, par des modifications au régime fiscal et à l'organisation municipale. Il ne saurait convenir, à propos de Belvès, d'étudier complètement ces deux sujets ; leur étude serait au dessus de nos forces; tout au moins nous sera-t-il permis d'en dire quelques mots, en les rattachant à des faits précis de l'histoire de notre cité.

d) Régime fiscal.

Pendant le moyen âge, les seigneurs possesseurs de fiefs avaient considéré comme leurs contribuables les hommes vivant sur leurs terres et dépendant de leur autorité. Les habitants des villes s'étaient habitués à s'imposer pour leurs dépenses communes ; le roi de France, dans les premiers siècles et jusqu'à Philippe-le-Bel, avait fait face aux charges de l'Etat, au moyen des ressources de son domaine, sur lequel il exerçait des droits et levait des contributions, comme le faisait tout seigneur dans sa seigneurie.

Mais bientôt les charges devenant plus lourdes, la guerre étrangère imposant des sacrilices considérables, il l'ut indispensable de créer des impôts royaux pour permettre au pouvoir de remplir sa tâche gouvernementale.

Nous n'avons à raconter, ni quels impôts furent créés, ni les circonstances qui présidèrent à leur établissement et à leur développement; le roi s'adressa pour les établir, tantôt à des assemblées d'Etats généraux, plus souvent à des Etats provinciaux. Ces assemblées qui groupaient ensemble les trois ordres de l'Etat: la noblesse, le clergé et le tiers-état, fixaient à titre de subside, aides, fouages, don gratuit et taille, les ressources qu'elles mettaient à la disposition du pouvoir[334].

L'on n'en arriva pas cependant à énoncer le principe que l'impôt ne pouvait être perçu qu'avec l'autorisation des représentants de la nation ; ceux ci se bornèrent, considérant l'impôtcomme dû, à en fixer l'importance, et bientôt le pouvoir tenant l'impôt comme établi d'une façon permanente, en déterminera le montant sans recourir, ni aux Etats généraux, ni aux Etats provinciaux.

L'introduction des impôts royaux aggrava singulièrement la situation des municipalités ; car à côté des charges municipales et seigneuriales qui pesaient sur elles, vinrent s'ajouter les impôts royaux.

Belvès eut une situation plus favorable : les immunités fiscales qu'avaient reconnues à son profit le duc d'Anjou (lettres de 1370) et Jean de Bretagne (1442) le protégèrent, quelque temps, à rencontre des impôts royaux : ceux-ci ne pouvaient théoriquement l'atteindre que s'il y consentait par une décision spéciale, ou si on méconnaissait ses immunités.

Mais, peu à peu, la royauté supprima les diverses immunités existant au profit des villes, et successivement les impôts royaux les atteignirent, comme ils atteignaient le reste du pays. Voici les renseignements que nous avons pu recueillir sur ce sujet à l'occasion des droits de francs-fiefs, et de la taille royale.

a) Droits de francs-fiefs

C'était la taxe que devaient payer les roturiers devenus détenteurs de biens nobles, de dîmes inféodées, de rentes seigneuriales ; il fut reconnu que les habitants de Belvès grâce à leurs immunités, n'étaient pas tenus de la payer. L'arrêt du Conseil d'Etat, mentionné plus haut, consacra, malgré l'opposition de l'intendant M. de Sève, chargé d'assurer leur perception, l'immunité de Belvès et de son territoire.

Mais les fermiers, l'administration, revinrent à la charge et pour conserver ses privilèges, Belvès fut amené à faire à Louis XIV un sacrifice pécuniaire important ; en outre, une nouvelle taxe sur l'industrie (édit du mois de mars 1673) venait d'être créée, et les consuls et syndics de Belvès proposèrent de racheter cette nouvelle taxe, et d'obtenir la confirmation de l'immunité des francs-fiefs moyennant un sacrifice pécuniaire.

Ouy le rapport du sieur Colbert, conseiller ordinaire au conseil royal, conseiller général des finances, le tout considéré, Sa Majesté, en son conseil, conformément à l'ordonnance du dit sieur de Sève dudit jour 3 août dernier, a maintenu, gardé et confirmé les habitants de la dite ville et juridiction de Belvès et parroisses en dépendants, en tous leurs privilèges, concessions et libertés, franchises, immunités, exemptions du payement des droits de franc fiefs et a déchargé et décharge ceux faisant commerce et professions d'arts et métiers de l'exécution du dit edit du mois de mars mille six cens soixante-treize, en payant néanmoins à Sa Majesté, sur les quittances du garde du trésor royal, la somme de onze mille francs et les deux sols par livre d'icelle, sçavoir trois mille livres pour être déchargés de l'exécution du dit edit du mois de mars mille six cens soixante-treize et huit mille livres pour les autres grâces accordées par Sa Majesté[335].

Ainsi, par un lourd sacrifice, Belvès se protégeait contre l'application du désastreux édit de mars 1673 sur l'industrie, et faisait reconnaître à nouveau l'exemption déjà proclamée des droits de francs-fiefs ; le roi consacrait solennellement les immunités dont jouissaient la ville et son territoire, et lui accordait l'établissement de dix foires, aux jours proposés par la municipalité.

Quelque dures que fussent les conditions imposées, elles furent exécutées ; nous avons la quittance du garde du trésor royal, Etienne Jeannot sieur de Bartillat, déclarant avoir reçu des syndics, consuls et communauté des habitants de la ville et juridiction de Belvès,

La somme de huit mille livres en louis d'or, louis d'argent et monnoyes, pour être et demeurer pour toujours les dicts syndicts et consuls et communauté des habitants de la ville et juridiction de Belvès et parroisses en dépendants, possédant fiefs, arrière fiefs, cens, rentes, dixmes inféodées, héritages et autres biens nobles, pour lesquels ils seront contribuables aux droits de francfief et autres possessions des biens en franc alleu, franche bourgade et franche bourgeoisie, confirmés en leurs privilèges, concessions, libertés, franchises, immunités et exemptions ev jouir desdits biens, à l'avenir, en toute liberté, sans qu'ils puissent être troublés ny être compris en aucun rolle de taxes de franc fief, ban et arrière ban, et tous autres droits qu'ils pourroient devoir et qu'ils leurs pourroient être demandés pour raison de tous les dits biens sous quelque prétexte que ce soit.... [336].

Ainsi : Belvès pouvait croire à l'immunité des droits de francs-fiefs; elle avait été reconnue par toutes les juridictions, proclamée par le roi, et cependant, il est certain que bientôt après, sous la pression des fermiers et des pressants besoins d'argent, l'administration oublia les solennelles promesses faites par Louis XIV, et les habitants de Belvès, possesseurs de biens nobles, furent astreints, comme ceux de la France, au paiement des droits de francs-fiefs[337]

b) Taille.

Les immunités accordées à Belvès par le duc d'Anjou et Jean de Bretagne auraient dû le protéger contre l'établissement de la taille royale. Il en fut ainsi pendant assez longtemps. Sa situation au reste n'avait rien de particulier, car le Périgord tout entier fut exempté des tailles jusqu'au milieu du XVIe siècle.

L'exemption remontait pour le Périgord à 1451.

Les gens des trois Etats de la Guienne conclurent un traité avec Poton de Saintrailles, bailli de Berry, Jean Bureau, conseiller du roi et trésorier de France, et Ogier de Vrequit, juge de Marsan, délégué par le comte de Dunois et de Longueville, lieutenant-général du roi de France, pour la soumission du pays à l'obéissance de ce monarque. Dans ce traité l'article 18 était ainsi conçu : « Ne seront contraints les habitants du dit pays d'ores en avant à payer aucunes tailles, impositions, gabelles, fouages, curtages, équivalent, ne autres subsides quelconques et ne seront tenus de payer d'ores en avant que les droits anciens deubs et accoustumés en la dicte ville de Bordeaux et ès pays dessus dicts[338]. »

En vertu de ce traité, le Périgord, comme les autres parties de la Guyenne, n'avaient plus été frappés de la taille et autres charges ; et cette situation, critiquée à la requête de l'Aveyron, fut maintenue par les Etats en 1532, et par François Ier en 1535, après un procès que les Rouergais avaient intenté au Quercy, à l'Agenais et au Périgord au sujet de la répartition de la taille[339] (2).

Mais pressée par les besoins d'argent, la royauté tendit à supprimer toutes les immunités et bientôt la taille fut perçue à Belvès[340].

Peu à peu furent établis à Belvès et sur son territoire tous les impôts royaux, le centième, le contrôle (origine de nos droits d'enregistrement) et jusqu'à cette malheureuse taxe de 1707 sur les baptêmes et les mariages, dont la perception provoqua en Périgord et en Quercy de véritables émeutes et qu'il fallut abandonner[341].

Belvès payait aussi le don gratuit : le roi réclama de la municipalité d'en dresser le rôle en 1768. L'affaire traîna quelque temps en longueur ; mais, ironie du sort, suivant les ordres de l'intendant en date du 26 mars 1774, en exécution des déclarations du roi des 1er août 1716, 24 mai 1717 et 19 août 1723, on dressait le tableau des personnes soumises à la collecte, et cela jusqu'à l'année 1817[342].

Tels sont les seuls renseignements que nous avons pu réunir sur le régime fiscal de Belvès et de la châtellenie. — Nous aurions voulu indiquer le total approximatif de ces divers droits ; mais cela nous a été impossible. Tout au moins, peut-on se rendre compte, d'après ces renseignements, de quel lourd poids pesaient sur la population, les divers impôts royaux perçus à la fin de la monarchie, aggravés qu'ils étaient par un très mauvais régime de perception.

II. Organisation municipale.

L'organisation municipale de Belvès, telle que l'avaient faite la transaction du 10 février 1470 et les transactions subséquentes avec les archevêques de Bordeaux, fut modifiée dans sa forme par les règlements multiples de la monarchie, sous Louis XIV et sous Louis XV, en vue d'uniformiser l'organisation municipale.

Pour l'étude de cette partie de notre sujet, qui touche à l'histoire de 1'organisation municipale en France, nous rapporterons seulement ce qui peut intéresser notre localité.

Un édit du 27 août 1692[343] créa un maire perpétuel et des assesseurs de maire en chaque ville et communauté du royaume.

A partir de cette époque, Belvès eut son maire perpétuel au titre d'office ; la famille Lapalisse avait acheté cet office, où en 1693 nous trouvons Jehan de Lapalisse, et en 1704 Pierre de Lapalisse.

Cette organisation, qui, au lieu d'éleclions librement faites, mettait les municipalités aux mains des personnes en état de les acheter, est colorée par les arguments qu'ont, à toutes les époques, invoqués les avocats du despotisme. On affirme :

Que la cabale et les brigues ont eu le plus souvent beaucoup de part à l'élection de ces magistrats ; d'où il est presque toujours arrivé que les officiers ainsi élus, pour ménager les particuliers auxquels ils étaient redevables de leur emploi, et ceux qu'ils prévoyaient leur pouvoir succéder, ont surchargé les autres habitants des villes, et surtout ceux qui leur avaient refusé leurs suffrages... C'est pourquoi nous avons jugé à propos de créer des maires en titre dans toutes les villes et lieux de notre royaume qui, n'étant point redevables de leurs charges au suffrage des particuliers, et n'ayant plus lieu d'appréhender leurs successeurs, en exerceront les fonctions sans passion, et avec toute la liberté qui leur est nécessaire pour conserver l'égalité dans la distribution des charges publiques. D'ailleurs, étant perpétuels, ils seront en état d'acquérir une connaissance parfaite des affaires de leur communauté... »

En outre, le roi accordait à ces officiers municipaux le soin de représenter les villes aux assemblées d'Etat.

La vérité est qu'on chercttait dans la vénalité des charges municipales une ressource financière. On vendit les charges, on les reprit, pour les vendre à nouveau ou les laisser racheter, et on confia à « l'homme qui, au préjudice des droitsdeses concitoyens, avait acquis du roi, à prix d'argent, le privilège de les administrer », le pouvoir de délibérer et voter, dans l'assemblée de la province, la quotité de la somme à payer au roi[344].

Le système fut bientôt modifié, et, après une décision exceptionnelle d'un arrêt du Conseil autorisant « pour cette fois, par voie d'élection, la nomination des officiers municipaux »[345], on revint avec les édits d'août 1764 et mai 1765[346] au principe de la liberté des élections, pour le choix des officiers municipaux ; le roi faisait appel au zèle des officiers municipaux, à leur attachement à leurs devoirs, et leur demandait d'entrer dans les vues du bien public qui l'animaient lui-même et, en conséquence, il supprimait les offices de maire et d'assesseurs, qui étaient à charge aux villes, corps et communautés, et rétablissait l'ordre ancien, suivant lequel il était permis à ces corps de choisir eux-mêmes leurs officiers municipaux.

D'après le règlement fait en exécution de l'édit d'août 1764, chaque ville devait présenter un mémoire au roi sur son organisation municipale, sur sa gestion financière, et le roi, par un édit spécial ordonnait l'élection des officiers municipaux ; Belvès avait rempli ces formalités, et par un édit de décembre 1767, il fut autorisé à procéder à l'élection des nolables et des autres officiers municipaux.

