Source : Bulletin SHAP, tome XXVIII (1901)
pp. 72-104.
HISTOIRE
DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS
Avant la Révolution,
Belvès avait de riches et anciennes archives, et les établissements ecclésiastiques
de la région, le couvent des Frères Prêcheurs de Belvès, les abbayes de
Fongaufier et de Cadouin, avaient de nombreux cartulaires.
Au moyen de ces
documents, il eût été facile d'écrire l'histoire de la châtellenie ;
aujourd'hui, la tâche est autrement difficile.
Ces dépôts d'archives
ont été détruits ou dispersés, soit au moment de la Révolution, soit depuis
cette époque[1].
Et nous n'avons
aujourd'hui d'autres documents que ceux que contient le Fonds Périgord à la
Bibliothèque nationale, et ceux que conservent les Archives départementales de
la Gironde.
Le Fonds Périgord a été
constitué par M. l'abbé Lespine, directeur de la Bibliothèque nationale ; et
les pièces qu'il contient, pour notre région, proviennent principalement des
collections qui avaient été faites, en vue d'une histoire ecclésiastique du
Périgord, par les moines de Chancelade, et principalement par Leydet et par
Prunis[2].
Ce fonds contient des
documents originaux, de nombreuses copies, extraits ou analyses de pièces
empruntées aux archives de la région ; et, aujourd'hui que presque tous ces
dépôts d'archives ont été dispersés, le Fonds Périgord rend de grands services
aux travailleurs : il a conservé un très grand nombre de documents qui, sans
lui, seraient irrémédiablement perdus.
Malheureusement,
beaucoup trop de ces documents n'ont été reproduits qu'incomplètement, sous
forme d'extraits ou de traduction ; le document analysé ne l'a été qu'en vue
d'un point spécial, et il ne fournit pas à l'histoire tous les renseignements
qu'on en pourrait tirer s'il était complet[3].
En outre de cette
première source d'informations, nous avons trouvé un très grand nombre de
documents, et quelques-uns de premier ordre, dans le riche dépôt des Archives
départementales de !a Gironde[4].
Ces documents sont
arrivés aux Archives de la Gironde par l'abandon qu'en a fait très libéralement
Mgr l'archevêque de Bordeaux. Or, comme Belvès a été, au moins depuis le XIIIe
siècle jusqu'à la Révolution, dans la temporalité des archevêques de Bordeaux,
un très grand nombre de documents intéressant son histoire se trouvaient à
l'archevêché de Bordeaux. Ils ont été versés aux Archives départementales de la
Gironde[5].
Enfin, nous devons
quelques documents, soit à des collections particulières[6],
soit aux Archives départementales de la Dordogne[7],
soit aux Archives des Basses-Pyrénées, à Pau.
Nous n'avons pas manqué
de consulter les ouvrages, tant généraux que particuliers, de nature à nous
fournir quelques renseignements sur notre localité.
Grâce à ces documents,
il nous a été possible de fixer, au moins dans ses grandes lignes, l'histoire
de la châtellenie de Belvès.
Cette histoire n'offre
pas un très grand intérêt ; elle ne se distingue guère de l'histoire que l'on
pourrait écrire pour beaucoup de localités de la Dordogne.
Si l'on veut cependant
considérer que Belvès est l'aîné des cités voisines, plus ancien que Domme
(1282), Villefranche-du-Périgord (1261), Montpazier (1273), Beaumont
(1272-1287) ; qu'il a été, historiquement, plus important que St- Cyprien et le
Bugue, on nous pardonnera d'avoir songé à en écrire l'histoire.
En le faisant, nous
nous sommes souvenu que là était le berceau de notre famille ; nous avons voulu
sauver de l'oubli certains faits, à peu près inconnus de notre génération, et
acquitter notre dette de reconnaissance envers une cité qui par deux fois,
1896, 1900, nous a fait le très grand honneur de nous appeler à diriger ses
intérêts administratifs.
CHAPITRE
Ier.
DE LA CHATELLENIE DE BELVES ;
LES PAROISSES DE LA CIIATELLENIE ; FORMATION DE LA VILLE, POPULATION; NOBLES,
BOURGEOIS ET ROTURIERS; SEIGNEURS DE BELVÈS.
Le territoire dont nous nous proposons
d'écrire l'histoire formait au moyen âge la châtellenie de Belvès (castellania de Bellovidere ou Bellum videre)[8].
Celle-ci comprenait, d'après le Dictionnaire
topographique de M. de Gourgues, treize paroisses; leur nombre parait avoir
varié, suivant les époques et comme conséquence des événements politiques ;
nous pouvons les énumérer d'après deux documents anciens fort importants.
La première liste des paroisses
composant la châtellenie de Belvès se
trouve dans un document des Archives de Bordeaux, contenant le nom des
habitanls inscrits en 1351 dans les contrôles du Consulat de Belvès et
présentés paroisse par paroisse[9].
La deuxième liste est contenue dans les
lettres du duc d'Anjou de 1372 énumérant les privilèges reconnus à Belvès et à
son territoire[10].
Nous groupons, dans le tableau suivant,
ces anciennes listes, avec la liste donnée par M. de Gourgues, et avec la liste
des communes formant aujourd'hui le canton de Belvès.
TABLEAU
COMPARATIF DES PAROISSES DE LA CHATELLENIE DE BELVES ET DES COMMUNES DU CANTON
DE BELVES.
(a)
LISTE de 1351 |
(b)
LISTE de 1372. |
(C)
LISTE de M. de Gourgues |
COMMUNES
du canton de Belvès |
(1)
Parrochia de Bellovidere. (2) Parrochia Sancti Pardulpo. (3)
Par. de Urvallo. (4)
Par. de Palayrac. (5)
Par. de Monplasen. (6)
Par. de Vielvic. (7)
Par. Sancti Mercury. (8)
P. de Fongala. (9)
P. de Aulis de Carves. (10)
P. de Larsat. (11)
P. Sancte Fidis. (12)
P. Sancti Amandi. (13)
P. de Grivas. (14)
P. de Satgelaco. |
(1) P. de Bellovidere. (2)
P. de Sancto Perdone. (3)
P. de Urvallo (4)
P. de Palayraco. (5)
P. de Monte-plazentio. (6)
P. de Veteri Vico. (7)
P. de Sancto-Mercorio. (8)
P. de Fonte Galadon. (9)
P. de Aulis de Caraves. (10)
P. de Larsaco (11)
P. de Sancta Fide. (12)
P. de Sancto Amantio. (13)
P. de Grivis. (14)
P. deSagellaco. (15)
P. de Fontis Gautrerii. (16;
P. de Doyssaco. (17)
P. deOrliaco (18) P. de Pratis[11]. |
Belvès. Saint-Pardoux. Urval. » Montplaisant. Vielvic. Saint-Marcory. Fontgalau. Salles. Latzac. Sainte-Foy. » Sagelat. |
(1) P. de Belvès. (2) Saint-Pardoux et Vielvic. » » (3)
Montplaisant. (4)
Vielvic. » (5)
Fontgalop. (6)
Salles-de-Belvès. (7)
Larzac. (8)
Sainte-Foy-de B. (9)
Saint-Amand-de-B. (10)
Grives. (11)
Sagelat. (12)
Doissac. (13) Saint -Germain-de-B. (14)
Siorac-de-Belvès. (15)
Carves. (16) Cladech. |
La comparaison des
trois premières listes nous permet de constater des lacunes dans la liste
donnée par M. de Gourgues.
Ainsi, cet auteur
oublie, parmi les paroisses de la châtellenie, les paroisses de St Amand et de Paleyrac
qui toujours ont fait partie de son territoire[12]
; au reste, la liste donnée par M. de Gourgues n'est
qu'une œuvre personnelle ; nous pouvons la laisser de côté ; nous ne l'avons
reproduite qu'à titre de simple renseignement.
La liste des paroisses
de la châtellenie de Belvès, donnée par les lettres du duc d'Anjou en 1372,
diffère en plusieurs points de la liste se rapportant à l'année 1351.
Elle place en premier lieu dans la
châtellenie la paroisse de Fongaufier, et c'est peut-être là une erreur, car on
peut se demander si Fongautier a jamais constitué une paroisse particulière,
resserré qu'il est entre les paroisses de Sagelat et de Montplaisant. L'abbaye
de Fongaufier fut la patronne de ces deux paroisses, et, au XIVe
siècle, on lui donna leurs revenus, à la charge d'y entretenir un vicaire ; à
partir de ce moment, il est certain que Fongaufier ne put constituer une
paroisse[13].
M. de Gourgues affirme
que Fongaufier comme paroisse fut réuni anciennement à Siorac[14]
; le document sur lequel on appuie cette union n'étant pas cité, nous nous
permettrons d'élever quelques doutes.
Ce qui est vrai, c'est
que Fongaufier a été le siège d'une abbaye de femmes; que celle-ci a exercé le
droit de basse justice sur le bourg de Fongaufier et sur quelques villages
dépendant de la paroisse de Sagelat[15]
et qu'elle constituait une enclave dans la châtellenie de Belvès.
C'est avec raison que
les lettres du duc d'Anjou, contrairement au catalogue de 1351, placent au
nombre des paroisses dépendant de la châtellenie de Belvès les paroisses de
Doissac, d'Orliac[16]
et Prats et quelques territoires dépendant de Grives et de St Laurent.
Nous verrons, dans la
suite, qu'en effet, la juridiction de l'archevêque de Bordeaux s'étendait sur
ces paroisses et leurs dépendances ; mais que les limites de la juridiction
n'étaient ni bien établies, ni bien respectées, et que des difficultés
nombreuses s'élevaient à l'occasion de quelques dépendances de ces paroisses
entre l'archevêque et les seigneurs voisins de la châtellenie[17].
Si, d'un autre côté,
nous comparons, quant à leur étendue, la châtellenie de Belvès et le canton
actuel de Belvès, nous remarquons entre eux plusieurs différences.
1° Le canton de Belvès
comprend quelques communes dont les paroisses qui les ont formées n'étaient pas
comprises dans la châtellenie. Il en est ainsi de Siorac-de-Belvès, paroisse
qui formait au moyen âge une juridiction spéciale, relevant de la juridiction
et châtellenie de Bigarroque[18]
; des paroisses de Cladech et de Saint-Germain-de-Belvès, qui faisaient partie
de la juridiction de Berbiguières[19]
et de la paroisse de Carves, qui relevait de la juridiction de Berbiguières et
forma dans la suite une juridiction indépendante et distincte[20].
2° D'un autre côté, et
en sens inverse, la châtellenie de Belvès comprenait quelques paroisses, dont
les territoires, enlevés au canton de Belvès, sont rattachés aux cantons
voisins, ce qui s'applique aux paroisses suivantes: à Urval et à Palayrac,
communes du canton de Cadouin ; à Saint-Marcory, commune du canton de
Montpazier ; à Orliac et à Prats, communes du canton de
Villefranchedu-Périgord, et St-Laurent, commune du canton de Domme.
Les deux territoires, châtellenie et canton de Belvès, ne cadrent donc pas, administrativement parlant.
Mais on peut remarquer que les anciennes paroisses, détachées du canton, et
faisant partie de la châtellenie, comme aussi les paroisses de Siorac, Cladech,
Saint-Germain, Carves et Grives comme aussi les localités plus éloignées de
Berbiguières, Prats, Latrape, Bigarroque, sont restées fidèles à l'ancien état
de choses, et pour les relations d'affaires et de commerce, les habitants ont
toujours considéré Belvès, comme le chef-lieu de leurs territoires[21].
Belvès a obtenu le
consulat; à quelle étendue de territoire s'appliquait cette concession ?
Si nous nous en
rapportions aux documents de 1351 et de 1372, on pourrait soutenir que le
consulat comprenait le territoire tout entier de la châtellenie et que les pouvoirs des consuls s'exerçaient
dans toute son étendue. Il a dû en être ainsi à l'origine, car dans ces textes
rien ne limite l'étendue du consulat, et nous avons des exemples multiples de
consulat s'étendant à un très grand nombre de paroisses[22].
Mais les choses
changèrent à partir de 1470, et au point de vue administratif, le territoire de
la châtellenie fut divisé en deux parties distinctes. Le consulat ne s'étendit
qu'à la ville et paroisse de Belvès et aux quatre paroisses les plus voisines :
Saint-Amand, Sagelat, Montplaisant et Saint-Pardoux.
Arthus de Montauban,
archevêque de Bordeaux, seigneur temporel de Belvès, signa avec les consuls et
les habitants de Belvès une transaction, destinée à faire cesser les débats et
difficultés et à mettre fin aux conflits, qui s'étaient élevés entre lui et les
habitants[23]. Cette
transaction confirma et organisa le consulat et en restreignit l'étendue[24].
A partir de cette
époque et jusqu'à la période moderne, le consulat a conservé ses prérogatives
et ses droits : la transaction de 1470, à laquelle l'on se référera constamment
dans la suite, et qu'on ne modifiera que sur des points de détail, restera,
avec les lettres patentes du duc d'Anjou de 1372, la charte fondamenlale des
libertés et des privilèges des ville et consulat de Belvès.
Ainsi, dans le
territoire de la châtellenie de Belvès, le Consulat resta le territoire
privilégié; son administration était assurée par les consuls agissant de
concert avec le bayle, représentant de l'archevêque. Dans l'autre partie de la
châtellenie , hors le Consulat, le seigneur archevêque conservait sou autorité
complète. A titre exceptionnel et en cas de nécessité urgente, les consuls
pouvaient frapper d'impôts tous les habitants de la châtellenie : c'était un
reste du pouvoir qu'ils avaient eu, à l'origine, sur le territoire tout entier[25].
Hors ce cas, le seigneur archevêque de Bordeaux et les seigneurs, ses vassaux,
exerçaient, sans aucune limitation, les droits afférents à leurs seigneuries,
dans le district de la châtellenie.
Le territoire de la
châtellenie de Belvès était au moyen âge ce qu'il est encore aujourd'hui. La
plus grande partie était occupée par des bois, le plateau au nord-ouest par la
forêt de la Becède; la portion la plus riche était le territoire Belvesois et
les vallées de sa principale rivière, la Nauze, et de ses affluents[26].
On peut dire de cette
portion du Périgord ce qu'on dit du pays tout entier, avec Blaise de Montluc. «
J'ay été lieutenant du roy en ce pais, j'ay fort couru le monde, mais je croy
qu'il n'y a rien qui esgaie ce pais, soit en richesses, soit en commodités et
vivre. »
Si le paysage, dans son
ensemble, revêt un grand caractère de sévérité et même de tristesse, « l'œil se
repose sur des vallées étroites qu'arrosent des rivières sinueuses bordées de
prairies; puis des noyers semés sur des terres labourées, des peupliers le long
de l'eau coupent la plaine par tranche verte et conduisent doucement le regard
jusqu'aux coteaux où la vigne et le chêne s'entremêlent.... »[27]
et le paysage tout entier revêt un charme indéfinissable.
Belvès est
admirablement situé : il forme le sommet d'un promontoire détaché du plateau de
la Becède et s'y rattachant par des pentes successives.
La partie la plus
élevée du promontoire était occupée par le castrum,
la ville forte : « Ledit lieu est élevé et fort et le meilleur lieu de tout le diocèse de Sarlat,
après la cité très salubre...», dit Philiparie. Perché au sommet de pentes fort
raides, à une centaine de mètres au-dessus de la vallée de la Nauze, isolé, au
nord et au midi, sur les côtés par des vallées profondes[28],
rattaché au premier contre-fort du plateau par un long couloir étroit, il était
facile, en élevant là des fortifications, d'en faire une place de guerre
importante, surtout à une époque où la poudre à canon n'avait pas encore mis
aux mains des assiégeants les moyens d'attaque à longue portée.
Le castrum, noyau de la
ville primitive[29],
occupait la partie la plus élevée de la ville actuelle, telle que la dessinent
le tracé de la route n° 11 bis, le côté est de la place et les rues du
Petit-Sol et de la Brèche.
Puis le commerce,
l'organisation politique, la protection des fortifications, attirèrent une
population nombreuse, et, autour de la ville primitive, en avant des Portes,
vers le nord et sur le long couloir reliant le castrum au premier plateau, se
forma peu à peu une ville nouvelle.
Dans les premiers
temps, la ville ne dut comprendre qu'un cordon de maisons autour de la place;
puis successivement sur les chemins partant de la place, grâce aux
constructions élevées sur leurs côtés, se formèrent la rue Foncastel, la rue du
Portail-Peint (carriera de Portali Picto); dans la suite, rue Portal, ou
Grande-Rue; puis, avec le temps, s'élevèrent les faubourgs ou barris, à
Pélevade, en prolongation de la rue Foncastel; et, en prolongation de la rue
Portal, les barris de la Turquerie, sur le chemin qui joignait la ville au
prieuré des Bénédictins, chef-lieu spirituel de la paroisse.
La fondation, au XIVe
siècle, du couvent des Frères Prêcheurs, au nord de la ville, tout près, mais en
dehors de la fortification, fut le point de départ de la formation de nouveaux
quartiers.
Telle fut la ville
ancienne, tels en furent les développements successifs.
Au xvie siècle, elle
était, en pleine prospérité; complètement relevée des ruines de la guerre
anglaise, elle pouvait aspirer à devenir une des cités les plus importantes de
la région ; fort maltraitée pendant les guerres de religion, elle eut
grand'peine à se relever, et elle est, depuis cette dernière époque jusqu'à nos
jours, restée tout-à-fait stationnaire.
La légende populaire
voudrait que Belvès soit le résidu d'un grand établissement urbain, que la
ville ancienne ait couvert de ses édifices un grand espace de terrain et ait
englobé l'église paroissiale dans ses murs : tout cela n'est que légende.
Les documents sainement
étudiés permettent d'affirmer que la ville ancienne, à aucune époque, n'a été
plus étendue que ne l'est actuellement la ville moderne ; l'église paroissiale
Notre-Dame Sainte-Marie de Moncuc, a été toujours isolée et séparée des barris,
ceux-ci n'ont formé qu'un cordon entre la ville et le plateau de l'église ; et
la ville n'a jamais occupé que le terrain qu'elle occupe aujourd'hui et
qu'entoure de ses replis la route départementale n° 11 bis.
Les choses ont donc
beaucoup moins changé qu'on ne le croit généralement, et nous pensons qu'il est
facile de suivre les développements successifs de la ville ancienne, et d'en
retrouver l'assiette, au milieu de la ville moderne. Ce sera là l'objet
principal de nos recherches.
La ville de Belvès, au
moyen âge, comprenait trois parties distinctes : le castrum, la ville proprement dite, les faubourgs.
I.
LE CASTRUM.
La partie la plus
importante et la plus ancienne est le castrum,
fort ou château : à l'origine ce fut la ville tout entière.
Le castrum occupait la
partie la plus élevée du promontoire, il comprenait les quartiers actuellement
constitués par l'hôpital, l'école primaire supérieure [dénommée encore le
château] et les habitations élevées sur les rues Malbec ou du Grand-Fort, et Rubigant
et dans les espaces qui les séparent. Vers l'ouest, le castrum ne dépassait pas la limite actuelle de la place d'Armes.
Il est facile d'en
reconstituer le périmètre.
Comme toute place
fortifiée le castrum était protégé
par de hautes murailles, flanquées de tours; la muraille était précédée d'un
fossé, là où la configuration des lieux, l'exigeait[30].
Une portion de ces
fortifications est encore debout, les hautes murailles qui soutiennent les
jardins de l'hôpital, les cours et jardins de l'école supérieure et les jardins
au midi de la rue Rubigant, en façade sur la rue du Petit Sol, sont les restes
du rempart du castrum, à l'est et au
midi.
L'aspect de ces
vénérables murailles, dans les parties non remaniées, est celui que les
fortifications des XIIe et XIIIe siècles présentent,
partout où le temps les a respectées. Si quelque changement a été apporté à
leur état, c'est principalement à la partie supérieure ; mais elles sont
aujourd'hui, dans les portions non remaniées, ce qu'elles étaient au moyen âge.
Si, parti de la place
nous descendons vers le midi, par la rue du Petit-Sol, nous avons à notre
gauche l'ancien rempart dont nous suivons le pied jusqu'à la route n° 11 bis. Dans cette première partie, il ne
reste que quelques fragments intacts, vers l'école primaire supérieure ; dans
la rue du Petit Sol, le rempart, à diverses époques, s'est démoli, ou a été
détruit et reconstruit sur l'ancienne assiette.
Continuant notre
promenade vers le nord par la route n° 11 bis,
nous restons au pied du rempart jusqu'à l'hôpital : cette partie est la mieux
conservée des anciennes murailles ; dans quelques-unes de leurs parties, elles
sont intactes, mais elles out été reconstruites sur bien despoints ; leur
élévation moyenne au-dessus de la route n° il bis est d'une dizaine de mètres.
Les murs et jardins de l'école supérieure, que soutiennent les anciens remparts
sont en contre-bas du plateau supérieur, occupé par l'hospice et la place de
Peyrignac, d'une quinzaine de mètres. Ainsi peut-on, au simple aspect, se
rendre compte de la force de la fortification de la ville, de ce côté de son
établissement.
De l'hôpital l'ancien
rempart allait droit vers le nord, coupant la rue Malbec ou du Grand Fort à son
débouché sur la place du Terriol : dans cette partie, le rempart forme actuellement
le mur de façade des maisons sur la place du Terriol; on a percé au travers les
portes et les fenêtres nécessaires au service des bâtiments ; mais on le
retrouve avec ses caractères, mur épais, de moellon régulier, présentant la
plus grande solidité.
Après avoir dépassé la
rue Malbec, le rempart tournait à angle droit, et arrivait à la rue de la
Brèche. Dans cette partie, le rempart forme en général le devant des maisons en
façade sur le foirail aux bœufs ; cette place, autrefois promenade de Cicé
avait été faite, à la fin du siècle dernier, sur l'emplacement des anciens
fossés des fortifications. La reconstruction et les réparations faites à
beaucoup des maisons formant façade sur la promenade de la Brèche au foirail,
ne permettent de retrouver le rempart que par portion peu importante.
A la maison Sully,
antérieurement maison Bonfils-Lanauve, le rempart était à l'intérieur de la
maison : on le voit encore dans la venelle qui la sépare de la maison
précédente, et il formait mur de séparation entre la partie antérieure, sur le
foirail, et la partie s'ouvrant à l'intérieur de la ville, dans la rue Malbec.
A la rue de la Brèche,
le rempart tournait à angle droit, arrivait au débouché de la rue Malbec sur la
place d'Armes, et, suivant la direction indiquée par la façade de la maison
occupée par le café Brousse (antérieurement Painkin, Lacarolie, Garisson), il
venait se rattacher à la tour de l'Horloge, et de là, suivant une direction que
nous étudierons bientôt, se rattachait au porche voûté de la maison Jaubert
(antérieurement maison de Comarque, Bonfilh et de l'Archevêque) ; et de là
allait rejoindre le Petit Sol, où nous avons choisi notre point de départ. Le
circuit est ainsi fermé.
La fortification
extérieure du castrum formait donc un
grand carré long irrégulier, englobant les hauts quartiers de la ville. Que ce
fût là, dans sa direction générale, la fortification du castrum, les débris qui en subsistent, les documents écrits et les
plans anciens ne sauraient laisser aucun doute.
Au nord-est de la
ville, au débouché de la rue Malbec, hors la ville, et à la promenade de la
Brèche, l'état des lieux a été profondément modifié.
La rue Malbec, qui
traversait le castrum, se prolongeait hors les murs[31],
vers la direction de la côte du Terriol, et la place, en haut du Terriol, avait
en face de la ville des maisons, dont quelques-unes ont dû disparaître : les
actes les concernant les présentent comme limitrophes au fossé ou valat du castrum [32]
tandis que les maisons du castrum
dans la rue Malbec sont dites confronter au mur du castrum. Il y avait donc là comme partout, d'après le système de
fortification, un mur élevé, un fossé en avant, et probablement un chemin de
ronde extérieur le long du fossé, et un chemin de ronde intérieur le long de la
muraille ou rempart. Sans ces compléments, toute défense sérieuse aurait été
impossible. Mais on laissa usurper aux particuliers le; chemin de ronde
intérieur, s'il a existé, et les actes diront toujours, des maisons de
l'intérieur de la ville, qu'elles confrontent au mur de la ville, sans
mentionner aucun chemin de séparation ; puis, les fortifications étant
inutiles, on ouvrira, à travers le mur, portes et fenêtres, et le mur de
fortification sera incorporé à l'édilice bâti, qui autrefois s'appuyait contre
lui. C'est ce qui est arrivé et à la place du Terriol et sous la Brèche, où
toutes les maisons présentent dans leur mur de façade l'ancien rempart de la
ville, à travers lequel on a ouvert les portes et fenêtres indispensables au
service du bâtiment.
La suppression des fortifications
a entrainé dans toutes les villes où elles existaient le comblement des fosses;
sur leur emplacement, l'on a construit des places, boulevards, promenades : à
Belvès, la place du Terriol, le foirail, antérieurement la promenade de Cicé,
ont été établis sur l'emplacement des anciens fossés.
Une des parties de la
fortification les plus modifiées est celle qui séparait le castrum de la place et de la ville moderne.
Le rempart arrivait sur
la place par la rue de la Brèche, à gauche, où il rencontrait la Porte de la
Halle, sur la place.au débouché de la
rue Malbec; et à droite, il s'élevait de la rue du Petit-Sol et venait se
rattacher au porche voûté de la maison Jaubert (antérieurement de
l'Archevêque).
Entre ces deux points,
Porte de la Halle et porche, le rempart formait une ligne brisée, déterminant
un angle obtus, ouvert vers la place : il est facile, grâce à un plan ancien,
de se rendre compte de l'état de la fortification : à gauche de la Porte de la
Halle, soit de la rue Malbec, le rempart allait se rattacher à la tour de
l'Horloge, suivant la direction de la façade de la maison occupée par le café
Brousse. De la tour de l'Horloge, le rempart allait se rattacher au porche de
la maison de l'Archevêque, et fermait le castrum, qu'il séparait de la
place. La rue des Fillols n'existait pas encore, et un mur fermait son entrée
sur la place.
Les maisons Dejean
(antérieurement Delcer), Ventelou (antérieurement de Comarque), dont les
façades s'ouvrent sur la place, étaient en recul, sur leur alignement actuel,
de quatre mètres environ ; et le rempart, sans ouverture, les séparait de la
place : elles formaient des maisons ouvertes sur les rues et places du castrum
(le Verdier).
Si l'on voulait retrouver
l'ancien rempart, il existe encore à l'intérieur de ces maisons : à la maison
Dejean, au rez de-chaussée, il forme le fond des magasins ouverts sur la place
: à la maison Ventelou, il forme séparation entre les pièces éclairées sur la
place et les pièces qui s'ouvrent sur le Verdier. Un fragment de rempart se
voit aussi entre la tour de l'Horloge et la rue des Fillols, et indique sa
direction générale.
En avant de la
muraille, un fossé, qu'une pièce évalue au xviiie siècle à 45 pieds
de large, occupait la partie est de la place.
L'ouverture de la rue
des Fillols, à la fin du siècle dernier, faisant communiquer directement le
quartier de l'Hospice, la place Peyrignac avec la grande place, la démolition
du rempart et la construction de maisons sur son emplacement ou en avant de
lui, ont modifié complètement l'état des lieux. Heureusement, un plan dressé en
élévation au siècle dernier, et conservé aux Archives de la Gironde, permet de
se rendre compte de la position exacte du rempart sur la place[33].
Plusieurs portes ouvertes à travers le
rempart assuraient la communication avec l'extérieur.
La première porte,
appelée Porte du Terriol[34]
ou Porte Malbec, était au débouché de la rue Malbec sur la place du Terriol :
un des montants de la porte se voit encore dans la maison à droite en sortant
de la ville. Cette porte a été démolie en 1774[35].
Cette porte, au moyen
de la rue Malbec extra muros et de la grande côte du Terriol, faisait
communiquer Belvès avec les territoires voisins, avec Sagelat, Fongaufier,
Carves, St-Germain, etc.
Au sud de cette porte
se trouvait, vers l'hôpital, une poterne que les documents appellent porte
fausse[36]|, et
qui n'éait pas éloignée de la grande tour qui servait de prison à l'archevêque,
d'après Philiparie.
La deuxième, au nord.au débouché de la rue Malbec sur la place,
s'appelait porte de la Halle[37]
: elle assurait la communication du castrum avec la place et la ville nouvelle,
et, par les rues du Portail-Peint et des Barris, avec leplateau de Moncuc et
les territoires voisins.
Enfin, la troisième
porte, avec pont-levis[38]
sur le fossé, se trouvait au débouché du porche de la maison de l'Archevêque
(Bonfilh, de Comarque, Jaubert), et assurait la communication du castrum
avec les territoires au midi, avec Foncastel, Pelevade, Larzac, etc.
Ce système de défense
était complété par de grosses tours qui, en plusieurs points, venaient flanquer
et renforcer la fortification.
Sur la première partie
du périmètre par nous décrite, de la maison de l'Archevêque à l'hôpital, le
long de la rue du Petit Sol et de la route n° 11 bis, la fortification,
par son élévation, déliait toutes les attaques. Aucune tour ne dut être établie
sur ce front, car le mur, très élevé[39],
adossé au terrain et au rocher du castrum, se suffisait à lui-même.
En avant du castrum,
vers l'ouest, s'étendait un terrain uni, sur lequel se développent actuellement
la place d'Armes et la ville ; par là, les attaques étaient à redouter, aussi
renforça-t-on sur ce côté le mur de défense du castrum.
Cette partie du rempart
présentait deux grandes tours de défense, peut-être trois.
Les soubassements de la
première ont.servi à l'élévation du beffroi existant sur la place.
Entre cette tour et la
maison de l'Archevêque, une grosse tour de quatre mètres de côté, en avant de
la fortification, existait à l'endroit même occupé actuellement par le magasin
Barde (antérieurement Préat, de Comarque , Bonfîlh et l'Archevêque)[40].
Les murs qui forment les côtés du magasin sont les anciens murs de la tour, et
c'est dans la muraille de face de la tour qu'on a ouvert, sur presque toute sa
largeur, la porte d'entrée du magasin.
Cette tour était en
avant du mur d'enceinte du castrum, auquel elle était adossée, de quatre
mètres environ ; la muraille du castrum la rattachait d'un côté au
Pont-Levé (porche de la maison de l'Archevèque, et de l'autre côté à la tour de
l'Horloge.
A la fin du xviiie
siècle, lorsqu'on ouvrit la rue des Fillols, pour faire communiquer directement
la place Peyrignac avec la place d'Armes, les maisons Delcer (depuis maison
Dejean) et de Comarque (depuis Ventelou, Barde et Jaubert), s'alignèrent sur la
face antérieure de la tour, qui forma l'alignement nouveau, et l'ancien rempart
non démoli fut englobé dans les maisons remaniées, où il existe encore[41].
Il est probable que sur
la plece existait une autre tour, à laquelle faisait allusion la transaction de
1571, entre les consuls de Belvès et l'archevêque de Bordeaux. Ce dernier
réclamait participation, à quelques droits nouvellement établis, et que les
consuls lui contestaient. « Sur ce que ledit seigneur archevêque disait avoir
droit.... à la moitié des profits et revenus de la Halle, boucherie et poids de
ladite ville, ensemble de la moytié de la Tour-Neuve, près la porte de Malbec,
devers la place[42] ».
Cette tour devait se
trouver sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la maison Bouysson et
(antérieurement maison des demoiselles Bonfils, au xviiie siècle),
maison qui était à côté du Portail de Halle, appelé quelquefois de Malbec, au
débouché de la rue Malbec sur la place. La tour qui se trouvait là faisait dans
la défense le pendant à la grosse tour, à côté du Pont-Levé.
Il existait une tour
dite de l'Auditeur, parce qu'elle était devenue la propriété d'un Philiparie,
qui remplissait ces fonctions; elle joua un rôle important dans le siège de
1569, dirigé par Vivans, et arrêta longtemps l'assaillant[43]
; elle avait été l'objet d'une inféodation par l'archevêque au profit de
Philiparie. On avait concédé à ce dernier le droit d'établir sur cette tour un
pigeonnier. Elle devait être située dans la partie de la fortification
regardant la place du Terriol, vers la sortie de la ville par la rue Malbec.
D'autres tours devaient
encore exister dans la fortification : nous nous demandons si une tour n'a pas
existé à l'angle droit de la fortification, à l'endroit où, entrant dans la rue
de la Brèche, elle se dirigeait vers la place. Peut-être que les escaliers on
pierre, qui faisaient saillie dans la rue, à la maison Bonfils-Lanauve (actuellement
Sully : cette partie de l'ancienne construction a été supprimée à la suite de
l'application du plan d'alignement), avaient été établis sur les soubassements
de la tour.
Enfin, à l'une des
maisons donnant sur le foirail des bœufs, à la Brèche, il existe les
soubassements d'une petite tour de l'ancienne fortification.
Les documents anciens font allusion à
d'autres tours, dont il est impossible de fixer l'emplacement exact[44].
Tel fut le système de
défense du castrum, comme défense extérieure. Les sièges successifs que
Belvès a soutenus ont dû apporter des modifications au système de défense. Les
noms donnés à la rue de la Brèche, à la promenade vers le nord, promenade de la
Brèche, paraissent rappeler le souvenir de l'entrée des ennemis à la suite de
la destruction de la fortification sur un point spécial : peut-être est-ce vers
la porte de la Halle ou Malbec que cet événement se produisit à l'entrée de la
rue du Grand-Fort. Les travaux d'édilité, réalisés, il y a une vingtaine
d'années, ont fait disparaître la porte de la Halle, et ouvert largement la rue
de la Brèche, et ont amené la disparition d'une maison de forme triangulaire,
qui, sur un plan du xviiie siècle est indiquée sous le vocable
maison du Ravelin. Ce qui indiquerait peut-être sur ce point un travail
important de fortification destiné à renforcer la défense. Sur notre plan la
maison est marquée en rouge; le bastion ou ravelin qu'elle a remplacé
protégeait le castrum et l'entrée de la place.
A l'intérieur du castrum
se trouvait le fort ou château : il n'en reste rien et on ne peut dire où était
exactement son emplacement. Nous le placerions volontiers dans la partie la
plus élevée : de très vieilles murailles, à l'entrée actuelle de l'hospice, un
mur isolé, très élevé et très épais, entre les jardins Ventelou et Larroque,
des constructions dont les voûtes seules subsistent dans les jardins de l'école
primaire supérieure sont peut-être les restes de l'ancien château[45]
.
On peut croire et
affirmer, d'après certains documents que, le château lui-même avait un système
particulier de défense ; un mur, précédé de fossé, paraît avoir existé à
l'intérieur du castrum. Deux grandes tours, l'une dans les jardins de M.