L'organisation municipale uniforme que l'on donnait à la France par ces édits, divisait les villes en trois catégories: 1° celles où la population était supérieure à 4.500 habitants ; les corps de ville étaient composés d'un maire, de quatre échevins, de six conseillers de ville, d'un syndic receveur et d'un secrétaire greffier[347] ; 2° celles où la population était de deux mille habitants et plus, jusqu'à quatre mille cinq cents, dans lesquelles les corps de ville étaient composés d'un maire, de deux échevins, de quatre conseillers, d'un syndic receveur et d'un secrétaire greffier[348], et de dix notables[349] ; 3° les villes dont la population était inférieure à 2,000 habitants, dans lesquelles les corps municipaux étaient composés de deux échevins, de trois conseillers de ville, d'un syndic receveur et d'un secrétaire greffier[350] et de six notables.

L'édit de décembre 1767 n'indiquant pas à quelle catégorie appartenait la ville de Belvès, le juge président du bureau électoral devait trancher cette question et décider par là de la composition du corps municipal.

Or, à cette époque, Belvès était en procès devant la Grand' Chambre du Parlement avec ses anciens comptables pour la reddition de leurs comptes; et ceux-ci

Avaient trouvé le secret de capter le juge qui, avec une probité reconnue et des intentions droites, s'était laissé surprendre, et avait placé la ville dans la troisième et dernière classe...[351]

En conséquence, et conformément à l'article 56 de l'édit de 1765, le juge avait divisé la ville en trois quartiers, en répartissant dans chacun un nombre égal d'habitants, suivant leur demeure, et les élections avaient eu lieu les 25, 27, et 29 mars, 2 et 8 avril 1768.

Les irrégularités les plus graves avaient été commises pendant ces opérations : c'est ainsi, que l'on n'avait convoqué

Aux assemblées des quartiers pour la nomination des députés [qui devaient élire les notables] que des fils de famille de la ville, des gens de la lie du peuple, des mendiants et entr'autres un nommé Favorique, homme noté d'infamie, pour avoir été mis au carcan pour crime de vol.

Les sieurs Garrigue, Vergne, Vilatte, Marty et Grenier, comptables de la communauté, et tous parents et alliés, avaient leur objet dans ce procédé ; ils voulaient, en faisant mettre Belvès dans la dernière classe, éloigner tous les principaux habitants et les plus distingués, pour n'avoir que des manants qu'ils avaient subjugués et du suffrage desquels ils étaient assurés, pour se perpétuer dans les charges municipales et éviter de rendre leurs comptes…    [352]

Ces manœuvres réussirent et le sieur Garrigue[353], ancien comptable, fut nommé second échevin, tandis que les autres comptables en instance de reddition de compte furent nommés notables, bien que leurs comptes n'eussent pas été apurés ; il était difficile de trouver irrégularité plus grave.

Les principaux des habitants de la ville se pourvurent auprès du ministre contre les élections et relevèrent les irrégularités commises. Leurs mémoires furent renvoyés au procureur général près le Parlement pour faire une enquête et, les faits reconnus exacts, le procureur général demanda la nullité des opérations électorales.

Il établit que parmi les paroisses qui composaient la châtellenie de Belvès, quatre, Sagelat, Saint-Amand, Saint-Pardoux et Montplaisant formaient, avec la paroisse de Belvès, un territoire particulier constituant le consulat de Belvès; que ces cinq paroisses faisaient partie de la communauté, comme l'établissaient les anciens titres et notamment une délibération du 26 janvier 1614 ; qu'elles contribuaient aux charges locales et municipales de la ville ; et que leurs habitants jouissaient des mêmes privilèges que les habitants de la ville, notamment pour les droits d'entrée et autres; que les consuls de Belvès avaient dans ces paroisses, comme à Belvès, tout droit de police, le droit de taxer les denrées alimentaires : pain, vin, viande, et de dresser le ban des vendanges.

Il constate, en conséquence, que le consulat de Belvès forme une agglomération supérieure à 2.000 habitants, et que partant ce n'était pas dans la troisième catégorie que Belvès devait être placé, mais dans la seconde ; qu'il fallait procéder aux élections suivant l'article 52 de l'édit de 1765, ce qui n'avait pas été fait ; et demande, en conséquence, la nullité des opérations électorales et leur exécution à nouveau, par les habitants des paroisses de Belvès, Sagelat, St-Amand, St-Pardoux et Montplaisant, conformément aux dispositions des articles 30, 31, 32, 33, de l'édit de 1765.

La Cour fit droit à ces réquisitions, décida qu'il y aurait à Belvès un maire, deux échevins, dix notables et quatre conseillers de ville, que les élections faites les 25, 27, 29 mars, 2 et 8 avril 1768, étaient annulées et qu'on procéderait à de nouvelles élections, suivant les dispositions des articles sus-visés par le procureur général de l'édit de 1765 ; que les officiers municipaux nouvellement élus auraient à poursuivre les comptables pour la reddition de leurs comptes et ordonna l'exécution de son arrêt, nonobstant toutes oppositions faites ou à faire[354].

Les nouvelles élections eurent lieu ; d'autres hommes, appartenant à la noblesse, à la bourgeoisie et au commerce, furent appelés à l'administration de fa ville. Le 1er échevin fut M. de Lanzac, seigneur de Sibeaumont et Boussac, le 2e échevin M. Delcer, puis le docteur Larroque[355] : c'était la haute bourgeoisie belvesoise, qui rentrait à l'hôtel-de-ville, où elle devait rester jusqu'à la Révolution.

La Cour avait ordonné l'exécution de son arrêt du 25 juin 1768, nonobstant oppositions faites ou à faire ; or, il résulte de deux actes notariés à la date des 1er août et 28 août 1768[356] que cette disposition n'était pas inutile, des oppositions furent formulées de la part des paroisses de Saint-Pardoux et Montplaisant.

Les deux actes sont rédigés en termes identiques ; ils sont l'œuvre du parti vainqueur aux élections de 1768, qui faisait un effort pour se maintenir au pouvoir ; les élections nouvelles allaient tourner à sa confusion.

Comme ces pièces relatent des faits intéressant le fonctionnement du consulat, nous croyons utile d'en reproduire les termes.

Les comparants... « faisant la majeure et la plus saine partie des habitants du présent lieu (Montplaisant) qui ont dit que le sieur Delcer, consul de la ville de Belvès, leur aurait fait donner des billets d'invitation à quelques particuliers de la dite paroisse pour se trouver à une assemblée qui devait se tenir, disait-on, à l'effet de nommer des députés pour l'élection des notables et des autres officiers municipaux de la ville de Belvès, établis par l'édit du mois de décembre 1767[357] et que cette nouveauté les a d'autant plus surpris qu'ils n'avaient point accoustumé de participer à l'administration politique de cette ville[358] ; que en cherchant quelle en pourrait être la cause, ils ont appris que quelques particuliers de Belvès... avaient prétendu dans des mémoires adressés au procureur général de Bordeaux, que la paroisse de Montplaisant et quelques autres du voisinage ne forment qu'un même corps avec la communauté de Belvès, afin de faire mettre cette ville au rang de celles où il doit y avoir un maire et deux échevins et de faire casser plus facilement l'élection qui avait été faite dans une autre forme...

Les paroisses de Montplaisant et Saint-Pardoux (nous ne savons rien pour Sagelat et Saint-Amand) protestaient contre l'union avec Belvès ; leurs habitants craignaient d'avoir à supporter par là des charges nouvelles, auxquelles ils avaient échappé jusque là; ils redoutaient les ennuis et les pertes de temps que pourrait leur donner la qualité de notables, et ils protestaient contre l'association avec Belvès « et que s'il y a quelques anciens vestiges d'association, elle est abolie depuis longtemps par le non usage et la possession contraire... » et pour faire triompher leur manière de voir, ils demandaient à être reçus opposants par le procureur général à l'arrêt du 25 juin 1768, qui avait annulé les élections d'échevins de Belvès[359].

Qu'advint-il de l'opposition faite par les paroisses, arriva-t-elle jusqu'à la Cour ? Nous ne le savons pas[360]. Ce qui est certain, c'est que de nouvelles élections furent faites suivant les décisions de l'arrêt du 25 juin 1768, et l'organisation municipale resta sans changement jusqu'à la Révolution, sauf en un point touchant à la nomination des maires.

Le roi s'était réservé, dans les édits de 1765, la nomination de maire, sur une liste de trois candidats. Avec l'édit de 1771[361], on revint à la nomination directe par le pouvoir, et les maires furent perpétuels.

Les motifs ou plutôt les prétextes furent, comme toujours, que la liberté des élections

« Devenait dans toutes les villes une source d'inimitiés et de divisions, sur le désir que des gens, souvent incapables, avaient de participer à l'administration, et par la cabale et les brigues qui s'introduisaient dans les élections.... »

La monarchie voulait garder l'autorité complète sur les municipalités ; elle redoutait l'indépendance chez l'élu de ses concitoyens. Voilà le véritable motif[362].

L'opposition faite par les paroisses de Montplaisant et de Saint-Pardoux montre l'oubli des obligations et des droits du consulat. Depuis longtemps Belvès et ses officiers municipaux n'exerçaient leurs pouvoirs que dans l'étendue même de leur paroisse ; et les paroisses voisines qui, autrefois, formaient, avec Belvès, le district consulaire, restaient, comme les autres paroisses de la châtellenie, en dehors du consulat. Là se faisait jour un esprit local; on s'y habituait à décider ensemble les questions relatives à l'église, au cimetière, au culte, à la bienfaisance, aux intérêts généraux de la localité. Ce germe se développant avec le temps formera les communes modernes.

Nous pouvons faire connaître quelques faits de nature à permettre de comprendre l'organisation rudimenlaire des paroisses.

Dans toutes les paroisses, le clergé avait pris l'habitude de demander à l'assemblée des paroissiens la nomination d'un fabricien ou syndic, chargé soit des intérêts généraux du culte, soit d'une affaire spéciale.

La nomination du syndic fabricien était faite à Belvès par une assemblée composée du curé, des officiers municipaux et des autres habitants convoqués aux prônes, trois dimanches consécutifs[363].

Par son testament du 17 septembre 1773, Jean Vialard, prêtre, docteur en théologie, curé de la paroisse de Sagelat, avait légué 2,000 francs aux pauvres de la paroisse de Sagelat[364], et le 10 octobre 1773, à l'issue des vêpres, devant la porte de l'église Saint-Victor de Sagelat, délibération de la plus saine partie de la population ; le sieur Antoine Lorblanchés, du bourg de Fongaufier, est nommé fabricien. Il sera syndic à l'effet de faire rentrer les 2,000 francs légués par le curé Vialard et tout autre legs en faveur des pauvres, s'il en existe, et il en sera déchargé sur les simples quittances du curé[365].

A Saint-Pardoux, des réparations étaient devenues indispensables à la nef de l'église; messire Annet de Lanzac, habitant en son château de Boussat ; Jean Rousset, seigneur de Cladech, bourgeois; Jean Bonfils, sieur du Maine, aussi bourgeois, et Jean Cassan, clerc, faisant la plus saine portion des habitants de la paroisse, approuvent un projet de réparation de l'église avec devis estimatif, et présentent requête

« A Monseigneur l'intendant de cette province tendante à ce qu'il lui plaira députer un commissaire à l'effet de vérifier l'état desdites réparations ».

Leur nécessité, le devis estimatif, et l'intendant sera supplié d'ordonner

« Que les sommes en icellui portées seront prises premièrement sur les fonds de la fabrique (et au cas où elles ne suffiraient pas) que les sommes seront levées et réparties sur tous les habitants et possesseurs des fonds de ladite paroisse de Saint-Pardoux, tant privilégiés que autres, même les forains, eu égard aux fonds qu'ils possèdent dans ladite paroisse. »

Au syndic collecteur en charge sera confiée ladite levée de deniers, et les réparations seront données à l'adjudication au moins disant[366].

Ainsi, pour l'organisation du culte, l'entretien des églises, du cimetière, des écoles, et pour secourir les pauvres, l'assemblée des habitants de la paroisse, présidée par le curé, nommait un syndic spécialement chargé de veiller à l'exécution des décisions prises.

Le pouvoir central, pour la perception des impôts décidés par lui, eut recours à cette organisation pour en assurer la levée.

Dans une des paroisses de la châtellenie, à Montplaisant, fonctionnait une confrérie spéciale sous le vocable du patron de l'église, confrérie Saint-Jean-Baptiste; elle assurait des amusements pour le jour de la fête votive et des cérémonies religieuses. A cet effet, les confrères choisissaient un roi, une reine ; c'étaient ceux qui avaient offert la plus grosse somme pour la fourniture de la cire, l'émolument des curés voisins venus pour le service religieux. Les familles les plus importantes du pays recherchaient cet honneur. En 1644, les Perponcher, habitant le château de Bosredon, eurent ainsi la direction de la fête patronale[367]. Nous ne savons pas si les choses se passaient de la même façon dans les autres paroisses de la châtellenie.

Dans tous les cas, et sans insister davantage, nous voyons dans chaque paroisse une organisation rudimentaire, en vue d'assurer et de protéger les intérêts généraux des habitants.

Le pouvoir central cherchera à consacrer ces pratiques, en voulant qu'il soit établi un syndic perpétuel dans chaque paroisse[368]; et puis, viendront les temps modernes, qui feront sortir de la paroisse, la commune, et généraliseront pour le pays tout entier un régime municipal, moius libéral que celui de nos villes consulaires du moyen âge, mais le rappelant par bien des caractères.


Appendice au chapitre II

Liste des Consuls, Syndics, Bayle et Juge de la ville et juridiction de Belvès.

 

CONSULS ET SYNDICS

BAYLE

et  receveur des droits

JUGE

lieutenant de juge

 

1391. Le bayle de l'archevêque   était   Raymondus dictus Paris[369].

 

 

 

 

 

 

 

 

1470. Nobles Gaston de Verdon, Bosco de Serval.

Anthoine de la Moissie, bourgeois.

Et Jacques Vaurès, bourgeois [370].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1477. Petrum, de Puechots, bajulum de Bellovidere [371].

 

 

1494. Consuls, Gaston de Verdon, noble.

Jean de Juliac.

Jean Labrousse.

Galbertus de Pecharry et Antoine de Ribier, syndics[372]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1525. Noble François de Verdon, escuyer, seigneur du Ruffenc.

1er novembre 1502, provido viro Petro de Conroso mercatori de B. V. assentatori hemolumentorum dicti domini Burdigalensis[373].

 

 

 

Noble  Gaston de Limeilh, sieur de Monrodier.

Bourgeois  François Lescure dit Kanil, marchand.

Anthoine de la Moyssie.

Ganthonnet Veziat et Guillaume Petit, syndics[374].

……………………….

Jean Sepety, syndic.

……………………….

1530. Nobles   François de

sieur du Ruffenc.

Gaston de Bosredon.

Jean Vaurès.

Jean Sepety, syndic[375].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jehan Tinel, bayle, fermier de Monseigneur[376].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1531. Guillaume de Philipparie, juge de la ville.

Guillaume Bontemps, procureur d'office[377].

 

1549. Me Guillaume Barrière, Durand de Lescure, Jean Vaché, Vierge, consuls[378].

1550. Gui Tinel, consul.

……………………….

……………………….

……………………….

Me Guillaume de Philipparie le jeune, syndic de la ville.

Noble  et  puissant   seigneur Françoys de Caumont, seigneur de Berbiguières et de Rouffiniat, gouverneur pour M. le rev. cardinal du Bellay, archevêque de Bordeaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Etienne Besse,  sergent de parole[379]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONSULS ET SYNDICS

BAYLE

JUGE, lieutenant de juge, Procureur d'office.

Jurats, Belvès : 1° Pierre Delmont ; 2° Jehan Pecharry ; 3° Géraud Lescure; 4° François Dufour; 5° (pour St-Pardoux) Antoine Gamot; 6° (pour Sagelat) Martin Viguié ; 7° Jehan Cassaigne, pour Montplaisant, absent ; 8° Gilles Pélenque, pour St-Amand, absent[380] .

1559. Guillaume Barrière,  un des syndics[381].

1560. Barrière, Durand Lescure, Jehan Vierge, consuls[382].

 

 

 

 

1567. Loys de Palisse, escuyer, seigneur de Saint-Pompon & Jehan Brousse, Ray. Delmont, consuls.

Gabriel Bru, notaire royal, syndic de la ville[383].

1571. Jean Roumegoux, Etienne Lacroix (ne sait signer), consuls.

Jean Aumar, Me Hélies Bonfils, syndics de la ville[384].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Guillaume Bontemps, procureur général de l'archevêque.

Jehan Tinel, bailhe de la juridiction[385].

Pierre Graffeilhe, bailhe de la présente juridiction [386].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1559. Guillaume de Philipparie, juge ordinaire[387].

Roussel, procureur d'office.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1571. Geraud Lescure, notaire royal, procureur d'office[388].

Jean Pecharry,  procureur d'office[389].

1599.

1600. Jehan de Philipparie, Pierre Rousset, Consuls.

Guillaume Vielfon, Pierre Francès, Syndics.

Jurats de Belvès : Jehan Bonnet, Simon Lescure, Jean Laville[390].

 

 

 

 

 

1623. Jean Sauret, notaire royal, syndic de la ville. (B. N. Fonds Périgord : vidimus de la capitulation de 1442).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1627 à 1631 et antérieurement à 1639, P. Barde, bailly de Belvès (non installé).

 

Mathurin Philipparie, procureur d'office[391].

Jacques Merle, juge.

Jean Philipparie, lieutenant de juge[392].

 

 

28 avril 1612. G. Bonfilh de la Moissie, juge de la ville[393].

22 octobre 1619. Guillaume Bonfils, sieur de la Moissie procureur d'office de la juridiction de Belvès.(Papiers Bonfils Lascaminade.)

 

 

1627. Marc Géraud de Palisse sieur des Plantades, bâchelier en droit, juge de la présente ville et juridiction, mort le 4 novembre 1640. (Livre de raison de Pierre Bessot[394].

1639. Guillaume de Roumegoux, lieutenant de juge[395].

(…)[396]

(A suivre.)

A. VIGIÉ.


pp. 539-596.

HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS

(Suite).

ADDITION A LA LISTE DES OFFICIERS MUNICIPAUX

 

De nouvelles recherches, faites pendant l'impression du précédent numéro du Bulletin, nous permettent de compléter notre liste en quelques points :

CONSULS ET SYNDICS

BAYLE

JUGE

Lieutenant de juge

Procureur d'office

1623. Consuls : Simon Lescure,

Pierre Fauvel.

Syndics: Jehan de Bonnet, seigr du Carlou; Jehan Sauret[397].

1624. Consuls : H. Bonfilh, G, Lacroix.

 

 

 

 

 

1599. Pierre et Reymond Delmon, fermiers des droits de greffe et de seigneurie[398].

1595 (acte du 14 nov.) Jehan de Romegous, bachelier en droits, juge ordinaire du dict Belvès.

Bonfilh, greffier.

 

 

 

 

1602. Bernard Sauret, procu­reur d'office[399].

1608. G. Bonfilh, procureur d'office.

1609.   Villavialle, greffier de la Cour [400].

(…)[401]

 

CHAPITRE III.

Organisation judiciaire.

L'archevêque de Bordeaux, comme dous l'avons vu plus haut[402], à titre de seigneur, était investi, dans l'étendue de la châtellenie de Belvès, de la justice haute, moyenne et basse. Cette justice, de quelque nom qu'on l'appelle, féodale ou seigneuriale, fonctionnait suivant les principes admis dans le droit féodal. Si le seigneur, par devoir, était tenu de mettre fin aux contestations qui s'élevaient entre ses vassaux, ces derniers avaient le droit et le devoir de venir siéger à la cour de justice.

En outre, le seigneur, investi de l'autorité souveraine dans l'étendue de la seigneurie, eut aussi le droit de juger ceux qui ne relevaient pas de lui, féodalement parlant; il eut dans la seigneurie les droits qui, a toute époque, ont été reconnus au pouvoir souverain.

A Belvès, comme dans toutes les seigneuries, l'organisation judiciaire a traversé des phases multiples.

A l'origine, les vassaux tinrent à honneur de venir siéger à la cour seigneuriale; plus tard, ils se désintéressèrent ou se déshabituèrent peu à peu de l'accomplissement de ce devoir, et le seigneur dut juger seul ou charger des fonctionnaires spéciaux du soin de rendre la justice.

A l'époque où furent rédigées les Coutumes de Belvès, nous sommes dans la première période :

S'il baile del Sor a doas partidas en sa ma, per nom de clam, el deu tener cort legal dels cavaliers et dels proshomes[403].

Le baile agissait dans ce cas, comme représentant le sei­gneur, généralement absent; mais si le seigneur se trouvait à Belvès, il avait toujours le droit de présider la cour seigneuriale[404].

Juger était l'apanage de la souveraineté ; mais, à côté du droit honorifique, des droits pécuniaires importants vinrent bientôt s'attacher à l'exercice de la justice, sous forme de droits de greffe et de droits de présence pour le magistrat qui siégeait.

Le baile ne devait prélever ses droits de présence qu'à la fin du procès ; il avait droit à 2 sous, du perdant, pour chaque jour affecté au procès ; et au cas de défaut, la partie défaillante devait le droit de présence au baile :

Lo bayles no lève autres messions trosques lo diffiniment del plach et à la doncas de totz los dias que aura tenguda cort, lève dos sos de quada dia del vencut, et de jour defalhit II sols.

Mais le droit de présence n'était perçu qu'une fois seulement, lors même que plusieurs procès seraient portés le même jour devant la cour; tous ceux qui succombaient dans leurs prétentions, et tous ceux qui faisaient défaut, contribuaient au droit unique qui était perçu,

... Et s'il Sr ol bayles, lo jour que tenran cort, en aysi come es sobredich, av[i]an d'autres plachs oi sorsion de dos en sus, aquils plachs ajudessan à paguar cumenalment las messios sobredichas           

Mesure sage de nature à diminuer les frais de justice et à les maintenir à un taux raisonnable.

Si l'assignation était donnée devant le seigneur lui-même, et que celui-ci eût intérêt à venir présider la cour, les droits de présence dus au seigneur étaient payés à la fin du procès, suivant le nombre de jours d'audience. Mais le taux du droit de présence reste indéterminé, en présence du texte de la Coutume :

... El Sr lèves sas messios, al diffiniment del plach, d'aytans dias cum lo plach se plaigura davan luy, rasonablas a si sies de homes a caval... [405].

Le copiste a-t-il, bien ou mal, reproduit l'original? Nous ne pouvons le savoir; mais la lecture est certaine; le texte nous a paru vouloir dire que le seigneur avait droit à des jetons de présence, tels qu'on les donnerait à six hommes nobles, c'est-à-dire six fois plus élevés que les droits de présence du bayle. Et si l'on réfléchit que le seigneur devait venir de Bordeaux, qu'un déplacement était onéreux, surtout si l'on tient compte de sa dignité, de la nécessité de voyager avec une suite nombreuse, les droits de présence, tels que nous les avons fixés, n'ont rien d'exagéré.

Dans tous les cas, quelle que soit l'interprétation donnée au texte, la pensée certaine est que les droits de présence du seigneur sont plus élevés que ceux du bayle ; et on s'explique alors la restriction contenue dans la fin de l'article,

... Et s'il Sr venia per aventura o ern en la vila lo jour quel bayles auria dat, si davan lo Sor no lo avia assignat, lo Sor no y aga messions,

Si donc le seigneur se trouvait par hasard à Belvès, ou si l'assignation n'avait pas été donnée devant lui, quand bien même, dans ces cas, il viendrait présider la cour, il ne pouvait prétendre à ses droits de présence : ceux-ci avaient été fixés, en vue d'un déplacement du seigneur pour venir présider la cour; les droits de présence restaient, dans les cas cités, ceux que le droit commun avait fixés pour le bayle.

Quant aux vassaux, cavaliers ou proshomes, qui venaient figurer «  à la cort légal dels cavaliers et dels proshomes », ils remplissaient un devoir de leur condition, ils ne paraissent pas avoir joui de droits de présence ; car, s'ils en avaient touché, les frais de justice auraient été augmentés d'une manière démesurée, et comment comprendre l'abstention des vassaux à paraître à la cour de justice?

A l'époque que nous étudions, les seigneurs avaient accepté en principe la possibilité de l'appel contre les décisions judiciaires émanées de leurs juridictions. Le sénéchal de Bigarroque, juge seigneurial de l'archevêque, était le juge d'appel des décisions rendues par les, juridictions seigneuriales de la châtellenie  de Belvès.

En outre, la royauté fit bientôt admettre que l'appel des décisions rendues par les j ustices seigneuriales, était toujours possible et devait être porté devant les juridictions royales ; pour les justices seigneuriales de la châtellenie, ou de Bigarroque, l'appel était recevable devant le sénéchal de Périgueux ; puis, à partir de sa création, devant le sénéchal de Sarlat et enfin devant le Parlement.

L'aliénation par l'archevêque de ses droits de justice, dans une des paroisses de la châtellenie , entraînait pour cette paroisse l'organisation d'une justice seigneuriale particulière, relevant du titulaire de la justice; de même l'organisation du consulat avait entraîné, au profit du collège des bayle et consuls attribution de la basse justice ; de là une juridiction municipale appartenant au collège des bayle et consuls et organisée, suivant les dispositions de l'article 26 de la transaction du 10 février 1470.

La cour municipale était présidée par les bayle et consuls ; mais ceux-ci pouvaient élire un assesseur pour présider la cour municipale à leur place ; les Coutumes de Belvès supposent l'existence de l'assesseur et fixent ses droits de présence[406].

A l'origine et pendant assez longtemps, les bayle et consuls, ou l'assesseur, étaient aidés dans leurs fonctions judiciaires par les personnes inscrites sur les contrôles du Consulat, qui siégeaient comme jurés, quand les bourgeois eurent perdu l'habitude de venir siéger comme jurés, les bayle et consuls rendirent seuls la basse justice.

Le bayle, aidé des vassaux de l'archevêque, el au cas où l'archevêque était absent de Belvès, présidait la cour sei­gneuriale. Quand les vassaux ne vinrent plus aux plaids, l'archevêque nomma des fonctionnaires, chargés spécialement de rendre la justice ; il y eut un juge pour la juridiction, un lieutenant de juge, à leur défaut un ancien praticien, et, à côté d'eux, le procureur d'office, représentant de l'archevêque, et jouant un rôle analogue à celui du ministère public devant nos juridictions[407].