Lavergne, et dans son état antérieur, l'autre, grande tour[46]
à l'opposé du plateau vers la rue Malbec, tour dite de l'Archevêque et qui
servit pendant tout le moyen âge de prison au seigneur, faisaient peut-être
partie du système particulier de défense au château. Une ancienne porte, dont
un des montants existe encore, dans la rue des Fillols, vers la place
Peyrignac, faisait peut-être partie du château, ou de quelque enceinte
secondaire.
Quoi qu'il en soit de
ces hypothèses, ce qui est certain : le castrum devint de bonne heure le
centre d'une agglomération importante.
A l'abri du château et
de ses fortifications, la population se groupa. Recueillons à cet égard la
tradition telle que la rapporte Philiparie dans son mémoire sur Belvès «
étaient aussi dans le dit château, les habitations des nobles et vassaux du dit
seigneur et maintenant résident six nobles et vassaux du dit seigneur, et dans
la juridiction, au delà du castrum étaient les maisons des nobles... habitant
les maisons fortes[47]
. »
Le castrum fut
ainsi pendant tout le moyen âge habité par les seigneurs du pays, vassaux de
l'archevêque de Bordeaux, et peu à peu, la population y devint très dense ; les
bourgeois, marchands et laboureurs recherchèrent toujours les maisons sises
dans le castrum[48].
Les rues principales du
castrum étaient la rue Malbec rue du Fort actuellement, la rue Rubigant
ou du Château ; les places Peyrignac et du Verdier, et pour les mettre en
communication diverses rues, telles que nous les voyons aujourd'hui encore.
Le seul travail
d'édilité qui ait fortement modifié ce quartier, fut la suppression du rempart,
sur la place, et l'ouverture de la rue des Fillols mettant en communication
directe la place Peyrignac et la place d'Armes, (fin du xviiie
siècle et commencement du xixe siècle.) Et, il y a une vingtaine
d'années, le redressement de la rue du Fort et de la rue de la Brèche et la
suppression de la porte de la Halle ou Malbec
Le castrum,
autrefois si populeux, si prospère, est aujourd'hui abandonné, au moins dans sa
partie centrale : la rue Malbec seule conserve quelque activité commerciale. Le
commerce s'est porté sur la place, et à la Grande-Rue ou rue Portal, et grâce à
l'ouverture des nouvelles voies de communication [route de Montpazier, et route
de Urval et Montplaisant], la place de la Croix des Frères, à l'entrée du
faubourg des Barris est devenue le point central du mouvement et du commerce.
II.
— La ville.
Esquissons rapidement
la formation de la ville, en dehors du castrum pendant le moyen âge.
Les documents font
défaut pour en décrire d'une manière complète le développement; mais l'examen
attentif des lieux, quelques renseignements tirés d'actes anciens permettent de
se faire une idée assez exacte de la formation de la ville.
Le castrum fut à
l'origine le centre de l'agglomération urbaine, et il a dû exister une époque
où il suffisait seul aux besoins de la population.
Pour lui, entouré de
puissantes murailles, protégé par sa situation même, le seul point faible et
vulnérable fut le plateau à l'ouest : le long couloir qui reliait Belvès au
plateau de l'église paroissiale ; mais là aussi fut le seul point sur lequel
pouvait se former une agglomération urbaine.
Cette agglomération
urbaine s'est formée par étapes successives : la première a été la création de
la place ou marché et des maisons qui l'entourent.
Pendant le haut moyen
âge, et avant les fondations de Villefranche-du-Périgord, Domme, Molière,
Montpazier, Beaumont-du-Périgord, Belvès fut une place importante étendant au
loin son influence : elle devint rapidement le siège d'un commerce considérable
pour les produits du pays; les marchés s'y tinrent régulièrement et y
attirèrent de grandes foules[49].
Or, ni la place du Verdier, ni la place Peyrignac, les seules du castrum,
ne pouvaient suffire à leur installation. On songea à utiliser dans ce but
l'espace libre à l'ouest du castrum, au delà du fossé, en avant des
portes de la Halle et du Pont-Levé : là fut établie la place de Belvès, avec
l'étendue qu'elle présente aujourd'hui ; une halle y fut établie fort
anciennement[50] pour le
service des foires et marchés. Un cordon de maisons avec façade sur la place
fut bientôt établi : en arrière d'elles, une rue vers la campagne ; tel fut le
premier développement de la ville hors le castrum : la petite rue qui, partant
de Petit-Sol, arrive en formant un demi-cercle, à la rue du Portail-Peint,
marque ce premier développement urbain : un travail analogue se faisait en même
temps au nord de la place.
Si l'on jette un
coup-d'œil sur le plan de la ville de Belvès, on verra combien la défense de
cette annexe du castrum était facile : chaque maison donnant sur la place et
sur la rue circulaire, véritable chemin de ronde, en faisait les éléments ; en
fermant par un porche ou portail chacun des accès de la place, on constituait
là une place de guerre importante, s'il en était besoin, et on assurait
sécurité absolue aux marchands qui s'y donnaient rendez-vous[51].
L'affluence de la
population continuant sous l'influence de la constitution politique et le
développement du commerce, des constructions s'élevèrent sur les chemins qui,
partis de la place, assuraient la communication du castrum avec les
territoires voisins. La ville moderne fut ainsi formée sur les rues Foncastel
et Portal et leurs dépendances. Mais dans cette formation, comme dans la
précédente, rien ne fut fait d'un seul coup : les développements furent
successifs. Esquissons-en l'histoire :
Deux voies principales
joignaient le castrum et la place aux territoires voisins.
L'une, en pente fort
raide, joignait le castrum à la fontaine qui lui fournissait l'eau nécessaire,
et qui, à cause de cela, portait le nom de rue de Foncastel, qui lui est resté
jusqu'à nos jours.
Au bas de la première
pente, elle se bifurquait pour aller par Pélevade [Peyre-Levade] et le Bout-du
Monde, vers la banlieue immédiate de Belvès, et vers Fongalop et Montpazier, et
par la côte, appelée aujourd'hui de l'Oratoire[52],
à Tech-Sec, à Saint Amand et à la vallée de la Nauze.
L'autre voie suivait la
direction du long couloir qui reliait le castrum au plateau, et
s'élevant, allait rejoindre le prieuré de Bénédictins, devenu église
paroissiale : cette voie mettait Belvès en communication avec Saint Pardoux,
Vielvic, Montferrand, Cadouin, et avec la forêt de la Bécède, copropriété de
l'archevêque de Bordeaux et de la ville de Belvès.
Dans l'espace compris
entre ces deux voies allait se former la ville nouvelle.
A droite et à gauche de
chacune d'elles, se construisirent des maisons; à Foncastel, comme à la rue
Portal, et sur l'une comme sur l'autre, le développement se fit insensiblement.
Au xive siècle,
la rue Foncastel devait être formée comme elle l'est actuellement[53].
On en ferma l'accès, au
bas de la première pente, au moyen d'une porte, qui reçut le nom de Porte
Foncastel[54] ; elle
était située en avant de la bifurcation, et fermait ainsi l'accès de la ville
par la côte de l'Oratoire et par Pelevade. Dans la suite, un faubourg, ou barri
de Pelevade, se forma sur cette dernière voie ; on en protégea l'accès en
élevant une porte au Bout-du-Monde, qui coupait le chemin vers la banlieue et
Fongalop : elle s'appela Porte de Pelevade ou Peyrelevade[55].
Sur la seconde voie, on
ferma la rue nouvelle au moyen d'une porte forlifiée ; cette défense dut faire
époque : les documents l'appellent le Portail-Peint. Ce portail, démoli un peu
avant la Révolution[56],
a valu à notre grande rue actuelle les vocables successifs de rue du Portail
Peint et rue Portal. Il était placé, je crois, à la hauteur de la maison de
Monnier le coutelier : au moment où il fut élevé, la ville devait s'arrêter là.
Puis, la population
augmentant toujours, le Portail-Peint fut dépassé, et il se forma en avant de
lui, en prolongement de la rue, un faubourg qu'un acte ancien appelle le barri
de la Porte Pincte[57].
Puis les constructions
s'allongèrent le long de la voie allant à l'église paroissiale ou prieuré des
Bénédictins, et formèrent les barris dits de Turcal ou de Portal.
Si la porte de Pélevade
peut être considérée comme une protection pour le barri de Pélevade, on ne
trouve aucune défense semblable pour les barris de Turcal.
Si nous faisons
abstraction de ces faubourgs (barri de Pélevade et barri de Turcal), la ville
de Belvès était complètement formée : elle comprenait une rangée de maisons
autour de la place ; et les maisons construites à droite et à gauche[58]
des rues Foncastel et Portal.
La configuration du sol
ne permet à la ville de se développer ni à droite ni à gauche du long couloir
qui réunit le castrum à l'église. Il n'y aura jamais qu'un cordon de maisons à
gauche de Foncastel et à droite de la rue Portal ; et dans le triangle que forment
la rue Foncastel et la rue Portal et une rue qui les unit transversalement, des
jardins occuperont le centre, et une rangée de maisons occupera chacun des
côtés. La ville était ainsi ce qu'elle est restée depuis.
Si nous jetons un coup
d'œil sur l'ensemble de l'agglomération, la partie à gauche de la rue du
Petit-Sol à la porte de Foncastel, se trouvant défendue par la configuration
même du terrain, fort en pente ; les maisons et les jardins qui les entouraient
de ce côté, formaient des lignes faciles à défendre ; au nord, à droite, il en
élait de même pour les maisons qui formaient la droite de la Grand'Rue (rue
Portal) et de la place : le jardin en terrasse que chaque maison avait derrière
elle formait un élément de défense.
Il ne restait qu'à fermer
l'espace qui séparait les rues Foncastel et Portal, la rue Portal et le
quartier nord de la ville. On peut affirmer que, suivant la rue des Pénitents,
un fossé a protégé la ville et les jardins dépendant des maisons de la ville[59].
On construisit à l'extrémité de la Grande-Rue une porte,en avant du
Portail-Peint; elle portera les noms de Porte-d'Argentail[60]
, et plus tard Porte des Frères[61];
un fossé[62]
rejoindra cette dernière porte aux murailles des jardins au nord des maisons de
la ville, et ainsi, de la rue de la Brèche à la porte de Foncastel, existera
une fortification conLinue, et la rue de la Brèche sera fermée elle-même par
une porte qui s'appellera porte de Fongala[63].
La ville présentait
ainsi, grâce à sa situation, une force défensive considérable, moins forte que
le castrum, mais pouvant tenir de longs sièges, comme nous le verrons
dans la suite.
En 1321 fut fondé à
Belvès le couvent des Frères Prêcheurs, hors la ville fortifiée, dans les
faubourgs, disent les documents ; et à la Révolution, après la vente du couvent
et de ses dépendances comme biens nationaux, furent commencés des travaux
d'édilité importants, qui transformèrent complètement le quartier au nord de la
ville, ou Croix des Frères. L'ouverture, à notre époque, des routes de
Montpazier et de Montplaisant, achèvera la transformation.
Telle fut la ville de
Belvès au moyen âge.
Qu'on rapproche notre
description de l'état actuel, et on affirmera avec nous que la ville ancienne
fut à peu de chose près, ce qu'est la ville moderne. La situation n'a pas été
profondément modifiée; mais le mouvement commercial s'est déplacé : le centre
en était, au moyen âge, dans le castrum dans la suite, il s'est
transporté à la place, puis à la rue Portal : et aujourd'hui, grâce à
l'ouverture des voies de communication, le mouvement se porte vers la Croix des
Frères, quartier autrefois délaissé.
III. —quartier de
Moncuc ; prieuré de Bénédictins ; Eglise paroissiale.
Le troisième centre d'agglomération urbaine se
trouve au quartier de Moncuc.
Belvès présente cette particularité
que son église paroissiale est hors la ville.
L'église paroissiale,
désignée sous le vocable de Notre-Dame-Sainte-Marie de Moncuc, a été élevée sur
l'emplacement d'un ancien prieuré de Bénédictins. Autour d'elle se forma une
petite agglomération, qu'on entoura d'un mur pour la protéger[64].
Elle est restée toujours séparée des barris, et a formé, au moyen âge comme à
la période moderne, un îlot sans grande importance.
A. VIGIE.
(A suivre).
pp. 166-218
HISTOIRE DE LA
CHATELLENIE DE BELVES
(Suite).
IV. — Population,
nobles, bourgeois et roturiers
Après avoir étudié la
formation de la ville de Belvès, jetons un coup d'oeil d'ensemble sur le
territoire dont elle devint la capitale, fixons les éléments dont se composa la
population de la ville et du territoire, déterminons la condition économique du
pays.
La féodalité règne en
maîtresse : à la tête de la châtellenie se place l'archevêque de Bordeaux,
seigneur temporel, investi, à ce titre, de tous les pouvoirs que lui confère le
droit féodal, modifiés cependant par la constitution politique de la
châtellenie.
Si l'on peut soutenir
qu'à une certaine époque l'archevêque de Bordeaux a possédé la châtellenie de
Belvès à titre d'alleu sans en faire hommage à personne, ni au roi de France,
ni au comte de Périgord[65],
cette situation ne se maintint pas longtemps ; et l'archevêque de Bordeaux fut
tenu à foi et hommage, d'abord vis à-vis du roi de France, puis du comte de
Périgord, depuis 1356 jusqu'à la suppression du comté, et enfin au roi de
France jusqu'à la Révolution française.
De l'archevêque de
Bordeaux, relevaient tous ceux qui avaient reçu de lui quelque fief sous foi et
hommage ; c'étaient les vassaux directs; l'archevêque de Bordeaux était leur
seigneur suzerain « seigner de fioutz » (art. 32 des Coutumes de Belvès)
ou « seigner fiouzier » (art. 13 des Coutumes de Belvès.)
Mais le seigneur
archevêque n'avait pas inféodé la totalité de ses domaines, il en avait gardé
par devers lui certaines parties : celles-ci, il les faisait exploiter
directement par ses fermiers, ou les concédait à des tenanciers qui jouissaient
de leurs tenures à des conditions différentes. Les plus ordinaires de ces
conditions étaient des cens ou des rentes en argent ou en nature, et
quelquefois des services, le plus ordinairement, en faveur du seigneur ou de
ses domaines.
Les vassaux du seigneur
imitèrent la conduite du suzerain: ils retinrent dans leurs mains, pour les
exploiter directement, une portion de la terre qui leur avait été inféodée.
Avec l'autre portion,
ils se créèrent des vassaux et établirent, en leur faveur, des fiefs : ceux-ci
relevèrent en première ligne du concédant, et en seconde ligne du seigneur
archevêque, suzerain du concédant. Ainsi apparaissent, par rapport à
l'archevêque de Bordeaux, des arrière-fiefs. Ces vassaux, vis à-vis de leur
propre seigneur, sont tenus aux mêmes obligations que les vassaux directs ;
l'article 32 des Coutumes de BeIvès appellera « seigner carnals »
le seigneur duquel on relève immédiatement, et ce concédant, seigneur par
rapport à ses vassaux, était lui-même vassal vis-à-vis de l'archevêque de
Bordeaux, et celui-ci devenait « seigner fiouzier » vis-à-vis des
vassaux de son propre vassal.
Tous ces
concessionnaires à fief, vassaux immédiats ou médiats de l'archevêque, pour
tirer profit de leurs domaines, ou bien les concédaient à fief, ou bien
donnaient à cens ou à rente à des tenanciers les domaines leur appartenant,
moyennant le paiement de cens ou rente, en argent ou en nature, et avec
services à leur profit.
Ainsi, dans la
châtellenie de Belvès, vont apparaître immédiatement deux genres de propriété,
et deux classes de personnes.
Les propriétés
inféodées à titre de fief, sous foi et hommage, formèrent les terres nobles ;
les domaines livrés à cens ou à rente seront les terres roturières. Les
détenteurs des premières seront les nobles ; les détenteurs des autres, les
roturiers.
A Belvès, en concédant
le consulat, le seigneur archevêque avait permis la formation d'une troisième
classe de personnes, les bourgeois[66].
Ceux-ci jouissaient des privilèges importants que leur assurait l'organisation
consulaire: les bourgeois formaient, avec les nobles, la classe élevée de la
population, et sous la présidence du seigneur, dont ils étaient les vassaux,
ils formaient, avec les nobles, la « cort legal des cavaliers et dels
proshomes » (art. 29 des Coutumes de Belvès. Comp. art. 12) et
assuraient le service de la justice aux habitants de la seigneurie.
Les nobles portaient
les noms de donzels, domicelli, damoiseaux; ils avaient à la campagne,
dans le territoire de la seigneurie, un ou plusieurs fiefs et à Belvès, dans le
castrum ou la ville, une maison. « La petite noblesse résidait sur ses
terres, mais aussi dans le castel. Tout vassal noble y tenait domicile. » (L.
Dognon, loco citato, page 39).
Dans beaucoup de ces
domaines, il y avait une force ou refuge, où, en cas de danger,
pouvait venir se réfugier la population rurale. Dans le territoire de Belvès, Lastours,
tour de Balpalme, et divers repaires, le château de Caraves à Salles, le
château de Doissac, le Carlou (St-Amand), Pech Gaudou, près Belvès ; Campagnac
del Ruffenc, (Vielvic), la Bourrelie (Urval) ; Sinhac, à Grives ; Veziat, à
St-Amand, etc. étaient les repaires de la noblesse.
Dans le territoire de
Belvès, on chercherait vainement une famille ayant exercé une grande
prépondérance ; ce qui domine, c'est la petite noblesse : elle n'a occupé que
des situations modestes, a vécu sur ses terres, et parait avoir, même avant la
Révolution, perdu sa situation prépondérante et sa fortune. Elle était mêlée aux
bourgeois et aux propriétaires ruraux, dont elle se distinguait à peine.
Les nobles étaient
rattachés à l'archevêque de Bordeaux, leur suzerain, par le contrat de fief,
sous foi et hommage. Le fief, dans le territoire de la châtellenie de Belvès,
se présente à nous avec le caractère qu'il offre dans le reste de la France. Il
est formé à la suite du contrat solennel, qui entraine l'engagement par le
vassal d'être fidèle à son seigneur et de le servir : ce qui comportait, pour
le vassal, le service d'ost, le service de conseil et de justice, et pour le
seigneur obligation de protéger le vassal, de lui rendre justice et de lui
garantir la possession du fief.
L'engagement du vassal
n'était pas pris une fois seulement, mais, quand les fiefs furent devenus héréditaires,
la foi et hommage durent être renouvelés à chaque changement ou mouvance de
seigneur et de vassal. Pour notre seigneurie, l'archevêque de Bordeaux a
toujours tenu la main à la stricte observation des régles féodales, et les
hommages ont été régulièrement prêtés à chaque changement de seigneur ou de
vassal[67].
Nous empruntons à une
concession à fiief noble, consentie à Bonfilh, seigneur de la Moissie, les
formes du contrat de fief:
« ..
Et oultre ce le dit Bonfilh s'est soubmis et obligé tenir la dite maison, ayral
et dépendances, soubz hommage noble qu'il sera tenu rendre et ses successeurs
rendront, à deux genoux, teste nue, sans manteau, espée, dague, ny couteau,
bottes, ny sperons audit seigneur cardinal et aux autres ses successeurs
seigneurs archevesque ou leurs procureurs et ce au debvoir d'une croix d'or fin
de trois écus à tout changement de seigneur ou vassal, et du droit de
prélation, lotz et ventes et autres debvoirs seigneriaux que le dit seigneur
archevêque s'est par esprès réservé... Comme aussi a promis estre bon et fidel
vassal, procurer le bien, honneur et advantage du dit seigneur et des seigneurs
archevêques qui seront à l'advenir, ne reveller son secret, ne porter par soy
ni par aultruy au dit seigneur aucun préjudice, ny dommage, ains les advertir
s'il en avoit cognoissance, tenir et prester main forte aux officiers et à
l'exécution de la justice du seigneur et généralement faire tout ce à quoy est
obligé ung bon, fidèle et recongnoissant vassal, ni bailler à arrière fief ni
autre soubz accazement noble ou roturier la dite maison et appartenances, la
mettre en main morte ni forte... pour laquelle les droits féodaux et
seigneriaux du dict seigneur archevesque, ny de ses successeurs, en soient ne
puissent estre diminuez ni détériorés en aucune magnière que ce soit.
Comme
icelluy seigneur a promis au dict Bonfllh luy estre bon et gracieux seigneur,
le garantir d'oppression, aultant qu'en luy est et diminution du dit fief
contre toute autre personne qui y voudroit prétendre droict tant en jugement
que dehors[68].
Dans toutes les pièces
constatant les hommages, nous trouverons des formules identiques ; dans un
hommage par noble Alexandre de Robert, écuyer, sieur de Bosredon, habitant du
noble repaire de Veziat (Montplaisant), celui-ci :
« fait hommage de tous les fiefs
nobles, cens et rentes comme vassal lige etsubject... etc, et s'estant à ces
fins le dict sieur de Bosredon, mis de genoux, teste découverte, sans ceinture,
épée, dague, ny autres armes, les mains jointes entre celles « du seigneur » a
reconnu et confessé estre vassal et homme lige. A juré estre bon et loyal
vassal » ;
a promis le
dénombrement dans les quarante jours ; et le seigneur de son côté a promis
remplir ses devoirs « ainsi qu'un seigneur de fief est obligé envers ses
vassaux. »[69]. A
quelque époque donc, que nous examinions le contrat de fief, il se présente à
nous comme un contrat solennel entre le seigneur et le vassal, faisant naitre,
à la charge de chacune des parties, des engagements et des devoirs
particuliers. Si l'on ne réalisait pas exactement les anciennes formes et les
vieux symboles, tout au moins en repétait-on les formules dans les actes, et
grâce à ces actes de foi et hommages et à quelques textes des coutumes de
Belvès, il nous sera possible de présenter quelques observations sur les
devoirs qu'imposait le contrat de fief, au seigneur et aux vassaux qui y
figuraient.
Le service d'ost ou de
guerre, que le vassal doit à son seigneur, a existé avec toute son énergie au
moment des guerres privées, et la constitution politique de Belvès l'a
restreint en ce que le vassal n'était pas obligé de sortir de la seigneurie[70].
Les roturiers devaient,
eux, le service de guerre au seigneur archevêque, haut justicier dans le
territoire : ce service se transforma en droit de garde et de guet du château
seigneurial ; nous nous en occuperons en commentant la charte du 10 février
1470.
Le service de justice
consistait à assister le seigneur dans le jugement à rendre sur les
contestations, soit entre le seigneur et les vassaux, soit entre les vassaux ou
entre les tenanciers. Les articles 30, 29, 32 et 33 de la Coutume de Belvès,
joints à la charte de 1470, réglementent le droit dejustice dont nous nous
occuperons en commentant ces textes.
Sous la féodalité, le
seigneur avait hérité des droits appartenant au souverain : de là le droit de
frapper d'impôts les terres et les gens, et d'en percevoir le montant ; de là
toutes ces taxes variées, directes ou indirectes, qui se rencontrent dans
toutes les seigneuries en France.
La féodalité éveille
dans l'esprit de beaucoup de personnes l'idée d'arbitraire et de pouvoir
absolu; l'on est porté à penser que le seigneur avait tous les pouvoirs et
qu'il en pouvait user arbitrairement: il ne faudrait pas accepter cela sans
restrictions. S'il est vrai que le seigneur puissant pouvait sur ses vassaux ou
ses tenanciers exagérer ses droits et en abuser; abus et vexations qui
expliquent certains soulèvements des populations, notamment celui des Croquants
pour le Périgord; tout au moins faut-il reconnaître que tous les seigneurs
n'ont pas été des tyrans et que, dans beaucoup de seigneuries, leurs droits ont
été très strictement établis et que, dans l'usage, les seigneurs se sont
conformés à ces règles.
Ainsi les articles 1 et
27 des Coutumes de Belvès, joints à l'article 1er de la charte du duc
d'Anjou de 1372, constituent des garanties précieuses pour les vassaux et les
tenanciers de l'archevêque, seigneur deBelvès. L'article 27 des Coutumes, en
écartant l'arbitraire pour les agents de l'archevêque, assure à la seigneurie
de Belvès une situation très enviée : « Le sr ni sos bails no devo
splechar las terras nils homes dels cavaliers ni dels proshomes, salva sa
justissa et sa senhoria. » Ce qui revient à dire que tout arbitraire, en
matière d'impôts, sur les terres et les tenanciers du territoire est exclu; le
seigneur n'a que les droits que comportent sa justice et sa seigneurie ; droits
qui ont été fixés et établis par les chartes concédées ou par les Coutumes.
On remarquera dans les
actes de concession à fief les précautions que prend l'archevêque de Bordeaux
pour conserver intacts les droits de sa seigneurie : aussi fait-il interdiction
au vassal de transmettre le fief à un nouveau vassal en arrière-fief, et à le
mettre ni en mainmorte, ni forte.
a)
Interdiction de concéder le fief en arrière-fief.
Quel est le sens de
cette interdiction? Etait-elle générale à toute la châtellenie, ou spéciale aux
fiefs du castrum! L'état des sources ne permet pas de répondre à la
question.
Si l'interdiction de concéder
en arrière-fief est générale à la châtellenie, il faut y voir une mesure dans
le but de sauvegarder les droits du seigneur : celui-ci voulait n'avoir pour
vassaux que ceux qu'il avait lui-même choisis.
Mais, en admettant la
rigueur de la clause, le seigneur pouvait consentir à une sous-inféodation, et
alors peut-être pouvait-il percevoir les entrées, comme d'un fief nouvellement
créé; cette interdiction assurerait ainsi les droits pécuniaires du seigneur,
sans empêcher les sous-inféodations, dont l'existence est certaine dans la
châtellenie.
b)
Interdiction de transmettre le fief en mainmorte.
Cette interdiction pour
le vassal était traditionnelle à Belvès : elle est consacrée par l'article 13
des Coutumes :
Nulhs hom no pusca, ni fenna, dar
eret à la gleya, ni a mayo d'ordre, si dins ung an et ung jorn no avia fachs
redre flousatier al sgr fiouzier a bona fe.
Texte que l'on peut
traduire ainsi : « Nul homme ne peut, ni femme, donner héritage à une église ou
à maison d'ordre religieux, si, dans un an et un jour, ceux-ci n'ont procuré un
vassal au seigneur suzerain de bonne foi. »
Au nom de l'intérêt
féodal, on a toujours admis, à l'encontre de l'Eglise et des établissements
ecclésiastiques, des incapacités d'acquérir les fiefs[71].
Les motifs s'en déduisent
facilement : 1° à l'origine, les personnes ecclésiastiques avaient des devoirs
professionnels incompatibles avec les obligations du vassal ; 2° ces personnes
morales ne mouraient pas et, en général, n'aliénaient pas leurs biens, donc le
seigneur perdait les droits de relief et lods et ventes qu'il
avait l'habitude de percevoir à la transmission du fief et de la tenure.
Mais pour concilier les
intérêts des seigneurs et de l'Eglise, la rigueur des principes fut modifiée.
Voici les étapes successives des institutions sur ce point :
1° On autorisait les
églises et maisons ecclésiastiques à acquérir héritages, sous la condition
spéciale que dans an et jour elles aliéneraient les héritages reçus, sous peine
de commise en faveur du seigneur[72].
2° Puis on admit que
l'Eglise ou maison d'ordre pourrait acquérir fiefs, à condition de désigner un
« homme vivant et mourant », titulaire fictif du fief, pour la perception des
droits fiscaux appartenant au seigneur[73].
Notre coutume est
rédigée dans le même système.
3° Enfin, à partir du
xiiie siècle s'introduisit le système des amortissements; le seigneur
sanctionnait, par un droit pécuniaire d'amortissement, les acquisitions faites
par l'Eglise et les maisons ecclésiastiques[74].
Et ce système fut suivi
à Belvès, comme on le voit par les libéralités faites par l'archevêque de
Bordeaux au couvent des Frères Prêcheurs, dans lesquelles il leur remet le
droit d'amortissement[75].
Donc, la clause de
l'acte de 1612 dut s'interpréter en ce sens, que l'aliénation du fief à mainmorte
ne pourra se faire qu'avec l'autorisation du seigneur, pour lui assurer la
perception du droit d'amortissement qu'il avait à percevoir.
c)
Ni à main forte.
Par là, le seigneur
archevêque se protégeait contre l'éventualité d'avoir pour vassal un homme fort
et puissant, vis-à-vis duquel l'exercice de ses droits pécuniaires deviendrait
problématique.
Enfin, il ne faut pas
perdre de vue que le fief faisait naître, entre le seigneur, les vassaux et les
tenanciers, des relations de sauvegarde réciproques.
Le seigneur menait à la
guerre le vassal et le tenancier ; ses inimitiés étaient les leurs; mais, en
sens inverse, le seigneur devait protéger les vassaux et les tenanciers dans
leurs personnes et leurs biens. Les articles suivants des Coutumes de Belvès
ne laissent aucun doute sur le caractère du contrat de fief. Les mêmes
obligations existaient entre les membres d'une communauté urbaine, liés par des
devoirs réciproques :
«
Nulhs hom, senhor, ni autres, no guide home que aïa tort en la vila, senes la
voluntat d'aquel cui aura tort. » Art. 17, comp. art. 22.
Seigneur ni bourgeois,
à Belvès, ne pouvaient assurer leur protection à une personne coupable d'avoir
commis quelque méfait contre un vassal, ou un bourgeois, à moins qu'ils
n'agissent du consentement de la victime. Ce principe est posé dans un très
grand nombre de coutumes[76].
Au cas d'arrière-fiefs,
le vassal indirect de l'archevêque de Bordeaux conservait intacte sa situation
et ses droits, au cas où son suzerain, vassal de l'archevêque , viendrait à
encourir la commise : il devenait vassal direct de l'archevêque avec la
situation qu'il avait, vis-à-vis de son ancien seigneur déchu de ses droits[77].
Tous ceux que liait le
contrat de fief, au cas où des difficultés s'élèveraient entr'eux, n'étaient
tenus de répondre en justice que devant la cour de Belvès, sans pouvoir être
distraits de leurs juges naturels[78].
Dans la suite du temps,
les conséquences politiques du fief allèrent s'effaçant et il ne resta plus au
profit du seigneur que des droits pécuniaires et fiscaux, au moment de la
concession, de la transmission et de la translation des fiefs.
L'ensemble de ces
droits constituait sa senhoria, expressément réservée par lui dans
l'article 27 des Coutumes de Belvès.
Ces droits étaient les
suivants :
Les entrées[79],
les droits de prélations, de lods et ventes, et quelques autres devoirs
acceptés par la coutume.
Ainsi, les devoirs
honorifiques résultant du fief avaient pris le second plan, et la concession à
fief était l'occasion pour le seigneur de la perception de droits pécuniaires
importants.
Suivant le droit commun[80],
le vassal devait, dans les quarante jours de l'hommage, faire par écrit l'aveu,
c'est-à-dire reconnaître qu'il tenait le fief du seigneur, et le dénombrement ,
c'est-à-dire énumérer les objets qu'il tenait du seigneur. Ces aveux et
dénombrements étaient pour le seigneur les véritables titres seigneuriaux, et
ils gardèrent toute leur importance jusqu'à la Révolution.
A côté du fief, la
censive : celle-ci est la concession faite par le seigneur à un roturier à
charge de redevances et de services : le domaine éminent restait au seigneur et
le domaine utile au tenancier.
La censive, terre
roturière, ressemble au fief, terre noble, au point de n'en être qu'un décalque[81].
La différence qui les
sépare tient surtout à leur fonction économique : le seigneur qui inféode ses
terres poursuit un but polilique, il veut des soldats; celui qui donne des
terres à cens recherche des cultivateurs ; il assure le défrichement, la
repopulation des terres incultes et désertes.
La censive résulte d'un
contrat, bail à cens ou accensement, avec remise de la terre baillée au censier
: les actes dressés formaient les reconnaissances censuelles correspondant aux
aveux féodaux.
Le censier est tenu à
des redevances en argent ou en nature, quelquefois à des corvées en faveur du
seigneur direct; mais ce qu'il faut remarquer, et que confirme le carlulaire de
1462, c'est la modicité du cens. Celui-ci ne correspond pas au revenu de fonds,
comme de nos jours le fermage, c'est une somme très faible, destinée surtout à
reconnaître le domaine éminent de seigneur[82].
En plus, et assez rarement, quelques menues redevances (galine, œufs, etc.) et
quelques services (journal de travail).
Il y avait d'autres
tenures roturières. Quelques-unes ont même duré jusqu'à nos jours, comme les
locataireries perpétuelles, dont nous avons vu quelques exemples se maintenir
jusqu'à ces dernières années et se liquider, dans le territoire de la
châtellenie de Belvès.
L'on peut se rendre
compte du groupement de la population dans le castrum et dans le
territoire de la châtellenie, soit au moyen de la liste des habitants inscrits
sur les listes du Consulat[83],
soit au moyen du cartulaire de 1462, contenant les reconnaissances faites à
Belvès entre les mains des officiers de l'archevêque de Bordeaux[84]
par les tenanciers de la châtellenie.
Voici les observations
que nous a suggérées l'étude complète des documents. Comme l'a fait remarquer
M. de Gourgues dans son Dictionnaire topographique de la Dordogne, « dans
l'enceinte du castel, habitations nombreuses et mêlées (hostau et hostels)
occupées par des bourgeois de la ville et par les seigneurs de plusieurs
repaires voisins... » (V° Belvez). Là venaient se retirer, en cas d'alertes ou
de guerres, les habitants du territoire. Là étaient heureux d'avoir une
habitation les nobles et les bourgeois.
Le dénombrement
(incomplet, il est vrai) de 1462 nous fournit de précieux renseignements :
De nombreux tenanciers
déclarent les diverses tenures, leur appartenant, dans le territoire de la châtellenie
de Belvès, suivant une formule qui se rapproche plus ou moins de la suivante :
« Peyre Miquel, dit Peties,
demorant à Belver, comparant en persona, que déclara per son sagramenl quel te
en la castellania de Belver, appartenant à monseigneur l'arcevesque de Bordeu,
ce que s'en set, ceste à assavoir... »[85]
Chacun des déclarants
fait connaître les diverses pièces lui appartenant, suivant leur nature, terre,
pré, friches ou bois ; les maisons à Belvès, avec les tenants et aboutissants,
les jardins et domaines qui lui appartenaient à lui-même ou en association avec
d'autres.
Ces déclarations
contiennent ainsi des renseignements très précieux, sur la topographie de la
ville et de la campagne. On peut, avec ces indications, énumérer les fontaines,
les chemins existant au moyen âge et fixer exactement la position de beaucoup
d'établissements agricoles ou industriels (moulins et autres). Ces
renseignements nous ont été très utiles pour la partie topographique de notre
travail et pour une foule d'indications que seuls ils fournissent. M. de
Gourgues a connu notre document et en a fait un judicieux usage dans son Dictionnaire
topographique de la Dordogne.