L'archevêque de Bordeaux, comme seigneur de Belvès, était investi de la justice haute, moyenne et basse, dans la paroisse de Belvès et dans toutes les paroisses faisant partie de la châtellenie.

Mais, ces droits furent limités, en premier lieu, par les aliénations consenties par l'archevêque sur ses droits de justice, et en second lieu, par les empiétements que firent, au détriment de ses droits, les seigneurs voisins.

a) Aliénations par l'archevêque de ses droits de justice.

I. — En ce qui touche la paroisse de Belvès et les quatre paroisses, qui, avec celle-là, formaient le consulat de Belver (St-Amand, St-Pardoux, Montplaisant, Sagelat), l'archevêque avait aliéné l'exercice de la basse justice, au profit du collège des bayle et consuls ; par suite, les droits pécuniaires, perçus à l'occasion de la basse justice, furent partagés par moitié ; l'archevêque eu eut la moitié ; l'autre moitié appartint aux consuls[408]. Cet état de choses dura sans modification, jusqu'à la Révolution française.

II. Cependant, à une certaine époque, l'archevêque avait modifié cette situation, en ce qui touche la paroisse de St-Amand.

Il résulte des pièces et documents conservés aux Archives départementales de la Gironde[409] qu'en 1587 les agents du clergé fixèrent à 450 écus, la somme à fournir par l'archevêque de Bordeaux sur son temporel, pour les besoins de l'Etat[410].

L'archevêque présenta requête auxdits agents, à l’effet d'être autorisé à mettre en vente, pour le paiement de la cotisation,

La moytié de la justice haulte, moyenne, et la quarte partie de la basse justice et tous autres droits et debvoirs seigneriaux, qui pourroient compéter et appartenir au dit seigneur Prévost, sur la dite paroisse de St-Amand, juridiction de Belvès...[411].

Avant d'autoriser ladite vente, les agents ordonnèrent qu'une enquête serait faite, sur la commodité ou l'incommodité de la dite vente, par le lieutenant général de Guyenne ; l’enquête fut favorable à la vente ; des affiches l'annonçant furent apposées à Belvès, à St-Amand, à la cathédrale de Bordeaux, et l'adjudication eut lieu en 1591, en faveur du sieur de Paleyrac, pour 450 écus.

Une fois l'adjudicalion faite, les consuls de Belvès s'opposèrent à la prise de possession par de Paleyrac, adjudicataire, remontrant que cette aliénation était onéreuse à l'archevêque : car elle portait sur une paroisse joignant la ville et presque les murs de Belvès et l'une des plus productives.

Vers 1599, Msr le cardinal de Sourdis, successeur immédiat de Prévost, appréciant la valeur des motifs mis en avant parles consuls, demanda à M. de Paleyrac de vouloir bien renoncer au bénéfice de son adjudication ; l'archevêque lui offrait, en échange des droits abandonnés par lui, toute la justice et juridiction de la paroisse de Paleyrac.

L'adjudicataire refusa cette proposition.

L'archevêque se pourvut alors devant le Parlement de Bordeaux contre l'adjudication de 1591, et offrit en échange la justice de Paleyrac.

Le Parlement ordonna une enquête qu'il confia au lieutenant-général de Périgueux, sur l'opportunité de l'échange proposé par l'archevêque. Le commissaire-enquêteur devait entendre les habitants de Belvès et de St-Amand.

Nous avons la copie de la délibération de l'assemblée municipale de Belvès. D'après les consuls, l'échange proposé n'avait que des avantages.

La dite paroisse de St-Amand est plus honorable, plus peuplée de toute la juridiction ; elle est aussi sise contre les murs de la présente ville, située en lieu plus utile qu'aucune autre paroisse de la juridiction, estant aussi la dite moytié de la dite paroisse de St-Amand beaucoup plus profitable et revenante à mon dit seigneur le cardinal, et aussi beaucoup plus utile et profitable à la présente ville... [412].

Et comme la paroisse de Paleyrac était beaucoup plus éloignée, et de moindre revenu, l'échange n'offrait à l'archevêque que des avantages.

Le procès-verbal d'inquisition fut rapporté en la cour de Parlement, et le seigneur de Paleyrac, voyant qu'il allait perdre son procès, et être contraint à subir l'échange, y consentit amiablement, par transaction du 27 août 1600.

En conséquence, M. de Paleyrac renonça en faveur de Mgr le cardinal de Sourdis au bénéfice de son adjudication et reçut en échange de ses droits de justice dans la paroisse de St-Amand,

Les droits de haute, moyenne et basse justice, ensemble de tous les droicts, hommage, feudalité, et directité et tous autres droicts quelconques dans la dite paroisse de Paleyrac... [413].

Vers l'an 1612, le cardinal de Bordeaux, voulant user de la faculté accordée par le Roi au clergé de racheter leur temporel aliéné, introduisit en conséquence, devant le Grand Conseil, une demande en résiliation d'aliénation contre M. de Rastignac, donataire de M. de Paleyrac et titulaire à ce titre de la paroisse de Paleyrac.

En l'état de ces faits, il intervint entre M. de Rastignac et l'archevêque de Bordeaux, une transaction en date du 9 mai 1614, suivant laquelle le cardinal abandonnait sa demande en résiliation, confirmait l'aliénation de la justice de Paleyrac, moyennant un supplément de 2100 livres, fournis ou à fournir par M. de Rastignac[414].

Dans la suite, les Rastignac vendirent leurs droits sur Paleyrac aux Adhémar pour la somme de 34.500 livres ; mais il est vrai de reconnaître que dans la vente, étaient compris, avec la justice de Paleyrac, d'autres biens qu'y possédaient les Rastignac.

Il résulte des documents[415] que l'archevêque de Bordeaux eut, dans la suite et à diverses reprises, l'intention de racheter les droits aliénés sur la paroisse de Paleyrac ; mais il ne fut donné aucune suite à ce projet; et l'archevêque n'eut plus la justice de Paleyrac. Mais il conserva sur cette paroisse la suzeraineté et supériorité, puisque, postérieurement à l'échange de 1600, il continua à recevoir les hommages des vassaux pour fiefs dépendants de Paleyrac.

Cette situation se maintint jusqu'à la Révolution, et Paleyrac constitua une juridiction locale particulière, la paroisse de Paleyrac en forma le ressort; la justice s'y rendit au nom des seigneurs de Paleyrac (Paleyrac, Rastignac et Adhémar) ; les appels des décisions rendues furent portées devant le sénéchal de Bigarroque, juridiction seigneuriale supérieure, et devant les sénéchaussées royales, Périgueux et Sarlat.

III. — Les mêmes circonstances qui avaient forcé l'archevêque de Bordeaux à aliéner la justice des paroisses de St-Amand et de Paleyrac, l'obligèrent à céder les justices de Doissac et de Grives. Le 28 avril 1566, messire Geoffroy de Caumont avait acquis, moyennant 7.000 livres, des subdélégués qui procédaient à l'aliénation du temporel de l'église St-André et de l'archevêché, les justices de Grives et de Doissac et les enclaves de la paroisse de St-Laurent, et les cens, rentes, hommages et autres devoirs appartenant dans ces régions à l'archevêque de Bordeaux[416].

En 1567, les consuls de Belvès, d'accord avec les jurats, supplièrent l'archevêque de Bordeaux de consentir à la vente du restant du bois de la Bécède, dévasté par les paysans, pour racheter les paroisses de Douazac [Doissac] et Grives, qui avaient été aliénées pour le paiement des deniers, imposés par le Roi sur le temporel des archevêques de Bordeaux[417].

Cette proposition ne fut pas suivie d'exécution.

Le 15 janvier 1579, dame Marguerite de Lustrac, veuve du dit Caumont, vendit à messire Geoffroy de Vivans.gouverneur de Périgueux, les choses aliénées au profit de son mari, dans les paroisses de Grives et Doissac.

En vertu du droit donné par l'édit du Roi, de racheter le temporel aliéné, à la charge de rembourser le prix d'aliénation, Mgr le cardinal de Sourdis fit assigner, au Grand Conseil, Jean de Vivans, pour obtenir le délaissement des choses aliénées (justice, etc.)

Le Grand Conseil condamna Vivans, autorisa le rachat sous la condition du remboursement du prix principal (7.000 livres), des loyaux coûts, frais et es dépenses utiles et nécessaires, faites par les acquéreurs sur les choses aliénées.

L'archevêque n'opéra pas ces remboursements, et Vivans était sur le point d'assigner l'archevêque au Grand Conseil, en vue d'obtenir l'exécution de l'arrêt rendu, ou, à défaut, de faire prononcer la déchéance de l'archevêque, au bénéfice de la décision.

L'archevêque avait peu d'intérêt au rachat ; les revenus de ces justices étaient peu élevés, les sommes à rembourser importantes. Il consulta le chapitre des chanoines, et il fut convenu (1613) que si le sieur de Vivans consentait à donner à l'archevêque, une somme de 3134 livres, à titre de plus-value des justices, du jour de la première vente à l'époque actuelle, l'archevêque s'engagerait à affecter cette somme à l'amélioration du palais archiépiscopal, et à la réparation du mur de la ville et de la tour de l'archevêché et renoncerait au bénéfice de l'arrêt, en résiliation de vente, obtenu par lui au Grand Conseil.

Cette transaction fut acceptée par Vivans ; celui-ci fit confirmer à son profil, l'aliénation des justices de Grives et de Doissac, aliénation dont les effets se continuèrent jusqu'à la Révolution française[418] et chacune des paroisses de Doissac et de Grives forma une juridiction particulière distincte.

IV. — Probablement, à la suite de circonstances analogues, la justice de la paroisse de Ste-Foy fut aliénée, au profit de Blaise d'Aydie, chevalier, seigneur de Vaugoubert, Campagnac, St-Laurent et autres lieux, moyennant le prix de 4.200 livres, et sous l'hommage d'un écu d'or à chaque mouvance du seigneur ou du vassal. L'acte d'aliénation fut passé devant Me Charbonnier, notaire à Bordeaux.

Cette aliénation ne produisit ses effets que fort peu de temps. En effet, l'archevêque excipa que la chose vendue était inaliénable, et en conséquence le 4 août 1661, il obtint le rachat de la justice de Ste-Foy indûment aliénée, et remboursa à l'acquéreur le prix avec les intérêts et loyaux coûts.

b) Empiétement par les seigneurs voisins, dans le ressort de la justice de l'archevêque de Bordeaux.

Des causes d'une autre nature firent perdre à l'archevêque de Bordeaux ses droits de justice, sur certaines parties du territoire de la châtellenie : ce furent les usurpations sanctionnées ou tolérées, sur le ressort de la justice de l'archevêque par les seigneurs voisins.

L'exercice de la justice dans une localité était la marque certaine de la souveraineté, et en outre, à l'occasion de la justice, se percevaient des droits pécuniaires importants; aussi les seigneurs devaient-ils veiller avec un soin scrupu­leux sur le maintien des circonscriptions judiciaires, et réprimer les usurpations, si elles venaient à se produire : de là, l'usage de marquer au moyen de bornes inscrites la limite des juridictions[419].

Mais ces précautions ne suffisaient pas à empêcher les usurpations ; et il résulte des renseignements que nous fournissent les Archives de la Gironde, que l'archevêque de Bordeaux eut à défendre ses droits de justice, devant toutes les juridictions (sénéchal de Périgueux et de Sarlat, Parlement de Bordeaux), contre les usurpations que se permettaient à son préjudice, les seigneurs voisins[420].

Il en fut ainsi entre l'archevêque de Bordeaux et les coseigneurs de Siorac [nobles Jean d'Abzac et Bozon de Syreuil], à l'occasion de terres entre les territoires de Belvès et de Siorac vers Raunel et touchant aux dépendances du Mas de Renardies[421] ; à l'occasion, du Mas de la Boissière, paroisse d'Urval[422], et des dépendances de Castelréal[423] (paroisse d'Urval).

Ces procès paraissent avoir été terminés par des transactions dont nous ne connaissons pas les termes et aussi quelquefois par abandon des prétentions de l'archevêque à suite de la négligence de ses représentants[424].

Un autre débat eut lieu, de ce côté de la juridiction, entre l'archevêque de Bordeaux et le couvent de Cadouin, à l'occasion de territoires de la Bécède, et de la partie de la forêt vers Cadouin, au delà de la Croix de la Palme ; à ce procès furent associés les consuls de Belvès, comme propriétaires de la forêt avec l'archevêque et les habitants du Buisson de Cabans, comme tenanciers, du chef du couvent de Cadouin, de portions de la Bécède dépendantes de l'archevêque et des consuls de Belvès.

Les habitants du Buisson reconnaissaient le droit de l'archevêque et lui payaient les redevances.

Dans ce procès, on accusait l'abbé de Cadouin d'avoir déplacé la Croix de la Palme, et l'assiette du chemin : il est rappelé à ce propos que Artus de Montauban, se trouvant à Belvès en 1488[425] [1478], fut invité par l'abbé à aller à Cadouin célébrer les fêtes de la nativité de Notre Seigneur ; l'abbé avait fait fermer l'ancien chemin et en avait fait ouvrir un nouveau ; l'archevêque, à son retour, s'étant aperçu du changement dans l'état des lieux, fit fermer le nouveau chemin et ouvrir l'ancien.

Ce procès fut successivement porté devant la cour de Belvès, devant les sénéchaux de Sarlat et de Périgueux et devant la cour de Parlement de Bordeaux « et dormit a parte dicti Burdigalensis archiepiscopi[426] ».

A l'ouest, la juridiction de Belvès touchaitaux juridictions des seigneurs de Montferrand et de Montpazier ; une pierre levée vers la paroisse de Saint Marcory marquait la séparation des territoires de Belvès, de Montferrand et de Montpazier[427].

De ce côté, la juridiction englobait la paroisse de Vielvic, et, dans la paroisse de Bouillac, le village de Soysials ; le seigneur de Montferrand, au xve siècle, avait tenté d'usurper la juridiction de ce dernier village.

Où faut-il placer le village de Soysials ? Ce nom n'a été conservé par aucun village des environs de Bouillac, mais d'après la position que lui donne le texte suivant :

Mansi de Soysials, parrochie de Bolhaco, ultra rivum de Soysials sive del Raffenc a parteé Montis ferrandi[428].

On doit admettre que Soysials est un des villages de la paroisse de Bouillac, entre Bouillac et Campagnac del Ruffenc, par exemple le village de Bourdon entre Bouillac et La Brunie[429].

La juridiction de Belvès comprenait la paroisse de Fongalop : là, encore un débat s'était élevé entre l'archevêque de Bordeaux et Jean, seigneur de Montferrand de Périgord.

A l'occasion desmanses « de la Peytamma(?), de la Subataria et del Ruffenc vielh, sitorum in parrochia Fontis galam ».

Comment identifier ces localités? Elles sont placées d'après le document (série G. 225) :

In parrochia Fontis galam, inter mansum del Buc peytam, repayrium del Ruffenc, a parte Bellovidere, mansum de Soyssials et nemus dicti domini Montisferrandi.

Or, le bois du seigneur de Montferrand est cette partie boisée, désignée par la carte de l'état-major sous le nom de Laforêt, le long de la frontière ouest de la paroisse de Fongalop ; le buc Peytam, repaire relevant del Ruffenc, me paraît être le But de la carte d'état-major; nous identifierions la Peytamma (?) ou Peytania avec le Pélonnier, sans pouvoir dire où étaient les manses de la Subataria et del Ruffenc vielh.

Un débat s'était aussi élevé à l'occasion des domaines de la Tholosania et del Plaisat,

Contiguorum sitorum in jurisdictione de Bellovidere praedicta et super parrochia Fontisgalam, confrontatorum cum pertinentiis dictorum mansorum de la Peytammia et del Buc Peytam et cum nemore sive foresta dicti domini Montisferrandi et cum itinere quo itur de Bellovidere versus Montemplasencium[430] a parte Fontisgalam et cum pertinenciis de la Noylia et possessionum et terrarum hominum parrochie Sancti Mercorii.

Les localités contestées doivent donc être recherchées entre la forêt du seigneur de Montferrand, le Pélonnier, le But, Fongalop et St-Marcory, d'après le texte cité, et d'après les identifications antérieures ; malheureusement, aucun des noms de la carte d'état-major, ni des cadastres, ne correspond aux vocables anciens.

Nous n'avons pu nous procurer aucun titre ancien, relatif à cette contrée et permettant une identification certaine[431].

Enfin de ce côté, la juridiction de l'archevêque comprenait la paroisse de St-Marcory ; mais des difficultés s'étaient élevées entre l'archevêque et le seigneur de Montferrand, sur la juridiction de la Peyronia, alias de las Speronias, du tenement de Clopeyrat contigu au précédent, et des tenements del Mas Sancti Mercorii.

Ces tenements, sis dans la paroisse de St-Marcory, étaient séparés des terres du seigneur de Montferrand par un chemin : il est facile d'identifier la Peyronia ou las Speronias, avec les Esperonnies de la carte d'état-major ; Clospeyrat est probablement les Ombradoux, et les villages de mas modernes, qui suivent, n'ont pas changé de nom. Tels étaient les tenements divers, depuis Soyssials (paroisse de Bouillac) jusqu'à ceux du Mas (paroisse de St-Marcory), dont le seigneur de Montferrand de Périgord cherchait à usurper la juridiction.

L'archevêque de Bordeaux pouvait prouver ses droits et par des titres certains et par de nombreux témoignages : pour Soyssials, par les titres de la Bourelie et de Gaston de Verdon.

Pour les tenements de la Sabataria et du Pélonnier par le titre de noble Bosco de Serval ; pour le mas de la Tolosama, par le titre de Arnauld Albarel, de Belvès, dont les ancêtres avaient eu la propriété ; pour le mans de Pleysac, par les titres du seigneur de Blanquefort ; pour les tenements de las Esperonies et del Clopeyrat, par un titre ancien de Pierre de Bosredon, qui proclame que ce tenement est situé « in honore et jurisdictione de Bellovidere » et aussi par les titres de la chapellenie du Caillau, seigneur féodal dudit tenement[432].

Et, malgré ces preuves certaines au profit de l'archevêque, le seigneur de Montferrand, dit noire titre, « tenuit suam curiam in dicto manso de las Speronias. »

Et le rédacteur ajoute :

Ergo provocavi et relevavi in curia domini senescalli Petragorencis et partes hinc et inde se presentaverunt et processus dormit et pecie sunt in sacco quod fuit traditus magistro Johanni de Cruce I [433]

Malgré le ton quelque peu découragé du rédacteur, on peut affirmer que les droits de l'archevêque furent reconnus ; car, jusqu'à la Révolution, l'archevêque de Bordeaux resta seigneur sans contestation et justicier, dans les paroisses de Vielvic, Fongalop et St-Marcory[434].

Au sud de la juridiction, l'archevêque de Bordeaux eut aussi des difficultés avec ses voisins, les consuls de Villefranche, relativement à la juridiction de La Trape et d'une partie de celle de Prats, la partie, du côté de Villefranche, au-delà du chemin qui sépare l'église de la maison seigneuriale. Un procès avait été engagé sur ce point au Parlement de Bordeaux, à la fin du XVe siècle[435]. Mais le procès ne fut pas suivi par les officiers de l'archevêque « et processus dormit ex negligentia officiariorum domini » et au xviie siècle, les consuls de Villefranche (16 mars 1627) demandèrent au juge seigneurial de Belvès, de déclarer qu'il n'avait aucun droit au nom de l'archevêque à la juridiction de la partie de la paroisse « au delà de la rue qui passe par le milieu du bourg de Pratz allant du bout du bourg à la fontaine du dit lieu »[436].

C'était l'ancien débat, qui reprenait ainsi, et il est certain que les consuls de Villefranche avaient dans la partie indiquée, du côté de Villefranche, la juridiction ; leur possession ancienne constituait leur droit et l'archevêque de Bordeaux ne garda dans sa juridiction qu'une faible partie du territoire, celle qui, au-delà, de la ligne sus-indiquée se trouve du côté de Belvès[437].

De ce côté, l'archevêque avait perdu et compromis ses droits, et suivant le n° 225, confirmé par d'autres documents, l'on peut résumer la série des faits.

La paroisse de Prats avait appartenu à un certain Laboria, qui voulut se rendre indépendant ; sa révolte entraîna, de la part du roi de France, la main-mise sur les paroisses de Latrape et Prats.

L'archevêque de Bordeaux en était seigneur suzerain, qualité qui était reconnue par les anciens tenanciers (la famille de Paleyrat notamment) qui prêtaient hommage à l'archevêque pour leurs possessions de Prats.

Ses droits résultaient encore de la réserve faite par le roi de France dans la cession de ces paroisses (en 1287) au roi d'Angleterre en paiement de 758 livres de rente ; le roi expliquait que l'archevêque prétendait droit à la juridiction, et s'il pouvait en justifier, on donnerait une indemnité raisonnable à l'anglais. En fait, l'archevêque obtint à son profit la levée du séquestre royal.

Mais, comme pendant le procès, la juridiction avait été mise sous séquestre (entre les mains du bayle de Sauveterre d'Agenais [aujourd'hui Sauveterre la Lémance] et du bayle de Villefranche), les consuls de Villefranche avaient usurpé la juridiction de la partie la plus rapprochée de leur ville.

Les officiers de l'archevêque, par la négligence à soutenir le procès engagé et rappelé plus haut, et à exercer la juridiction, avaient entraîné la perte des droits de l'archevêque, sur cette partie de la châtellenie  de Belvès.

L'archevêque de Bordeaux avait dû perdre de la même manière ses droits sur La Trape, qui, jusqu'à la Révolution, fut comprise dans la juridiction de Villefranche-de-Périgord [autrefois Villefranche-de-Belvès][438].

A l'Est, la juridiction de l'archevêque de Bordeaux touchait aux domaines du seigneur de Castelnau ; dans cette partie de son district judiciaire, l'archevêque de Bordeaux se laissa dépouiller d'une partie de ses droits. Voici les renseignements que nous fournit le catalogue des procès de l'archevêque[439].

Sur les confins de la paroisse de Doissac, le seigneur de Castelnau s'était emparé de son autorité, au xve siècle, de la juridiction sur la motte de Rauziac ou de Gasques [La mothe haute] et sur la forêt d'Auriole, territoires antiques ; il fondait sa prétention sur l'acquisition qu'il aurait faite de la fondalité de noble Pierre de Paleyrac et de Bertrand, son fils.

C'est sur ces mêmes titres que l'archevêque basait la contestation ; car ils prouvaient que les vendeurs étaient des vassaux de l'archevêque.

Une transaction, dont nous ne connaissons pas l'objet, eut lieu sur cette difficulté entre l'archevêque Jean de Foix (1501 à 1529) et le sire de Caumont, seigneur de Castelnau.

Sur un autre point de la paroisse de Doissac, le seigneur de Castelnau prétendait aussi juridiction et fondante, sur le territoire de Batbuoc et sur son église [aujourd'hui Babiot (carte de l'état major) église en ruine].

Le fait en lui-même ne pouvait être contesté, et il avait été mis en évidence par une enquête faite par Philiparie, à Doissac, au résultat de laquelle il avait été constaté que la paroisse de Doissac

Ultra jurisdictionem de Bellovidere se extendit in jurisdictionem Castri novi in aliquibus partibus. (G. 225) A. D. G.

Mais bientôt, nous l'avons vu plus haut, l'archevêque vendait à M. de Caumont, la juridiction des paroisses de Doissac et de Grives : et par là, se trouvaient n'avoir plus d'intérêt les usurpations imputées à M. de Caumont sur ces paroisses.

La châtellenie de Belvès, et partant les droits de l'archevêque, s'étendaient sur certaines dépendances de la paroisse de St-Laurent-de-Castelnaud. Les lettres du duc d'Anjou en 1372 l'ont constaté, et les actes de l'archevêque, soit antérieurs, soit postérieurs à cette date, confirment ses droits : ainsi en 1279, nous voyons l'archevêque de Bordeaux confirmer la fondation du prieuré de Beaulieu...

Qui prioratus est situs inter iter praedictum quo itur de Sancto Pomponio versus Bellovidere et mansos de la Sudria inter parochias Sancti Laurentii et dicto Doyssaco... (G. 225).

Et il ne pouvait faire cet acte, qu'à titre de suzerain ; el de même, dans la suite, les officiers de Pierre Berland arrentèrent les tenements du Pech ou Puy de Moncuc, jusqu'à la fontaine de Sercus : ce qui était un acte démontrant la seigneurie de l'archevêque sur ces tenements. Mais les droits de l'archevêque avaient été méconnus, depuis bien des années, par le seigneur de Castelnau : celui-ci avait occupé la juridiction du Pech de la Gaute, et des tenements de Moncuc, le long du chemin qui joint St-Pompon et Belvès jusqu'à la combe qui sépare le bourg de St-Laurent du mas du Bouysson.

Quae occupatio est et fuit multum antiqua quia sunt bene octo viginti anni elapsi et ultra quod erat debatum pendens. .. (G. 225)

De même, il y avait une vingtaine d'années, dit le rédacteur du catalogue des procès, Guillaume Philiparie, le seigneur de Castelnau avait occupé la juridiction du prieuré de Beaulieu ; et enfin, dans la direction de Grives, des tours de la Gardelle au mas de la Franconie, [probablement mas de la Cour de la carte de l'état-major] et à l'occasion du chemin antique qui va de ce mas, vers le gué de Garanagara, chemin qui rencontre etcoupe perpendiculairement à Signac, le chemin de Belvès à Domme; des difficultés s'étaient élevées entre l'archevêque et le seigneur de Castelnau, et elles durent entraîner sur ces points l'amoindrissement des droits de l'archevêque, puisque jusqu'à la Révolution, ces tenements firent partie de la juridiction de Castelnau.