L'étude complète que
j'ai faite de ce document m'autorise à insérer ici certaines constatations de
nature à étonner, au premier abord, mais très importantes pour la fixation
exacte de la condition des populations rurales à cette époque.
On est frappé, en
lisant ces déclarations, de l'état de morcellement du sol ; dans la vallée de
la Nauze et de ses affluents, pour les prairies; autour de Belvès, dans les
quartiers du Pech (paroisse de St-Pardoux, à droite et à gauche de la route
actuelle de Belvès à Monpazier) ; à Fonts-de-Brages, à Tourneguil, à Pechavi,
pour les vignes; au quartier de Moncuc (autour de l'église, et principalement
entre l'église et les barris) et au quartier de las Costes, c'est-à-dire
autour du château, sur les premières pentes, pour les orts ou jardins, de même
que dans tous les quartiers avoisinant Belvès, on constate que l'état de la
propriété ne diffère guère de ce qu'elle est aujourd'hui, dans le territoire
belvesois. Les bourgeois du xve siècle recherchaient, avec la même ardeur
qu'aujourd'hui les petits industriels, une pièce de pré, terre, vigne ou jardin
dans les quartiers indiqués, aujourd'hui morcelés, comme ils l'étaient déjà au
xive siècle.
Que devient donc pour
des esprits impartiaux, le reproche qu'on a si souvent adressé aux dispositions
du Code civil d'avoir activé le morcellement du sol en France.
La vérité est que si
les partages entraînent le morcellement de certaines propriétés, la vie active
et économe de nos campagnards opère une reconstitution des propriétés, et on
peut dire qu'en beaucoup de territoires, la répartition du sol est aujourd'hui
ce qu'elle était autrefois.
Je reproduis ici une
des déclarations faites en 1462[86]
pour qu'on puisse juger de la vérité de nos observations.
Lo
xie jeur del mes de haust l'an m iiii lx ii (1462) Arnaud Labasta, donsel,
demorant à Belver, déclara per son sagramen quel tenia en la castellania de
Belver appartenant à Mosseigneur larcevesque de Bourdeux, soque se en set cest
assaber una pessa de terra et de vinha tenens, sitat en la parrochia de Belver,
elloc appelat à Fon de Bragas, confront an la vinha de Helias de Vilacère et an
la vinha d'Estene Guitart et an lo cami que va de fon de Bragas à las Vernhias,
lasquals terra et vinha contenent vi cartonadas et dit que las tenia de Jehan
de Casnac an dos [sos de] r[ente].
Item
ung ort et ayral tenens sis en la parochia de Belver, elloc appelat à l’hospital
velh contenant dos jornals, confrontant an lo cami que va del loc de Belver
à la glieya parrochiale de Belver, et an lodit hospital, losquals dis que tenia
del seignor de Blancafort an [tres] iii s. [de] r[ente].
Item
ung ort assis en la parrochia de Belver, elloc apelat ella Peyrieyra, contenant
quatre jornals confrontant an lo ort d'Anthoine de la Moichia et an lo ort de
Guillaume de Roumegous et an lo cami que va de Peyralevada à la gleya de
Moncuc, loqual te de Gasto de Verdon dit Campanhac an dos s[de] r[ente].
Et
ditz quel ne pagu point de commu perque el es noble et ses predecessors nont
pageren jamayt.
Le dénombrement de 1462
parait avoir eu une grande importance ; l'on sortait de la guerre anglaise,
l'archevêque avait intérêt à faire dresser un titre nouvel de ses possessions
et droits ; il ne dédaigna pas de rester à Belvès pendant les opérations ; le
cartulaire mentionne souvent sa présence[87].
Là[88] vinrent défiler devant ses officiers, tous
ceux qui, à un titre quelconque, détenaient quelque bien, dans la châtellenie
de Belvès.
Nous donnons en note le
nom de tous ceux qui vinrent faire quelque déclaration[89]
; de l'examen attentif que nous avons fait de chacune d'entre elles, résultent
des constatations de grande importance pour la détermination de la condition
sociale des habitants.
En 1462, si les nobles
détenaient des fiefs importants, qu'ils faisaient administrer, suivant leurs
fantaisies, la plus grande partie du territoire était déjà aux mains de ceux
qui par eux-mêmes en assuraient la culture ; ces paysans, descendants des
anciens serfs, étaient complètement libres, et n'étaient frappés d'aucuns de
ces droits qui, dans d'autres contrées, subsistaient encore, et leur
rappelaient leur condition antérieure (droits de formariage par exemple) ; ils
jouissaient dans la châtellenie de Belvès d'une liberté absolue , sauf le
paiement des cens et redevances auxquels ils s'étaient librement soumis par
contrat, et ces cens et redevances, si on les compare à l'importance des terres
occupées, étaient de bien faible valeur, et laissaient aux tenanciers tous les
avantages et les joies de la propriété.
Ces cens et rentes
consistaient la plupart du temps en monnaie. C'était une petite somme en sous
ou deniers tournois que devaient payer les tenanciers[90],
d'autres fois en monnaies périgourdines[91]
; quelquefois la redevance est fixée en blanques[92]
ou en miailhes[93] .
Dans tous les cas,
quelque difficile qu'il soit d'apprécier aujourd'hui ce que peut valoir une
somme en monnaie du xv6 siècle, il nous paraît absolument certain, qu'il n'y
avait aucun rapport, entre le montant des cens ou de la rente et les produits
du sol, et nous croyons pouvoir rétablir et pour les pièces de terre isolées et
pour les domaines[94].
Les rentes ou cens
fixés en monnaie formaient les cas les plus nombreux.
Quelquefois cependant
on y ajoutait quelques redevances en nature, mais peu élevées, en froment,
seigle[95],
avoine[96],
[civade], châtaigne[97],
foin[98];
on stipulait assez souvent une ou deux « galines », une seule fois trois; le
redevable promettait quelquefois une ou deux journées de travail, (I, II, III
journals) ; soit que la redevance comprît tous ces éléments ou quelques-uns
seulement[99].
A titre tout à fait
exceptionnel, on stipulait du tenancier des redevances tout à fait spéciales,
en cire ou en autres objets[100].
Ces redevances, à titre
de rentes ou cens, étaient « portables», c'est-à-dire payables au domicile du
seigneur, où le tenancier devait les payer et aux époques fixées par les
contrats : généralement à Noël[101]
ou à Notre-Dame de Mars[102].
Quelquefois le seigneur
n'en touchait le montant, qu'à la charge de remplir quelque office particulier
: il en était ainsi des nombreuses rentes à charge d'obit que renferme notre
cartulaire et que touchent les Frères Prêcheurs, le prieur de Belvès et autres
prêtres,
Si le plus grand nombre
des paysans étaient ainsi rattachés, pour leurs terres, par les liens de la
censive ou du contrat de rente, à un seigneur dont ils reconnaissaient le
domaine éminent ; quelques-uns possédaient leurs terres à titre de franc alleu,
sans payer aucune redevance à personne. Ainsi il en était de ce Jean Martin,
laboureur, dont les déclarations de cens ou rentes tiennent 5 pages du
cartulaire (fol. 50 v° à 55 r°) sans être complètes, qui, avec des maisons à
Belvès, de nombreuses pièces de terres ou prés autour de la ville et dans la
rivière, possédait les maynes de la Faurelye (Larzac) et du Mas (Larzac), à
propos d'une terre de 3 cartonnées à Fons Gautier, déclare la tenir «
franchement sans en rien payer » fol. 54 r°, et à propos d'une cabane et deux
cartonnées de terre al Guarric (Larzac) « et la tient franchement comme
il dit »[103].
D'autres fois, qu'il
s'agisse de cens ou rente, les tenanciers avaient obtenu le rachat du seigneur,
et détenaient, sans plus payer aucune redevance, les terres qu'ils cultivaient;
ils étaient dans la situation de propriétaires libres de nos jours, avaient
même moins à payer que ceux-ci.
Cette situation nous
est révélée par notre cartulaire pour beaucoup d'entre les déclarants de 1462[104]
; elle ne fera que se généraliser et nous assistons ainsi à ce relèvement
continuel de la classe laborieuse, qui, de serve est devenue libre, qui a su
rejeter les charges des cens et rentes, et formera dans la suite cette lignée
de petits propriétaires, à l'âme fière et indépendante, digne d'obtenir, avec
la Révolution française, l'égalité des droits avec la noblesse et le clergé, et
fondera le régime sorial nouveau.
Ainsi, les paysans
possédaient, dans la châtellenie de Belvès, une grande partie du territoire, à
charge de cens etde rentes, et le morcellement du sol était, à cette époque,
tel qu'il est encore aujourd'hui.
A côté de ces
parcelles, se présentaient les domaines, ayant une certaine importance : les
uns constituaient des fiefs entre les mains de leur propriétaire. (Pech Gaudou
qui est resté dans la famille des Comarque jusqu'à la Révolution ; Campagnhac
(Vielvic) ; la terre de Doissac (la famille des Vivans) ; le Carlou (St-Amand),
les Bonnet, etc.)
Mais beaucoup de
domaines étaient déjà dans les mains des paysans qui en assuraient la culture,
et les possédaient à charge de cens ou de rente, propriété qui se rapprochait
singulièrement de la propriété moderne, tant les charges imposées étaient
minimes.
Et, à ce point de vue,
la situation économique du pays a très peu changé. Les domaines sont,
aujourd'hui, ce qu'ils étaient alors, et il y a eu très peu de morcellement :
ils ont changé de main, quelquefois très souvent, mais sans être altérés dans
leur constitution[105]
.
La restriction des
droits appartenant au seigneur dans la châtellenie de Belvès, au moins dans
l'étendue du consulat, permet de constater que l'on ne rencontre ici aucun de
ces droits féodaux, si gênants et si fréquents : l’obligation, pour les vassaux
et tenanciers, de faire cuire le pain au four du seigneur, de faire moudre
leurs grains au moulin du seigneur ; à Belvès, tout le monde pouvait avoir son
four, ou son moulin, sans aucune restriction, et les moulins étaient, comme
aujourd'hui, fort nombreux dans la vallée de la Nauze.
Le propriétaire les
exploitait lui-même, les donnait à ferme, à rente fixe[106],
ou à moitié produits[107].
Tout ce qui précède
nous permet donc d'affirmer que Belvès grâce à sa constitution politique, forma
un îlot dans lequel, avec une liberté respectée, la population n'eut pas à
souffrir de la féodalité, où chacun, par son travail ou le commerce pouvait
acquérir la terre et la fortune : cette population était mûre pour les réformes
politiques modernes : c'est peut-être là le motif véritable du calme avec
lequel la Révolution fut acceptée dans notre châtellenie ; calme dont se sont
étonnés quelques hommes politiques importants.
V.— Seigneur de Belvès.
Au moment où Belvès
marque sa place dans l'histoire, la féodalité régnait en maîtresse, tant au
nord qu'au midi : la faiblesse du pouvoir central en avaiL permis
l'organisation.
Mais à quelle époque
faut-il placer la fondation de Belvès?
On ne peut le dire, et,
bien que l'on n'ait pas de preuve écrite de son existence avant l'an 1000, il
n'en faut pas moins reconnaître avec M. Dessalles[108]
que Belvès existait certainement à cette époque, mais aucun document
authentique n'en fait mention.
Quoi qu'il en soit, en
1153, la paroisse de Belvès est comprise par la bulle du pape Eugène III, au
nombre des bénéfices de l'abbaye de Sarlat, qui était ainsi en possession du
droit d'y nommer un vicaire perpétuel, sans que l'on sache exactement à quel
moment cette union avec Sarlat aurait été faite[109].
En 1156, un acte
notarié est signé « ante hostium ecclesiae sanctae Mariae de Moncuco, anno ab
incarnatione Domini MILVI.... »[110].
Un acte de 1271,
compromis et nomination d'arbitres entre les abbé et couvent de Cadouin, d'une
part, et les prieur et chapitre de St-Avit Senieur, d'autre part, a pour
rédacteur un notaire de Belvès.
« Ego Botelli, clericus, notarius
de Bello videre hanc cartam scripsi, utriusque partis consensu, regnante dno
Edwarto primogenito illustris regis Angliae et Helia Petragori... episcopo »[111].
Et, à partir de cette
époque, des preuves certaines de l'existence et de l'importance de Belvès
deviennent de plus en plus nombreuses.
A partir du XIVe
siècle, suivant l'opinion généralement acceptée[112]
Belvès aurait élé placé sous la seigneurie de l'archevêque de Bordeaux.
Il est certain que les
archevêques de Bordeaux restèrent les seigneurs temporels de Belvès, jusqu'à la
Révolution. Avec Montravel, Bigarroque, Couze, St-Cyprien, Milhac, Belvès fut
une de leurs importantes possessions en Périgord.
Mais à quel moment
faut-il placer cette acquisition de l'archevêque de Bordeaux?
Si l'on en croyait les Chroniques
de Jean Tarde, ce serait en l'an 1307 qu'Arnaud de Canteloup, autrement de
Pelegrue, archevêque de Bordeaux, (1305-1332), neveu du pape Clément V, aurait
acheté les terres de Bigarroque, Belvès, Montravel et les aurait unies à la
mense épiscopale de l'archevêque de Bordeaux[113].
Mais ce point paraît
contredit par les renseignements que fournit Philiparie, dans son
cartulaire.sur lesacquisitions des archevêques de Bordeaux en Périgord. Ces
acquisitions auraient été faites par Bertrand de Got lui même, et complétées
par son neveu Arnaud, archevêque de Bordeaux.
Voici le passage auquel
nous faisons allusion :
« ... Et il est assavoir que
de bonne mémoire, le seigneur Clément, Ve pape de ce nom, archevêque de Bordeaux,
fut élevé à la papauté et alors il porta le siège de son pontificat à Avignon,
à cause de l'hostilité des Romains, et Arnaud, neveu du dit seigneur Clément,
fut dans ce temps là archevêque de Bordeaux, et tous les deux furent puissants
et vertueux dans l'Eglise de Dieu, et le dit seigneur Clément donna plusieurs
privilèges à l'Eglise de Bordeaux, et entre autres, tant le dit seigneur pape
qu'Arnaud, son neveu, archevêque de Bordeaux, lui ont acquis toutes les terres
et juridictions que l'Eglise de Bordeaux a, pour le présent, dans la
sénéchaussée de Bigarroque, et j'ai entendu raconter par les anciens que, du
temps des dits deux pape et archevêque, étaient dans le dit lieu de Belvès,
entre autres sept nobles guerriers, du lieu du dit château et châtellenie de
Belvès et y détenaient la paix, desquels fut acquise par les dits seigneurs
pape et archevêque, la majeure partie, et après cela leurs successeurs
acquirent la résidence et la juridiction... ».[114]
Il résulterait de là que l'acquisition de la seigneurie
de Belvès aurait été faite, successivement et en plusieurs fois, par Bertrand
de Got et son neveu, des seigneurs, qui avant eux détenaient le territoire.
Cette opinion nous
paraît plus exacte que celle du chanoine Tarde, mais faut-il la regarder comme
conforme à la vérité? Nous ne le croyons pas. Et, si l'état des documents ne
permet pas d'arriver à une conclusion, tout à fait certaine, au moins peut-on
découvrir une portion de la vérité, et rectifier ainsi les dires de Philiparie
et de Tarde.
Des actes incomplets,
tirés des archives de Cadouin et rapportés au Fonds Périgord[115],
permettent d'affirmer, qu'à une époque antérieure à celle fixée par le chanoine
Tarde (1260 à 1279), l'archevêque de Bordeaux avait déjà des propriétés en
Périgord.
Aymoin, chevalier de
Belvès, par son testament en date de 1269, donne au couvent de Cadouin « domum
sitam juxta turrim domini archiepiscopi Burdigalensis apud Bellum videre...» Ce
qui démontre l'existence à Belvès, à cette époque, d'un établissement de
l'archevêque de Bordeaux.
En outre, par ce même
testament, il fait une obligation à ses héritiers de « facere homagium … patri
nro in Xto domino archiepiscopo Burdigalensi, suisque
successoribus et ecclesiae sancti Andreae Burdigalensis », et il donne la
seigneurie à l'archevêque de Bordeaux, « ut justiciam meam habeat, teneat per
totam terram meam sicut habet, tenet et possidet per totam aliam terram suam...
»[116]
Ces actes permettent
donc d'affirmer qu'à cette époque (1269), l'archevêque de Bordeaux avait déjà
la seigneurie de Belvès et que ces droits s'augmentèrent des libéralités que
lui faisait Aymoin, chevalier de Belvès.
Cet Aymoin avait fondé,
par acte de 1262, le prieuré de Beaulieu[117]
qui relevait de l'abbaye de Cadouin ; la confirmation de cette fondation est
donnée, en 1279, par Simon, archevêque de Bordeaux. Or, l'intervention de
l'archevêque, à l'occasion de cette fondation, et l'approbation qu'il donne,
démontrent qu'à cette époque l'archevêque de Bordeaux était seigneur de Belvès,
et que son assentiment était nécessaire à la validité de l'acte, comme
aliénation à maison d'ordre religieux[118].
Un autre acte de 1250[119]
constate qu'un chevalier Bonefoy avait donné à la maison de Falhiapave, fille
de Cadouin, tout ce qu'il possédait dans la paroisse de Doissac et la confirmation
de cette donation est donnée dans les termes suivants :
Idem vero Willelmus Aymoni,
tanquam rei dominus, et nomine Domini gratia Dei Burdigalensis archiepiscopus
apud Begaricam et Bellovidere, qui litteris presentis cyrographum ex parte sua
et Dni archiepiscopi confirmavit, in festo Sanctae Catherinae martyris...
Tous ces actes prouvent
donc qu'à cette époque, vers 1250, l'archevêque de Bordeaux était déjà seigneur
temporel, au nom de son église St-André de Bordeaux, des territoires de Belvès
et de Bigarroque[120].
Il y a donc erreur de
rattacher, à l'année 1307 seulement, l'acquisition de la seigneurie de Belvès,
comme l'ont fait Philiparie, le chanoine Tarde, et tant d'auteurs à leur suite.
Par là-même, nous
réfutons l'opinion rapportée par M. de Gourgues dans le Dictionnaire
topographique de la Dordogne, suivant lequel la seigneurie de Belvès aurait
été vendue au xive siècle, à Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, par
Guillaume de Biron[121].
Il n'y a là qu'une simple affirmation sans preuve, l'instrument d'une telle
opération n'est pas produit ; il serait en contradiction avec les faits et les
documents rapportés plus haut. L'archevêque de Bordeaux avait des droits en
Périgord, depuis une époque fort antérieure et indéterminée, comment aurait-il
eu à acheter une seigneurie qui lui appartenait déjà ?
Dans un acte daté de
Villefranche, du diocèse de Périgord, in festo apostolorum Petri et Pauli,
anno incarnationis Domini 1287, par lequel les délégués de Philippe-le-Bel,
roi de France, Raymond, duc de Bourgogne, chambellan du roi, et Raymond,
seigneur d'Orgel et connétable de France, assignaient 758 livres de revenus au
roi d'Angleterre, sur divers territoires dépendant du Quercy, en déduction des
3,000 livres promises, il est fait la mention suivante, après l'énumération des
territoires assignés, et notamment la Bastide de Villefranche-de-Périgord, les
paroisses de Loubejac, Saint-Etienne-des-Landes, Saint-Sernin-de-I'Herm et
Mazeyroles, avec la haute et basse justice :
Parrochiae de Trappis
et de Pratis sunt in manu domini regis, tanquam superioris, propter discordiam
quae est super jurisdictionem alta et bassa dictarum parrochiarum inter dominum
regem et archiepiscopum Burdegalensem et debent tradi regi Angliae si dominus
rex obtineat [jus] in dicta causa, alioquin de alta et bassa justicia dietarum
duarum parrochiarum fiet regi Angliae competens emenda... »[122]
.
Acte très important :
il démontre qu'en 1287, un débat s'était élevé, relativement à la justice, à
l'occasion des paroisses de La Trape et de Prats, entre le seigneur du lieu et
le roi de France, et que ce dernier avait, comme suzerain, mis sa main sur les
dites paroisses, jusqu'à la conclusion du débat. Or. ces paroisses faisaient
partie de la châtellenie de Belvès : c'est donc à ce titre que l'archevêque de
Bordeaux, seigneur de Belvès en 1287, réclamait la justice, haute et basse, sur
les paroisses de La Trape et de Prats, comme il le fera dans la suite à
diverses époques.
L'ensemble de ces
documents démontre, d'une manière certaine, l'existence des droits de
l'archevêque sur Belvès, dès le milieu du xiiie siècle; mais nous n'avons
trouvé aucun document qui nous permette de fixer la date exacte de leur
acquisition.
Faudrait-il la
rattacher aux conséquences de la croisade contre les Albigeois dans notre
région ? Nous savons que Simon de Montfort combattit l'hérésie albigeoise
jusque dans notre pays; qu'il prit et détruisit Dome Vieille (Génac), Montfort,
Castelnau et Beynac ; et qu'à la suite des modifications territoriales
qu'entraîna la conquête, il reçut les hommages du seigneur de Bergerac et de
l'abbaye de Sarlat ; serait-ce, à cette même époque, que l'archevêque de
Bordeaux serait devenu seigneur de ses domaines en Périgord ?
Aucune mention
d'inféodation au profit de l'archevêque ne se rencontre, il est vrai, au nombre
des concessions faites par Simon de Montfort ; tout au moins est-il très
probable, sinon certain, que l'archevêque de Bordeaux avait pris part à
l'expédition de Simon en Périgord, et le passage où est conservé ce souvenir
peut servir de base à l'une ou l'autre des deux hypothèses suivantes: ou bien
que l'archevêque de Bordeaux avait déjà des domaines en Périgord, et qu'il
s'était mis à la tête de ses vassaux, pour participer à la croisade ; — ou bien
qu'il eut pour prix de sa participation les seigneuries du Périgord[123].
Donc, tous les
documents démontrent d'une manière certaine qu'au commencement, tout au moins
vers le milieu du xiiie siècle, l'archevêque de Bordeaux était
devenu seigneur de Belvès, Bigarroque, Couze, Milhac et Montra vel.
Mais comment concilier cette conclusion
avec un document, rapporté par Rymer[124],
d'où il paraîtrait résulter qu'en 1305 l'archevêque de Bordeaux aurait acquis
ces seigneuries à la suite d'un échange fait avec le roi d'Angleterre, auquel
il aurait abandonné des fiefs qu'il avait en Saintonge.
Ce dernier texte,
suivant nous, ne saurait détruire l'autorité des preuves, antérieurement
données, et suivant lesquelles la seigneurie de l'archevêque sur Belvès et Bigarroque
existait, certainement, dès le milieu du xiiie siècle. Dans l'échange proposé,
nous ne verrions qu'une confirmation des droits antérieurs de l'archevêque,
imposés, sous couleur d'échange, par le roi d'Angleterre, maître du territoire.
Quoi qu'il en soit de
l'obscurité, qui entoure l'acquisition, par l'archevêque, des seigneuries de
Bigarroque et de Belvès, l'archevêque est resté, sans contestation et jusqu'à
la Révolution française, seigneur temporel de Belvès ; nous avons à voir quelle
organisation il donna à la châtellenie.
CHAPITRE II.
Organisation
administrative de Belvès pendant le moyen age.
Belvès, avec son
territoire, fut donc placé sous la suzeraineté des archevêques de Bordeaux.
Depuis Bertrand de Got[125]
, jusqu'à la Révolution, ceux-ci conservèrent cette dépendance de la mense
épiscopale. Ils furent pour le pays, l'histoire le démontre, des seigneurs
pleins de mansuétude ; ils concédèrent, confirmèrent ou reconnurent, au profit
de Belvès et de son territoire, les privilèges les plus importants.
Ce sont ces privilèges,
accordés à Belvès et à son territoire, qui donnent à son organisation
administrative une physionomie particulière et que nous avons à étudier.
Belvès, propriété
privée des archevêques de Bordeaux, fut regardée par eux comme un lieu de
villégiature dans lequel ils aimèrent à venir pour s'y reposer de leurs
fatigues ; quelques-uns y moururent : ainsi Amanieu de Cases, premier du nom,
archevêque de Bordeaux, mourut à Belvès le le 9 août 1348[126] et y fut enseveli.
Il en serait de même
d'Arthus de Momauban, archevêque de Bordeaux, suivant le dire de Philiparie;
nous lisons, en effet, au registre de Philiparie (traduction française faite
sur l'original latin en 1756 :
«
Auquel (Blaise de Grêle) succéda de bonue mémoire notre seigneur Arthus de
Montauban, il vécut jusqu'en l'année 1479 et décéda à Belvès et duquel repose
le corps dans l'Église des Frères Prêcheurs
de Belvès près le grand autel, à la porte gauche, dans un tombeau fait
et taillé en pierre dans lequel nul autre n'avait été enseveli...»[127].
Mais c'est
probablement une erreur. Arthus mourut à Paris, d'après le Gallia christiana[128]
et d'après les documents conservés aux Archives de la Gironde[129].
Les archevêques de Bordeaux vinrent très souvent à Belvès, où ils avaient un
palais important, et plusieurs documents, pour beaucoup d'enlre eux, nous
permettront, dans la suite, de constater le séjour qu'ils y auront fait[130].
Les lettres du duc
d'Anjou de 1372 constatent que très anciennement Belvès jouissait de nombreux
privilèges (art. 1) « cum temporibus retrolapsis, terra archiepiscopi
Burdigalensis, cujus est dictus locus de Bellovidere, cum honore ejus, fuerit
semper privilegiata... » d'où il faudrait induire que si le duc d'Anjou a pu
confirmer et préciser les divers privilèges accordés à Belvès, ces privilèges
existaient anciennement ; et ainsi nous ne posséderions pas la charte qui, la
première fois, les avait formulés ; soit que cette charte première ait été
perdue, circonstance qui se rencontre dans beaucoup de localités, soit que ces
privilèges n'eussent été établis que par l'usage. Peut-être pourrait-on voir
l'origine de ces privilèges dans une ancienne association, formée en vue du
salut public, entre les seigneurs du lieu. Nous savons que des associations de
ce genre, sociétés de secours et de défense mutuels, se sont multipliées
pendant la seconde moitié du xie siècle, et qu'elles ont donné
naissance aux communes jurées[131].
Or, le récit de Philiparie ne permettrait-il pas, pour Belvès, une semblable
origine à sa commune ?
« Et j'ai entendu
raconter par les anciens, que, du temps des dits deux pape et archevêque
[Bertrand de Got et son neveu], étaient dans ledit lieu de Belvès entre autres
sept nobles guerriers du lieu du dit château et châtellenie de Belvès y
détenant la paix...[132]
»
Et serait-il téméraire
dépenser que ces seigneurs, en abandonnant leurs domaines à l'archevêque de
Bordeaux, stipulèrent à leur profit des privilèges, dont ils étaient en
jouissance pour restreindre la puissance seigneuriale sous laquelle ils
venaient se placer.
Et, si on n'accepte pas
cette origine, tout au moins est-il incontestable que les archevêques de
Bordeaux, devenus seigneurs de Belvès, accordèrent à la localité des privilèges
importants: le fait est constaté par le traité du 16 septembre 1442, au moment
de la réduction de la ville de Belvès par Jean de Bretagne, dans lequel il est
stipulé, article 4 :
«
Item est dict et accordé entre nous et les dits consuls et habitants que nous
leur tiendrons et fairons tenir, de tout notre pouvoir, eux et chacung d'eux,
leurs hoirs et successeurs, en leurs droits, libertés, privilèges, franchises
et exemptions à eux jadis données et octroyées, par l'archevêque de Bordeaux
leur seigneur... ».
sans que nous puissions dire si ces
concessions furent faites volontairement par les archevêques de Bordeaux ou
leur furent arrachées par la violence.
Quoi qu'il en soit de
ces origines, l'acte le plus ancien, mentionnant la situation privilégiée de
Belvès,est les lettres du duc d'Anjou de 1372[133].
La France venait de
reprendre possession de territoires enlevés aux Anglais, et le roi de France et
le duc d'Anjou, son représentant, confirment au profit de Belvès et de son
territoire les privilèges dont ils jouissaient.
Ces privilèges, comme
nous l'avons vu, avaient été accordés à l'origine par les archevêques de
Bordeaux ; les Anglais les avaient respectés et maintenus : il ne paraît pas
qu'ils en aient accordé de particuliers : dans tous les cas nous n'avons pas
trouvé l'instrument de cette concession.
Les pièces et documents
qui mentionnent les privilèges dont Belvès jouissait, sont, d'un côté, les
lettres patentes du duc d'Anjou déjà mentionnées, d'un aulre côté, le traité
fait entre Belvès et Jean de Bretagne, et enfin les diverses transactions
intervenues, à diverses époques, entre les consuls de Belvès et les archevêques
de Bordeaux, pour mieux fixer ou déterminer l'étendue des droits du seigneur et
les privilèges des consuls et pour faire cesser les difficultés élevées dans la
pratique à leur occasion.
Enumération des documents
dans lesquels sont mentionnés les privilèges de Belvès:
1° Lettres patentes de
Louis, duc d'Anjou, données à Cahors au mois de novembre 1372 et rétablissant à
Belvès l'autorité du roi de France, après l'expulsion des Anglais ;
2° Traité, après la réduction
de la ville de Belvès et l'expulsion des Anglais, entre les consuls et les
habitants de Belvès, et Jean de Bretagne, comte de Périgord, Pierre comte de
Beaufort, Jacques seigneur de Pons.
(D'après une copie du
Fonds Périgord).
3° Diverses transactions,
intervenues entre les consuls de Belvès et les archevêques de Bordeaux, sur
l'étendue respective des droits appartenant à chacun : ces transactions se
réfèrent presque toutes à la transaction intervenue entre les habitants de
Belvès et Arlhus de Montauban, qui, quoique modifiée sur quelques points
secondaires, reste la charte du consulat de Belvès.
a) Transaction entre
Arthus de Montauban, archevêque de Bordeaux, et les habitants et consuls de
Belvès, le 10 février 1470. Ce titre avait été dressé par Me Jean Gisson,
notaire à Siorac, et Guillaume Philiparie, et avait été ratifié par le chapitre
de St-André[134].
b) Transaction du 23
août 1530, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr Charles
de Gramont, archevêque de Bordeaux[135].
c) Transaction du 8
mars 1550, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr le
cardinal du Bellay, archevêque de Bordeaux, relative aux droits sur la Becède[136].
d) Transaction du 16
juin 1571, entre les consuls et habitants de Belvès, et Mgr Antoine Prévôt
de Sanssac, archevêque de Bordeaux[137].
e) Arrangement du 25
octobre 1609, entre les consuls et habitants de Belvès et Mgr le
cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, par lequel celui-ci s'engage à ne
pas aliéner la seigneurie de Belvès[138].
f) Transaction et
reconnaissance des consuls de Belvès avec Mgr Henri de Béthune,
archevêque de Bordeaux, du 11 avril 1673[139].
g) Transaction de 1727
entre Mgr illustrissime et révérendissime François-EIie de Voyer
d'Argenson, archevêque de Bordeaux et les consuls de Belvès[140].
h) Transaction entre
l'archevêque de Bordeaux et les consuls de Belvès en 1773[141].
i) Pièces relatives à
l'entrée de Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, dans sa ville de
Belvès en 1788[142].
4° Enfin une pièce
capitale et très importante, le texte en langue romane des Coutumes de
Belvès.[143]
Tels sont les documents
au moyen desquels on peut étudier la situation administrative de Belvès pendant
le moyen âge.
Parmi ces documents les
plus importants et auxquels tous les autres se rapportent, sont les lettres du
duc d'Anjou (1372), le traité avec Jean de Bretagne (1442) et la transaction
entre les consuls de Belvès et Arthus de Montauban (1470) : ce dernier titre,
le plus explicite, est celui auquel se référeront exclusivement dans la suite
les archevêques et les consuls, lorsqu'ils apporteront quelque modification au
fonctionnement du consulat.
Une question domine
toute l'organisation administrative : A quel titre l'archevêque de Bordeaux
détenait-il le territoire de Belvès ?
On peut, en effet,
comprendre, sur ce point, une double solution : ou bien dire que l'archevêque,
seigneur de Belvès et suzerain, à ce titre, et des consuls et de tous ceux qui
étaient dans le territoire de Belvès, ses vassaux ou ses tenanciers, relevait à
son tour d'un seigneur plus puissant, comte de Périgord ou roi de France, par
exemple, à titre de vassal, et qu'à ce titre l'archevêque de Bordeaux leur
devait foi et hommage pour la seigneurie de Belvès et ses dépendances.
Ou bien on pourrait
comprendre que l'archevêque de Bordeaux, seigneur suzerain de Belvès et de son
territoire, ne relevât, pour cette seigneurie, d'aucun autre et possédât ainsi,
comme le disent quelques documents, le territoire de Belvès à titre d'alleu[144].
Dans ce dernier sens,
l'on peut soutenir qu'au moins pour les premiers temps, l'archevêque de
Bordeaux fut seigneur indépendant de Belvès[145].
Cette solution résulte en effet des documents suivants :
Un jugement
contradictoire du sénéchal de Périgueux du 23 janvier 1400, rappelant des
lettres patentes du roi Charles VI, données à Paris le 5 octobre 1396, et sur
les plaintes des consuls de Beauvoir, reconnaît sur certains et justes titres :
Qu'ils sont en bonne possession
et saysine de plusieurs héritages, cens, rentes, fiefs, arrière-fiefs, et
autres droits nobles tenus de l'archevêque de Bordeaux, comme seigneur du lieu,
lequel archevêque les tient en franc-alleu, sans les tenir de nous, ni
d'autres ; qu'eux et leurs prédécesseurs n'ont oncques payé de redevance et
servitude, et ordonne à son délégué en cette partie de maintenir les
complaignants en la dite possession et saisine contre quelques-uns de ses
officiers qui les troublent[146].
De ce jugement
reproduisant les lettres de Charles VI, au profit des habitants de Belvès, il
résulterait donc que l'archevêque, féodalement parlant, n'avait pas de suzerain
pour sa seigneurie de Belvès, qu'il la possédait en franc-alleu; dans le même
sens, nous pouvons invoquer un passage de Philiparie, dans son registre :
... Et toujours out tenu les archevêques de Bordeaux
les dites terres et leurs temporels en franc-alleu, jusques au temps de la
susdite bonne mémoire du seigneur Blaise de Grêle, qui reconnut les tenir sous
hommage au seigneur Charles, alors roy des Français et, après cela, j'ay
entendu raconter que les successeurs du même seigneur firent hommage au roy de
France de tous leurs privilèges de leur temporel[147].