Enfin, en suivant le cercle du territoire, vers le nord-est, il existait des difficultés entre l'archevêque et le seigneur de Berbiguières, à l'occasion de la juridiction sur les terres et prés dépendants de Carves et St Germain, et qui, le long du ruisseau de Grives ou de la Valetz [Valec : de Gourgues] se trouvent entre le ruisseau et le chemin qui va de St-Laurent au port de Fourques. Il parait qu'à l'occasion de ce conflit de juridiction, un homicide fut commis entre le chemin et le ruisseau, vers 1482, et François de Caumont, seigneur de Berbiguières, tint sa cour de justice, entre le ruisseau et le chemin.

Un procès fut engagé entre l'archevêque et de Caumont, un compromis y mit fin : le seigneur de Berbiguières voulait en tenir compte ; mais l'arbitre de l'archevêque ne voulut pas s'occuper de l'affaire : les choses restèrent en l'état et Charles de Caumont, devenu seigneur de Berbiguières, garda la possession des terres et prés contestés. Rien ne nous indique que les choses aient été modifiées dans la suite ; au reste, le sire de Caumont devint bientôt acquéreur de la justice de la paroisse de Grives, et partant le débat ne présentait plus d'intérêt.

Grives avec Doissac, formèrent une juridiction locale et particulière, dont furent titulaires les Caumont et les Vivans jusqu'à la Révolution; la juridiction de Grives fut séparée par le ruisseau le Valec, de la juridiction de la paroisse de Carves, juridiction locale relevant de Berbiguières, et qui au xviiie siècle eut pour titulaire messire Joseph Geoffroy de Besson, chevalier, seigneur de la Coste-Marobère.

Si la paroisse de Carves forma une juridiction spéciale, cependant l'archevêque retint quelques tenemens, qui étaient sur la rive gauche de la Valec, ce ruisseau devint la limite des possessions de l'archevêque et du seigneur de Berbiguières[440].

La paroisse de St-Germain relevait de la juridiction de Berbiguières.

Tels sont les renseignements que nous avons pu réunir sur la juridiction, dans la châtellenie  de Belvès.

Ajoutons que l'abbaye de Fongaufier formait une enclave au milieu du territoire et que l'abbaye avait les droits de basse justice dans Fongaufier et quelques villages de la paroisse de Sagelat, comme vassale de l'archevêque de Bordeaux.

CHAPITRE IV.

Histoire politique de Belvès depuis son origine jusqu'aux temps modernes.

 

Belvès a une origine fort ancienne.

Mais nous ne savons rien des premiers temps de son exis­tence ; imitons donc la prudence du vénérable M. Audierne, et disons avec lui : « l'ancienneté de Belvès est incontestable, par les nombreuses médailles gauloises qu'on y trouve[441] » et par les traces nombreuses d'établissements fort anciens.

Mais faut-il aller plus loin, et dire avec quelques-uns, que Belvès fut le siège d'un oppidum gaulois ?

Sans doute, en face du plateau de Belvès, au bord du plateau de la Bécède, sur les confins de la paroisse de St-Pardoux, se trouvent les restes d'un camp romain, connu dans le pays sous le nom de camp de César, ce qui permettrait de penser que non loin de là pouvait se trouver quelque établissement gaulois, contre lequel les Romains eurent à se prémunir.

Mais on doit s'en tenir à cette seule supposition, car s'il y a eu à Belvès, un oppidum gaulois, il n'a laissé dans l'histoire aucune trace de son existence ; et les constructions les plus anciennes de Belvès ne présentent, en aucune de leur partie, le caractère de constructions gauloises.

Cependant, il subsiste, dans le territoire de Belvès, les preuves les plus certaines d'établissements fort anciens; à côté des trouvailles de monnaies gauloises, mentionnons les dolmens, les pierres levées, les instruments en silex de toute nature, taillés ou polis, partout rencontrés à la surface du sol, preuves irrécusables du stationnement ou du passage des anciennes populations[442].

Les Romains n'ont laissé à Belvès aucune trace certaine de leur établissement ; et aucune des constructions anciennes de Belvès ne présente le caractère des constructions romaines.

Nous croyons donc plus volontiers, que Belvès se rattache au haut moyen âge ; il fut le siège d'un château important, dans l'enceinte duquel se forma la ville primitive.

Là se rencontraient les conditions essentielles à la formation de tout centre de population ; un établissement religieux voisin (le prieuré des Bénédictins) ; une forêt pour fournir le bois et le gibier et la nourriture du bétail (la Bécède); une situation forte par elle-même, et rendue plus forte par les fortifications du château, et constituant une protection efficace contre tous les dangers de ces époques troublées. Mais, pour cette période de formation, nous sommes obligés de le reconnaître, les documents font complètetement défaut ; il est impossible d'en présenter l'histoire.

Nous ne connaissons pas le nom du seigneur, propriétaire du château; nous ne savons rien de l'histoire de ce premier établissement et, au moment où des documents historiques certains, s'appliquant à Belvès, deviennent nombreux, le château était détruit, une ville, sur son emplacement et dans ses enceintes, était déjà formée. Nous avons tâché, dans un autre cha­pitre, de présenter l'historique de son développement.

Ce fut le besoin de sécurité, qui, à Belvès, comme dans la France entière, détermina et l'établissement du château et la fondation de la ville : en présence de l'affaiblissement du pouvoir central, en l'absence de toute force de police organisée, chacun ne dut compter que sur lui-même : de là les nombreux châteaux, qui s'élevèrent partout à la place des villas et des domaines ruraux, caractéristiques des époques romaine et carolingienne. La féodalité naquit ainsi de la force des choses et se développa sur le pays tout entier.

La condition de Belvès, pendant cette période, fut ce qu'a été la condition de toute agglomération urbaine.

Cependant, de bonne heure, sa population sut se faire, au regard de ses seigneurs, une situation enviée, grâce à l'organisation du consulat ; et les nobles tinrent à honneur d'assurer la paix et la tranquillité à leurs tenanciers.

Ne croyons pas cependant, pour ces populations, à une existence très calme ; les guerres privées furent le fléau de ces époques ; s'étendant de proche en proche, elles intéressaient un grand nombre de familles et s'exerçaient sur de grandes étendues de territoire : elles produisaient les effets désastreux de la guerre étrangère, et en Périgord cette coutume se maintint fort longtemps[443].

Bien que le caractère de son seigneur dût éviter à Belvès, dans une large mesure, le désastreux effet des guerres privées, le territoire belvèsois eut souvent à subir les conséquences déplorables de ces guerres que se déclaraient les seigneurs voisins et les vassaux de l'archevêque.

En outre, situé dans une région que se disputèrent avec acharnement les Anglais et les Français, Belvès eut, à la fin du moyen âge, une existence fort troublée ; il fut alternativement et à plusieurs reprises français ou anglais.

De plus placé sous la temporalité des archevêques de Bordeaux, c'est-à-dire de seigneurs dont les sympathies pour les Anglais étaient profondes[444] ; il dut se former au sein de sa population, grâce au consulat et à l'indépendance de ses bourgeois, un parti français, et des luttes ont du se produire entre le parti seigneurial et le parti français ; si la perte de nos archives ne nous permet pas d'en fournir la preuve, notre supposition se justifie par des événements analogues dans des cités de condition semblable à celle de Belvès.

Enfin, au milieu d'un pays sans cesse occupé ou traversé par les bandes armées, que n'eut pas à souffrir Belvès des excès de tous genres, conséquences inséparables des actes de guerre et aussi de la formation des bandes de brigands qui, la guerre finie, pillaient et pressuraient le pays; ses fortifications le protégèrent souvent, mais combien misérable dut être la situation de son territoire[445].

Ce sont ces points multiples que nous voudrions étudier ; nous nous bornerons exclusivement à Belvès et à son territoire, ne faisant quelque excursion dans l'histoire générale que pour éclairer quelque point particulier de l'histoire belvésoise.

C'est par le traité d'Abbeville, du 28 mai 1258, que le Périgord fut cédé à l'Angleterre :

Li rois de France donra au roi d'Engleterre tote la droiture que li rois de France a e tient en ces trais esveschiez e citez, c'est-à-dire de Limoges, de Cahors e de Pieregord, en fiez e en domaines, sauf le homage de ses frères, s'il acune chose i tiennent, dont il soient si homme, e sauves les choses que li rois de France ne peut mettre hors de sa main par lettres de lui ou de ses anceisors[446] .

Ce traité que, à l'imitation des conseillers du Roi, des historiens modernes ont reproché à saint Louis comme désavantageux :

Fut au contraire un chef-d'œuvre de politique : il dessina nettement la situation, qui jusqu'alors avait été fort incertaine ; il établit légalement la prédominance du Roi dans tout le royaume en faisant reconnaître sa suzeraineté par un puissant adversaire... [447].

Et c'est par cette considération que saint Louis répondait à ceux qui le blâmaient :

«  ...Si li donna une terre appelée Pierregort, ès contrée de Gascogne ; et la donna à li et à ses hoirs, sur tel condition que toute la Gascogne, avec cele terre, d'ore en avant, seroit tenue des rois de France en fieu et l'en feroit  hommage ; car avant la terre de Gascogne ne mouvoit pas des roys de France ne de leur règne... [448]

Si on objecte que les rois d'Angleterre étaient des vassaux d'une espèce dangereuse ; tout au moins était-il glorieux pour les rois de France d'avoir pour homme-lige le souverain d'une des plus puissantes nations de l'Europe : au reste cette suzeraineté du roi de France n'était pas un vain mot, et nos grands rois saint Louis, Philippe-le-Bel, Charles V, surent en tirer un merveilleux parti dans leur lutte contre l'Angleterre.

Au moment où le roi d'Angleterre devenait ainsi le seigneur du Périgord, Belvès appartenait déjà, ou était sur le point de devenir la propriété des archevêques de Bordeaux[449], et ainsi ces derniers, pour leurs domaines du Périgord, allaient devenir les vassaux, tout au moins les sujets du roi d'Angleterre, maitre du territoire.

Sans avoir à étudier en détail le fonctionnement de l'administration anglaise eu France, constatons combien les rois anglais furent attentifs à la direction des affaires du pays conquis, prescrivant des enquêtes, ordonnant les mesures de nature à assurer une bonne administration et à consolider leur établissement en France.

Le pays était peu cultivé ; des bois et forêts couvraient la plus grande partie du territoire ; la population était clairsemée. Les rois d'Angleterre, suivant en cela l'exemple que leur avait donné Alphonse de Poitiers, au milieu des groupes d'habitations déjà existants, fondèrent des villes nouvelles ou bastides ; ils leur donnèrent une constitution libérale, des privilèges plus ou moins étendus, et en tirent des foyers d'influence anglaise. Ainsi furent fondées, autour de Belvès, les bastides de Montpazier (1273), de Beaumont (1279), devenues des chefs-lieux de canton, de Molières, commune importante du canton de Cadouin ; à cette même époque, fut agrandie et dotée de privilèges importants Villefranche de Périgord, bastide fondée par Alphonse de Poitiers[450].

Les rois d'Angleterre, devenus les souverains du pays, respectèrent les seigneuries déjà organisées : celles-ci restèrent avec leur constitution particulière. Mais qui ne voit l'influence que devait avoir, sur l'administration de ces seigneuries, le voisinage de groupements urbains nouveaux, avec privilèges étendus et organisation libérale !

Les conditions dans lesquelles l'archevêque de Bordeaux possédait Belvès furent donc respectées par les rois d'Angleterre : ceux-ci ne durent intervenir en rien.

Au reste, les archevêques de Bordeaux étaient acquis à la cause des nouveaux maîtres : ceux-ci consolidèrent leurs droits et respectèrent leurs domaines : c'est dans ce sens que nous interprétons le traité d'échange, rapporté par Rymer, entre l'archevêque de Bordeaux et le roi d'Angleterre[451] : c'est une confirmation des concessions antérieurement faites à l'archevêque de Bordeaux en Périgord.

Tout au plus peut-on supposer que les archevêques de Bordeaux, par imitation des bastides voisines, furent amenés à conférer à leurs seigneuries des privilèges importants, auxquels feront allusion, en les confirmant pour l'avenir, les lettres du duc d'Anjou, pour Belvès, en 1372, la capitulation de Belvès en 1442, et la transaction entre la communauté de Belvès et l'archevêque de Bordeaux, Arthus de Montauban, en 1470.

Le roi de France, à aucune époque, n'avait accepté définitivement l'abandon de ses provinces à l'anglais ; les réserves insérées dans le traité d'Abbeville furent habilement exploitées par les légistes français qui surent arrêter bien des réclamations anglaises[452].

Le roi de France s'empressait d'approuver tout fait de nature à maintenir, à augmenter ou à rétablir l'autorité française dans les territoires cédés ; toute entreprise violente contre les droits du roi d'Angleterre, trouvait appui auprès du Parlement de France[453] ou du roi.

Si le roi de France se plaignait des « excès, rébellions et désobéissances » du sénéchal de Gascogne, pour lecompte du roi d'Angleterre, au « mépris et irrévérences » de l'autorité du roi de France et pouvait en donner des preuves nombreuses[454], le roi d'Angleterre se plaignait de son côté des nombreuses usurpations des agents du roi de France faites au mépris des traités.

A cet égard, dans un mémoire très important s'appliquant à la fin du XIIIe siècle, se formulent les plaintes du roi d'Angleterre, contre les usurpations de toute nature, imputées au roi de France ou à ses adhérents dans les pays cédés : à ce moment Belvès était redevenu français.