Et il est certain que
si la possession en franc-alleu pouvait se défendre à l'origine, dans la suite
on fut contraint de l'abandonner. Le Roi, sous l'influence des légistes, se fit
facilement reconnaître comme seigneur fieffeux du royaume, et l'archevêque de
Bordeaux, pour ses domaines du Périgord, devait féodalement relever de lui :
aussi ne sommes-nous pas étonnés de trouver dans la suite la preuve des hommages
que les archevêques de Bordeaux prêtaient au roi de France, pour leurs
seigneuries du Périgord[148].
Mais, malgré cela, la
seigneurie de Belvès restait une terre privilégiée, suivant les expressions des
lettres du duc d'Anjou, et ce privilège consistait à ne pouvoir être frappée ni
par l'archevêque, ni par le suzerain de celui-ci, d'aucun impôt ni redevances,
autres que ceux réservés dans les lettres du duc d'Anjou et les titres qui les
complètent.
Ce point mérite
d'attirer un instant notre attention :
Cum temporibus retrolapsis terra
archiepiscopi Burdigalensis, cujus est dictus locus de Bellovidere, cum honore
ejusdem, fuerit semper privilegiata, taliter quod nulla subsidia, focagia,
impositiones gabellae vel aliae subventiones levatae fuerunt in eodem, nec
habitatores ejusdem in guerram sequi dominum cogi debent, ejusdem consulibus,
habilatoribus presentibus et futuris concessimus et concedimus per presentes
quod ipsi de cœtero et futuris temporibus sint quiti franchi, liberi et
immunes ab omnibus impositionibus [149].
Constatons tout d'abord
la généralité de ces privilèges : ils s'étendent à Belvès et à son territoire «
terra... cujus est Bellovidere cum honore suo[150]
; et ce ne sera pas seulement aux habitants du consulat, mais aux habitants de
l'ensemble du territoire que profitera l'exemption complète d'impôts de tout
genre, de quelque nature qu'ils soient. « Subsidia, focagia, impositiones,
gabellae vel aliae subventiones. »
Cette exemption
s'appliquait d'abord au regard de l'archevêque de Bordeaux, seigneur immédiat
et direct et restreignait ses droits pécuniaires aux seuls impôts ou redevances
que les titres, complétant les lettres du duc d'Anjou, lui permettaient de
prélever et que nous étudierons dans la suite.
Mais, en même temps,
cette exemption accordée par le duc d'Anjou en 1372, confirmée par Jean de
Bretagne en 1442, au nom du Roi, protégeait les habitants du territoire contre
tous les impôts que le Roi, comme suzerain de l'archevêque de Bordeaux,
voudrait imposer[151].
Il faut remarquer, en effet, que les relations entre vassaux et suzerains se
réglaient, par les termes du contrat de fief; or, ici le roi de France, en
acceptant par ses représentants, le duc d'Anjou et Jean de Bretagne, que la
terre de Belvès fùtprivilégiée et ne pût être frappée d'impôts, s'interdisait
par là même, à l'avenir, d'en exiger, sous quelque forme que ce fût.
C'est dans ce sens que
la solution fut donnée, à propos de droits de francs-fiefs que l'intendant de
Sève voulait percevoir dans le territoire de Belvès.
Les droits de francs-fiefs
devaient être payés par tout roturier qui devenait propriétaire d'un bien noble
; le Roi suzerain les percevait, à cause de l'autorisation qu'il devait à
l'aliénation du fief.
Dès que l'intendant eut
manifesté l'intenlion de percevoir les droits de francs fiefs, Mgr de Sourdis,
par ordonnance du 20 octobre 1633, fit défense à tous ses justiciables de
Belvès, Bigarroque, Couze, Milhac et Mauzac de payer les droits, attendu qu'ils
en étaient exemptés par leurs privilèges d'immunité. Sur l'opposition de
l'intendant, l'affaire fut portée au Conseil d'Etat, qui, par ses arrêts de
mars 1672, 28 janvier 1673, déclara les droits de francs-fiefs non dûs, à cause
du privilège d'immunité contenu dans les lettres du duc d'Anjou et actes
confirmatifs ; l'intendant se conforma à ces décisions et renonça à toute levée
de droits par une décision du 23 février 1674[152].
Et cette immunité pour
le territoire de Belvès ne sera atteinte que lorsque la féodalité vaincue, on
accordera au roi de France, au nom de la souveraineté dont il est investi, de
frapper d'impôts les divers territoires de la France : contributions que chacun
devra pour assurer le repos public et la prospérité de l'Etat dont le Roi est
le représentant ; mais alors nous toucherons aux temps modernes.
L'article 1er accordait
en outre aux habitants du territoire de Belvès, et avec le même caractère de
généralité, une autre immunité très importante : le service militaire que tout
vassal devait à son suzerain, était modifié, à Belvès, en ce sens que les habitants
ne pouvaient pas être forcés de suivre leur seigneur à la guerre hors de la
seigneurie. Les vassaux assuraient, comme nous le verrons dans la suite, la
sécurité et l'indépendance de la seigneurie par le service de guerre ; dans
l'intérieur de la seigneurie, cette obligation avait toute son énergie; mais
elle expirait aux limites de la seigneurie, et si le seigneur voulait faire la
guerre à l'extérieur, les vassaux n'étaient pas obligés de le suivre.
Ces privilèges
importants donnent à la seigneurie de Belvès une physionomie spéciale et on
comprend la vérité des paroles de Mgr de Béthune au xviie siècle : Belvès a «
toujours passé dans le rang des villes franches, comme en effet il n'y en a
point, dans toute la province du Périgord, qui en ait de plus beaux et de plus
anciens titres de son exemption »[153].
La ville de Belvès, sa
paroisse et les paroisses voisines, Saint-Pardoux, Saint-Amand, Sagelat et
Montplaisant formaient, dans la seigneurie, un territoire privilégié, tout au
moins à partir de 1470 (Transaction avec Arthus de Montauban) ; il était
organisé en consulat; par là, il était mis en possession d'une administration
presque indépendante et de grandes immunités.
A quelle époque exacte
remonte l'établissement du consulat?
Il est impossible de le
dire, il était en plein fonctionnement en 1351, car nous avons à cette date une
liste des habitants inscrits sur les contrôles du consulat[154],
et en 1372 le duc d'Anjou en mentionne l'existence déjà ancienne.
Le consulat fut-il une
création des archevêques de Bordeaux ? Fut-il établi sous l'influence et à
l'instigation des Anglais ? Il est impossible de répondre à ces questions dans
l'état des documents.
Mais qu'importe ; nous
pouvons affirmer qu'à Belvès le consulat était une institution fort ancienne ;
son existence reconnue par les représentants du roi de France, le duc d'Anjou
en 1372, Jean de Bretagne en 1442, recevait de cette approbation une
consécration légale « de novel disait Beaumanoir L, 2, nus ne pot fere
vile de commune sans l'assentement du roy, fors que li roys. »
Le consulat de Belvès
se trouvait ainsi régulièrement constitué et conformément aux principes da
droit, suivis au xive siècle, suivant lesquels un seigneur ne pouvait organiser
une ville de commune qu'avec l'autorisation royale[155].
L'organisation
municipale, conséquence du consulat ou de l'établissement d'une commune,
donnait aux villes une physionomie spéciale : au milieu du plat pays resté plus
ou moins rigoureusement soumis au régime féodal et, dans une certaine mesure, à
l'arbitraire seigneurial, elles forment comme des îlots ayant chacun sa
physionomie propre et jouissant de libertés municipales très appréciées.
Belvès. à ce point de
vue, a été dans une des situations les plus enviées : sa constitution
municipale lui a assuré les privilèges caractéristiques des villes libres :
c'est ainsi qu'on lui avait reconnu : 1° une juridiction civile et pénale
(jusqu'à un certain taux) ; 2° le pouvoir réglementaire, au pointde vue
municipal ; 3° le droit d'imposer les habitants en cas de nécessité, 4° enfin
une force armée particulière. A tous ces points de vue, la ville de Belvès
échappait aux règles du régime féodal, et grâce à ces privilèges et immunités,
s'administrait elle-même : chez elle nous trouvons l'hôtel de ville, le sceau
spécial pour les officiers, la cloche et la juridiction : tous les signes
extérieurs de la souveraineté municipale[156].
Des armoiries lui
avaient été accordées, sans que nous sachions, ni par qui, ni à quelle époque;
« la ville de Belvès porte de gueules à trois tours crénelées d'argent,
massonnées et ouvertes, de sable, deux et une. »[157]
Organisation du
Consulat.
Section Ire. —
Fonctionnement normal.
On avait admis
autrefois que le consulat, comme organisation municipale, était d'origine
italienne[158] ; d'Italie,
le consulat aurait gagné la Provence, le Languedoc et la Guyenne[159],
et pour Belvès, dans cette opinion, on aurait pu faire remarquer que les
archevêques de Bordeaux, à cause de leurs relations avec l'Italie et le Midi de
la France, pouvaient être portés plus tôt que d'autres seigneurs, à ce genre
d'organisaliun pour leur seigneurie. Mais, aujourd'hui, l'opinion généralement
acceptée[160] voit
dans le consulat une institution nationale ; dans notre région, dans des villes
où l'influence italienne ne se fit pas sentir, nous trouvons un très grand
nombre de communes organisées en consulat ; et l'absence du titre de fondation
est un indice certain de l'ancienneté de l'institution. Il en est ainsi pour
Belvès, la charte fondamentale du consulat fait défaut : le consulat y était
donc une institution fort ancienne.
En consentant à la
concession du consulat, au profit de Belvès, l'archevêque de Bordeaux, s'il
n'avait pas abdiqué tous les droits qu'il tenait de son litre de seigneur,
avait consenti tout au moins à leur limitation en associant à leur exercice les
consuls.
Autorités
en présence.
L'organisation en
consulat d'une cité mettait en présence des autorités diverses, déterminons ies
droits et les pouvoirs de chacune.
§
I. — Le seigneur archevêque de Bordeaux ou ses représentants : bayle et
procuratores.
La seigneurie de
Belvès, comme conséquence de la transaction du 10 février 1470, formait un
double territoire; le district consulaire, composé de la paroisse de Belvès et
des quatre paroisses les plus voisines (St-Pardoux, St Arnaud, Sagelat et
Montplaisant) dans lequel les pouvoirs du seigneur étaient limités par
l'organisation du consulat.
Les autres paroisses de
la châtellenie formaient un territoire distinct : là, l'archevêque de Bordeaux
avait conservé, presque intacts, les droits appartenant à tout seigneur dans sa
seigneurie.
Occupons-nous seulement
du district consulaire.
L'archevêque de
Bordeaux et ses successeurs étaient tenus, au moment de leur entrée, à leur
première venue dans la ville de Belvès, de prêter serment aux consuls de la
ville, de tenir et respecter tous les privilèges de la cité et aussi de tenir
et de respecter les Coutumes établies et les changements légalement justifiés,
qui auraient pu y être apportés[161].
Par cette déclaration solennelle, chaque archevêque ratifiait ainsi, s'il en
était besoin, la concession du consulat faite par ses prédécesseurs.
Si le seigneur se
trouvait à Belvès, il exerçait lui-même tous les droits dépendant de sa
seigneurie [par exemple il pouvait présider la cour de justice, art. 30 des Coutumes
de Belvès] en même temps qu'il exerçait les prérogatives dont seul il était
investi.
Au nombre de ces
dernières se place la garde des clés des fortifications pendant son séjour dans
la ville.
Aux consuls, pendant
que l'archevêque n'était pas à Belvès, appartenaient exclusivement la garde et
la surveillance des fortifications ; les clés restaient dans leurs mains.
Mais si l'archevêque venait à Belvès, à
son entrée dans la ville, les consuls devaient lui :
apportare omnes claves, tam villae quam castri et
dictus dominus quamdiu manebit in dictis castro vel loco, poterit apud se
tenere claves dicti castri, claves autem dictae villae unam tenebitar
restituere alteri de consulibus, alleram vero uni burgensi mercatori aut habitatori
de Bellovidere, interim custodiendas, in suo autem regressu omnes claves
restituat, seu restitui faciet dictis consulibus[162].
La distinction faite
entre les clés du château et de la ville avait pour objet de protéger le
seigneur : son palais était dans le castel[163],
lorsqu'il venait l'habiter, il devait y venir en maître, les clés des portes du
châteaului étaient remises.
Pour la ville, dans
laquelle le seigneur n'habitait pas, une des clés restait aux mains des consuls
et l'autre était confiée à un bourgeois choisi par le seigneur et qui en avait
la garde, tant que l'archevêque restait à Belvès.
Ces règlements
paraissent toujours avoir été observés et en 1788, au moment de l'entrée à
Belvès de Mgr de Cicé, on se préoccupa de l'exécution de ces dispositions, et
les fortifications n'ayant plus aucune importance, on remplaça la livraison des
clés par la remise d'une clé en or « qui tiendra lieu de celles de la ville, de
celles des châteaux et tours et que sous
le rapport de ce dernier emblème, [l'archevêque] voudra bien la retenir et la
conserver à titre de gage et de marque d'allégresse, de la vénération et de
l'amour que son honorable visite inspire à tous ses vassaux... »[164].
Le seigneur archevêque
avait droit à certaines redevances de la part des chasseurs.
Il faut rappeler à cet
égard, qu'en Périgord le droit de chasser paraît anciennement avoir été reconnu
à tout le monde. On peut le supposer d'après la formule générale qui se trouve
en tête de l'article 28 de la transaction du 10 février 1470 : « Quicumque
habitator tam de Bellovidere quam totius castellaniae venatu... ». Or, nous
savons, par lettres de Philippe-le-Bel de 1292, au sénéchal de Périgord, que
semblable privilège existait dans beaucoup d'endroits du Périgord, et que le
sénéchal devait le maintenir[165].
Tout habitant de la
châtellenie de Belvès avait donc le droit de chasser dans le territoire de la
seigneurie et le chasseur devait au seigneur, quand celui-ci se trouvait dans
ses domaines de Périgord, un quartier de la bête tuée. Le texte est intéressant
pour l'histoire de la chasse et la détermination du gibier en Périgord.
Quicumque habitator tam de
Bellovidere quam totius castellaniae venatu capiens animal seu animalia
silvester aut silvestria, si dominus tunc fuerit praesens in castelnariis de
Bellovidere, Cosa, Milhaco, Bigaruppe, aut Sancti Cypriani, tenebitur eidem
domino seu ejus procuratori aut receptori in loco predicto de Bellovidere,
solvere ultimum quartarium dextrum cervorum, cervarum, et capriolorum seu
caprialarum, apri vero vel suis quarterium dextrum anterius... »
La fin de l'article
fixe la redevance due au représentant du seigneur, lorsque celui-ci n'était pas
dans ses domaines du Périgord : redevance moins forte que celle due au
seigneur.
Comme le seigneur de Belvès,
par ses fonctions d'archevêque de Bordeaux, était presque tout le temps retenu
loin du siège de sa seigneurie, et, comme il lui eût été difficile d'exercer
par lui-même ses droits, il pouvait se faire remplacer par des fondés de
pouvoir.
Pour une affaire
déterminée il se faisait représenter par un procurator spécial ; par
exemple, s'il s'agissait pour lui de choisir avec les consuls un trésorier,
chargé, sous l'obligation de rendre compte, d'opérer la rentrée des droits
pécuniaires dans l'étendue du consulat.
Et pour les fonctions
permanentes que le seigneur avait à remplir dans le fonctionnement du consulat,
il se faisait représenter par un fonctionnaire spécial, son représentant
général. Celui-ci portait, suivant l'usage alors suivi, le nom de bayle ou
bajulus; le.bayle, s'il était empêché, pouvait désigner un officier pour le
remplacer.
Tout le monde était
intéressé à ce que le bayle présentât les conditions de capacité indispensables
à ces fonctions. La transaction du 10 février 1470 s'était bornée à exiger de
lui la résidence dans la châtellenie de Belvès[166];
dans la suite on voulut davantage et en 1727 on posa en règle que le bayle ne
pourrait être qu'un habitant de la présente châtellenie, qui devait être
désigné a par le seigneur, sans finance et gratuitemeut et eu égard à sa
capacité, probité et bonnes mœurs, et qui fut au moins licencié en droit... »
Ces conditions étaient
des garanties précieuses que le bayle serait à la hauteur de ses fonctions et
n'en abuserait pas[167].
§ II. — Les consuls et
autres fonctionnaires.
Les consuls étaient les
représentants légaux de la communauté des habitants.
Les règles relatives à
leur nomination ont peu varié ; telles elles furent fixées dans la transaction
avec Arthus de Montauban, en 1470, telles on les retrouve dans les documents
postérieurs : quelques points de détail ont seuls été modifiés[168].
Suivant les règles
anciennement suivies, les consuls sont au nombre de quatre, deux nobles et deux
bourgeois (marchands ou habitants de la ville ou du consulat).
La présence de deux
consuls nobles a une grande importance ; il en résulte qu'à Belvès, comme dans
d'autres communes, à Aire, par exemple[169],
les nobles et, suivant les documents, les ecclésiastiques faisaient partie du
consulat et en étaient membres, au même titre que les bourgeois et manants.
Ces règles furent
maintenues jusqu'aux temps modernes, et seulement précisées dans quelques
détails. Aux termes de l'article 2 de la transaction de 1727, avec le cardinal
archevêque de Bordeaux, Elie de Voyer d'Argenson, il y avait quatre consuls,
deux nobles, ayant « du bien et relevant de mondit seigneur, à cause de la
présente châtellenie… les consuls nobles étaient tenus de résider dans la
présente ville pendant plus de six mois. »
Les fonctions des
consuls étaient annuelles : ils étaient nommés le jour de la Purification de la
Vierge Marie[170].
Belvès était placé d'une manière spéciale sous le patronage de la Vierge : son
église paroissiale était sous le vocable de Sainte Marie de Moncuc ; l'église
des Jacobins, sous le patronage de l'Annonciation de la Vierge, et quand, sous
Louis XIV, il s'agit de déterminer les jours des six grandes foires, on choisit
les grandes fêtes de la Vierge, le 25 mars, le 15 août et le 8 septembre. Tout
près, existait depuis fort longtemps le pèlerinage de la Vierge à Capelou
(paroisse de Belvès).
D'après la transaction
de 1470, l'élection avait lieu soit à l'église paroissiale (Ste Marie de
Moncuc), soit à la chapelle du château, soit dans la maison commune, et
l'élection était faite « per antiquos consules et saniore consilium
communitatis de Bellovidere », par les anciens consuls et la plus saine partie
de l'assemblée communale de Belvès ; à l'origine, cela comprenait l'ensemble
des citoyens réunis à cet effet[171].
Dans la suite, très probablement, au
lieu de l'assemblée générale des habitants, on n'admit qu'une assemblée limitée
pour les affaires du consulat, et, partant, pour l'élection des consuls[172].
Enfin, pour mettre fin
à des difficultés qui s'étaient élevées dans la pratique, la transaction de 1727
fixa de la manière suivante les règles relatives à l'élection des consuls ;
suivant les articles 3 et 4, chaque consul sortant de charge choisira trois
prud'hommes : les listes seront remises au curé et au juge, transmises à
l'archevêque qui les approuvera ou les modifiera, si bon lui semble. Les listes
approuvées, les douze prud'hommes procéderont, avec les anciens consuls, à la
nomination des nouveaux consuls[173].
Les consuls
nouvellement, investis étaient installés le jour de la fête de la Purification
de la Vierge, après avoir prêté serment à l'église paroissiale, en touchant
l'autel et sur le missel, en présence du curé et du juge.
Après le serment, les
nouveaux consuls assistaient à la messe et à la procession, et recevaient le
cierge, s'ils en avaient fait bénir[174].
A l'origine, les
consuls ne paraissent pas avoir eu un costume spécial ; mais à partir de 1727
(art. 1), le seigneur renouvelle l'autorisation donnée aux consuls de porter un
chaperon rouge et noir : elle leur avait été déjà donnée en 1571[175].
Les conditions
d'éligibilité au consulat paraissent n'avoir jamais varié : on ne pouvait être
nommé consul qu'à 25 ans ; et si un habitant de la ville ou du territoire avait
été consul, personne de la même maison, soit son fils, soit son frère, en
pouvait l'être qu'après l'expiration de trois années[176].
Les consuls, comme
représentants des intérêts de la communauté, le bayle, comme représentant du
seigneur, étaient les principaux fonctionnaires du cousulat[177].
Chacun de ces officiers
avait des fonctions propres et particulières, que seul il devait remplir; et
pour authentiquer les actes de son ministère, un sceau spécial lui était
accordé.
Quod dicti consules habeant
sigilla sua quae habere consueverunt.
Ce sceau des consuls de
Belvès est connu. La matrice en a été retrouvée, il y a quelques années, par M.
Barrière, pharmacien à Belvès ; l'empreinte a été reproduite dans le Bulletin
de la Société historique et archéologique du Périgord.
« Et bajulus habebit
suum ». Le bayle avaitaussi son sceau particulier, probablement aux armes du
seigneur.
Enfin, lorsque le bayle
et les consuls remplissaient quelqu'une des fonctions communes qui leur avaient
été conférées, ils avaient un sceau particulier :
Et ipsi bajulus et consules
habebunt unum commune sigillum[178].
Et en 1727 on détermina
la composition de ce sceau commun au bayle et aux consuls. Les baillis et
consuls auront un sceau commun, qui comprendra les armes du seigneur, accostées
avec les armes de la ville (les trois tours)[179].
Au-dessous de ces
fonctionnaires, un receveur comptable : pour la perception des droits
pécuniaires du consulat, dont, par la constitution municipale, moitié
appartenait au seigneur et moitié aux consuls.
Ce receveur était nommé
par le juge seigneurial ou le procureur de l'archevêque et des consuls, à
charge de rendre compte de gestis et palpatis; il prêtait serment entre
les mains du bayle seigneurial et des consuls[180].
La basse justice,
jusqu'à concurrence de 60 sous d'amende, avait été abandonnée par l'archevêque
au consulat : le bayle et les consuls en avaient l'exercice ; de là pour eux le
droit de constituer les fonctionnaires « assessorem, scribam et servientes ad
justiciam exercendam et exequendam necessarios » ; ceux-ci prêtaient serment de
bien remplir leur mandat entre les mains du bayle et des consuls[181].
La haute justice était
réservée au seigneur ; pour en assurer l'exercice, celui-ci nommait un juge, un
lieutenant de juge, et à côté d'eux, un procureur d'office pour la représentation
directe de ses intérêts.
En outre, à un receveur
comptable, pour le compte de l'archevêque, était confié l'encaissement des
redevances seigneuriales.
Tels sont les officiers
municipaux ou seigneuriaux qui existaient à Belvès. Voyons quelles étaient
exactement leurs fonctions.
(A suivre.) A. Vigie.
pp. 266-321
HISTOIRE DE LA
CHATELLENIE DE BELVES
(Suite).
§
III. — Administration du consulat.
La transaction du 10
février 1470, véritable charte du consulat à Belvès, en a confié la direction
aux bayle et consuls ; ces agents forment un collège investi des pouvoirs
d'administration, de police et de justice. Nous aurons tout à l'heure à étudier
avec détail ses droits et ses attributions.
Mais en outre, pris
individuellement, le bayle et les consuls ont des fonctions et des prérogatives
spéciales qu'ils exercent seuls, et sur lesquelles nous avons à dire quelques
mots.
A) FONCTIONS
PARTICULIÈRES DU BAYLE ET DES CONSULS.
a) Le Bayle.
Le bayle représente l'archevêque,
il est investi de prérogatives particulières.
Seul, il a qualité pour
donner aux consuls l'autorisation défaire sonner la cloche communale ;
cependant, au cas d'incendie, les consuls pouvaient faire sonner la cloche sans
autorisation[182].
Le bayle devait être
appelé, bien qu'il n'eût pas à donner son consentement aux assemblées
municipales, en vue d'établir les tailles et impôts sur les habitants du
consulat[183]; le
bayle jouait là le rôle de conseil ; sa présence était de nature a protéger les
intérêts des redevables, et à provoquer l'examen attentif des consuls.
Enfin la qualité de
représentant de l'archevêque donnait au bayle le droit d'intervenir dans une
foule d'affaires dans lesquelles le seigneur pouvait avoir des intérêts[184].
Il était obligé à la
résidence, dans la châtellenie de Belvès[185]
et, par serment, il devait promettre de remplir fidèlement ses fonctions[186]
.
b) Les Consuls.
Les consuls avaient des
droits particuliers et des prérogatives très importantes, en dehors des
hypothèses où avec le bayle ils avaient à diriger le consulat.
Les consuls pouvaient
agir seuls, sous leur responsabilité, mais quelle que fut la nature de l'acte à
accomplir, s'il présentait quelque importance, ils devaient ou pouvaient
s'éclairer en consultant l'assemblée du peuple.
A l'origine, suivant le
droit commun municipal, l'ensemble des bourgeois devait être convoqué ; tous
participaient ainsi à la gestion des intérêts de la communauté; et les consuls
agissaient suivant la décision prise.
Mais dans la suite
cette règle fut abandonnée, et pour certains objets, au lieu de convoquer
l'assemblée plénière, les consuls pouvaient ne consulter qu'un petit nombre de
bourgeois, ceux-ci formaient le conseil ordinaire de la cité et représentaient
l'ensemble de la population.
Nous voyons cette
pratique autorisée pour la première fois dans la transaction du 23 août 1530
relative à la forêt de la Becède[187],
suivant les dispositions de l'article onzième, d'après lequel, toutes les fois
où le recours à l'assemblée générale des membres du consulat est imposé, les
consuls sont autorisés :
A prendre avec eux huit
personnages, gens de bien, qui seront appelés hommes de conseil, qui avec les
baillif et consuls représenteront toute la université et communauté du dit
consulat et pourront pourvoir aux occurents, comme si le dit consulat et tous
les habitants d'icelluy étaient tous assemblés.
L'autorisation ainsi
donnée relativement à la Becède, de remplacer l'assemblée générale des membres
du consulat par un conseil, fut généralisée par l'organisation de la jurade :
on décida que s'adjoindraient aux consuls, pour les éclairer de leurs conseils,
huit jurats, quatre comme représentants de la ville de Belvès et quatre pour
les paroisses du dit consulat. Souvent les consuls agirent assistés seulement
des jurats; ainsi le 8 mars 1550[188]
pour fixer les bases d'une transaction avec l'archevêque relativement à la
Becède : Jehan Tinel bayle, fermier de l'archevêque de cardinal du Bellay) et
Pierre Tinel, consul, agissent assistés :
« De Pierre Delmont, Jehan Pecharry,
Gerauld Lescure, François Dufour, marchands et bourgeois du dit Belvès,
Anthoine Gamot de la paroisse de Saint-Pardoux, Martin Viguié, de la paroisse
de Sagelat, jurats et députés pour advizer, opiner et décider des affaires de
la dite ville et consulat, avec eux Jehan Cassaignes de la paroisse de
Montplaisant, et Gilles Pelugue de la paroisse de Saint-Amant et jurats duement
inthimés et appelés par Estienne Besse, sergent de parole, qui respondit, qui
se sont deffaillis... »
On peut même supposer
d'après certains documents, que ces assemblées de jurats avaient une certaine
périodicité, puisqu'ils sont dressés le « jour de la jurade ».
Mais, si,
rigoureusement et théoriquement, les consuls, assistés des jurats, avaient le
droit de décider de toute affaire, lorsque celle-ci paraissait délicate et
difficile, en même temps qu'on convoquait la jurade, on invitait à se joindre
au conseil rassemblée plénière des habitants inscrits au consulat. Par là les
consuls évitaient toute récrimination, à l’encontre de la mesure prise.
C'est ainsi qu'il fut
procédé « le 9 avril 1571, jour de consulade et jurade, en la maison commune de
la ville de Belvès... » où à côté des syndics et consuls figurent les jurats et
un très grand nombre de bourgeois de la ville appelés à délibérer sur les
concessions à fief de la Becède[189].
Il en fut de même le 11
avril 1673 lors de la délibération, relative à la reconnaissance féodale par
les consuls au profit de l'archevêque, dans laquelle figurent, à côté des
jurats, un très grand nombre de bourgeois[190],
et, à la veille de la Révolution, une assemblée de cette nature délibéra sur la
nécessité de réunir les Etats, afin de délibérer sur les innovations à
introduire dans le gouvernement[191].
Fonctions particulières des
consuls.
1° Les consuls avaient
la garde des clés de la ville et des fortifications, (murs, fossés, tours,
etc.), sauf au cas où l'archevêque se trouvait à Belvès, leur droit était alors
modifié (voir plus haut page 211).
2° Les consuls avaient seuls
la garde de la maison commune. Ils pouvaient, à leur volonté, et toutes les
fois que cela leur paraissait utile[192],
provoquer des assemblées du peuple, sous l'obligation de prévenir et d'inviter
à y assister le bayle ou son remplaçant ; mais pourvu qu'avis de la convocation
eût été donné au bayle, l'absence de ce dernier n'empêchait pas la réunion
d'être régulière.
3° A tout changement de
seigneur, les consuls, au nom de la communauté des habitants, devaient faire
hommage à l'archevêque de Bordeaux, pour le consulat et la basse justice et
payer, en conséquence, dans les mains du receveur de ce seigneur à Belvès, un
noble en or de la valeur de soixante sous tournois[193].
4° A l'entrée dans la
ville de chaque nouveau seigneur archevêque, les consuls recevaient son
serment, de respecter les privilèges de Belvès et les coutumes du lieu et sa
promesse d'approuver, dans la suite, les modifications légalement constatées,
qui pourraient y être apportées[194].
5° En cas de nécessité,
les consuls pouvaient frapper de tailles et d'impôts les habitants du consulat
et de la châtellenie elle-même, pourvu que le montant ne dépassât pas trente
livres[195].
6° Enfin si,
d'aventure, l'archevêque, ses successeurs ou leurs officiers, venaient à
méconnaître les privilèges de Belvès et de son territoire, les consuls, «
absque bajulo » de leur seule initiative, pouvaient provoquer l'assemblée du
peuple, et se défendre contre un semblable forfait « omnibus viis et modiis
juris »[196] .
En garantie des
multiples fonctions dont ils étaient investis, soit seuls, soit avec le bayle,
les consuls prêtaient serment entre les mains du seigneur, ou de son vicaire,
ou du juge de Belvès ou du lieutenant du juge :
Quod erunt boni et fideles domino
archiepiscopo, seu ejus ecclesiae et quod bene et fideliter se habebunt in
administratione consulatus et, genibus flexis, modo et forma contentis in
instrumente de hoc facto[197].
La charte qui donnait
les formes de la prestation du serment des consuls n'est pas venue jusqu'à
nous.
B)
Pouvoirs conférés au collège des bayle et consuls.
L'archevêque de
Bordeaux, en concédant le consulat à Belvès, n'avait pas seulement accordé
quelques privilèges à la communauté des habitants ; mais il avait associé cette
dernière à l'administration, à la police, et à la basse justice.
C'était en conséquence
le collège, composé du bayle, pour l'archevêque, et des consuls, pour la
communauté des habitants, qui administrait le consulat, assurait la police, et
exerçait la basse justice. Et quel que fut l'acte à réaliser, acte
d'administration, de police ou de justice, le bayle avait des pouvoirs égaux
aux pouvoirs des consuls. Ainsi ce n'était que lorsque ces officiers étaient
d'accord, qu'ils pouvaient réaliser l'acte ; l'abstention ou l'opposition de
l'un des deux éléments, bayle ou consuls, rendait impossible l'opération.
Cette règle
administrative était une mesure de sage administration ; elle était la
sauvegarde des intérêts en présence et quelquefois contradictoires, du seigneur
et de la communauté des habitants ; elle rappelait l'organisation que les
Romains avaient donnée à leurs magistratures[198].
Quod vos, opinio, judicium dicti
bajuli domini archiepiscopi, in omnibus et singulis fiendis, ordinandis et
judicandis, habeat tantum valorem et efficaciam, quantum habebunt vox, opinio
et judicium dictorum consulum, dum tamen in simul existant et non scpariter,
aliter non potest judicari, nisi ne continetur in articulo[199].
Ainsi, réunis et
d'accord, les bayle et consuls pouvaient tout faire; chacun d'eux isolément ne
pouvait rien, et l'abstention ou l'opposition de l'un des éléments, bayle ou
consul, arrêtait toute initiative chez l'autre.
En conséquence, les
actes administratifs exigeaient la participation du bayle et des consuls; et
comme le consulat comprenait plusieurs titulaires, on vit très souvent (les
documents en font foi) un ou deux consuls agir pour le consulat tout entier ;
de même les consuls confiaient souvent la gestion d'une affaire déterminée, à
un ou à deux syndics.
En 1727, ces pratiques
furent réglementées, en ce qui touche l'administration et la police, (art. 9.)
:
Le bayle et les consuls feront
ensemble toute la police ; mais chaque semaine un consul alternativement
opérera avec le bayle ou son représentant. En matière judiciaire et de police,
la voix du bayle vaudra la voix des quatre consuls, et il n'y aura pluralité
des voix que lorsque l'un des consuls au moins se rattachera à l'opinion du
bayle[200] (1).
Toutes les affaires
intéressant le district consulaire, l'administration, la police et la basse
justice, relevaient du collège des consuls et du bayle.
Ainsi, il lui
appartenait de recevoir le serment de fidélité des habitants du consulat, aux
seigneur et consuls.
Quod bajulus et dicti consules
recipiant et recipere habeant juramenta ab hominibus habitantibus in dicta
villa et consulatu supra limitato, dum et quando opus eis fuerit, hoc de et
super fidelitate et legalitate domino et dictis consulibus praestandum[201].
Cette promesse de
fidélité et de loyauté, en faveur du seigneur et des consuls, devait être
prêtée dans les circonstances où sa prestation paraissait utile au collège du
bayle et des consuls ; probablement, au cas de changement du seigneur, et aussi
après l'élection et l'installation de nouveaux consuls.
Au collège du bayle et
des consuls, il appartenait d'acheter la maison commune, d'y établir la cloche,
symboles de l'indépendance municipale[202].
A. Belvès, pendant le
moyen âge, la maison commune était la maison attenante au clocher de la place,
et dans laquelle loge actuellement l'appariteur de la ville.
La cloche fut placée
dans le beffroi élevé sur la place, au-dessus d'une des anciennes tours des
fortifications.
D'une manière générale,
au collège du bayle et des consuls appartenaient tous les pouvoirs d'administration,
de police et de basse justice, de fixation et détermination des recettes et des
dépenses municipales.
Sous ces divisions
multiples, nous grouperons les renseignements sur les fonctions du collège des
bayle et consuls.
I. — Pouvoirs administratifs
confiés au collège des bayle et consuls.
Les pouvoirs
administratifs confiés au collège des bayle et consuls ne seront connus d'une
manière complète que lorsque nous aurons parcouru nos diverses divisions; mais
sous ce premier paragraphe, nous voulons étudier les attributions du collège,
en ce qui touche la défense de la cité, les services des eaux et de la
viabilité.
Les municipalités
modernes, si elles ont conservé tout ce qui touche au service des eaux,
partagent avec l'Etat les charges de la viabilité, et elles ont été
complètement dépouillées au profit de l'Etat des services de la défense du
territoire. Au moyen âge, où la notion de l'intérêt général ne s'était pas
encore fait jour, les municipalités concentraient dans leurs mains tous les pouvoirs,
aussi avaient-elles dans leur domaine des prérogatives, qui aujourd'hui sont
reconnues à l'Etat, seul capable de les exercer.
a)
Mesures ayant pour objet la défense de la cité.
D'après l'article 5 de
la transaction avec Arthus de Montauban (10 février 1470), le collège des bayle
et consuls était particulièrement chargé de veiller à la réfection, réparation
et surveillance des murs, fossés et de tous les ouvrages défensifs de la ville[203].
Dans l'intérêt de la
défense, il pouvait ordonner toutes les mesures qui lui paraissaient utiles,
réfection, réparation et, par exemple, construction sur les murailles des
luguria ou abris pour protéger les personnes faisant le guet. Mais il devait
s'abstenir de toute mesure qui n'aurait eu pour bu que l'intérêt particulier
des habitants. Ses pouvoirs ne lui étaient conférés qu'en vue d'assurer la
défense de la cité.
Les fortifications
devaient être tenues en bon état; le consulat devait refuser toute autorisation
pour des travaux de nature à paralyser ou à compromettre la défense de la cité.
Ainsi, probablement[204],
on ne pouvait autoriser les habitants ni à appuyer leurs maisons contre les
remparts, ni à établir sur les murs, terrasses ou pigeonniers, etc., pas plus
qu'à s'emparer des fossés pour y déposer des matériaux ou fumiers, y creuser
des excavations ou y élever des constructions.
Pour les travaux de
construction et de réparation, le collège des bayle et consuls avait à sa
disposition les ressources ordinaires de la ville, les taxes extraordinaires en
vue de la défense, et enfin, il pouvait procéder par voie de réquisition, en
contraignant les habitants aux travaux.
Pendant la durée des
guerres avec les Anglais, comme pendant les guerres de religion, ces règles,
qui assuraient la défense de la cité, furent certainement respectées; mais,
dans la suite, à Belvès, comme dans toutes les autres villes, elles tombèrent
en désuétude et les consuls firent sur les fortifications des concessions de
toute nature, et peu à peu les voisins des murailles et des fossés se permirent
bien des empiétements, jusqu'à se saisir de leur possession d'une manière
exclusive.
La perte des archives
de la ville ne permet pas de suivre la série des concessions faites ; nous
pouvons cependant citer quelques actes intéressants qui se rattachent à notre
sujet.
1° Un acte du 28 août
1494[205],
par lequel le procureur de l'archevêque, Jean de Boussac, et les consuls de
l'année et les syndics de la ville de Belvès[206]
concèdent à Philiparie le droit de protéger, au moyen de la construction d'un
bastion ou balloart, une maison lui appartenant au dehors de la rue Malbec.
Grâce à ce travail, la
maison sera protégée et les défenses de la ville seront renforcées.
L'acte stipule la
hauteur des murs formant le bastion, l'emplacement libre qui doit le précéder,
les portes et ouvertures pour canons qu'il faudra laisser à droite et à gauche
; le droit pour les officiers de la ville de se faire ouvrir lesdites portes du
bastion, et, si celui-ci paraissait nuire à la défense et en paralyser les
opérations, le droit absolu, pour les représentants du seigneur et de la ville,
d'en obtenir immédiatement la démolition aux frais de Philiparie ou de ses
ayants-cause, ou, à défaut, le droit de le faire démolir aux frais de ceux-ci,
récalcitrants à obtempérer aux ordres des magistrats de la ville.
2° Un acte du 25
février 1562, aux minutes de Jacques Adenet, notaire tabellion royal de la
ville et cité de Bordeaux, par lequel le seigneur temporel de Belvès,
révérendissime père en Dieu, messire Antoine Prévost avait concédé à Guillaume
Philiparie [2e du nom] ou à son procureur et cousin-germain, Jean Roumegous, le
droit d'établir sur une tour de la ville un pigeonnier.
L'acte constate que
ledit Guillaume Philiparie avait fait couvrir ladite tour; le seigneur,
réservant la propriété de la tour, concède ledit pigeonnier, moyennant une
rente annuelle de 12 deniers, autant d'acapte, payables à la Noél et, avec
réserve que, pendant le séjour du seigneur à Belvès, celui-ci aura droit à tous
les pigeons, sans que Guillaume Philiparie puisse en prendre pour lui-même.
C'est probablement
cette tour, qui sous le nom de Tour de l'auditeur (fonction de Philiparie) joua
un rôle important dans la défense, pendant un des sièges de Belvès par Vivans.
3° Le terrier de 1462
mentionne que plusieurs personnes avaient des excavations ou grottes, dans les
fossés des fortifications, et s'en servaient comme de caves[207].
Plus nous approcherions
des temps modernes, plus les exemples de ce genre deviendraient nombreux.
Ces concessions
soulèvent une intéressante question de droit public. A quelle autorité
appartenait-il d'accorder de semblables faveurs ; ce droit devait-il être
exercé par le seigneur et les consuls, comme conséquence de l'organisation de
la seigneurie en consulat? Dans ce sens, on pourrait invoquer la première
concession au profit de Philiparie et il nous paraît que cet acte donne la
solution exacte.
Belvès est une
seigneurie appartenant par indivis au seigneur et à a commune [les consuls] ;
n'est-il pas naturel que puisque le bayle [représentant de l'archevêque] et les
consuls [représentants de la communauté] doivent réparer, refaire et entretenir
les remparts, à eux seuls d'accord entr'eux, il peut appartenir de faire des
concessions à des particuliers sur les dits remparts et fortifications.
L'acte de 1494 est
consenti par le seigneur et les consuls ; d'autres fois les consuls seuls font
quelque concession sur les remparts, et le seigneur donne dans la suite son
approbation[208] ; nous
retrouvons encore ici l'intervention des deux autorités, dont l'union formait
le consulat.
Mais les deux pouvoirs
en présence paraissent avoir voulu, chacun, s'arroger le droit exclusif de,
faire des concessions sur les remparts.
Le seigneur soutenait
qu'en vertu du droit de supériorité, il pouvait, seul, disposer en tout ou en partie
des remparts[209].
Les consuls, de leur
côté, cherchèrent aussi à disposer seuls des remparts et des fortifications :
ils agirent ainsi en faveur de M. de Comarque, François Delcer, et Antoine
Capoulle[210] ;
l'archevêque protesta contre ces empiétements à rencontre de ses droits ; et un
procès ayant été commencé contre les consuls.une transaction intervint, à cette
occasion, entre l'archevêque de Bordeaux et le sieur Raymond de Bonnet,
seigneur du Carlou, premier échevin de la ville et commune de Belvès, et
procureur fondé de la communauté des habitants.
La transaction de 1773
reconnut de la façon la plus formelle le droit exclusif de l'archevêque à
disposer des fortifications.
En conséquence, le dit sieur de
Bonnel... déclare par ces présentes et reconnaît que la dite ville et
communauté de Belvès n'a aucune participation à la seigneurie de la dite ville,
et juridiction foncière et directe, cens, rentes et autres droits et devoirs
seigneuriaux sur les places, vacants, tour de ville, ancien château du dit Belvès...[211]
Cette transaction nous
paraît être une abdication des droits appartenant aux consuls; elle peut
s'expliquer par le peu d'intérêt de la question, à l'occasion de laquelle elle
intervint, et aussi par ce fait, qu'au moment où elle intervint les anciennes
fortifications étaient presque toutes occupées par les particuliers.
Toutes les mesures
relatives à la défense de la cité devaient être prises par le collège des bayle
et consuls. Ainsi il lui appartenait de forcer les habitants à faire le guet, à
quoi fait allusion la fin de l'article 5 de la transaction du 10 février 1470.
... « Et ad faciendum dictas
escubias, habitatores compellantur per dictos bajulum et consules, tempore
necessitatis ».
Faire le guet au
château seigneurial de Belvès était une conséquence du service de guerre, que
les vassaux devaient au seigneur archevêque et des droits du seigneur sur tous
les habitants de la seigneurie ; la réglementation en avait été faite de la
manière suivante : tous ceux qui habitaient dans la châtellenie « focum et
larem tenentem » devaient venir faire le guet à Belvès ; mais ils en étaient
dispensés moyennant une redevance annuelle de 12 deniers, de monnaie courante ;
en ajoutant cependant que s'il survenait quelque hostilité, guerre ou alerte et
bien qu'ils eussent payé la redevance, ils devaient le guet en nature dans le castrum où la villa ; mais, pendant
qu'ils y étaient soumis, le paiement de la redevance était suspendu.
Quant aux habitants de
Belvès et de la paroisse, ils n'avaient pas à payer la redevance à l'occasion
du guet ; ils n'étaient tenus de le fournir en nature, qu'ils habitassent la
ville ou les faubourgs, qu'en cas d'hostilité ou de guerre[212].
Il est probable que ces
règles furent modifiées dans la suite, car elles étaient contraires et aux règles
générales de la réglementation du guet dans les autres villes, et aux règles
suivies dans d'autres parties de la seigneurie de l'archevêque[213]
: d'où l'on peut induire, sans en avoir la preuve cependant, que le taux de la
redevance en compensation du guet fut abaissé à Belvès, comme il le fut à
Bigarroque, peut-être même la redevance fut-elle supprimée complètement.
c) Service des eaux.
Le collège des bayle et
consuls était spécialement chargé de fournir et de procurer les eaux
nécessaires à la cité[214].
En conséquence le
collège des bayle et consuls pouvait faire ouvrir des puits, capter des
sources, réparer ou établir des fontaines : à ces travaux, il pouvait affecter
les ressources municipales, qui, comme nous le verrons, devaient être dépensées
au service de la cité. Pour les travaux à faire, à défaut de ressources
générales disponibles, il pouvait créer des ressources spéciales au moyen
d'impositions extraordinaires, et même pour les travaux procéder par voie de
corvées et réquisitions: les récalcitrants étaient frappés de peines
corporelles ou pécuniaires, édictées par la municipalité. Le produit de ces
amendes était partagé entre la caisse municipale et la caisse de l'archevêque.
La question des eaux a
toujours été une des grandes préoccupations des municipalités de Belvès. Par sa
situation au sommet d'un promontoire fort élevé, on peut supposer que Belvès
doit manquer d'eau ; et cependant la situation est loin d'être aussi mauvaise
qu'on pourrait le croire.
Dans le château et dans
la ville des puits à eau de source ont existé de toute antiquité.
Puits à l'hospice ;
puits à l'Ecole supérieure; puits à la maison Bonfils Lascaminade,
antérieurement maison Fauvel et Lapalisse ; puits maison Labeille,
antérieurement Montet, etc.
Il y avait aussi des
puits publics, un à la Croix des Frères[215],
un autre à Montcuc, etc. Au dehors des sources dont quelques-unes très
abondantes viennent émerger tout près de la ville.
Le quartier de Malbec
avait à son service une fontaine peu abondante, mais suffisante ; le cartulaire
de 1462 la désigne sous les noms de Foncz Exant[216],
Forn Ayssen[217], Fon
Arsen[218],
actuellement elle est connue sous le vocable de Fournassen.
Le château, partie la
plus élevée de la ville, fut obligé de venir chercher l'eau, au pied des
premiers escarpements rocheux, au bas de la rue Foncastel dans les roches qui
dominent la route n° 11 bis, et
servent d'assiette aux maisons des deux côtés de la rue Foncastel, l'eau se
trouve en abondance ; ce fut là la Fon du Castel ; elle était probablement
placée au-dessus de la fontaine moderne que longe la route n° 11 bis, à la réunion des rues Foncastel et
des Pénitents.
La rue conduisant à la
fontaine, et le quartier environnant prirent leur nom de la destination de la
fontaine : la rue qui y conduisait s'appelait rue de Foncastel, nom qu'elle
porte encore aujourd'hui ; la ville fut protégée de ce côté par une porte dite
de Foncastel et le territoire voisin porta le nom de Foncastel[219].
Enfin, de puissantes sources
viennent sortir au pied des escarpements du plateau de Moncuc, au nord de la
ville. Ces sources, grâce aux travaux effectués à la fin du siècle dernier[220]
et il y a une vingtaine d'années, fournissent l'eau nécessaire à
l'agglomération urbaine.
Ces sources ont été
reliées les unes aux autres, de manière à réunir dans la plus rapprochée de la
ville une grande quantité d'eau, en laissant cependant la faculté de puiser
l'eau à chacune d'elles. Leur nom moderne vient de leur situation par rapport à
la ville [Fontaine première ; Fontaine du milieu ; Fontaine dernière]. Combien
les noms anciens étaient plus pittoresques : l'une s'appelait Fon Gala
[actuellement Fontaine première] : elle avait donné son nom à la porte de la
ville, qui de ce côté fermait la fortification ; et aussi à la combe profonde
qui commence aux fontaines et va se rattacher à la vallée de la Nauze[221]
; une autre de ces fontaines s'appelait Foncs Jolive[222],
[actuellement Fontaine du Milieu] ; dans le même quartier existait une autre
source qui portait le nom de Fonc Peyrinha[223]
[actuellement Fontaine Dernière].
Enfin la fontaine
actuelle, qui se trouve dans la rue des Pénitents, existait sous le nom de Font
Saint-Pierre au XVe siècle[224].
c) Service de la
Viabilité.
Le collège des bayle et
consuls était spécialement chargé du service de la viabilité, dans la ville et
le consulat ; l'ouverture des rues et chemins, leur entretien, etc… entraient
dans ses attributions[225].
Donc le collège des
bayle et consuls avait le pouvoir, tant dans la ville que dans l'étendue du
consulat, dès qu'il en avait constaté la nécessité ou l'urgence, de faire
ouvrir des voies et chemins, de tenir les places publiques et les chemins en
bon état de viabilité.
Il pouvait à cet objet
appliquer les ressources municipales disponibles, créer des ressources
particulières, si les ressources générales étaient insuffisantes ou faisaient
défaut ; enfin il pouvait convier, par voie de réquisition ou corvée, les
habitants du district consulaire, à participer de leurs personnes ou avec leurs
animaux aux travaux ordonnés, ayant le droit de punir les récalcitrants de
peines corporelles ou d'amendes.
Le produit de ces
amendes, suivant la règle générale suivie à Belvès, pour les recettes de la
basse justice et autres, se partageait par égale portion, entre l'archevêque et
les consuls ; à quoi fait allusion la fin de l'article « et medietas eis
applicabitur ».
Il nous est impossible,
pour le moyen âge, dans l'état des documents, de citer quelques grands travaux
de viabilité faits par les consuls, mais en approchant des temps modernes, les
municipalités de Belvès, antérieures à la Révolution, ont placé le service de
la viabilité au rang de leurs préoccupations. Nous pouvons citer, à leur
honneur, la réfection des deux grandes côtes, qui établissaient la
communication de la ville avec la vallée de la Nauze ; en ville, la suppression
des remparts sur la place, l'ouverture de la rue des Fillols, le redressement
de la rue de Limeuil, la création du foirail des boeufs, au milieu des fossés,
et les promenades de Cicé et de Sous la ville[226].
Ils firent démarches et
rapports, pour faire passer par Belvès la grande route de Sarlat à Agen[227].
Les rues de la ville
étaient au moyen âge, ce qu'elles sont aujourd'hui, si l'on fait abstraction
des travaux d'édilité faits depuis la Révolution ; ils ont consisté en la
suppression des portes de la ville ; des porches, qui se trouvaient à l'entrée
des rues sur la place ; en l'élargissement de la rue du Fort, à son débouché
sur la place, et de la Grande Rue ou rue Portai, dans une partie de son cours.
Dans la banlieue de
Belvès de nombreux chemins unissaient Belvès aux paroisses voisines ; les
documents permettent de retrouver dès le xve siècle les chemins, qui
dans la suite sont devenus, et sont encore nos chemins vicinaux ou ruraux[228].
Voici les principaux
que nous pouvons citer, d'après le cartulaire de 1462 :
Chemin
de Belver à Cahors (fol. 50, 70 r°, etc.)
De
Belver à Villefranque (fol. 31); de Belver à Montferrand (fol. 35, 76) ; chemin
Romiou qui de Belver va à Cadoun (fol. 37) ; chemin Romiou qui va de Belver à
Rocamadour (fol. 46, 59, etc.,) [les mots chemin Romiou indiquent un chemin de
pèlerinage et non un chemin Romain] ;
Chemin
de Belver ad Montem passierum [Montpazier] fol. 69.
Chemin
de Belver à Saint-Pompon (fol. 60), de Belver à Castelnaud (fol. 63).
A
Saint-Germain-de-Belver (fol. 39), de Belver à Carves (fol. 156).
Belvès
était rattaché aux diverses paroisses du district : chemin de Belver à Palayrac
(fol. 155), de Belver à St-Amand (fol. 155), de Belver à Larzac (fol. 51), de
Belver à Beaulieu ou a Belloloco, petit prieuré près St-Laurent relevant de
Cadouin (fol. 47, 48) ; cami que va de la gleysa de Moncuc vers la gleysa
d'Urval (fol. 63), de Belver à Montplaisant (fol. 06) ; chemin de la gleysa de
Moncuc vers Vielh-Vic (fol. 64), de Belver à Sieurac (Siorac).
Chemins
dans l'intérieur du district : chemin de St-Pardoux à Sieurac (fol. 60, 72), de
Larzac à Fongaufier ; de Fongaufier au port de Fourcques [en amont de Siorac],
de Fongaufier à Siorac (fol. 155) ; de Larzac à Viel-Vic (fol. 62) ; de
Vielh-Vic vers Cazal (fol. 64), de Fontgaufier à Montplaisant (fol. 67), de
St-Pardoux à Montferrant, de St-Amand à St-Pompon ; de Montplaisant à Siorac,
etc.
Dans
la banlieue de Belvès nous trouvons : chemin de Peyrelevade à la gleya de
Moncuc ; de Fonpeyrine à Fongaufier ; de la Tour de Bat palme à la Mote del
Mercat (fol. 53), de Belver à fon de Bragas ; de fon de Bragas à Las Vernhas ;
chemin qui va de camp Batailler vers las Tours ; chemin de Fongaufier à la gleysa
de Moncuc (fol. 63) ; chemin qui va de Belver à la peyre do Tourneguil, lo cami
que va de la porte de Peyrelevade au Pont romiou, etc., etc.
Ainsi au XVe siècle, la viabilité était
bien organisée ; tous ces chemins existent encore aujourd'hui et forment le
réseau de nos chemins vicinaux, et leur état doit être ce qu'il était au XVe
siècle ; car on n'a fait pour eux presque aucune réparation.
Dans la période
moderne, ce réseau des chemins vicinaux a été singulièrement amélioré et
complété, par les routes départementales, par les voies d'intérêt commun ou
vicinales, qui sillonnent le pays dans tous les sens[229].
II. — Pouvoirs de
police, attribués au collège des bayle et consuls.
La transaction du 10
février 1470 avait conféré au collège des bayle et consuls les pouvoirs de
police les plus étendus. Toutes les mesures relatives au bon ordre dans le
consulat étaient édictées par lui ; il formulait des règlements obligatoires
pour tous et en assurait la sanction au moyen d'amendes, dont le maximum ne
pouvait en général dépasser soixante sous.
Les contraventions à
ces règlements étaient constatées par les membres du collège, ou par des agents
investis par lui du droit de dresser les procès-verbaux. Le collège d'abord,
aidé de bourgeois siégeant comme jurés, dans la suite le collège seul, siégeant
comme cour de justice, appliquait les amendes aux contrevenants.
Le produit de ces
amendes était partagé par égale portion entre le seigneur et la communauté des
habitants.
Dans les pouvoirs de
police attribués au collège des bayle et consuls, il faut faire entrer divers
articles de la transaction, relatifs les uns à la vente des denrées
alimentaires, viandes, pain, vin et autres subsistances; les autres à la garde,
à la protection des fruits et récoltes, des jardins, vignes et prés, à la
surveillance des boucheries, des poids et mesures, etc.
1° Quod dicti bajulus et consules
valeant et possint, ad utilitatem dicti loci et habitantium ejusdem, facere et
ordinare proclamationes et inhibitiones circa venditiones carnium, panis et
vini aliorumque victualium prout expediens et utile; et pœnam imponere
transgressoribus dum tamen non excedat summam sexaginta solidorum et medietas
emolumentorum inde provenentium domino ad sui dispositionem, et alia vero
consulibus ad opus communitatis ut supra applicabitur[230].
Ainsi, le collège du
bayle et des consuls formulait tous les règlements, qu'il croyait utiles,
relativement à la vente de la viande, du pain, du vin et des autres substances
alimentaires.
Les pouvoirs du collège
étaient, à cet égard, les plus étendus.
Suivant une mention
empruntée au registre de Philiparie, n° 82, les consuls affermèrent, pour deux
années, les boucheries de Belvès à Pierre Roumegous et à Jean Delpuch, les
exemptant de tailles et impositions, à condition qu'il ne fût vendu par eux que
de bonnes viandes et à un prix déterminé. Nul autre que les concessionnaires
n'avait le droit de vendre de viande, sous peine de confiscation : les consuls
et le bayle constituaient ainsi, pour la vente de la viande, un véritable
monopole, sous certaines obligations déterminées.
Mais il ne paraît pas
que ce régime du monopole de la vente de la viande ait été longtemps suivi; des
circonstances exceptionnelles l'avaient justifié, et on revint bientôt au
régime de la vente de la viande ouverte à tous, sous la condition d'observer
les règlements municipaux.
En outre de
l'observation des règlements municipaux sur la vente de la viande, les bouchers
devaient encore ne vendre que de la viande saine, et ne pas tromper sur la qualité
de la viande vendue. « Totz maseliers que vendes carn de trega per porc, ni
milhargosa per sana, gatge vii s. si no ansava jurar que no o saubes »[231].
Pour le pain, nous ne
connaissons aucun règlement particulier qui en ait réglementé la vente; sa
cuisson, sa fabrication paraissent avoir été libres, sans l'existence d'aucun
monopole en faveur du seigneur.
Le pouvoir de faire des
règlements, à l'occasion des denrées alimentaires, emportait pour le collège
des bayle et consuls l'obligation de maintenir une proportion raisonnable entre
les prix sur les marchés et les prix de revente au détail, et lorsque les
consuls constataient une trop grande différence entre ces éléments, ils
édictaient des taxes obligatoires fixant le prix de la viande et du pain[232].
En outre, il pouvait
prendre les mesures les plus diverses dans l'intérêt général : en 1773, sous
peine de confiscation et de 3 livres d'amende, on oblige les aubergistes à
acheter le poisson au marché, et après huit heures du matin[233].
2° Le vin, comme
matière alimentaire, restait dans le pouvoir réglementaire du collège des bayle
et consuls, qui, suivant les termes de l'article 8, pouvait en réglementer la
vente ; en outre, par la fixation du ban des vendanges, les consuls
déterminaient, suivant la maturité, l'époque où les vendanges devaient
commencer[234].
Mais en outre, le
collège des bayle et consuls pouvait, s'il le trouvait juste et équitable,
interdire, à certaines époques, l'entrée et la vente du vin dans la ville de
Belvès :
«
Poterunt dicti bajulus et consules facere prohibitionem et inhibitionem de vino
in dicto loco ponendo vel introducendo, prout utile visum fuerit, domino et
duobus officiariis ejusdem per eumdem dominum nominandis pro usu suo duntaxat,
et paenam transgressoribus opponere, dum tamen non excedat summam ut supra et
emolumenta inde provenientia dividendo ut supra » [235].
La défense d'introduire
et de former des entrepôts de vin dans la ville[236]
avait pour but d'assurer la vente exclusive du vin, pendant la durée de la
prohibition, aux habitants de la ville, propriétaires de vigne. Mais cette
mesure n'était applicable ni au seigneur, ni à deux de ses officiers, désignés
par lui, et pour le vin à leur usage.
L'observation de ces
règlements était assurée par une amende qui ne pouvait pas dépasser 60 sous, et
aux produits de laquelle s'appliquait le partage par moitié, entre le seigneur
et les consuls[237].
3° Les articles 10 et
11 de la transaction du 10 février 1470 ont pour objet d'assurer la protection
de la propriété : le bayle et les consuls peuvent interdire l'entrée dans les
jardins, vignes, prés, terres, pour empêcher les dommages que l'on pourrait y
occasionner, au détriment du propriétaire, soit par soi-même, soit par ses
animaux.
Comme sanction, le
bayle et les consuls édictaient des amendes dont le maximum était de soixante
sous, et dont le produit se partageait entre le seigneur et les consuls.
Il appartenait au
collège des bayle et consuls, tant pour empêcher les contraventions que pour en
assurer la répression, de nommer des gardes champêtres, avec droit de dresser
les procès-verbaux[238].
Ces dispositions
réglementaires, à sanction pénale, se combinaient avec les dispositions de nos
coutumes, qui unissaient les vols de petite valeur; et le délinquant pouvait
encourir ainsi pour un même fait une double pénalité[239].
4° Le collège des bayle
et consuls avait aussi, suivant le droit commun du moyen âge, la surveillance
des poids et mesures, en usage dans le district : ce qui entraînait une
inspection des poids et mesures par les agents municipaux, et l'existence
d'étalons à l'hôtel de ville pour les vérifications.
Ces pouvoirs étaient
traditionnels à Belvès pour les agents de la municipalité : la Coutume de
Belvès fait allusion à l'inspection des poids et mesures :
Tel qui te falsa mesura, ni fais
pes gatge vii s. et aquellas sian regardadas pers conseilh dels cavaliers et
dels prohomes[240].
Dans le Midi chaque
ville avait ses poids et ses mesures particuliers ; des émissions en étaient
faites avec les armes soit des villes, soit des seigneurs ou avec des emblèmes
spéciaux[241] ;
Belvès avait ses poids et ses mesures particuliers qui ne se confondaient pas
avec ceux des villes voisines[242].
On ne peut pas affirmer
que la municipalité ait fait frapper des poids aux armes de la ville; mais le
fait peut être considéré comme probable, puisque à Saint-Cyprien les poids en
usage étaient frappés aux armes du prieur[243].
Dans tous les cas, aucun poids belvesois, que nous sachions, n'est venu jusqu'à
nous.
A Belvès, tout au
moins, a-t-on conservé des étalons des poids et mesures pour faciliter la
vérification[244].
Les vérifications des
poids et mesures étaient faites par des agents de la municipalité ; les mesures
et les poids non conformes aux étalons étaient confisqués et détruits, et des
amendes encourues par les délinquants : le produit en était partagé entre le
seigneur et les consuls[245].
Tous les pouvoirs de
police, reconnus au collège des bayle et consuls par la transaction du 10
février 1470, lui ont été maintenus par les transactions postérieures. En 1727,
aux termes des articles 11, 12, 14, 15, 16, le baillif [bayle] et les consuls
ont les mêmes pouvoirs de police qu'antérieurement. Les dispositions nouvelles
ne font que fixer certains détails sur lesquels des difficultés s'étaient
élevées dans la pratique[246].
III.
Autres avantages résultant de la création du consulat.
En organisant le
consulat à Belvès, l'archevêque n'avait pas seulement voulu conférer aux bayle
et consuls des droits d'administration et de police indépendants, mais encore d'autres
avantages : les uns se rattachent à la gestion financière, les autres à
l'administration de la justice; d'autres constituent des droits particuliers
dont étaient investis les habitants du consulat.
Nous les examinerons
successivement.
a) Avantages particuliers résultant
de l'organisation en Consulat.
La grande préoccupation
des rédacteurs de la transaction de 1470 avait été de faciliter aux habitants
du pays l'élevage du bétail : de là, le droit de pacage qui avait été stipulé,
non seulement au profit des habitants du consulat, mais même à tout habitant de
la châtellenie, sur tous les biens vacants appartenant à l'archevêque de
Bordeaux, mais sous une double restriction : la première, que les biens vacants
de l'archevêque ne fussent ni assensés, ni arrentés; la seconde, que ce droit
de pacage ne put être réclamé que par ceux qui payaient à l'archevêque le droit
de commun, pour eux et pour leurs animaux[247].
Quant aux habitants du
consulat, ils avaient, eux, en dehors de ce droit général, un droit particulier
sur le bois commun, la Becède.
Cette forêt qui occupe
au nord-ouest de Belvès un grand plateau boisé, appartenait à l'archevêque de
Bordeaux en très grande partie, il voulut qu'elle devînt une copropriété
indivise entre le consulat et lui, sans avoir le droit de forcer les consuls au
partage de la dite forêt.
Quels avantages
conférait aux habitants du consulat, cette copropriété indivise de la forêt ?
L'article 23 de la
transaction du 10 février 1470 l'indique très exactement : il n'y a qu'à
analyser cette disposition. L'existence de glands dans la forêt ne donnera pas
aux habitants de la ville de Belvès le droit d'exiger que la forêt soit livrée
au pacage; mais la forêt pourra être donnée à cens, et le prix en sera partagé
par égale portion entre l'archevêque et la communauté de Belvès, avec cette
réserve cependant, qu'à prix égal, les habitants de Belvès seront préférés à
tout autre emphytéote, qu'il y ait ou non des glands; et si la forêt n'a pas
été donnée à cens, chaque habitant de la ville et de la châtellenie pourra
amener dans la forêt, pour le pâturage, (les animaux gros on petits, à la
charge de payer au seigneur et aux consuls, par chaque tête d'animal, une
redevance annuelle de deux deniers de monnaie courante. Pour les animaux de
petite taille et tetant leur mère, on n'aura rien à payer.
Le droit ainsi concédé
aux habitants est un droit de pacage simple: les censitaires ne peuvent ni
avoir des cabanes, ni organiser des gîtes pour les animaux dans la dite forêt.
Le seigneur avait des
droits plus étendus : pour les besoins de sa maison, il pouvait, sans avoir à
payer de redevance, tenir dans la forêt des animaux, au maximum cinquante têtes
de gros bétail et cent de menu bétail, et il pouvait, pour leur service, avoir
une cabane dans la forêt, ou y organiser des gîtes.
Si suivant ces
hypothèses, la forêt était accensée, le prix du cens devait se partager par
égales parties entre le seigneur et les consuls. Le contrat de cens devait être
consenti par le bayle et les consuls, copropriétaires de la forêt, et le cens
était encaissé par le receveur trésorier du seigneur et des consuls (Comp. art.
2, transact. du 10 fév. 1470).
Ce régime devait donner
lieu à des contraventions nombreuses : il appartenait aux bayle et consuls de
dresser les règlements, d'édicter les prohibitions et de les sanctionner
d'amendes, sans que le maximum de ces dernières pût être supérieur à soixante
sous. Le produit de ces amendes appartenait par moitié au seigneur et aux
consuls[248].
Un point important,
résultant de cet article, et que confirmeront bien des titres postérieurs, est
la copropriété de la Becède entre l'archevêque de Bordeaux et les consuls de
Belvès. Or, cette copropriété devait entraîner d'autres droits que ceux
mentionnés à l'article 23; il est certain que, dans la suite, on reconnut, aux
habitants du consulat, le droit de prendre dans la forêt le bois mort, pour le
chauffage[249] ;
qu'en fait les consuls firent couper des bois de futaie pour des réparations à
des édifices municipaux[250]
; de plus, de nombreuses usurpations furent consommées, au préjudice des
archevêques et consuls, par des particuliers; comme aussi les vassaux de
l'archevêque, exagérant leurs droits et en abusant, en arrivèrent à commettre
de tels dommages qu'en 1565 dans un procès-verbal de l'état de la foret on
constate que c'est à peine si l'on pourrait trouver dans toute la forêt « vingt
pièces de bois, bon et sain, de la longueur de vingt pieds »[251].
Antérieurement, la
situation n'était guère meilleure comme cela résulte de l'enquête de 1549,
faite par Antoine de Salvador, chargé d'informer sur les dégâts et les
dépopulations et ruines faites par les habitants de Belvès et autres
circonvoisins, en la forêt de la Becède. Les enquêteurs Antoine de Salvador et
Cotchirau, vicaire général, après avoir parcouru la Becède de Cadouin à Belvès,
A l'heure de deux heures après
mydy du dit jour, partismes eu la compagnie du dit Cotchirau et quelques uns
des habitants de la ville de Belvès, pour nous transporter en icelle aux fins
sus énoncées et dans la dite forest, passant par laquelle le long du chemin
tirant droict du dit bourg de Cadouing en la dite ville de Belvès, trouvâmes
grand nombre d'arbres deppopulés et gastés, dont les aucungs étaient
fraischement et depuys peu de temps coupés au pied et d'autres depuis longtemps,
un grand nombre d'autres bruslés à pied ….. et d'autres esbranchés du tout et coupés jusqu'au corps ….. et
plusieurs autres dégâts, déppopulation et ruynes revenant à grand dommaige au
susdit archevesque....[252]
Cette situation durait
depuis longtemps ; les archevêques, à plusieurs reprises, avaient espéré y
mettre fin, et ramener dans le devoir les tenanciers et voisins de la forêt, en
modifiant les anciens règlements ; de là les transactions du 23 août 1530 entre
Mgr Charles de Gramont, archevêque de Bordeaux, et les consuls et habitants de
Belvès devant Mes Chauvin et Garrisson, notaires royaux[253],
Et du 8 mars 1550 entre Jean II du Bellay, archevêque de Bordeaux, et les
consuls de Belvès[254],
dont nous devons analyser rapidement les dispositions :
La transaction de 1530
avait pour objet d'assurer la conservation de la forêt et en même temps de
fixer les droits des copropriétaires.
Défense est portée de
couper aucun arbre, vert ou sec, et cela sous peine d'une amende de 10 livres
par chaque pied d'arbre et aucune branche sous peine d'une amende de 3 livres.
(Art. 1.)
Tout acte ou manœuvre de nature à
entraîner la perte d'un arbre est puni d'une amende de 10 livres. (Art. 2.)
Tout habitant qui
s'emparera d'arbres ou branches, tombés par tempête, vent, vieillesse ou
autrement payera une amende de 10 livres par arbre et de 3 livres par branches.
(Art. 3.)
Toute personne qui sera
trouvée dans la forêt, avec bœufs, vaches, chevaux, juments, ânes ou ânesses,
chargés de bois, payera, par bœuf et vache, 10 livres d'amende ;
Par cheval, mule, mulet
et jument, 5 livres ;
Par âne, ânesse, 2
livres, si mieux n'aime perdre et délaisser, pour les dites sommes, les dits
bœufs, vaches et bêtes. (Art. 4.)
Toute personne qui sera
trouvée chargée du dit bois de garrissade payera 7 sols dix deniers. (Art. 5.)