Item supprisit idem dominus rex Francie in prejudicium dicti domini regis Anglie, ducis Aquitaniae post tempus dicte pacis, in Petragoricensi castra et castellanias de Bellovidere, de Biguaruppe, de Castro novo et Dome veteris et loca castellaniarum predictarum ; que quidem loca et castra dictus dominus Rex Anglie et Aquitanie dux tenuit palam et publice longis temporibus, vel dictus dominus Bertrandus de Cardalliaco, tum senescallus cum eo, et dominus Humbertus Gutr, tunc senescallus post dictum dominum Bertrandum, et hoc probare liquide poterit per dictos dominos Guillelmum de Engolisma, militem, dominum Raymundum de Acerio, Arn. Motas [de Bellovidere] Guillelmum de Boychen et Stephanum de Albaruppe de Bellovidere, Arn. de Viridariis et per plures alios locorum predictorum... [455].

Mais cette situation pour Belvès ne devait pas durer longtemps, et, sans qu'on le sache exactement, l'on peut présumer qu'à la suite de la campagne de lord Derby, en Périgord, en 1345, qui fit rentrer tant de villes sous l'autorité anglaise, Belvès fut enlevé aux Français[456]

Les conquêtes de lord Derby ne furent pas durables ; et à la rapidité avec laquelle les Français rétablirent leur autorité dans la plupart des villes conquises, on peut juger du mouvement patriotique qui anima les populations françaises contre l'anglais dans certaines contrées.

Mais les revers succédèrent bientôt à ces victoires : la fatale journée de Poitiers, la prise et la captivité du roi Jean, et la paix de Brétigny (1360), nous amènent à une des périodes les plus douloureuses de l'histoire de France.

Pendant cette première période, le territoire belvesois eut beaucoup à souffrir des ravages des armées ; son église paroissiale fut détruite et Clément V, se souvenant de son ancienne seigneurie, voulut bien autoriser les mesures nécessaires pour en assurer la réfection[457]. Au reste, si nous ne savons rien de particulier sur Belvès lui-même, nous pouvons juger de sa situation par l'état dans lequel se trouvait à cette époque le Sarladais[458]; ainsi en 1349, Pierre, évêque de Sarlat, se plaignait de voir les droits de son église occupés ou amoindris par des usurpateurs et des envahisseurs; en 1352, l'abbaye bénédictine de Terrasson fut presque détruite, et Cadouin fut dans un état tout à fait lamentable, dont nous avons le récit par Talleyrand de Périgord, qui en avait été le témoin en 1358[459].

Le pays n'avait pas seulement à souffrir des faits et des désastres, inséparables de la guerre, mais les bandes de pillards parcouraient le pays et le soumettaient aux plus dures exactions. En 1351, elles ravagèrent les environs de Belvès où elles s'emparèrent de Sainte-Foy de Belvès[460].

Le traité de Brétigny (en 1360), confirma les cessions antérieurement faites par le roi de France à l'Angleterre, en y ajoutant de nouvelles provinces. Mais il est important de remarquer que, par ce dernier traité, le roi de France n'avait pas abandonné, sur les provinces cédées, la souveraineté tout entière, il avait subordonné sa renonciation complète et définitive et en avait suspendu l'effet, jusqu'à l'accomplissement des engagements pris à Calais par Edouard III, roi d'Angleterre[461].

Les réserves faites au nom de la France étaient précisées par le roi Jean dans les lettres par lesquelles il donnait l'ordre aux autorités françaises de faire la remise de leurs pouvoirs aux autorités anglaises. Voici les termes de ces documents :

Sauf et réservé à nous la souveraineté et le dernier ressort jusques à tant que certaines renonciations que notre dit frère (le roi d'Angleterre) doit faire soient faites, si comme il est plus à plein contenu ez lettres sur ce faites[462].

Cette transmission de pouvoir n'alla pas'sans difficulté : aux protestations des populations on pouvait constater la naissance ou le réveil d'une idée féconde de patriotisme, et prévoir que la France accepterait difficilement le joug de l'anglais[463].

Le roi d'Angleterre persista à refuser les renonciations que le roi Jean réclama à plusieurs reprises : aussi les légistes de Charles V purent-ils soutenir que le roi de France avait conservé le ressort et la souveraineté[464] sur le duché d'Aquitaine, organisé par le roi d'Angleterre, au profit de son fils aîné, au moyen des territoires nouvellement cédés.

Ainsi s'explique que lorsque les tenanciers de ce duché se crurent lésés dans leurs droits et eurent à se plaindre de leur seigneur, le duc d'Aquitaine, ils durent porter leurs plaintes au roi de France, suzerain du duc d'Aquitaine, par voie d'appel devant la cour de Parlement.

« Pendant les sept années qui suivirent le traité de Brétigny, les Anglais avaient traité la France en pays conquis, les fouages étaient venus périodiquement... »[465] et la patience était à bout.

L'établissement d'un nouvel impôt, en 1368, sous forme de fouage, acheva d'exaspérer les populations. On décida d'en appeler au roi de France.

L'initiative de l'appel contre les actes du duc d'Aquitaine une fois prise par le comte d'Armagnac, seigneur de l'Aveyron, un très grand nombre de seigneurs de l'Aveyron, du Quercy et du Périgord s'y associèrent : ce fut un grand mouvement patriotique, dans le sens français et contre l'étranger, qui traversa le.pays tout entier[466].

Belvès, le seigneur de Campagnac, l'abbaye de Fongaufier, les seigneurs de Cugnac, de Montferrand, de Biron, de Castelnaud, de Montravel, Villefranche de Périgord, Montpazier, St-Cyprien, pour ne citer que les seigneurs et les villes du voisinage de Belvès, firent leur déclaration d'appel contre le duc d'Aquitaine, dans les mains du roi de France[467].

Adhérer à l'appel n'était pas de la part des appelants se dégager de l'autorité du duc d'Aquitaine, mais reconnaître la suzeraineté du roi de France et invoquer le ressort et la souveraineté lui appartenant. Cette reconnaissance ne pouvait rien préjuger sur les conséquences de l'appel, et le duc d'Aquitaine restait le souverain légitime du pays, tant que la déchéance de ses droits et leur confiscation n'auraient pas été prononcées par le Parlement.

On sait avec quelles hésitations Charles V accepta l'appel: c'était, il le prévoyait, la rupture de la paix de Brétigny et la guerre rallumée : son esprit prudent craignait les conséquences qui pourraient en découler.

Il se décida cependant à faire assigner devant le Parlement de Paris le duc d'Aquitaine[468] : celui-ci, recevant l'assignation, entra dans une violente colère : a Oui, répondit-il, j'irai au Parlement de Paris, mais le bassinet en tête et 60.000 hommes en ma compagnie[469] ».

La guerre fut alors rallumée entre la France et l'Angleterre ; elle ne devait finir que par la victoire de la France et l'expulsion complète et pour toujours des Anglais du territoire français.

Tout le monde connaît le mouvement patriotique que provoqua dans le Quercy, le Rouergue et le Périgord, le duc d'Anjou : il se mit à la tête des troupes françaises, et successivement furent perdues par les Anglais par conquête ou par rébellion, un très grand nombre de places qui firent retour à la patrie française[470].

Charles V combla de faveurs les seigneurs qui avaient adhéré à l'appel[471], de même qu'il accorda des privilèges à toutes les villes qui avaient fait appel contre le roi d'Angleterre et le duc de Guienne, pour inexécution des clauses du traité de Brétigny[472].

Il en fut ainsi de Sarlat en 1370. Et le duc d'Anjou proclama ses privilèges :

...Attendu que les consuls de Sarlat, en vrais et fidèles sujets vinrent à nous et reconnurent notre seigneur le roi, comme leur véritable seigneur... [473]

Il en fut de même de Domme, de Carlux et de Montagrier qui redevinrent français[474].

Belvès fut dans le même cas, et nous avons les lettres du duc d'Anjou, par lesquelles ce prince, constatant le retour de Belvès à la patrie française, lui accorda d'importants privilèges :

Le duc d'Anjou... comme il convient au prince de favoriser tout particulièrement les sujets qui n'ont pas craint d'exposer à des dangers leurs personnes et leurs biens, pour les droits de leurs souverains, et d'accueillir leurs justes pétitions, leurs humbles supplications et leurs requêtes, avec grande bienveillance et faveur, pour que la dureté de cœur d'un grand nombre soit frappée par de tels exemples. .., tenant pour constant que les consuls et les habitants de la châtellenie de Belvès, avec les paroisses de leur territoire se sont replacés sous l'autorité du roi de France... voulant, comme il convient récompenser ce mouvement, nous avons concédé et concédons aux consuls et aux habitants de Belvès, par ces présentes, de notre plein gré, et par la grâce spéciale et l'autorité du roi, dont nous sommes investis, les franchises, libertés et immunités et privilèges qui suivent...[475]

Vers la même époque, au mois de mars 1373, Guibert de Domme, le sr de Comarque et la communauté de Sarlat « faisant en tout 60 maistres et bon nombre d'arbalestriers et pionniers, vont assaillir, de vive force, le lieu de Siourac d'où les Anglais faisaient des courses et des voleries sur Sarlat, Domme et Gourdon, et, après quelque résistance les Anglais capitulèrent et quittèrent la place[476].

Belvès resta assez longtemps français; ses habitants cependant ne rompirent pas toutes relations avec les Anglais, puisqu'en 1396 nous les voyons demander au roi de Fiance des lettres de rémission, à cause des relations qu'ils avaient entretenues avec les Anglais[477].

Au reste, la ville n'était pas encore rattachée d'une manière définitive à la patrie française, elle retomba sous l'autorité anglaise.

Sans pouvoir déterminer la date exacte de cet événement, on peut le placer au commencement du XVe siècle.

A cette époque Bertrandou d'Abzac tenait, pour le compte des Anglais, le château de Berbiguières[478].

Cette forteresse, qui occupait sur les bords de la Dordogne un point stratégique important, permettait aux Anglais, qui en étaient les maîtres, d'étendre leur domination sur les villes voisines, et Tarde est dans le vrai, en constatant qu'en 1417, les Anglais occupaient un grand nombre de places dans notre région[479].

Cette situation se maintint quelques années : la France divisée semblait devoir devenir anglaise ; la folie de son roi, les discussions intérieures, la mettaient sans défenseau pouvoir des Anglais. Mais bientôt, le patriotisme français, réveillé à la voix de la pucelle, le siège d'Orléans est levé, et sur tous les points un grand effort est tenté pour chasser les Anglais des places qu'ils occupaient encore en France. A la suite d'un long siège, Belvès redevint français, le 16 septembre 1442, il fut repris sur les Anglais par Jean de Bretagne, après la capitulation de la garnison anglaise[480].

L'instrument de ce grand événement nous a été conservé: nous en donnons ici la transcription, d'après la copie vidimée, faisant partie du fonds Périgord, à la Bibliothèque nationale[481].

Nous, Jean de Bretagne, comte de Penthièvre et de Périgord, vicomte de Limoges, etc., Pierre, comte de Beaufort, vicomte de Turenne, seigneur de Limeuil, Jacques, seigneur de Pons, vicomte de Turenne, à tous ceux que ces présentes verront et oirront, salut.

Savoir faisons que comme le roy, nostre sire, nous ayt commis et ordonné ses lieutenants, de par luy, pour nous mettre sus en armes et puissance de faire mettre sus ses sujets des dites provinces, pour conquérir et réduire en son obéissance leurs villes, châteaux et forteresses détenues et occupées par les Anglais, anciens ennemis du dit royaume et dictes provinces et en spécial au pays de Périgord et, avec ce, nous est donné pouvoir et authorité et puissance de pardonner, abolir et remettre tous cas, crimes et forfaits aux manants et habitants retrayants des dites villes, châteaux et forteresses, qui se voudront mettre et réduire en l'obéissance du roy nostre dit sieur, pour avoir tenu le party des dits ennemis, le temps passé, jusqu'au jour de la dite réduction ; et il soit ainsi qu'en obéissant au roy notre sieur, nous soyons venus en puissance tenir siège devant cette ville de Belver, détenue et occupée par les dits ennemis où tout a été procédé pour la réduction dicelle, que entre nous et Thomas Bontemps, natif du royaume d'Angleterre, capitaine de la dicte ville et chastel de Belver, et aussi entre les consuls, bourgeois, manants et habitants d'icelle ville, a été traicté, appoincté et accordé en la manière que s'ensuit...

Les articles du traité avaient pour objet de faire prêter aux habitants le serment d'être fidèles sujets au roi de France et leur assurer pardon et rémission pour les

Excès, crimes et forfaits qu'ils ont et peuvent avoir commis et perpétré envers le roy, nostre dit sire et à la chose publique, pour avoir tenu le party des dits ennemis, tant en général qu'en particulier.

Le traité assurait en outre les bases de la capitulation imposée au capitaine anglais Thomas Bontemps, et, tout en respectant les droits de l'archevêque sur Belvès, prenait à son encontre quelques précautions, tant que son siège serait occupé par les Anglais.