Le contrevenant est
responsable; et, en outre, les pères et mères de famille seront tenus de
répondre et payer, pour leur famille, leurs valets, chambrières et locatifs.
(Art. 6.)
L'article 7 étend la
compétence du collège des baillif et consuls : bien que, depuis la transaction
de 1470, il ne puisse connaître que des actes de basse justice, et jusqu'à 60
sous seulement, l'archevêque lui confère, par la transaction de 1530, la connaissance
des délits commis dans la forêt et réprimés par les amendes ci-dessus indiquées
(10 livres par arbre.)
Les bayle et consuls
n'en auront pas la connaissance exclusive ; la répression de ces amendes
appartiendra en même temps au juge seigneurial ou à son lieutenant ; mais de
manière que celle des deux juridictions qui la première en aura été saisie ait
le droit exclusif de connaître de l'affaire, sans que l'autre puisse provoquer
son dessaisissement. (Art. 7.)
Cependant, si les bayle
et consuls, saisis de l'affaire, n'avaient pas prononcé, dans les deux mois :
Incontinent passés les deux mois
depuis le premier jour que le procès sera commencé, la connaissance de cette
procédure sera dévolue au dit juge, et seront tenus les dit baillif et consuls,
s'en départir entièrement et remettront au dit juge toutes pièces et actes par
eux faits. (Art. 8.)
Si les faits reprochés
aux contrevenants permettaient de constater à la charge de ces derniers des
crimes ou excès, la connaissance en appartiendrait exclusivement au juge
seigneurial et à son lieutenant (art. 7).
Toutes les amendes,
encourues dans les contraventions sus dites, seront partagées entre le seigneur
et la communauté des habitants : le seigneur en fera à son plaisir, les consuls
devront les affecter aux réparations de la ville.
Les bayle et consuls et
le juge seront tenus de créer un receveur pour recevoir :
Toutes et chacune amende et
autres revenus et émoluments appartenant aux dits consuls et, chacune année, en
rendre compte ; et sera à eux loisible, en suivant la dite transaction, à avoir
et prendre un assesseur lettré de pratique pour instruire et adresser le procès
et autres affaires et actes. » (Art. 10.)
Enfin, dans l'article
11, se trouve une disposition qui a une portée générale : le bayle et les
consuls, qui, pour les décisions à prendre, devaient en référer à l'assemblée
générale des membres du consulat (intitulé de la transaction de 1530) sont
autorisés :
A prendre avec eux huit
personnages, gens de bien, qui seront appelés hommes de conseil, qui avec les
baillif et consuls représenteront toute la université et communauté du dit
consulat et pourront pourvoir aux occurents, comme si tout le dit consulat et
tous les habitants d'icelluy étaient tous assemblés.
Cette transaction,
fût-elle exécutée, ne mit pas fin à l'état lamentable dans lequel était la
Bécède, et un procès était engagé entre l'archevêque et les syndics, manans et
habitants de Belvès, et pour y mettre fin une transaction fut présentée au nom
de la communauté des habitants à l'acceptation de l'archevêque[255].
Suivant ces
dispositions, la forêt devait être limitée et bornée ; les usurpations faites
dans la dite forêt poursuivies.
Quatre gardes devaient
être choisis, gens de bien et des lieux voisins, « qui presteront serment
solemnel de bien et loyalement garder la dite forêt. »
On renouvelle et
rappelle les défenses de la transaction de 1530.
Si d'aucuns prétendent
des droits d'usage sur la dite forêt, ils seront invités à produire leurs
titres.
Cependant, on confirme
l'ancien usage, suivant lequel les habitants de Belvès peuvent prendre pour
leur chauffage le bois sec, mort, ou tombé par cas fortuit.
On impose à
l'archevêque l'obligation de replanter les parties dépeuplées de la forêt.
En outre on lui
reconnaît le droit de prendre « mille arbres dans la dite forêt et lieux
moingts dommageables pour ses ressources, à son plaisir et volonté. »
Enfin :
Item est urgent à notifier à ceux
qui sont accoustumés faire telles pilleries
par l'arrestation et oultre la
peine encourue dans la dite sauvegarde, seront confisqués les bœufs,
chevaux, charrettes et les animaux portant les boys et le tout vendu à cri
public, pour être converti aux frais et mises affectés pour la garde et
entretenement de la forêt.
Ces dispositions ne
portèrent pas remède au mal, et l'enquête de 1571 démontra le mauvais état de
la forêt.
Comme l'archevêque de
Bordeaux avait été autorisé, pour se procurer les fonds, dont les biens du
clergé de France avaient été frappés, à aliéner tout ou partie de son temporel,
il fut reconnu par l'assemblée capitulaire de la cathédrale de Bordeaux que le
meilleur moyen, pour tirer quelque avantage de la Bécède, serait de renouveler
les concessions à fief, antérieurement faites, ou d'en faire de nouvelles[256].
En l'an 1572, en exécution
de ces décisions, il fut consenti par l'archevêque de Bordeaux et par les
consuls de la ville de Belvés, d'accord entr'eux, et agissant comme
copropriétaires de la forêt de la Bécède, des concessions à fief nouveau, à
divers tenanciers : les émoluments provenant de ces concessions étaient
partagés, par égale portion, entre l'archevêque et la communauté de Belvès.
Grâce à ce procédé
d'exploitation, tout était simplifié : les tenanciers, en vertu des concessions
à fief nouveau avaient tous les avantages utiles de la forêt, et les
propriétaires (archevêque et communauté) se partageaient les redevances en
argent ou en nature qui en étaient la conséquence.
Mais en 1609, une
modification assez grave, par les conséquences qu'elle entraîna dans la suite,
vint à se produire.
A ce moment,
l'archevêque de Bordeaux, Mgr de Sourdis, sous le coup de grands besoins
d'argent, et en présence des petits produits que lui donnait la seigneurie de
Belvès, manifesta l'intention de vendre la seigneurie.
Le conseil de ville s'émut
et demanda à M. de Sourdis de prendre l'engagement de ne pas aliéner ses droits
de seigneurie et de juridiction ; qu'en compensation, le conseil de ville, à la
demande des consuls, lui offrait une redevance de 1 sou par feu, sans autres
droits, ou bien l'abandon des rentes que la ville de Belvès retirait de la
Bécède[257].
Il est probable que la
transaction proposée fut acceptée par l'archevêque ; ce qui est certain, à
partir de ce moment, les concessions à fief, au lieu d'être faites comme
antérieurement, au nom de l'archevêque et de la communauté de Belvès, en
qualité de copropriétaires, ne furent plus consenties qu'au nom de
l'archevêque.
Les choses paraissent
avoir été ainsi maintenues sans protestation ; mais en 1783, à l'annonce du
renouvellement des reconnaissances et arrentements par le sieur Dejean,
procureur de l'archevêque, le conseil de ville réclama, faisant valoir qu'il
était, avec l'archevêque, copropriétaire de la forêt, la Bécède[258].
Mais il n'insista pas,
en présence de la lettre du 19 juillet 1783, par laquelle l'archevêque
invoquait à son profit et la transaction de 1609 et la transaction de 1673 avec
la municipalité[259].
L'archevêque, à partir
de ce moment, se considéra comme seul propriétaire de la forêt : un projet
d'abandon de la dite forêt au profit de M. le chevalier de Raymondies,
moyennant 90,000 tournois et sous d'autres conditions, était encore à l'étude
au moment de la Révolution[260],
et, dans la suite, la Bécède, comme bien ecclésiastique, devint forêt de
l'Etat, et fut vendue, comme telle[261],
sans aucune protestation du conseil municipal de Belvès : les réclamations de
1788 contre l'archevêque ne furent pas renouvelées contre l'Etat.
b) Avantages résultant du consulat
et tenant à l’administration de la basse justice.
En concédant le consulat,
l'archevêque avait abandonné au collège du bayle et des consuls
l'administration de la basse justice jusqu'à concurrence de soixante sous ; et
les produits de cette justice se répartissaient par égales portions entre le
seigneur et les consuls[262].
Pour comprendre la
portée de cette disposition, rappelons-nous que l'on peut distinguer la
justice, sous le régime féodal, en justice seigneuriale et justice féodale.
Le droit de juger est
un attribut essentiel de l'autorité souveraine ; la société serait impossible
s'il n'y avait pas un pouvoir, chargé de juger et de mettre fin aux
contestations. Cet attribut de la souveraineté, les seigneurs s'en étaient
emparés, dans l'étendue de leur seigneurie : ce qui entraînait, pour eux, le
droit de juger tout procès, né dans leur territoire : cette justice, certains
auteurs l'appellent justice seigneuriale.
La féodalité reposait
sur le contrat de fief ; et ce contrat impliquait, pour le seigneur,
l'obligation de rendre la justice à ses vassaux, et, pour les vassaux, le droit
de composer la cour de justice pour mettre fin aux procès élevés entr'eux ou
entr'eux et leur seigneur : de là la justice féodale.
En outre, suivant la
nature ou l'importance du litige, on avait pris l'habitude de distinguer la
justice en haute et basse justice, et suivant la formule empruntée à un
historien moderne du droit :
« La haute justice
seule pouvait connaître de toute accusation criminelle, entraînant une peine
afflictive, la peine de mort ou une mutilation et tous les procès civils où
pouvait intervenir le duel judiciaire,
ce qui dans la procédure féodale était le cas de tous les procès quelque peu importants. A la basse
justice appartenaient les autres causes »[263].
L'organisation du
consulat avait donc eu pour conséquence, à Belvès, la limitation des droits du
seigneur, en matière de justice : celui-ci avait abandonné au collège du bayle
et des consuls l'administration de la basse justice jusqu'à 60 sous, et voulu
que le produit des amendes et des droits de justice fût partagé par égale portion
entre lui et les consuls.
Cette compétence du
bayle et des consuls avait été singulièrement augmentée, eu égard aux
contraventions dans la forêt de la Bécède, par les transactions de 1530 et 1550
rapportées plus haut.
Il résulte de là qu'à
Belvès et pour le consulat fonctionnaient côte à côte deux justices :
La justice seigneuriale
rendue par l'archevêque ou ses représentants, dont la compétence s'étendait à
tous les procès, civils ou criminels, de quelque importance ; et la justice
consulaire, rendue par le collège du bayle et des consuls, dont la compétence
était limitée, d'une manière générale, aux actes de basse justice, et dont
l'importance ne dépassait pas 60 sous, à moins qu'il ne s'agît de
contraventions dans la Bécède.
La justice seigneuriale
sera étudiée avec les dispositions de la coutume qui la concernent : qu'il nous
suffise de dire que le sénéchal de Bigarroque était juge d'appel seigneurial
pour les juridictions seigneuriales de Belvès : on pouvait aussi appeler au
juge royal, le sénéchal de Périgueux, et, après sa création, au sénéchal de
Sarlat, et au Parlement, des décisions rendues par les sénéchaux royaux.
La justice consulaire
fonctionnait suivant les règles générales ; indiquons ici les règles
particulières, conséquences de ce que cette justice était confiée à un collège,
le bayle et les consuls.
« Vult
dominus quod quando, in praedictis, bajulus et consules, tenebunt eorum curiam
quod semper debeant esse duo consules aut plures cum dicto bajulo, alias non
possent tenere audientiam neque curiam. Et si per casum dicti consules fuerunt
requisiti per dictum bajulum de tenendo curiam dictam et negligentes sint quod
eo casu, idem bajulus solus curiam expedire possit ; et si dictus bajulus
requisitus fuerit per dictos consules de tenendo et expediendo dictam curiam,
negligens fuerit, quod dicti consules expedire possint eamdem.... »[264]
Ainsi, le vœu des
rédacteurs de la transaction de 1470 était que le bayle et les consuls
participassent les uns et les autres à l'administration de la basse justice ;
et pour faciliter cette entente, on admettait que le bayle pouvait siéger avec
deux des consuls, si les autres ne venaient pas tenir l'audience[265].
Et même tenir seul l'audience, si les consuls négligeaient de venir se joindre
à lui, pourvu qu'ils en eussent été régulièrement requis.
De même, si le bayle,
requis par les consuls, était négligent et ne venait pas, les consuls tenaient
seuls l'audience. Il est probable qu'à l'origine la justice municipale était
rendue par les bourgeois, espèce de jurés, sous la présidence des bayle et
consuls ; mais que, dans la suite, les bourgeois perdirent l'habitude de venir
former la cour municipale. Alors les bayle et consuls siégèrent seuls ; et même
ils eurent le droit de nommer un assesseur, qui, à titre de juge municipal,
pouvait rendre des jugements.
Telles étaient les
règles générales; et nous ajoutons qu'aux termes des articles 16 et 25 le bayle
et les consuls pouvaient élire, en outre d'un assesseur, des greffier et
sergents, ad justiciam exercendum et
exœquandum necessarios.
c)
Avantages du consulat tenant à la gestion financière.
Le régime féodal
entraîne, au profil du seigneur, des droits pécuniaires très étendus. Il ne
faut pas oublier, en effet, que le seigneur a usurpé, à son profit, tous les
droits de souveraineté appartenant à l'autorité publique (roi, empereur ou
république) et en conséquence le droit de frapper d'impôts les personnes et les
choses de la seigneurie.
Mais ce droit absolu du
seigneur fut modifié de plusieurs manières, soit par la coutume, soit par la
concession de commune, soit par des conventions spéciales entre le seigneur et
ses vassaux.
En accordant le
consulat aux habitants de Belvès, en consentant avec la communauté des
habitants des transactions spéciales, le seigneur archevêque avait fortement
altéré les prérogatives que le droit commun féodal lui attribuait.
Partout, où le régime
du consulat a fonctionné, en conséquence des pouvoirs administratifs à eux
accordés, les consuls ont acquis une autorité financière; dès qu'ils ont eu le
gouvernement de la communauté, ils en ont géré les biens et les finances.
Examinons donc, avec
les détails que peut comporter l'état des documents, la condition financière,
le régime fiscal du consulat et du district belvesois.
Les deux autorités en
présence, l'archevêque et les consuls avaient, chacun en leur qualité
particulière, quelques droits dont ils jouissaient exclusivement :
l'archevêque, comme conséquence de sa seigneurie, les consuls, comme
représentant la communauté des habitants.
Mais en outre,
l'organisation du consulat, ayant associé à la gestion du consulat l'archevêque
et les consuls, au point de les considérer comme copropriétaires indivis des
propriétés du consulat, notamment de la Bécède, il résultait de là, comme nous
l'avons vu antérieurement, au profit du collège du bayle et des consuls, des
droits égaux, des prérogatives communes et des droits pécuniaires importants,
dont les produits se partageaient par égales portions entre l'archevêque de
Bordeaux [ou le bayle son représentant] et les consuls : c'était le régime de
la medietas, pour les droits et les
devoirs, qu'applique dans beaucoup de ses articles la transaction du 10 février
1470.
Comme conséquence de
cette organisation, il appartenait au juge ou représentant de l'archevêque et
aux consuls de désigner à l'élection un trésorier chargé, sous l'obligation de
rendre compte, du soin d'encaisser les redevances communes.
« …..
Cum hoc quod judex vel procurator dicti domini et ipsi consules habebunt eligere
unum receptorem seu thesaurarium qui habebat reddere computum de gestis et
palpatis bajulo domini et novis consulibus dictae villae, jurabitque dictus
receptor seu thesaurarius, ut est consuetum, in manibus bajuli et consulum,
reddere legale computum de emolumentis provenientibus dictis bajulo et
consulibus, ratione rerum infra scriptorum, quorum emolumentorum medietas
domino applicabitur pure et ad sui dispositionem, alia vero medietas dictis
consulibus ad usum et utilitatem totius communitatis et non aliter, nec in
alios usus[266]
».
Quant à l'affectation
des fonds revenant à l'archevêque et aux consuls, il existait une grande
différence : l'archevêque disposait comme il l'entendait de la part lui
revenant et lui donnait telle destination qui lui paraissait convenable ; les
consuls, au contraire, devaient affecter leur part aux besoins municipaux, sans
pouvoir rien en distraire pour autre usage.
4° Ressources communes au seigneur
et aux consuls.
Quelles sont les
ressources dont les produits se partageaient ainsi par moitié entre
l'archevêque et les consuls ?
Ces ressources nous les
connaissons pour le plus grand nombre, nous les avons étudiées, en nous
occupant des prérogatives des bayle et consuls ; ainsi, conformément aux
articles 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 23 de la transaction du 10 février 1470,
les droits de basse justice, le produit des amendes pour violation des
règlements de police municipale, les amendes encourues pour dommages aux fruits
des jardins, vergers et prairies, et les produits et amendes relatifs à la
Bécède formaient les principaux droits dont le produit se partageait entre
l'archevêque et les consuls; à quoi font allusion les mots de l'article 17,
relatifs à l'hommage des consuls : ceux-ci devaient reconnaître tenir du
seigneur et de son église métropolitaine, avec le consulat :
«
Medietatem nemoris communis [la Bécède], et dictae bassae justiciae usque ad
sexaginta solidos, et aliarum rerum predictarum... »
Il y avait une autre
ressource fiscale dont nous n'avons pas encore parlé, et dont les produits se
partageaient par moitié entre le seigneur et les consuls : c'est le jus coti.
L'article 19 de la
transaction du 10 février 1470 dit à son propos :
« Quod dicti bajulus et consules ordinabunt
de jure coti, et dominus medietatem emolumentorum coti.... recipiet et consules
aliam medietatem...
En quoi consistait le jus coti dont il est question dans notre
article ?
Ce droit est connu de toute
ancienneté à Belvès ; son fonctionnement avait donné lieu à des difficultés,
dont nous ignorons l'objet, entre l'archevêque et les consuls[267]
; la transaction de 1470, en le mentionnant, n'en a pas exactement précisé les
caractères ; mais en rapprochant notre disposition des règles suivies dans
d'autres parties des domaines de l'archevêque[268],
des articles 98, 99, 100, 101, et 102 de, la Coutume de Bergerac[269]
et des textes et autorités cités par Ducange, au mot Cotus, on peut affirmer que par jus
coti il faut entendre les règlements relatifs aux dommages faits aux champs
par les animaux et, par extension, la réglementation du droit de pacage,
réservé aux habitants de la châtellenie par l'article 24 de la transaction,
comme aussi la réglementation des droits sur la Bécède.
Au cas de
contraventions à ces règlements, les amendes perçues à l'occasion du jus coti étaient partagées par égale
portion entre le seigneur et les consuls.
Les contraventions
étaient constatées au moyen de procès-verbaux, que dressaient les gardes
champêtres et les gardes de la forêt ; et la répression en était poursuivie
devant le tribunal municipal, bayle et consuls.
Si, par application de
ces règlements et à suite de dommage, des animaux venaient à être saisis, leur
mise en fourrière donnait lieu à un droit particulier au profit du seigneur[270]
(2).
Les animaux, pris en
dommage et placés en fourrière dans les granges ou étables du seigneur, s'ils
ne sont réclamés qu'après 24 heures, donneront lieu contre leurs propriétaires
à une amende de cinq sous de monnaie courante.
S'ils sont réclamés
avant l'expiration des vingt-quatre heures de leur prise, quels qu'en soient
les qualité, quantité ou valeur, n'y aurait-il qu'un seul animal, le délinquant
paiera au seigneur une amende de douze deniers.
Les amendes,
conséquences de la mise en fourrière, ne se confondaient pas avec les amendes
pour dommage ; les premières paraissent former une ressource spéciale et
particulière au seigneur archevêque. Au contraire, les amendes encourues à
l'occasion des dommages, et formant le jus coti proprement dit, se partageaient
par égales portions entre le bayle et les consuls.
2°
Ressources particulières des consuls
En outre de la part
leur revenant dans les ressources communes qu'ils partageaient avec le
seigneur, les consuls avaient des ressources particulières dont profitait
exclusivement la caisse municipale et sur lesquelles nous avons à insister.
a)
Tailles et collectes.
La première ressource
consiste dans les tailles et collectes que les consuls pouvaient imposer sur
les habitants de la ville, du consulat ou de la châtellenie, suivant les règles
fixées par l'article 14 de la transaction du 10 février 1470[271].
Au cas de nécessité
urgente seulement, les consuls pouvaient imposer les tailles ou collectes.
Si ces tailles ne
devaient atteindre que les habitants du castrum de la ville ou du consulat et
que leur produit ne fût pas supérieur à 30 livres, les consuls les
établissaient, à la seule condition d'avoir donné avis de leur réunion au bayle
du seigneur; celui-ci ne faisait qu'assister à l'assemblée, sans avoir à
fournir son consentement ; il jouait le rôle de conseil auprès des consuls, qui
restaient les maîtres de prendre telle décision qui leur paraissait convenable.
Si, dans le cas
précédent, la somme à retirer des tailles ou collectes était supérieure à
trente livres, l'affaire prenait une importance grave, et on entourait de
garanties la solution à intervenir : il fallait alors le consentement du
seigneur ou de son procurateur, l'approbation donnée à la mesure parles
habitants du district et le consentement formel du représentant du seigneur. Ce
n'est qu'au cas où toutes ces conditions étaient remplies, que la taille ou
collecte pouvait être imposée.
Au cas d'événements
intéressant la châtellenie tout entière, comme au cas de guerre générale, les
consuls étaient les représentants légaux de la châtellenie et, probablement, en
remplissant les conditions indiquées tout à l'heure, ils pouvaient frapper de
tailles les habitants de la châtellenie et ceux qui y détenaient des immeubles
même habitant hors la châtellenie.
Ces tailles ou
collectes étaient imposées, suivant le droit commun de ces matières, à Belvès,
sur les immeubles bâtis et la valeur commerciale, et dans le district
consulaire et la châtellenie, sur les immeubles possédés : la somme à lever
était répartie sur tous les redevables, eu égard à l'importance des choses
imposées au sou la livre suivant la règle acceptée partout[272].
b) LE SOUQUET.
La caisse communale
avait la jouissance exclusive d'un impôt sur le vin qui portait le nom de
souquet[273] .
L'article 30 de la
transaction du 10 février 1470 réglemente cet impôt[274].
Cet impôt fonctionnait
à Belvès depuis fort longtemps « antiquitus » ; en quoi consistait exactement
cet impôt du souquet ? il n'est
pas facile de le dire.
Un impôt de ce nom a
existé dans plusieurs villes au moyen âge ; en certains lieux, le souquet :
Etait
la défense de vendre le vin pendant un certain temps [trois jours par semaine,
par exemple] pendant lequel temps le vin était vendu par l'intermédiaire des
consuls, qui prélevaient un droit sur le vin vendu[275].
D'autre part, suivant
les lettres de Charles VIdu 17 octobre 1392[276],
le souquet serait :
Une
certaine charge appelée communément le Soquet; en sorte que la mesure du vin
est diminuée d'une certaine quantité, et que le profit de la diminution ou du
Soquet est converti, partie pour l'usage de la ville de Toulouse, partie pour
l'utilité du roi[277].
Si d'après ces passages
le souquet est toujours un impôt sur le vin, suivant les localités, cet impôt
présentait un caractère tout à fait différent[278].
Etait-ce avec l'un ou
l'autre de ces caractères qu'il fonctionnait à Belvès ? Il est impossible de le
dire. Cependant des termes de l'article 30, .suivant lesquels l'impôt devait atteindre
tous ceux, vis-à-vis desquels il y aurait utilité et nécessité à le faire
fonctionner, il en résulte que cet impôt devait probablement frapper les
débitants de vin et les marchands en gros[279].
Quoi qu'il en soit,
c'était un impôt purement municipal ; son produit était exclusivement affecté à
la ville de Belvès ; il était imposé, à titre exceptionnel, par le collège des
consuls et bayle, et le receveur devait fournir, à son occasion, un compte
spécial et particulier aux bayle et consuls. .. Ce point paraît avoir été
modifié dans la suite : car dans le compte des revenus de Belvès, de Guaray de
Montrigaud (cité plus bas), le droit du vin vendu en détail figure parmi les
droits communs à l'archevêque et aux consuls.
3° Ressources propres au seigneur.
L'archevêque de
Bordeaux tirait de Belvès de multiples ressources. En premier lieu,
l'archevêque avait la moitié du produit de tous les droits qu'il partageait
avec les consuls ; nous les avons étudiés plus haut, il n'est pas nécessaire
d'y revenir[280].
Rappelons seulement à leur propos, que l'archevêque disposait, suivant sa
volonté, des ressources mises ainsi à sa disposition.
En second lieu
l'archevêque percevait à Belvès de nombreux droits et redevances, qui lui
appartenaient pour le tout et exclusivement, et dont voici la nomenclature :
a) Les taxes à suite de
la décharge du guet (art. 20, transaction du 10 fév. 1470). (Voir plus haut,
page ).
b) Les amendes à suite
des mises eu fourrière des animaux.
c) Les droits résultant
de sa senhoria, et de sa justice : c'est-à-dire les redevances
et droits à payer par les vassaux, à titre d'hommage, de cens ou rentes. Les
produits de la haute justice dans le district consulaire de Belvès ; et, dans
la châtellenie, hors le consulat, les droits de haute, moyenne et basse
justice.
d) Enfin, parmi les
ressources particulières à l'archevêque de Bordeaux, seigneur de Belvès, se
place un impôt de capitition perçu sur les chefs de famille, et sur les animaux
leur appartenant, et connu sous le nom de commun
de la paix ou droit de commun.
Pour Belvès, il est
fait allusion à cet impôt :
1° Dans l'article 24 de
la transaction de 1470 organisant le consulat, où, à propos du droit de pacage
reconnu aux habitants de la châtellenie sur les biens vacants appartenant à
l'archevêque, on ajoute que ce droit n'appartiendra qu'à ceux qui payent le
commun « et hoc sibi solventibus commune de se et eorum animalibus ».
Ce texte prouve donc la
perception du droit de commun dans l'étendue de la châtellenie, et fixe la
nature de la redevance perçue sur les chefs de famille et sur leurs animaux.
2° Dans l'article 31
des Coutumes de Belvès, dans lequel il est dit que tout homme étranger, qui
viendra se fixera Belvés devra s'entendre avec le seigneur pour les XII deniers
de capitation.
Totz hom estranhs de fora la
honor que sia vengut ni venga estagiers a Belver, parle ab lo Sor
Carnal ab xii deniers per son cors.
Texte important, qui
s'applique évidemment à l'impôt de capitation perçu au profit du seigneur, et qui,
par le rapprochement avec les documents relatifs à Cabans, petite localité de
la sénéchaussée de Bigarroque voisine de Belvès et autres seigneuries,
s'élevait à 12 deniers, par chef de famille et 12 deniers pour le bétail[281].
L'impôt connu sous le
nom de commun se rattache par son
origine aux institutions destinées à assurer la trêve de Dieu et la paix entre
les hommes ; il se répandit et devint un impôt presque général et fut perçu en
Albigeois, en Rouergue, en Quercy et en Périgord.
Si l'impôt était général,
il ne fut pas perçu de la même manière dans toutes les seigneuries ; il faut
voir en lui, comme caractère général, la compensation pour le seigneur des
charges que lui imposent la sûreté, la défense et le maintien du bon ordre dans
la seigneurie.
L'origine de cet impôt
pour le Midi offre un grand intérêt historique.
Au onzième siècle, les guerres
privées, les violences féodales prirent de telles proportions que toutes les
classes de la société, l'Eglise, le peuple et la noblesse, se réunirent pour établir
la paix et la trêve de Dieu. Les perturbateurs de la paix publique furent
désignés à la vindicte publique ; dans le Midi, le maintien de l'ordre fut
assuré d'une manière efficace par l'institution de paissiers ou pacificateurs, sortes de gendarmerie,
toujours prête à marcher, à la réquisition de l'évêque, contre les
perturbateurs. Les paissiers étaient
pris dans le sein de la noblesse ; ils étaient payés avec le produit d'un impôt
spécial nommé commun de paix ou pezade.
[282]
Cette institution avait
fonctionné à Belvès ; Philiparie paraît y faire allusion dans son historique de
la cité ; elle s'était développée dans tout le Périgord, où fut établi, d'une
manière générale, le commun de la paix
à titre de redevance[283].
Au XIIIe siècle, saint
Louis, voulant s'éclairer sur les droits et les revenus de la Guienne, dont,
après la bataille de Taillebourg (1242), il venait de prendre possession,
sollicita le clergé de Périgueux et la communauté du Puy St-Front [Périgueux]
de l'édifier sur la perception du droit du commun de la paix ; par lettres du
25 des kalendes de février [18 janvier] 1243, ceux-ci répondirent que la
perception du commun de la paix était légitime...
Nous avons reconnu devoir
déclarer à votre sérénité, par le témoignage des présentes lettres, en parole
de vérité, que d'ancienneté, pour conserver la paix dans le diocèse de
Périgueux, le commun y est dû, et que le commun fut levé dans le susdit
diocèse, par les rois Henri [Henri II d'Angleterre] Richard [Cœur de lion] Jean
sans terre] et beaucoup d'autres et tout récemment par Louis VIII votre père
d'illustre mémoire, après la prise de la Rochelle et pendant deux années
consécutives par les mains du comte de La Marche son sénéchal dans notre
diocèse....[284]
Les rois tant de France
que d'Angleterre le perçurent pour leur compte ; souvent ils en aliénèrent la
perception aux personnes ou communautés qu'ils voulaient favoriser ou
récompenser ; d'autres fois, ils en firent remise pure et simple[285].
Pour Belvès, l'archevêque
de Bordeaux, seigneur temporel du lieu, et les seigneurs, ses vassaux, étaient
en possession de percevoir cet impôt aux XIVe et XVe
siècles, sans que nous sachions de qui ils tenaient ce droit[286].
Un cartulaire de 1462,
contenant les hommages et reconnaissances en faveur du seigneur archevêque,
nous fournit des documents qui nous permettent de fixer, pour Belvès, les
règles de sa perception.
En premier lieu,
d'après nos documents, le commun de la paix ne frappait pas les nobles, mais
seulement les roturiers et manants[287]
:
Raymond
La Renye, laboureur demourant à Belver (après avoir fait le dénombrement de ses
biens) « il ne paie pas le commun à nul, car il a couronne »[288].
Lo
XIe jeur del mes de haust l'an m. IIII lx II, (1462) Arnaud La Basta, donsel,
demorant à Belver, déclara per son sagramen quel tenia en la castellania de
Belver, appartenent à Monseignor l'Arcevesque de Bordeux so que se en sa et
ditz quel ne paga point de commun perque et es noble et ses predecessors n'ont
pagarent jamayt[289].
Arnault
de Gabalz, bourgeois et habitant de la ville de Belver, comparant
personnellement pour déclarer ce qu'il tient dans la juridiction de mon dit
seigneur l'arcevesque, lequel a déclaré tenir ce qui s'en suit ….. dit qu'il est clerc et bourgeois de la ville
et est noble et ainsi n'est homme de nul et n'a pour accoustumé de payer le
commun ne ses predecessors[290]
(4).
De même, le commun de
la paix ne paraît pas atteindre les hommes indépendants de tout lien
seigneurial :
Poncet Espanel, laboureur,
demeurant à Belver ….. et dit qu'il n'est homme de negun et quel ne los seous
no pageron jamas le commun annuellement, dit que luy, son gendre, le père de sa
molher, ung bœuf, une vacque, ung porc …. [291]
Mais dès qu'une
personne libre se plaçait sous la dépendance d'un seigneur, et devenait son
homme, ou s'affranchissait des liens d'un seigneur pour se placer sous la
protection d'un autre, le commun
était dû au seigneur, dont le tenancier devenait l'homme.
Les trois déclarations
suivantes, empruntées au cartulaire de 1462, démontrent ces propositions :
Pierre Barrau
(déclaration du 17 août), laboureur, paroisse de Montplaisant, après la
déclaration de ses biens,
Dit qu'il
est homme de Palayrac et luy paie le commun, et dit que luy, estant audit lieu,
par avant qu'il fust marié, il n'avait rien, mais que de Palayrac lui deist que
s'il vouloit estre son homme, qu'il le soutiendroit contre tous, et dès lors
fut son homme[292] .
Die
quarta mensis julii, anno Domini mil(lesimo) iiii lxii, Aymart Roset, habitant
de la parrofia de Larsat, comparegut personalement, que el declara per son
sagrament que el te en la castellania de Belver, appartenenta a mosseignor
l'arcevesque de Bordeus, so que s'en set : ….
dit qu'il est tout seul ung paire de bœufs et un bœuf qui ne laboure point,
plus a une vache et 3 porcs et est homme de Palayrac, deffendu qu'il ne paie
rien sur peine de le recevoir sur luy et de l'amende. Aujourd'hui xxi jour
d'aoust 1462, ledit Aymeric s'est fait homme de monseigneur et a promis payer à
luy le commun[293].
Raymond
Phelipe, laboureur.... et après s'est fait homme de monseigneur[294]
.
Parmi ceux qui viennent faire le
dénombrement de leurs tenures aux officiers de l'archevêque, nous trouvons
mentionnés plusieurs tenanciers relevant d'un autre seigneur que l'archevêque,
et leur payant le commun.
I.
Payent le commun à Pierre de Bostredon :
Pasqual
de la Flaquière, laboureur... « dit qu'il est homme de Pierre de Bostredon[295].
»
Pierre
de Marsilhat, demeurant à Belver, « dit qu'il est homme de Bostredon et luy
paie le commun[296] ».
II.
Payent le commun à Pierre de Paleyrac :
Peyre
Delvinhac, dit Petro, habitant de Belver... « et dit quel es home coustumar
deld. Peyre de Paleyrac et paga et ha acostumat de pagar lo comu [297];
»
Guillem
Delugac, laboureur, demourant à Belver... et dit qu'il est hom de Paleyrac et
lui paie le commun[298].
»
Guillaume
Belaugier, laboureur,.... « dit qu'il paye le commun à Pierre de Paleyrac
et (a) deux hommes, deux boeufs, un porc.. »[299].
Estienne
Brun, laboureur, demeurant au dit lieu de Belver... « dit est homme de
Paleyrac et n'a que luy, deux bœufs, etc....»[300].
Jehan
Ayrault, laboureur.... « item dit qu'il paye le commun à Pierre de Paleyrac,
etc. »[301].
Martin
Vilatte, demourant à Montplaisant... « et dit payer le commun à Pierre de
Paleyrac»[302].
III.
— Payent le commun à Monseigneur l'archevêque :
Bernard
et Girard de la Barde, laboureurs, demourant à Belver... « et est homme de
Monseigneur et lui paye le commun. »[303].
Pierre
Fauvel le Cordouand, demourant audit lieu de Belver... « dit qu'il est
homme de Monseigneur l'arcevesque et luy paie le commun ». [304].
IV.
— Payent le commun au seigneur de Serval :
Helyes
de Lapares, laboureur, demourant à Belver ... dit qu'il est homme du seigneur
de Serval et luy paie le commun. »[305].
Etienne
Martin de Carves, « dit qu'il est homme de Serval et luy paie le commun.
»[306].
V.
— Au seigneur de Campaignac :
Jehan
Lacrose, laboureur, demourant à Belver... « dit qu'il est homme de Campaignac
et luy paie le commun. »[307].
VI.
— A la dame de la Bourrelie.
Guillaume
Vierge, fustier, demourant en la paroisse d'Orval... « dit qu'il est homme
de la dame de la Bourelie et luy paie le commun. »[308].
VII.
—Au couvent de Cadouin :
Estienne
Guitart, laboureur, demourant au dit lieu de Belver... a dit qu'il est homme de
Gadount et luy paie le commun — que les » lui ont donné. »[309].
Le commun de la paix est ainsi devenu un impôt
seigneurial que tout seigneur perçoit dans sa seigneurie.
Cette redevance
fut-elle perçue pendant une longue période de temps ? Cela ne parait pas
probable.
Ce fut une règle
presque invariable pour la royauté de pousser à sa suppression, ou d'en faire
remise[310].
Nous pouvons induire de
documents déposés aux Archives de la Gironde[311]
qu'à Belvès le droit de commun dût rapidement disparaître ou être atténué,
comme cela se produisit à Bigarroque et dans les autres possessions de
l'archevèque[312].
Les officiers royaux
paraissent s'être opposés à sa perception, au prétexte qu'il faisait double
emploi avec la taille royale. Ce motif devait entraîner sa suppression, partout
ou les impôts royaux seraient organisés.
Pendant les temps
troublés, le commun de la paix avait sa raison d'être, il devait disparaître
avec les progrès de la paix et de l'autorité royale[313]
au préjudice des droits des seigneurs.
Telles furent les
impositions seigneuriales ou municipales qui pesèrent sur le consulat de Belvès
; il eût été intéressant de recherchera quelles sommes elles pouvaient
s'élever. Malheureusement les documents
font défaut pour ces recherches.
Nous ne pouvons pas
davantage apprécier exactement le montant des droits pécuniaires seigneuriaux
qui pesaient sur Belvès et son territoire[314].
Nous pouvons dire seulement que ces droits n'ont jamais été très élevés et que
la situation des populations belvesoises a été très tolérable pendant le régime
seigneurial, grâce aux immunités résultant du consulat.
Ces impositions se
modifièrent dans quelques-uns de leurs éléments ; ainsi, le commun de la paix
ne fut plus perçu à Belvès à partir du xve siècle ; mais, en général, elles
subsistèrent, avec quelques changements peu importants, jusqu'à la Révolution[315].
(A suivre.)
A. Vigié
pp. 400-439
HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS
(Suite).
CHAPITRE
II.
Section II. — Modifications apportées au fonctionnement du consulat.
Nous avons esquissé le fonctionnement
du consulat à Belvès, pendant le moyen âge : les choses restèrent dans le même
état jusqu'aux temps modernes ; ainsi, sauf quelques changements dus à des
circonstances particulières et sauf certaines modifications de peu
d'importance, fut maintenu intact l'état créé par la transaction avec Arthus de
Montauban (10 février 1470).
a) Modifications anciennes.
Faisons connaître
quelques-unes de ces modifications :
Les Anglais, pour
soutenir la guerre contre la France, avaient voulu faire de Belvès une de leurs
principales villes fortes, et, tout en respectant le consulat et les
privilèges, et la seigneurie de l'archevêque de Bordeaux, ils avaient établi
dans la cité un capitaine, à la tête de plusieurs compagnies ; ce capitaine,
commandant de place était le véritable chef et devait faire subordonner la
direction de la ville aux intérêts de son souverain.
Lorsqu'eu 1442, la
ville de Belvès devint définitivement française, les commissaires du roi de
France, tout en confirmant les privilèges de la cité (art. 4 du traité) et les
droits qui appartenaient, à titre de seigneur, à l'archevêque de Bordeaux (art.
5), prirent, dans l'intérêt du roi de France, certaines mesures, qui
modifièrent en quelques points la situation faite à l'archevêque et aux consuls
parla transaction avec Arthus de Montauban.
Ainsi, après avoir
proclamé et reconnu les droits de l'archevêque, comme seigneur de Belvès, ils
ajoutaient que si l'archevêque peut y mettre officiers «....de par lui pour
exercer la dite justice et la recette ceux-ci devaient être de l'obéissance du
roy notre souverain sire et non suspects à nous et à notre parti » (art. 5 in
fine). On prenait ainsi des précautions, à l’encontre de l'archevêque de
Bordeaux, que l'on considérait comme le représentant de l'influence anglaise,
tant que les Anglais restaient les maîtres de Bordeaux.
Par des considérations
de même ordre s'explique la disposition de l'article 6, suivant lequel, pour
entrer dans la ville, l'archevêque de Bordeaux ou son représentant, quoique
seigneur du lieu, ne le pourrait que par le congé et licence du capitaine
français, commandant de la place, et cela, « tant que le dit archevêque tiendra
le parti des dicts ennemis, avec son état simplement ». (Art. 6.)
Enfin pour la
continuation de la lutte contre les Anglais, Belvès, place forte de grande
importance, devenait un des points d'appui pour les Français dans leur marche
en avant, et ceux-ci, pour s'en assurer la possession, à l'image de ce que les
Anglais avaient fait eux-mêmes, y établirent un capitaine français leur
représentant, duquel relevait tout ce qui touchait à la défense de la cité.
Item est dit et accordé entre
nous et les dicts consuls et habitants de ladite ville et chastel que nous
mettrons capitaine de par nous à la garde et gouvernement d'eux et de la dite
ville et chastel, tel qu'il nous plaira, lequel capitaine ne leur faira tort ni
force, en corps ni en biens, mais les
gardera et deffendra de tout mal et oppression en son pouvoir, et fairont service
les uns aux autres, comme il est accoustumé de faire le temps passé[316].
Le maintien d'un chef
de la force publique, en dehors du seigneur et des consuls et relevant
exclusivement d'une autorité étrangère, constituait une diminution des
privilèges de la cité ; l'existence d'un tel chef pouvait s'expliquer par la
nécessité de la défense pendant la guerre avec les Anglais, comme nous le
retrouverons pendant les guerres de religion ; mais ces circonstances
exceptionnelles passées, comment aurait on pu méconnaître à ce point les
privilèges solennellement reconnus à la cité ?
Aussi peut-on supposer,
d'après un passage de Philipparie[317],
que vers 1455 le capitaine, représentant du roi de France, disparut, et la cité
resta régie suivant sa charte fondamentale, telle que les consuls et Arthus de Montauban
l'avaient établie.
Les consuls et le bayle
se partagèrent les pouvoirs, comme nous l'avons expliqué plus haut.
Mais si l'organisation
resta en principe la même, il n'en est pas moins certain, que les deux pouvoirs
en présence, dans plusieurs circonstances, cherchèrent chacun à augmenter ses
prérogatives et à diminuer la situation de l'autre : il nous reste à faire
l'histoire de ces tentatives multiples, qui, probablement, agitèrent
profondément notre cité, et perdent, à nos yeux, une partie de l'importance
qu'elles durent avoir pour les contemporains.
Vers 1612, le seigneur
archevêque de Bordeaux, l'illustrissime et révérendissime cardinal de Sourdis,
primat d'Aquitaine, conféra, à titre de fief nouveau et nouvelle inféodation, à
M. Guillaume Bonfilh, bachelier ès droits, juge ordinaire de la ville et
juridiction de Belvès et seigneur de la Moissie, une maison de l'ancien domaine
l'archevêché.
Laquelle maison tant à cause des
guerres que pour le longtemps qu'il y a qu'elle n'a esté habitée, est maintenant
inhabitable et en tel estat qu'elle menace ruyne [318].
Cette maison
parfaitement indiquée dans l'acte de concession est celle qui a appartenu dans
la suite à MM. de Commarque, à Préat et Jaubert et actuellement à Barde et
Jaubert.
A côté de cette maison
était une tour des fortifications de la ville dont le soubassement forme
aujourd'hui les côtés du magasin Barde.
Laquelle tour ne sera comprize au
présent bailh, ains a esté par exprès accordé que le dit Bonfllh fera faire à
ses propres coûts et dépens ung degré de pierre convenable pour la montée et
descente de la dite tour et d'avantage la faira à ses dépens réparer, boizer et
rendre entièrement habitable pour le logement du capitaine de la dite ville qui
y sera pourveu par le dit seigneur.
D'autres obligations
assez onéreuses étaient encore mises à la charge du sieur Bonfilh, que nous
pouvons laisser de côté[319].
L’archevêque, par un
acte postérieur, que nous ne connaissons pas, pourvut de la fonction de
capitaine de la ville, le dit Bonfilh, en lui concédant la dite tour.
L'archevêque lui attribuait des droits importants, porter des armes à feu, etc.
Aucune tentative aussi
grave n'avait été encore dirigée contre les privilèges des consuls : c'était la
main mise sur leur indépendance, la violation de la situation que leur faisait,
en face du seigneur, la transaction d'Arthus de Montauban ; celle-ci plaçait
presque sur la même ligne comme autorités, les consuls et le seigneur. Si la
nomination du capitaine était maintenue, les pouvoirs du seigneur devenaient
tout à fait prépondérants.
Aussi l'émotion
fut-elle vive : le consulat dut se faire autoriser, conformément à l'article 29
de la transaction de 1470 à agir contre l'acte attentatoire à ses libertés «
omnibus viis et modiis juris ». Le détail de l'affaire ne nous est pas connu ;
mais l'arrêt du Parlement de Toulouse[320]
du 3 juillet 1614, qui donna gain de cause aux consuls est venu jusqu'à nous.
Voici les extraits importants :
Sans avoir esgard à icelles
lettres royaux accordées au dit Bonfilh ni à la réception et installation du
dit Bonfilh et à tout ce qui s'en est suivi, a fait et fait inhibitions et
défenses au dit sieur Bonfilh de s'intituler capitaine et gouverneur du dit
château, ville et juridiction de Belvès, ni s'ingérer en la dite charge,
troubler ny empescher les susdits consuls en la garde du château, tours et
murailles de la dite ville et château, et autres facultés à lui acquises par la
dite transaction et lui a fait aussi inhibitions et deffenses de porter armes à
feu, sous les peines portées par les édits
[321].
Ainsi, par cette
décision de justice, les consuls voyaient leurs droits et privilèges respectés,
ils conservaient les avantages de toute nature que leur avait donnés la
transaction du 10 février 1470.
Un autre débat en sens
inverse paraît avoir profondément agité la cité de Belvès. Il donna lieu à une
assignation au Grand Conseil, à la date du 30 mai 1645, à la requête de Mgr
l'archevêque de Bordeaux, contre les consuls et jurats de Belvès. Nous ne
savons pas quelle fut la solution.
Mais un mémoire,
relatif à l'assignation, conservé aux Archives de la Gironde[322]
nous permet de nous rendre compte du débat soulevé.
Rappelons que, par
suite de l'établissement du consulat, la haute justice appartenait
exclusivement à l'archevêque de Bordeaux ; la basse justice jusqu'à concurrence
de soixante sous, [et, même suivant la transaction de 1530 pour les délits
commis dans la forêt de la Bécéde, jusqu'à plus forte somme,] était exercée par
le collège des consuls et du bayle.
Or, il paraît qu'à la
suite des guerres civiles « qui portèrent jadis grand trouble et grand désordre
dans ce royaume» et des vacances nombreuses qui se produisirent pour le siège
archiépiscopal,
Les
consuls de Belvès s'attribuèrent la connaissance en seuls de la basse justice,
à cause qu'il n'y avait pas d'officier pour le seigneur.
Cette
usurpation de toute la dite basse justice du consulat fut si douce aux dits
consuls que du depuis toutefois et quantes que les seigneurs archevêques de
Bordeaux ont pourveu à quelqu'un du dit office de baillif, les dits consuls ont
toujours tâché d'empescher qu'il en jouit[323] .
Et l'auteur du mémoire rapporte que lorsque messire
Antoine de Prévôt de Sansac, archevêque de Bordeaux, eut pourvu de l'office de
baillif Me Guillaume Roumegoux, «à présent lieutenant de juge à Belvès (1645) »
les dits consuls empêchèrent qu'il n'en fit la fonction par des menaces qu'ils
lui firent de faire soulever le peuple contre lui.
Qu'en 1627, Mgr
l'illustrissime cardinal de Sourdis, en ayant pourvu Me Pierre
Bardes, les consuls firent opposition à sa réception, et, sur l'insistance de
l'archevêque, en vue de sa réception,
Les dits consuls députèrent à
l'archevêque un des principaux habitants de Belvès pour le supplier de ne
trouver pas mauvais qu'ils se fussent opposés à la réception dudit Bardes, luy
protestant que s'il y mettait un catholique, ils les reconnaîtraient audit
office de baillif : ce que mondit seigneur le cardinal leur promit de faire.
Le cardinal de Sourdis
mourut, sans avoir fait une nouvelle nomination.
Son successeur, sachant
qu'il avait le droit de commettre un officier à l'exercice de la basse justice
du dit consulat, pour l'exercer conjointement avec les dits consuls, nomma aux
fonctions de baillif Me Pierre de La Porte, avocat en la Cour et
Parlement de Bordeaux, le 5 février 1645 ;
Lequel Laporte, quelques jours
après, se fit recevoir au dit office par le lieutenant de juge et fit
enregistrer les lettres de sa provision au registre du greffe de la Cour du dit
Belvez.
Mais, au premier acte
de police que voulut faire le dit Laporte, il y eut opposition de la part des
consuls et jurats, et l'assignation au Grand Conseil fut donnée le 30 mai 1645,
contre les consuls et jurats pour faire respecter la nomination de baillif
faite par l'archevêque.
Le mémoire analyse les
arguments présentés par les parties en présence ; nous ne savons, ni s'il
intervint sur le procès une décision, ni quelle fut cette décision.
Mais l'analyse des
moyens présentés doit motiver quelques observations de notre part.
Du chef de
l'archevêque, on prétendait que la transaction du 10 février 1470 avait été
violée en deux points essentiels : le premier, en ce que la communauté de
Belvès nommait, outre les quatre consuls, deux syndics,et que cela ne pouvait
être qu'à la suite d'une usurpation; le second, en ce que chaque année, il
était nommé huit jurats : quatre pris dans la ville, et quatre dans les
paroisses du consulat, un par paroisse, et que ces jurats formaient le conseil
des dits consuls. Que par là l'assemblée du peuple n'était plus réunie, et que
la transaction du 10 février 1470 se trouvait violée, dans son esprit et dans
sa lettre.
Or, il faut reconnaître
qu'à ces points de vue les prétentions de l'archevêque n'étaient pas fondées : quant
aux syndics, la communauté avait de toute antiquité procédé à leur nomination ;
et, malgré la perte de nos archives municipales, il nous est possible de faire
connaître les syndics des années 1494, 1525, 1549, 1550, 1559, 1571, 1600. Et
ces nominations étaient possibles suivant les dispositions formelles de la
transaction de 1470.
Quant aux jurats, ils
avaient remplacé l'assemblée des habitants ; mais ce point avait été accordé
formellement par la transaction de 1530.
Restait donc comme
point en litige, l'existence de la baylie. L'archevêque avait négligé de
procéder à la nomination de cet officier, et cela depuis longues années, soit
par abandon de ses droits, soit à la suite de la vacance de l'archevêché.
La communauté de Belvès
avait exercé, par ses consuls, la basse justice, sans intervention du bayle ;
n'était-elle pas fondée à soutenir que sa longue possession avait modifié
l'organisation du consulat?
Il était peut-être
difficile de voir là une possession suffisante pour prescrire à rencontre de l'archevêque,
et la prétention des consuls devait être rejetée : elle le fut probablement,
car dans la suite nous voyons que le bailly fut à nouveau nommé, et en 1727,
par transaction avec les consuls, on fixe les conditions dans lesquelles la
nomination devra être faite.
b)
Conflit entre les autorités.
Ainsi devaient vivre
dans une même localité des officiers de tous ordres, dont les fonctions
n'étaient pas toujours bien délimitées; d'un côté, les représentants de
l'archevêque, les juge et lieutenant de juge, chargés d'assurer le service de
la justice, le procureur d'office, représentant de l'archevêque, avec le bayle,
et, en face d'eux, les consuls et syndics de la ville, jaloux de leur
indépendance, cherchant à maintenir intacts, à augmenter même, les droits
reconnus à la cité par la transaction de 1470 et les transactions postérieures.
Au-dessus d'eux, l'archevêque de Bordeaux, seigneur du lieu, qui ne s'occupait
que très peu d'une possession de petite importance pour lui, et l'Intendant de
la province, dont le pouvoir ne se fit sentir sur les municipalités, que quand
le pouvoir central fut fortement organisé.
Aussi ne faut-il pas
s'étonner que des conflits graves, des rivalités se soient élevés entre ces
divers magistrats.
Un conflit d'une très
grande gravité eut lieu entre le procureur d'office Pierre Rousset et Guillaume
Roumegoux, juge de la juridiction. Ce dernier fut violemment injurié; l'affaire
fut successivement portée au Sénéchal de Périgueux et au Parlement de Bordeaux.
Voici l'arrêt du
Parlement, tel qu'il nous a été conservé par un inventaire dressé à la mort de
M. Garray de Montrigaut[324].
« Le second est un arrêt en forme
du Parlement de cette ville de l'an 1567, portant que sur l'appel interjeté du
procureur général du roy, il avait été mal jugé par le Sénéchal de Perrigor et
desamendant aurait ordonné M. Pierre Rousset, procureur d'office de la
juridiction de Belver, faire esmende honorable, au parquet et auditoire de
ladite juridiction, à jour de séance de plaid, estant à genoux, teste nue, illec
demander pardon à Dieu, au roy, à justice, à M. Guillaume Roumegoux, juge de la
juridiction, déclaré que témérairement il aurait proféré les paroles
injurieuses contre le caractère du juge; l'aurait privé de l'exercice de sa
charge, condamné à 10 livres d'amende envers le roy, pareille somme envers le
dit seigneur archevêque et aux dépends. »
Les rivalités entre ces
divers fonctionnaires aboutissaient à des questions de préséance de nature à
troubler toutes les solennités publiques où ils se rencontraient.
Ainsi Pierre Thourenc,
procureur d'office de la ville et juridiction de Belvès, et représentant en
cette qualité l'archevêque de Bordeaux, se plaignait d'aveir été troublé dans
l'exercice de ses prérogatives par J. B. Boyer et Jean Alary, consuls, ou se disant
tels : ces derniers, le jour de la Fête-Dieu, avaient empêché Thourenc de
prendre à la suite du poêle sa place accoutumée ; ce dernier, devant la
violence faite, s'était retiré et avait porté plainte devant le juge de Belvès.
Thourenc, en qualité de
procureur d'office, prétendait que Boyer et Alary, nommés consuls, ne pouvaient
pas en exercer les fonctions, car au lieu de prêter serment devant le juge, ils
l'avaient prêté entre les mains du curé.
Le sieur Mourlane,
consul de la ville, le 15e jour d'août, le jour de Notre-Dame, à la
procession qui se faisait à Belvès pour le vœu du Roi, fut troublé dans
l'exercice de ses prérogatives et assigna Palisse, juge, au Parlement.
Ces rivalités entre
fonctionnaires d'une même cité, peuvent faire sourire ; mais ne sont-elles pas
en rapport avec la nature des choses et ne les voit-on pas se produire
aujourd'hui, malgré la forte hiérarchie, imposée aux fonctionnaires, et les
règles du décret de messidor?
Quoi qu'il en soit, ces
difficultés se renouvelant trop souvent et portant atteinte au prestige des
fonctionnaires[325],
on réglementa les préséances entre fonctionnaires dans la transaction
intervenue en 1727 entre les consuls de Belvès et l'illustrissime et
révérendissime François-Elie d'Argenson, archevêque de Bordeaux[326].
D'après l'article 6 de
cette transaction, au cas de processions, offrandes, adoration de la Croix, les
préséances sont ainsi réglées : le juge et son lieutenant partiront de leur
banc en même temps que les consuls partiront du leur, et, si les consuls nobles
y assistent, le juge cédera le pas au 1er consul noble et le juge
viendra ensuite à la cérémonie, et le second consul noble y viendra ensuite et
le baillif du seigneur après, ensuite le premier consul bourgeois, ensuite le
lieutenant du juge, ensuite le 2e consul bourgeois et le procureur
d'office, etc.
Un autre débat,
autrement important, s'éleva entre les consuls et l'archevêque de Bordeaux : il
tenait au régime fiscal sous lequel vivait Belvès ; les consuls cherchaient à
s'approprier en entier des ressources spéciales, dont l'archevêque prétendait
avoir sa part.
Ce débat ne tendait à
rien moins qu'à maintenir ou à modifier la charte constitutive du consulat du
10 février 1470.
Nous savons en effet
(voir l'exposé fait plus haut) que l'archevêque de Bordeaux avait admis au
partage les consuls, pour les produits de la basse justice, les amendes
encourues à l'occasion de la Bécède et de dommages aux champs. Or, depuis cette
époque, des droits avaient été établis par les consuls, qui probablement n'existaient
pas en 1470 ; dans tous les cas, leurs tarifs avaient été remaniés et à ces
droits devait-on appliquer le principe du partage avec l'archevêque, fallait-il
au contraire les attribuer entièrement à la caisse des consuls ?
Le débat est exposé et
la solution est consignée dans un acte notarié du 16 juin 1571, devant Me
Jacques Aderiet, notaire à Bordeaux[327].
Voici l'objet du débat
:
Le
dit seigneur archevêque disait avoir droit et être en possession, prendre et
percevoir la moytié des amandes provenant des condamnations qui étaient données
par son assesseur en la dite ville avec les consuls d'icelle, aussi la moytié
des émoluments du greffe des dits consuls, et en outre le dit seigneur
archevêque demandait la moytié des profits et revenus de la halle, des
boucheries et poids de la ville, ensemble la moytié de la tour neuve près la
porte de Malbec, devers la place,
A
quoy, les dits consuls répondant, disaient, qu'ils étaient en possession immémoriale,
connaître et décider avec l'assesseur du dit seigneur archevêque ou, en son
absence, de tous les dommages donnés jusques à soixante sols et un denier
d'amende et des causes de police, des quelles amendes et du greffe, le dit
seigneur archevêque avait la moytié seulement, mais quant aux; autres droits
par le dit seigneur préteudus, il n'en prenait rien...
Et les consuls demandaient à être autorisés à porter
chaperons noirs et rouges ; ils suppliaient l'archevêque d'augmenter leur
juridiction,
Pour reconnaître et condamner en
plus grandes amandes, à cause que la malice des hommes croissait de jour en
jour.
Dans ces conditions,
pour éviter les frais et les ennuis de procès, les parties se sont accordées et
ont transigé de la manière suivante :
La transaction a été
consentie par l'archevêque de Bordeaux seigneur de Belvès, d'une part, et par Me
Jean Roumegoux, consul, et Me Hélie Bonfilh, syndic de la ville,
Se faisant fort de
l'autre consul et sindic, d'autre part.
Premièrement que les dits consuls
conjointement avec le dit assesseur et le dit assesseur conjointement avec les
dits consuls, et les uns en l'absence ou légitime empêchement des autres,
pourront connaître entre les habitants de la dite ville et consulat d'icelle,
dans lequel la forêt de la Becède est comprise, de tous procès et différents, à
cause de tous dommages donnés, ensemble des causes de police, et condamner les
délinquants et coupables jusque à l'amande de dix livres tournois, pour le
paiement des quelles amandes et punitions des délinquants en la dite police,
les dits consuls et assesseurs pourront user de capture et emprisonnement ès
prisons toutesfois du dit seigneur archevêque. Au cas où la dite condamnation
excéderait les dites dix livres, les assesseur et consuls seront tenus renvoyer
les dits procès devant le juge ordinaire du dit seigneur en la dite ville, la
moytié des dites amandes et des défauts et du greffe du dit assesseur et
consuls appartiennent au dit seigneur archevêque et l'autre moytié aux dits
consuls...
Cet article a le grand
mérite de fixer nettement la compétence respective des tribunaux de la ville
(assesseur et consuls) et des juridictions seigneuriales (juge ordinaire du
seigneur.) Et eu étendant la basse justice jusqu'à dix livres d'amende de
rendre plus simple la répression des contraventions commises dans le district
consulaire ; de déterminer la part de l'archevêque et des consuls dans les
produits en provenant.
Aussi
le dit seigneur archevêque accorde que les dits consuls pourront porter
chaperons, si bon leur semble, de drap noir et rouge.
Autorisation
qui sera renouvelée en 1727.
Deuxièmement, a été accordé que
les dits consuls auront la moitié des entrées de toutes les ferrières, de tous
péages, qui sont ou seront dressés à l'avenir dans la dite jurisdiction, et
aussi la moytié des entrées et aussi la moytié des leydes , tant des foires que
marchés de la dite ville et consulat, aussi le dit seigneur archevêque aura la
moytié des profits, revenus et émoluments de la halle, boucheries, poids, et
moytié de la dite tour neuve près la porte de Malbec devers la place..., à la
charge aussi que le dit seigneur archevêque contribuera pour une moytié aux
réparations nécessaires des dites halles, boucheries et tour.
Par là les consuls et
l'archevêque obtenaient satisfaction dans leurs demandes.
Les consuls obtenaient,
ce que la transaction de 1470 ne leur avait pas reconnu, moitié des droits de
toute nature qui frappaient les marchandises sous les noms de péages,
ferrières, entrées, leydes, tant à l'entrée des marchandises que sur leur
transport aux marchés et foires.
Nous n'avons pas trouvé
pour Belvès de tarifs de ces droits ; mais on pourra examiner le tarif des
péages pour Bigarroque[328]
qui, sauf quelques changements tenant à la situation différente des localités,
ne devait pas beaucoup différer du tarif de Belvès. Ces droits ou leudes
avaient anciennement existé à Belvès, et un document en évalue le montant à
neuf livres tournois[329].
L'archevêque voyait ses
prétentions sur les produits de la halle, des boucheries, poids et tour neuve,
ratifiés. La moitié des droits perçus lui appartiendra à l'avenir[330],
comme lui appartenait la moitié des droits similaires perçus en vertu de la
transaction du 10 février 1470. La solution ratifiée en 1571 était donc
conforme à l'esprit de la charte consulaire, et puisque l'on reconnaissait à
l'archevêque la moitié de ces droits, il était légitime de lui faire supporter
la moitié des charges à eux relatives (réparations à la halle, etc.)
Enfin, en ce qui touche
la forêt de la Bécède, les consuls se réservaient les privilèges qu'ils avaient
autrefois au cas d'excès commis dans la forêt et sur les amendes[331].
Le rapprochement de la
transaction et du compte de Guarray de Montrigaut et des baux à ferme (cités
plus haut) nous permet de dire que le régime fiscal du consulat avait conservé
ses caractères antérieurs et s'était très peu modifié.
En 1576, l'archevêque
afferme la perception de droits tout-à-fait semblables à ceux que le moyen âge
nous a montrés en vigueur :
Au profit du seigneur
exclusivement, le revenu des rentes, lods et ventes et acaptes, le revenu des
greffes civil et criminel, avec les amendes arbitraires et droits de justice,
ce qui correspond aux anciens droits de seigneurie et de justice, réservés par
le seigneur au moment de l'organisation du consulat;
En partage avec les
consuls, les droits de basse justice, le greffe des consuls, plus le droit des
boucheries, la laude ou pied fourchu[332]
;
Les mollines ou
ferrières, ce qui correspondait à des droits sur les marchandises apportées en
foire ou marché (transaction de 1571);
Le droit de vin vendu
au détail (l'ancien souquet) ;
Le poids commun et le
péage : droits anciennement perçus, à l'occasion des pesées à faire sur le marché,
et des choses transportées pour vendre, ou enlevées comme venlues.
La situation fiscale
était bonne; mais elle sera, comme nous le verrons dans la suite,
singulièrement aggravée par les droits et impôts royaux qui viendront s'ajouter
aux redevances seigneuriales et municipales.
c)
Intervention du pouvoir central ;
modifications apportées à l'organisation municipale jusqu'en 1789.
Les modifications au
régime municipal de Belvès, signalées jusqu'ici, n'ont pas grande importance: et
on peut affirmer que le régime, tel qu'il avait été organisé par la transaction
du 10 février 1470, subsista avec son caractère distinctif pendant plus de deux
siècles.
La monarchie allait lui
faire subir de graves atteintes.
Protéger les
municipalités, les soutenir, les développer, fut l'œuvre de la royauté, tant
que dans ces procédés elle trouva un moyen de combattre le pouvoir seigneurial;
mais une fois la féodalité abattue politiquement, la royauté ne put tolérer des
corps qui détenaient, au mépris de ses droits, quelques parcelles de
souveraineté. Beaumanoir avait très anciennement fait le procès des bonnes
villes et demandé qu'on les tînt en tutelle.
Grant mestier est que on sequeure
les villes de commune en aucun cas, aussi comme on ferait l'enfant qui est sous
aagié.
Et lorsque les pouvoirs
des intendants se furent affermis, toute liberté d'administration fut enlevée
aux villes, on n'y put ni remuer une pierre, ni engager une dépense, quelque
minime fut-elle, sans l'intervention et l'autorisation de l'intendant[333].
Au reste, les prétextes
ne manquèrent pas à l'intervention des agents du pouvoir; les finances
municipales présentaient la gestion la plus défectueuse; les comptables ne
rendaient pas leurs comptes et les procès nombreux absorbaient les plus claires
ressources des municipalités. Les luttes, quelquefois violentes, s'étaient
élevées dans leur population. Aussi la monarchie n'hésita pas à aborder le
problème de l'organisation des
municipalités ; son intervention se fit surtout sentir à un double point de
vue, par des modifications au régime fiscal et à l'organisation municipale. Il
ne saurait convenir, à propos de Belvès, d'étudier complètement ces deux sujets
; leur étude serait au dessus de nos forces; tout au moins nous sera-t-il
permis d'en dire quelques mots, en les rattachant à des faits précis de
l'histoire de notre cité.
d)
Régime fiscal.
Pendant le moyen âge,
les seigneurs possesseurs de fiefs avaient considéré comme leurs contribuables
les hommes vivant sur leurs terres et dépendant de leur autorité. Les habitants
des villes s'étaient habitués à s'imposer pour leurs dépenses communes ; le roi
de France, dans les premiers siècles et jusqu'à Philippe-le-Bel, avait fait
face aux charges de l'Etat, au moyen des ressources de son domaine, sur lequel
il exerçait des droits et levait des contributions, comme le faisait tout
seigneur dans sa seigneurie.
Mais bientôt les
charges devenant plus lourdes, la guerre étrangère imposant des sacrilices
considérables, il l'ut indispensable de créer des impôts royaux pour permettre
au pouvoir de remplir sa tâche gouvernementale.
Nous n'avons à raconter, ni quels impôts
furent créés, ni les circonstances qui présidèrent à leur établissement et à
leur développement; le roi s'adressa pour les établir, tantôt à des assemblées
d'Etats généraux, plus souvent à des Etats provinciaux. Ces assemblées qui
groupaient ensemble les trois ordres de l'Etat: la noblesse, le clergé et le
tiers-état, fixaient à titre de subside, aides, fouages, don gratuit et taille,
les ressources qu'elles mettaient à la disposition du pouvoir[334].
L'on n'en arriva pas
cependant à énoncer le principe que l'impôt ne pouvait être perçu qu'avec
l'autorisation des représentants de la nation ; ceux ci se bornèrent,
considérant l'impôtcomme dû, à en fixer l'importance, et bientôt le pouvoir
tenant l'impôt comme établi d'une façon permanente, en déterminera le montant
sans recourir, ni aux Etats généraux, ni aux Etats provinciaux.
L'introduction des
impôts royaux aggrava singulièrement la situation des municipalités ; car à
côté des charges municipales et seigneuriales qui pesaient sur elles, vinrent
s'ajouter les impôts royaux.
Belvès eut une
situation plus favorable : les immunités fiscales qu'avaient reconnues à son
profit le duc d'Anjou (lettres de 1370) et Jean de Bretagne (1442) le
protégèrent, quelque temps, à rencontre des impôts royaux : ceux-ci ne
pouvaient théoriquement l'atteindre que s'il y consentait par une décision
spéciale, ou si on méconnaissait ses immunités.
Mais, peu à peu, la
royauté supprima les diverses immunités existant au profit des villes, et
successivement les impôts royaux les atteignirent, comme ils atteignaient le
reste du pays. Voici les renseignements que nous avons pu recueillir sur ce
sujet à l'occasion des droits de francs-fiefs, et de la taille royale.
a)
Droits de francs-fiefs
C'était la taxe que
devaient payer les roturiers devenus détenteurs de biens nobles, de dîmes
inféodées, de rentes seigneuriales ; il fut reconnu que les habitants de Belvès
grâce à leurs immunités, n'étaient pas tenus de la payer. L'arrêt du Conseil
d'Etat, mentionné plus haut, consacra, malgré l'opposition de l'intendant M. de
Sève, chargé d'assurer leur perception, l'immunité de Belvès et de son
territoire.
Mais les fermiers,
l'administration, revinrent à la charge et pour conserver ses privilèges,
Belvès fut amené à faire à Louis XIV un sacrifice pécuniaire important ; en
outre, une nouvelle taxe sur l'industrie (édit du mois de mars 1673) venait
d'être créée, et les consuls et syndics de Belvès proposèrent de racheter cette
nouvelle taxe, et d'obtenir la confirmation de l'immunité des francs-fiefs
moyennant un sacrifice pécuniaire.
Ouy le rapport du sieur Colbert,
conseiller ordinaire au conseil royal, conseiller général des finances, le tout
considéré, Sa Majesté, en son conseil, conformément à l'ordonnance du dit sieur
de Sève dudit jour 3 août dernier, a maintenu, gardé et confirmé les habitants
de la dite ville et juridiction de Belvès et parroisses en dépendants, en tous
leurs privilèges, concessions et libertés, franchises, immunités, exemptions du
payement des droits de franc fiefs et a déchargé et décharge ceux faisant
commerce et professions d'arts et métiers de l'exécution du dit edit du mois de
mars mille six cens soixante-treize, en payant néanmoins à Sa Majesté, sur les
quittances du garde du trésor royal, la somme de onze mille francs et les deux
sols par livre d'icelle, sçavoir trois mille livres pour être déchargés de
l'exécution du dit edit du mois de mars mille six cens soixante-treize et huit
mille livres pour les autres grâces accordées par Sa Majesté[335].
Ainsi, par un lourd
sacrifice, Belvès se protégeait contre l'application du désastreux édit de mars
1673 sur l'industrie, et faisait reconnaître à nouveau l'exemption déjà proclamée
des droits de francs-fiefs ; le roi consacrait solennellement les immunités
dont jouissaient la ville et son territoire, et lui accordait l'établissement
de dix foires, aux jours proposés par la municipalité.