Belvès, pris et repris plusieurs fois, eut beaucoup à souffrir de ces sièges multiples : ses faubourgs furent saccagés ; l'église paroissiale (Moncuc), comme nous l'avons constaté, eut beaucoup à souffrir ; le couvent des Frères prêcheurs, placé hors la ville, fut plusieurs fois détruit et eut à subir d'une manière permanente d'innombrables dommages[482] ; mais ce fut surtout le plat pays, le territoire de la châtellenie, qui, pendant cette période, fut dans la situation la plus misérable.

Pour s'en faire une idée, il faut se rappeler qu'à cette époque, il n'y avait pas encore d'armée permanente; les seigneurs, convoqués par le roi, appelaient auprès d'eux, pour le service de guerre, leurs vassaux ; et comme ceux-ci ne devaient leur service qu'un temps limité, et, souvent, à la condition de ne pas sortir de la seigneurie, on était obligé de s'entendre avec des capitaines d'armes, d'enrôler des mercenaires. Par là, l'armée était mieux composée, car ces hommes qui vivaient du métier des armes, étaient d'une grande habileté et d'un courage à toute épreuve. La guerre déclarée, c'était sur le pays traversé que portaient toutes les charges ; la paix venue, les armées licenciées, ces aventuriers formaient des corps indépendants, en s'associant avec leurs camarades, s'emparaient de quelque donjon et pressuraient le pays autour d'eux : on peut ainsi se faire une idée de ces dévastations dont le peuple était la victime pendant notre période. ,

Froissart, qu'il ne faut pas suivre aveuglément pour l'ordre des faits, l'indication des lieux et la détermination des dates, mais qui peint exactement la guerre qu'il a vu faire, raconte ainsi la chevauchée que firent, en 1369, au comté de Pierregorth, le duc de Cambridge et le comte de Pennbroch.

Si chevauchièrent cel seigneurs et ces gens d'armes et entrèrent efforcément en le comté de Pierregorth : si le commencèrent à courir et à exilier et y firent plusieurs grandes apertises des armes et mult dommages et quand ils eurent ars et couru le plus grand partie du plat pays, ils s'en vinrent mettre le siège devant une forteresse qu'on appelle Bourdeille...[483]

La guerre se faisait à cette époque plus durement qu'aujourd'hui, et le père Denifle a bien caractérisé la guerre de Cent ans :

« Une suite sans fin et terriblement monotone de massacres, d'incendies, de pillages, de rançonnements, de destructions, de pertes de récoltes et de bestiaux, de viols, enfin de toutes les calamités»[484] ».

Tous les documents s'accordent sur ce point : Robert de Avesbury faisant allusion à la course de Derby :

Vint à St-Jean-d'Angely en ardant, en robant, et en ravissant hommes et femmes sans nombre[485] et à propos du siège de Bergerac, plus quam 4X castra et villas muratas in Aquitania potestati regis Angliae subdiderunt et praecipue nobilem villam et castrum de Bregrak ubi plus quam sexcentos armatos et infinitos pedes occiderunt, in qua equos, arma et multas divitias habuerunt et multos captivos nobiles abduxerunt [486].

Les consuls de Cahors, dans leur description de la prise de cette ville étaient donc des historiens véridiques[487], et sans donner d'autres exemples, on peut se rendre compte de la condition des villes conquises.

La guerre entraînait avec elle le pillage du pays « sans guerre vous ne poes ne saves vivre», disait Froissart des grandes compagnies, § 625.

La paix signée, les trêves convenues, le pays n'était pas dans une meilleure situation ; les chefs de bande opéraient alors pour eux-mêmes.

Ains gagnoient et conquéroient villes et forts châteaux souvent li uns sur l'autre, par force ou par pourcas, par combler ou par escheller de nuit ou de jour. Et leur avenoient souvent de belles aventures, une fois ès Englés, l'autre fois ès Françoys et tout dis, gagnoient povra brigant a desrober et pillier les villes et les chastiaus et y conquéroient si grant avoir que c'estoit merveille...[488]

Le Périgord ne fut pas plus épargné que les autres parties de la France par le fléau des grandes compagnies, et nous voyons, en 1368, Urbain V donner pouvoir à l'évêque de Périgueux d'absoudre tous ceux de qui les compagnons avaient reçu aide et secours ; notre pays fournit, même quelques-uns des grands chefs, notamment l'archiprêtre de Vélines, le bâtard de Mareuil, etc., et si, suivant l'observation du père Denifle, les compagnies restaient peu dans nos régions, c'est que « la guerre les avait déjà appauvries, dépeuplées et dévastées [489] ».

Le pouvoir faisait ce qu'il pouvait pour arrêter ces désordres; le roi d'Angleterre avait donné l'ordre, en 1363, de poursuivre les chefs de bandes et pillards[490]. Plus tard, il les désavoua, mais il est vrai après s'en être servi[491]. Nous nous en voudrions de ne pas citer la belle lettre d'Edouard III à son fils, en 1368[492] : des routiers surpris par les troupes de Charles V, vers Montauban, avaient répondu être au service de l'Angleterre, et cela, pendant la trêve,

Lesquelles choses seroient, se il est ainsi, contre la paix et alliance, à grand deshonour et esclandre de nous et de nostre estat et aussi de vous, et de nos fils et prélatz et austres gentz de nostre roialme et nous desplairoit très durement, nous ne pourrions en nul manière ces choses par dissimulation passer, sans y mettre remède.

Les rois de France, de leur côté, n'avaient pas épargné leurs efforts pour débarrasser le pays de ces terribles ravageurs.

La papauté fit aussi les plus grands efforts pour délivrer la France du fléau des grandes compagnies. A ce point de vue, Urbain V fit preuve de la plus grande énergie et de la plus grande clairvoyance, en employant tous les moyens qu'il avait à sa disposition par une série très remarquable de bulles[493].

Toutes ces mesures restèrent inutiles, et les populations durent se protéger elles-mêmes par des conventions avec les chefs de bandes (à pactis, bullettes) ; par un sacrifice fixé à l'avance on évitait les pillages et les réclamations arbitraires.

Au point de vue matériel, la guerre de Cent Ans laissa le pays épuisé et la France couverte de ruines[494]. Le trouble le plus profond, dans les familles et les classes dirigeantes, divisées qu'elles étaient, les uns tenant pour les Anglais, les autres pour les Français. La situation s'aggravait encore des désastres de la nature, qui souvent venaient se joindre aux malheurs de la guerre.

En icelui an (1363) furent les plus grandes gelées et le greigneur yver que l'en eust oncques veu ne ouy parler de plus de cent ans avant[495].

La peste ravagea le pays : le Périgord et le Sarladais subirent une grande mortalité en hommes et en bétail. Urbain V accorda à cette occasion de grandes indulgences à la ville et au diocèse de Sarlat[496].

La situation mit longtemps à s'améliorer ; les documents officiels, longtemps encore, feront du Périgord une description vraie, mais lamentable[497].

Et, malgré tout, cette période de l'histoire de France, si triste, à certains points de vue, fut féconde : pour la première fois le sentiment national se fit jour; on comprit le devoir au pays, et on n'hésita pas à le préférer à la satisfaction de ses propres intérêts. Par là s'explique l'enthousiasme des populations du Quercy, du Périgord et du Rouergue, s'associant à l'appel contrôle duc d'Aquitaine ; les particuliers et les consuls de plusieurs villes refusant de devenir Anglais et ne se soumettant que sur l'ordre formel du roi de France.

Les consuls de Cahors méritent, parmi ces premiers Français, les félicitations et les louanges de la postérité[498].

Belvès, la paix venue, se relevait peu à peu des désastres de la guerre de Cent Ans ; les guerres de religion renouvelèrent les calamités anciennes et couvrirent le pays de ruines.

Ce fut vers le milieu du xvie siècle que le protestantisme fit son apparition en Périgord[499] et, à partir de ce moment jusqu'au xvue siècle, la situation générale du pays fut très mauvaise[500] (2).

Rappelons les faits qui intéressent particulièrement notre contrée.

Les guerres de religion forment une des périodes les plus sombres de l'histoire de France. Les idées de tolérance et de libre examen, que devaient prêcher les philosophes du xviiie siècle, n'étaient pas encore entrées dans les mœurs; quelques esprits d'élite, seuls, s'y rattachaient. Les catholiques, les uns par religion, les autres par politique, étaient portés à considérer les protestants comme des rebelles : ceux-ci voulaient conquérir le libre exercice de leur culte, une égale aptitude aux fonctions avec les catholiques, une part dans la direction des affaires publiques. La guerre éclata entre les deux partis. La part qu'y joua la châtellenie de Belvès fut peu importante. Il est bon cependant de la faire connaître.

Belvès, par ses fortifications et sa situation restait une place importante du Périgord ; sa possession assurait un point d'appui sérieux pour commander une partie du pays. En outre l'existence, dans la cité d'un prieuré de Bénédictins, d'un couvent de Frères prêcheurs, des congrégations locales, et le fait que Belvès était une seigneurie appartenant à l'archevêque de Bordeaux, tout devait pousser les religionnaires à l'occuper, à en faire une de leurs places, à y établir la religion nouvelle.

Au reste les guerres de religion n'eurent pas seulement la liberté de conscience pour objet : les princes et les grands y prirent part pour des intérêts politiques.

Ces guerres entraînèrent la formation d'armées importantes : les bandes qui les constituaient exercèrent sur le pays les plus cruelles exactions. Ce ne fut « qu'une longue » série de fureurs, de carnage, de réactions qui allaient » tenir la France à l'état barbare jusqu'à Richelieu et Louis XIV »[501].

L'état du pays fut ce qu'il avait été pendant les guerres anglaises. A côté des grands partis politiques et religieux, et des armées organisées par eux, sur tous les points de la Fiance, sous prétexte de religion, des capitaines levèrent et organisèrent des bandes[502] et le pays eut à souffrir des faits de guerre, et des oppressions de tout genre que ces bandes armées lui imposèrent[503].

Pendant les premières années de cette période, tandis que plusieurs villes voisines : Sarlat, Issigeac, Montignac eurent à subir tous les désastres, conséquences de la guerre, Belvès eut moins à souffrir. Il souffrit seulement de l'état général de désorganisation : les passages de troupes, les réquisitions, les violences de toute nature entraînèrent la disette et la famine et de grandes épidémies.

Mais bientôt allait s'ouvrir pour notre cité, une période plus critique. En 1569 et le 26 septembre, le sieur de Limeuil[504], accompagné du sieur de Fleurac[505], son frère, et d'une troupe de gens à cheval, vint à Belvès et s'en rendit maître, après deux jours de résistance de la part des gens de l'endroit; puis ils l'abandonnèrent.

Le lendemain 29 septembre[506], le sieur de Vivans la prit, la pilla et fit des prisonniers, notamment Philiparie, auditeur de l'archevêque de Bordeaux. La résistance fut assez vive. Une tour, dite de l'Auditeur, tint fort longtemps; Vivans même ne se serait pas emparé de Belvès, s'il n'eut eu des intelligences dans la place[507].

Vivans aurait voulu garder sa conquête, pour y rallier les gens de guerre ; mais il ne la trouva pas assez forte, et ayant appris l'arrivée de troupes catholiques dirigées par le sieur des Cars[508], et n'étant pas en état de résister, il se retira à Beynac où il amena ses prisonniers.

Le lendemain de son départ arriva le sieur des Cars, à la tête d'une bande de catholiques. Mais, suivant le mot de Tarde « après la mort le médecin », le mal était irréparable, le pillage avait été complet ; les faubourgs et le couvent des Jacobins avaient été saccagés.

L'édit de Paix de 1570 donna quelque repos au pays, pendant deux années ; mais bientôt les troubles recommencèrent.

Vivans, quelque temps après, s’empara de Montpazier (1574) d'où il tenait, suivant ses expressions, le pays en cervelle, depuis Cahors jusqu'à Périgueux ; il interceptait les passages de troupes catholiques qui passaient à sa portée.

Pendant ce temps, les troupes catholiques de Belvès pillèrent le château de Bastes[509] parce que le seigneur, quoiqu'il fût catholique, avait reçu les troupes de Vivans.

De quoy de Vivans se voulant venger, les envoya attirer le lendemain par le sieur de Basles, et s'étant mis en embuscade avec sa cavalerie, donna entre la ville et eux et les tailla tous en pièces. Leur capitaine, nommé Pecharry y fut tué et plusieurs des habitants. Une arquebusade lui ouvrit le pommeau de son épée, que le jour s'en voyait, et l'autre lui emporta l'arçon de la selle[510].

La religion réformée fut bientôt rétablie à Belvès, et son exercice protégé par une garnison protestante, pendant l'année 1575 : celle-ci frappa le pays de contributions[511] ; le culte fut alors installé dans la chapelle même du château, dite chapelle St-Nicolas[512] .

Après l'édit de Pacification de 1577, les réformés abandonnèrent la chapelle St-Nicolas, et transportèrent ledit exercice :

A une maison appartenant à feu Me Hélie Pecharry, prévôt des maréchaux, vulgairement appelée la Ferrière de Prébos, située dans le faubourg de cette ville appelé Malbec[513].

En Périgord, les religionnaires n'obéirent pas à l'édit de Paix et des faits de guerre se produisirent sur plusieurs points ; à Belvès ils redevinrent les maîtres ; le 1er janvier 1577, la ville fut prise, mais d'une façon honteuse par le sieur de la Bourrelie