Quelque dures que fussent
les conditions imposées, elles furent exécutées ; nous avons la quittance du
garde du trésor royal, Etienne Jeannot sieur de Bartillat, déclarant avoir reçu
des syndics, consuls et communauté des habitants de la ville et juridiction de
Belvès,
La somme
de huit mille livres en louis d'or, louis d'argent et monnoyes, pour être et
demeurer pour toujours les dicts syndicts et consuls et communauté des
habitants de la ville et juridiction de Belvès et parroisses en dépendants,
possédant fiefs, arrière fiefs, cens, rentes, dixmes inféodées, héritages et
autres biens nobles, pour lesquels ils seront contribuables aux droits de
francfief et autres possessions des biens en franc alleu, franche bourgade et
franche bourgeoisie, confirmés en leurs privilèges, concessions, libertés,
franchises, immunités et exemptions ev jouir desdits biens, à l'avenir, en
toute liberté, sans qu'ils puissent être troublés ny être compris en aucun
rolle de taxes de franc fief, ban et arrière ban, et tous autres droits qu'ils
pourroient devoir et qu'ils leurs pourroient être demandés pour raison de tous
les dits biens sous quelque prétexte que ce soit.... [336].
Ainsi : Belvès pouvait croire à l'immunité des
droits de francs-fiefs; elle avait été reconnue par toutes les juridictions,
proclamée par le roi, et cependant, il est certain que bientôt après, sous la
pression des fermiers et des pressants besoins d'argent, l'administration
oublia les solennelles promesses faites par Louis XIV, et les habitants de
Belvès, possesseurs de biens nobles, furent astreints, comme ceux de la France,
au paiement des droits de francs-fiefs[337]
b)
Taille.
Les immunités accordées
à Belvès par le duc d'Anjou et Jean de Bretagne auraient dû le protéger contre
l'établissement de la taille royale. Il en fut ainsi pendant assez longtemps.
Sa situation au reste n'avait rien de particulier, car le Périgord tout entier
fut exempté des tailles jusqu'au milieu du XVIe siècle.
L'exemption remontait pour le Périgord à
1451.
Les gens des trois Etats de la
Guienne conclurent un traité avec Poton de Saintrailles, bailli de Berry, Jean
Bureau, conseiller du roi et trésorier de France, et Ogier de Vrequit, juge de
Marsan, délégué par le comte de Dunois et de Longueville, lieutenant-général du
roi de France, pour la soumission du pays à l'obéissance de ce monarque. Dans
ce traité l'article 18 était ainsi conçu : « Ne seront contraints les habitants
du dit pays d'ores en avant à payer aucunes tailles, impositions, gabelles,
fouages, curtages, équivalent, ne autres subsides quelconques et ne seront
tenus de payer d'ores en avant que les droits anciens deubs et accoustumés en
la dicte ville de Bordeaux et ès pays dessus dicts[338].
»
En vertu de ce traité,
le Périgord, comme les autres parties de la Guyenne, n'avaient plus été frappés
de la taille et autres charges ; et cette situation, critiquée à la requête de
l'Aveyron, fut maintenue par les Etats en 1532, et par François Ier
en 1535, après un procès que les Rouergais avaient intenté au Quercy, à
l'Agenais et au Périgord au sujet de la répartition de la taille[339]
(2).
Mais pressée par les
besoins d'argent, la royauté tendit à supprimer toutes les immunités et bientôt
la taille fut perçue à Belvès[340].
Peu à peu furent
établis à Belvès et sur son territoire tous les impôts royaux, le centième, le
contrôle (origine de nos droits d'enregistrement) et jusqu'à cette malheureuse
taxe de 1707 sur les baptêmes et les mariages, dont la perception provoqua en
Périgord et en Quercy de véritables émeutes et qu'il fallut abandonner[341].
Belvès payait aussi le
don gratuit : le roi réclama de la municipalité d'en dresser le rôle en 1768.
L'affaire traîna quelque temps en longueur ; mais, ironie du sort, suivant les
ordres de l'intendant en date du 26 mars 1774, en exécution des déclarations du
roi des 1er août 1716, 24 mai 1717 et 19 août 1723, on dressait le tableau des
personnes soumises à la collecte, et cela jusqu'à l'année 1817[342].
Tels sont les seuls
renseignements que nous avons pu réunir sur le régime fiscal de Belvès et de la
châtellenie. — Nous aurions voulu indiquer le total approximatif de ces divers
droits ; mais cela nous a été impossible. Tout au moins, peut-on se rendre
compte, d'après ces renseignements, de quel lourd poids pesaient sur la
population, les divers impôts royaux perçus à la fin de la monarchie, aggravés
qu'ils étaient par un très mauvais régime de perception.
II.
Organisation municipale.
L'organisation
municipale de Belvès, telle que l'avaient faite la transaction du 10 février
1470 et les transactions subséquentes avec les archevêques de Bordeaux, fut
modifiée dans sa forme par les règlements multiples de la monarchie, sous Louis
XIV et sous Louis XV, en vue d'uniformiser l'organisation municipale.
Pour l'étude de cette
partie de notre sujet, qui touche à l'histoire de 1'organisation municipale en
France, nous rapporterons seulement ce qui peut intéresser notre localité.
Un édit du 27 août 1692[343]
créa un maire perpétuel et des assesseurs de maire en chaque ville et
communauté du royaume.
A partir de cette
époque, Belvès eut son maire perpétuel au titre d'office ; la famille Lapalisse
avait acheté cet office, où en 1693 nous trouvons Jehan de Lapalisse, et en
1704 Pierre de Lapalisse.
Cette organisation,
qui, au lieu d'éleclions librement faites, mettait les municipalités aux mains
des personnes en état de les acheter, est colorée par les arguments qu'ont, à
toutes les époques, invoqués les avocats du despotisme. On affirme :
Que la cabale et les brigues ont
eu le plus souvent beaucoup de part à l'élection de ces magistrats ; d'où il
est presque toujours arrivé que les officiers ainsi élus, pour ménager les
particuliers auxquels ils étaient redevables de leur emploi, et ceux qu'ils
prévoyaient leur pouvoir succéder, ont surchargé les autres habitants des
villes, et surtout ceux qui leur avaient refusé leurs suffrages... C'est
pourquoi nous avons jugé à propos de créer des maires en titre dans toutes les
villes et lieux de notre royaume qui, n'étant point redevables de leurs charges
au suffrage des particuliers, et n'ayant plus lieu d'appréhender leurs
successeurs, en exerceront les fonctions sans passion, et avec toute la liberté
qui leur est nécessaire pour conserver l'égalité dans la distribution des
charges publiques. D'ailleurs, étant perpétuels, ils seront en état d'acquérir
une connaissance parfaite des affaires de leur communauté... »
En outre, le roi
accordait à ces officiers municipaux le soin de représenter les villes aux
assemblées d'Etat.
La vérité est qu'on chercttait
dans la vénalité des charges municipales une ressource financière. On vendit
les charges, on les reprit, pour les vendre à nouveau ou les laisser racheter,
et on confia à « l'homme qui, au préjudice des droitsdeses concitoyens,
avait acquis du roi, à prix d'argent, le privilège de les administrer », le
pouvoir de délibérer et voter, dans l'assemblée de la province, la quotité de
la somme à payer au roi[344].
Le système fut bientôt
modifié, et, après une décision exceptionnelle d'un arrêt du Conseil autorisant
« pour cette fois, par voie d'élection, la nomination des officiers municipaux
»[345],
on revint avec les édits d'août 1764 et mai 1765[346]
au principe de la liberté des élections, pour le choix des officiers municipaux
; le roi faisait appel au zèle des officiers municipaux, à leur attachement à
leurs devoirs, et leur demandait d'entrer dans les vues du bien public qui
l'animaient lui-même et, en conséquence, il supprimait les offices de maire et
d'assesseurs, qui étaient à charge aux villes, corps et communautés, et
rétablissait l'ordre ancien, suivant lequel il était permis à ces corps de
choisir eux-mêmes leurs officiers municipaux.
D'après le règlement
fait en exécution de l'édit d'août 1764, chaque ville devait présenter un
mémoire au roi sur son organisation municipale, sur sa gestion financière, et
le roi, par un édit spécial ordonnait l'élection des officiers municipaux ;
Belvès avait rempli ces formalités, et par un édit de décembre 1767, il fut
autorisé à procéder à l'élection des nolables et des autres officiers
municipaux.
L'organisation
municipale uniforme que l'on donnait à la France par ces édits, divisait les
villes en trois catégories: 1° celles où la population était supérieure à 4.500
habitants ; les corps de ville étaient composés d'un maire, de quatre échevins,
de six conseillers de ville, d'un syndic receveur et d'un secrétaire greffier[347]
; 2° celles où la population était de deux mille habitants et plus, jusqu'à
quatre mille cinq cents, dans lesquelles les corps de ville étaient composés
d'un maire, de deux échevins, de quatre conseillers, d'un syndic receveur et
d'un secrétaire greffier[348],
et de dix notables[349]
; 3° les villes dont la population était inférieure à 2,000 habitants, dans
lesquelles les corps municipaux étaient composés de deux échevins, de trois
conseillers de ville, d'un syndic receveur et d'un secrétaire greffier[350]
et de six notables.
L'édit de décembre 1767
n'indiquant pas à quelle catégorie appartenait la ville de Belvès, le juge président
du bureau électoral devait trancher cette question et décider par là de la
composition du corps municipal.
Or, à cette époque,
Belvès était en procès devant la Grand' Chambre du Parlement avec ses anciens
comptables pour la reddition de leurs comptes; et ceux-ci
Avaient trouvé le secret de
capter le juge qui, avec une probité reconnue et des intentions droites,
s'était laissé surprendre, et avait placé la ville dans la troisième et
dernière classe...[351]
En conséquence, et
conformément à l'article 56 de l'édit de 1765, le juge avait divisé la ville en
trois quartiers, en répartissant dans chacun un nombre égal d'habitants,
suivant leur demeure, et les élections avaient eu lieu les 25, 27, et 29 mars,
2 et 8 avril 1768.
Les irrégularités les
plus graves avaient été commises pendant ces opérations : c'est ainsi, que l'on
n'avait convoqué
Aux
assemblées des quartiers pour la nomination des députés [qui devaient élire les
notables] que des fils de famille de la ville, des gens de la lie du peuple,
des mendiants et entr'autres un nommé Favorique, homme noté d'infamie, pour
avoir été mis au carcan pour crime de vol.
Les
sieurs Garrigue, Vergne, Vilatte, Marty et Grenier, comptables de la
communauté, et tous parents et alliés, avaient leur objet dans ce procédé ; ils
voulaient, en faisant mettre Belvès dans la dernière classe, éloigner tous les
principaux habitants et les plus distingués, pour n'avoir que des manants
qu'ils avaient subjugués et du suffrage desquels ils étaient assurés, pour se
perpétuer dans les charges municipales et éviter de rendre leurs comptes… [352]
Ces manœuvres réussirent et le sieur Garrigue[353],
ancien comptable, fut nommé second échevin, tandis que les autres comptables en
instance de reddition de compte furent nommés notables, bien que leurs comptes
n'eussent pas été apurés ; il était difficile de trouver irrégularité plus
grave.
Les principaux des
habitants de la ville se pourvurent auprès du ministre contre les élections et
relevèrent les irrégularités commises. Leurs mémoires furent renvoyés au
procureur général près le Parlement pour faire une enquête et, les faits
reconnus exacts, le procureur général demanda la nullité des opérations
électorales.
Il établit que parmi
les paroisses qui composaient la châtellenie de Belvès, quatre, Sagelat,
Saint-Amand, Saint-Pardoux et Montplaisant formaient, avec la paroisse de
Belvès, un territoire particulier constituant le consulat de Belvès; que ces
cinq paroisses faisaient partie de la communauté, comme l'établissaient les
anciens titres et notamment une délibération du 26 janvier 1614 ; qu'elles
contribuaient aux charges locales et municipales de la ville ; et que leurs
habitants jouissaient des mêmes privilèges que les habitants de la ville,
notamment pour les droits d'entrée et autres; que les consuls de Belvès avaient
dans ces paroisses, comme à Belvès, tout droit de police, le droit de taxer les
denrées alimentaires : pain, vin, viande, et de dresser le ban des vendanges.
Il constate, en
conséquence, que le consulat de Belvès forme une agglomération supérieure à
2.000 habitants, et que partant ce n'était pas dans la troisième catégorie que
Belvès devait être placé, mais dans la seconde ; qu'il fallait procéder aux
élections suivant l'article 52 de l'édit de 1765, ce qui n'avait pas été fait ;
et demande, en conséquence, la nullité des opérations électorales et leur
exécution à nouveau, par les habitants des paroisses de Belvès, Sagelat,
St-Amand, St-Pardoux et Montplaisant, conformément aux dispositions des
articles 30, 31, 32, 33, de l'édit de 1765.
La Cour fit droit à ces
réquisitions, décida qu'il y aurait à Belvès un maire, deux échevins, dix
notables et quatre conseillers de ville, que les élections faites les 25, 27,
29 mars, 2 et 8 avril 1768, étaient annulées et qu'on procéderait à de nouvelles
élections, suivant les dispositions des articles sus-visés par le procureur
général de l'édit de 1765 ; que les officiers municipaux nouvellement élus
auraient à poursuivre les comptables pour la reddition de leurs comptes et
ordonna l'exécution de son arrêt, nonobstant toutes oppositions faites ou à
faire[354].
Les nouvelles élections
eurent lieu ; d'autres hommes, appartenant à la noblesse, à la bourgeoisie et
au commerce, furent appelés à l'administration de fa ville. Le 1er
échevin fut M. de Lanzac, seigneur de Sibeaumont et Boussac, le 2e
échevin M. Delcer, puis le docteur Larroque[355]
: c'était la haute bourgeoisie belvesoise, qui rentrait à l'hôtel-de-ville, où
elle devait rester jusqu'à la Révolution.
La Cour avait ordonné
l'exécution de son arrêt du 25 juin 1768, nonobstant oppositions faites ou à
faire ; or, il résulte de deux actes notariés à la date des 1er août
et 28 août 1768[356]
que cette disposition n'était pas inutile, des oppositions furent formulées de
la part des paroisses de Saint-Pardoux et Montplaisant.
Les deux actes sont
rédigés en termes identiques ; ils sont l'œuvre du parti vainqueur aux
élections de 1768, qui faisait un effort pour se maintenir au pouvoir ; les
élections nouvelles allaient tourner à sa confusion.
Comme ces pièces relatent
des faits intéressant le fonctionnement du consulat, nous croyons utile d'en
reproduire les termes.
Les comparants... « faisant la
majeure et la plus saine partie des habitants du présent lieu (Montplaisant)
qui ont dit que le sieur Delcer, consul de la ville de Belvès, leur aurait fait
donner des billets d'invitation à quelques particuliers de la dite paroisse
pour se trouver à une assemblée qui devait se tenir, disait-on, à l'effet de
nommer des députés pour l'élection des notables et des autres officiers
municipaux de la ville de Belvès, établis par l'édit du mois de décembre 1767[357]
et que cette nouveauté les a d'autant plus surpris qu'ils n'avaient point
accoustumé de participer à l'administration politique de cette ville[358]
; que en cherchant quelle en pourrait être la cause, ils ont appris que
quelques particuliers de Belvès... avaient prétendu dans des mémoires adressés
au procureur général de Bordeaux, que la paroisse de Montplaisant et quelques
autres du voisinage ne forment qu'un même corps avec la communauté de Belvès,
afin de faire mettre cette ville au rang de celles où il doit y avoir un maire
et deux échevins et de faire casser plus facilement l'élection qui avait été
faite dans une autre forme...
Les paroisses de
Montplaisant et Saint-Pardoux (nous ne savons rien pour Sagelat et Saint-Amand)
protestaient contre l'union avec Belvès ; leurs habitants craignaient d'avoir à
supporter par là des charges nouvelles, auxquelles ils avaient échappé jusque
là; ils redoutaient les ennuis et les pertes de temps que pourrait leur donner
la qualité de notables, et ils protestaient contre l'association avec Belvès «
et que s'il y a quelques anciens vestiges d'association, elle est abolie depuis
longtemps par le non usage et la possession contraire... » et pour faire
triompher leur manière de voir, ils demandaient à être reçus opposants par le
procureur général à l'arrêt du 25 juin 1768, qui avait annulé les élections
d'échevins de Belvès[359].
Qu'advint-il de
l'opposition faite par les paroisses, arriva-t-elle jusqu'à la Cour ? Nous ne
le savons pas[360]. Ce
qui est certain, c'est que de nouvelles élections furent faites suivant les
décisions de l'arrêt du 25 juin 1768, et l'organisation municipale resta sans
changement jusqu'à la Révolution, sauf en un point touchant à la nomination des
maires.
Le roi s'était réservé,
dans les édits de 1765, la nomination de maire, sur une liste de trois
candidats. Avec l'édit de 1771[361],
on revint à la nomination directe par le pouvoir, et les maires furent
perpétuels.
Les motifs ou plutôt
les prétextes furent, comme toujours, que la liberté des élections
« Devenait dans toutes les villes
une source d'inimitiés et de divisions, sur le désir que des gens, souvent
incapables, avaient de participer à l'administration, et par la cabale et les
brigues qui s'introduisaient dans les élections.... »
La monarchie voulait
garder l'autorité complète sur les municipalités ; elle redoutait
l'indépendance chez l'élu de ses concitoyens. Voilà le véritable motif[362].
L'opposition faite par les
paroisses de Montplaisant et de Saint-Pardoux montre l'oubli des obligations et
des droits du consulat. Depuis longtemps Belvès et ses officiers municipaux
n'exerçaient leurs pouvoirs que dans l'étendue même de leur paroisse ; et les
paroisses voisines qui, autrefois, formaient, avec Belvès, le district
consulaire, restaient, comme les autres paroisses de la châtellenie, en dehors
du consulat. Là se faisait jour un esprit local; on s'y habituait à décider
ensemble les questions relatives à l'église, au cimetière, au culte, à la
bienfaisance, aux intérêts généraux de la localité. Ce germe se développant
avec le temps formera les communes modernes.
Nous pouvons faire
connaître quelques faits de nature à permettre de comprendre l'organisation
rudimenlaire des paroisses.
Dans toutes les
paroisses, le clergé avait pris l'habitude de demander à l'assemblée des
paroissiens la nomination d'un fabricien ou syndic, chargé soit des intérêts
généraux du culte, soit d'une affaire spéciale.
La nomination du syndic
fabricien était faite à Belvès par une assemblée composée du curé, des
officiers municipaux et des autres habitants convoqués aux prônes, trois
dimanches consécutifs[363].
Par son testament du 17
septembre 1773, Jean Vialard, prêtre, docteur en théologie, curé de la paroisse
de Sagelat, avait légué 2,000 francs aux pauvres de la paroisse de Sagelat[364],
et le 10 octobre 1773, à l'issue des vêpres, devant la porte de l'église
Saint-Victor de Sagelat, délibération de la plus saine partie de la population
; le sieur Antoine Lorblanchés, du bourg de Fongaufier, est nommé fabricien. Il
sera syndic à l'effet de faire rentrer les 2,000 francs légués par le curé
Vialard et tout autre legs en faveur des pauvres, s'il en existe, et il en sera
déchargé sur les simples quittances du curé[365].
A Saint-Pardoux, des
réparations étaient devenues indispensables à la nef de l'église; messire Annet
de Lanzac, habitant en son château de Boussat ; Jean Rousset, seigneur de
Cladech, bourgeois; Jean Bonfils, sieur du Maine, aussi bourgeois, et Jean
Cassan, clerc, faisant la plus saine portion des habitants de la paroisse,
approuvent un projet de réparation de l'église avec devis estimatif, et
présentent requête
«
A Monseigneur l'intendant de cette province tendante à ce qu'il lui plaira
députer un commissaire à l'effet de vérifier l'état desdites
réparations ».
Leur
nécessité, le devis estimatif, et l'intendant sera supplié d'ordonner
«
Que les sommes en icellui portées seront prises premièrement sur les fonds de
la fabrique (et au cas où elles ne suffiraient pas) que les sommes seront
levées et réparties sur tous les habitants et possesseurs des fonds de ladite
paroisse de Saint-Pardoux, tant privilégiés que autres, même les forains, eu
égard aux fonds qu'ils possèdent dans ladite paroisse. »
Au syndic collecteur en charge sera confiée ladite
levée de deniers, et les réparations seront données à l'adjudication au moins
disant[366].
Ainsi, pour
l'organisation du culte, l'entretien des églises, du cimetière, des écoles, et
pour secourir les pauvres, l'assemblée des habitants de la paroisse, présidée
par le curé, nommait un syndic spécialement chargé de veiller à l'exécution des
décisions prises.
Le pouvoir central,
pour la perception des impôts décidés par lui, eut recours à cette organisation
pour en assurer la levée.
Dans une des paroisses
de la châtellenie, à Montplaisant, fonctionnait une confrérie spéciale sous le
vocable du patron de l'église, confrérie Saint-Jean-Baptiste; elle assurait des
amusements pour le jour de la fête votive et des cérémonies religieuses. A cet
effet, les confrères choisissaient un roi, une reine ; c'étaient ceux qui
avaient offert la plus grosse somme pour la fourniture de la cire, l'émolument
des curés voisins venus pour le service religieux. Les familles les plus
importantes du pays recherchaient cet honneur. En 1644, les Perponcher,
habitant le château de Bosredon, eurent ainsi la direction de la fête patronale[367].
Nous ne savons pas si les choses se passaient de la même façon dans les autres
paroisses de la châtellenie.
Dans tous les cas, et
sans insister davantage, nous voyons dans chaque paroisse une organisation
rudimentaire, en vue d'assurer et de protéger les intérêts généraux des
habitants.
Le pouvoir central
cherchera à consacrer ces pratiques, en voulant qu'il soit établi un syndic
perpétuel dans chaque paroisse[368];
et puis, viendront les temps modernes, qui feront sortir de la paroisse, la
commune, et généraliseront pour le pays tout entier un régime municipal, moius
libéral que celui de nos villes consulaires du moyen âge, mais le rappelant par
bien des caractères.
Appendice
au chapitre II
Liste
des Consuls, Syndics, Bayle et Juge de la ville et juridiction de Belvès.
CONSULS
ET SYNDICS |
BAYLE et receveur des droits |
JUGE lieutenant
de juge |
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1391.
Le bayle de l'archevêque était Raymondus dictus Paris[369]. |
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1470.
Nobles Gaston de Verdon, Bosco de Serval. Anthoine
de la Moissie, bourgeois. Et Jacques Vaurès,
bourgeois [370]. |
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1477.
Petrum, de Puechots, bajulum de Bellovidere [371]. |
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1494.
Consuls, Gaston de Verdon, noble. Jean
de Juliac. Jean
Labrousse. Galbertus de Pecharry
et Antoine de Ribier, syndics[372] |
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1525.
Noble François de Verdon, escuyer, seigneur du Ruffenc. |
1er
novembre 1502, provido viro Petro de Conroso mercatori de B. V. assentatori
hemolumentorum dicti domini Burdigalensis[373]. |
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Noble Gaston de Limeilh, sieur de Monrodier. Bourgeois François Lescure dit Kanil, marchand. Anthoine
de la Moyssie. Ganthonnet
Veziat et Guillaume Petit, syndics[374]. ………………………. Jean
Sepety, syndic. ………………………. 1530.
Nobles François de sieur
du Ruffenc. Gaston
de Bosredon. Jean Vaurès. Jean Sepety, syndic[375]. |
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Jehan
Tinel, bayle, fermier de Monseigneur[376]. |
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1531.
Guillaume de Philipparie, juge de la ville. Guillaume
Bontemps, procureur d'office[377]. |
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1549.
Me Guillaume Barrière, Durand de Lescure, Jean Vaché, Vierge,
consuls[378]. 1550.
Gui Tinel, consul. ………………………. ………………………. ………………………. Me Guillaume de Philipparie le
jeune, syndic de la ville. Noble et
puissant seigneur Françoys de
Caumont, seigneur de Berbiguières et de Rouffiniat, gouverneur pour M. le
rev. cardinal du Bellay, archevêque de Bordeaux. |
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Etienne
Besse, sergent de parole[379] |
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CONSULS ET SYNDICS |
BAYLE |
JUGE, lieutenant de juge,
Procureur d'office. |
Jurats,
Belvès : 1° Pierre Delmont ; 2° Jehan Pecharry ; 3° Géraud Lescure; 4°
François Dufour; 5° (pour St-Pardoux) Antoine Gamot; 6° (pour Sagelat) Martin
Viguié ; 7° Jehan Cassaigne, pour Montplaisant, absent ; 8° Gilles Pélenque,
pour St-Amand, absent[380]
. 1559.
Guillaume Barrière, un des syndics[381]. 1560.
Barrière, Durand Lescure, Jehan Vierge, consuls[382]. 1567.
Loys de Palisse, escuyer, seigneur de Saint-Pompon & Jehan Brousse, Ray.
Delmont, consuls. Gabriel
Bru, notaire royal, syndic de la ville[383]. 1571.
Jean Roumegoux, Etienne Lacroix (ne sait signer), consuls. Jean
Aumar, Me Hélies Bonfils, syndics de la ville[384]. |
Guillaume
Bontemps, procureur général de l'archevêque. Jehan
Tinel, bailhe de la juridiction[385]. Pierre
Graffeilhe, bailhe de la présente juridiction [386]. |
1559.
Guillaume de Philipparie, juge ordinaire[387]. Roussel,
procureur d'office. 1571.
Geraud Lescure, notaire royal, procureur d'office[388]. Jean
Pecharry, procureur d'office[389]. |
1599. 1600.
Jehan de Philipparie, Pierre Rousset, Consuls. Guillaume
Vielfon, Pierre Francès, Syndics. Jurats
de Belvès : Jehan Bonnet, Simon Lescure, Jean Laville[390]. 1623.
Jean Sauret, notaire royal, syndic de la ville. (B. N. Fonds Périgord :
vidimus de la capitulation de 1442). |
1627
à 1631 et antérieurement à 1639, P. Barde, bailly de Belvès (non installé). |
Mathurin
Philipparie, procureur d'office[391]. Jacques
Merle, juge. Jean
Philipparie, lieutenant de juge[392]. 28 avril 1612. G. Bonfilh de la Moissie, juge de
la ville[393]. 22
octobre 1619. Guillaume Bonfils, sieur de la Moissie procureur d'office de la
juridiction de Belvès.(Papiers Bonfils Lascaminade.) 1627.
Marc Géraud de Palisse sieur des Plantades, bâchelier en droit, juge de la
présente ville et juridiction, mort le 4 novembre 1640. (Livre de raison de
Pierre Bessot[394]. 1639.
Guillaume de Roumegoux, lieutenant de juge[395]. |
(…)[396]
(A suivre.)
A.
VIGIÉ.
pp. 539-596.
HISTOIRE DE LA CHATELLENIE DE BELVÈS
(Suite).
ADDITION
A LA LISTE DES OFFICIERS MUNICIPAUX
De nouvelles recherches,
faites pendant l'impression du précédent numéro du Bulletin, nous permettent de compléter notre liste en quelques
points :
CONSULS ET SYNDICS |
BAYLE |
JUGE Lieutenant
de juge Procureur
d'office |
1623. Consuls : Simon Lescure, Pierre Fauvel. Syndics: Jehan de Bonnet, seigr du
Carlou; Jehan Sauret[397]. 1624. Consuls : H. Bonfilh, G,
Lacroix. |
1599. Pierre et Reymond Delmon,
fermiers des droits de greffe et de seigneurie[398]. |
1595 (acte du 14 nov.) Jehan de Romegous,
bachelier en droits, juge ordinaire du dict Belvès. Bonfilh, greffier. 1602. Bernard Sauret, procureur
d'office[399]. 1608. G. Bonfilh, procureur d'office. 1609. Villavialle, greffier de la Cour [400]. |
(…)[401]
CHAPITRE
III.
Organisation
judiciaire.
L'archevêque de
Bordeaux, comme dous l'avons vu plus haut[402],
à titre de seigneur, était investi, dans l'étendue de la châtellenie de Belvès,
de la justice haute, moyenne et basse. Cette justice, de quelque nom qu'on
l'appelle, féodale ou seigneuriale, fonctionnait suivant les principes admis
dans le droit féodal. Si le seigneur, par devoir, était tenu de mettre fin aux
contestations qui s'élevaient entre ses vassaux, ces derniers avaient le droit
et le devoir de venir siéger à la cour de justice.
En outre, le seigneur,
investi de l'autorité souveraine dans l'étendue de la seigneurie, eut aussi le
droit de juger ceux qui ne relevaient pas de lui, féodalement parlant; il eut
dans la seigneurie les droits qui, a toute époque, ont été reconnus au pouvoir
souverain.
A Belvès, comme dans
toutes les seigneuries, l'organisation judiciaire a traversé des phases
multiples.
A l'origine, les
vassaux tinrent à honneur de venir siéger à la cour seigneuriale; plus tard,
ils se désintéressèrent ou se déshabituèrent peu à peu de l'accomplissement de
ce devoir, et le seigneur dut juger seul ou charger des fonctionnaires spéciaux
du soin de rendre la justice.
A l'époque où furent
rédigées les Coutumes de Belvès, nous sommes dans la première période :
S'il baile del Sor a doas partidas en sa
ma, per nom de clam, el deu tener cort legal dels cavaliers et dels proshomes[403].
Le baile agissait dans
ce cas, comme représentant le seigneur, généralement absent; mais si le
seigneur se trouvait à Belvès, il avait toujours le droit de présider la cour
seigneuriale[404].
Juger était l'apanage
de la souveraineté ; mais, à côté du droit honorifique, des droits pécuniaires
importants vinrent bientôt s'attacher à l'exercice de la justice, sous forme de
droits de greffe et de droits de présence pour le magistrat qui siégeait.
Le baile ne devait
prélever ses droits de présence qu'à la fin du procès ; il avait droit à 2
sous, du perdant, pour chaque jour affecté au procès ; et au cas de défaut, la
partie défaillante devait le droit de présence au baile :
Lo bayles no lève autres messions
trosques lo diffiniment del plach et à la doncas de totz los dias que aura
tenguda cort, lève dos sos de quada dia del vencut, et de jour defalhit II
sols.
Mais le droit de présence
n'était perçu qu'une fois seulement, lors même que plusieurs procès seraient
portés le même jour devant la cour; tous ceux qui succombaient dans leurs
prétentions, et tous ceux qui faisaient défaut, contribuaient au droit unique
qui était perçu,
... Et s'il Sr ol
bayles, lo jour que tenran cort, en aysi come es sobredich, av[i]an d'autres
plachs oi sorsion de dos en sus, aquils plachs ajudessan à paguar cumenalment
las messios sobredichas
Mesure sage de nature à
diminuer les frais de justice et à les maintenir à un taux raisonnable.
Si l'assignation était
donnée devant le seigneur lui-même, et que celui-ci eût intérêt à venir
présider la cour, les droits de présence dus au seigneur étaient payés à la fin
du procès, suivant le nombre de jours d'audience. Mais le taux du droit de
présence reste indéterminé, en présence du texte de la Coutume :
... El Sr
lèves sas messios, al diffiniment del plach, d'aytans dias cum lo plach se
plaigura davan luy, rasonablas a si sies de homes a caval... [405].
Le copiste a-t-il, bien
ou mal, reproduit l'original? Nous ne pouvons le savoir; mais la lecture est
certaine; le texte nous a paru vouloir dire que le seigneur avait droit à des
jetons de présence, tels qu'on les donnerait à six hommes nobles, c'est-à-dire
six fois plus élevés que les droits de présence du bayle. Et si l'on réfléchit
que le seigneur devait venir de Bordeaux, qu'un déplacement était onéreux,
surtout si l'on tient compte de sa dignité, de la nécessité de voyager avec une
suite nombreuse, les droits de présence, tels que nous les avons fixés, n'ont
rien d'exagéré.
Dans tous les cas,
quelle que soit l'interprétation donnée au texte, la pensée certaine est que
les droits de présence du seigneur sont plus élevés que ceux du bayle ; et on
s'explique alors la restriction contenue dans la fin de l'article,
... Et s'il Sr venia
per aventura o ern en la vila lo jour quel bayles auria dat, si davan lo Sor no lo avia assignat, lo Sor no y aga messions,
Si donc le seigneur se
trouvait par hasard à Belvès, ou si l'assignation n'avait pas été donnée devant
lui, quand bien même, dans ces cas, il viendrait présider la cour, il ne
pouvait prétendre à ses droits de présence : ceux-ci avaient été fixés, en vue
d'un déplacement du seigneur pour venir présider la cour; les droits de
présence restaient, dans les cas cités, ceux que le droit commun avait fixés
pour le bayle.
Quant aux vassaux,
cavaliers ou proshomes, qui venaient figurer « à la cort légal dels cavaliers et dels proshomes », ils
remplissaient un devoir de leur condition, ils ne paraissent pas avoir joui de
droits de présence ; car, s'ils en avaient touché, les frais de justice
auraient été augmentés d'une manière démesurée, et comment comprendre
l'abstention des vassaux à paraître à la cour de justice?
A l'époque que nous
étudions, les seigneurs avaient accepté en principe la possibilité de l'appel
contre les décisions judiciaires émanées de leurs juridictions. Le sénéchal de
Bigarroque, juge seigneurial de l'archevêque, était le juge d'appel des
décisions rendues par les, juridictions seigneuriales de la châtellenie de Belvès.
En outre, la royauté
fit bientôt admettre que l'appel des décisions rendues par les j ustices
seigneuriales, était toujours possible et devait être porté devant les
juridictions royales ; pour les justices seigneuriales de la châtellenie, ou de
Bigarroque, l'appel était recevable devant le sénéchal de Périgueux ; puis, à
partir de sa création, devant le sénéchal de Sarlat et enfin devant le
Parlement.
L'aliénation par
l'archevêque de ses droits de justice, dans une des paroisses de la châtellenie
, entraînait pour cette paroisse l'organisation d'une justice seigneuriale
particulière, relevant du titulaire de la justice; de même l'organisation du
consulat avait entraîné, au profit du collège des bayle et consuls attribution
de la basse justice ; de là une juridiction municipale appartenant au collège
des bayle et consuls et organisée, suivant les dispositions de l'article 26 de
la transaction du 10 février 1470.
La cour municipale
était présidée par les bayle et consuls ; mais ceux-ci pouvaient élire un
assesseur pour présider la cour municipale à leur place ; les Coutumes de
Belvès supposent l'existence de l'assesseur et fixent ses droits de présence[406].
A l'origine et pendant
assez longtemps, les bayle et consuls, ou l'assesseur, étaient aidés dans leurs
fonctions judiciaires par les personnes inscrites sur les contrôles du
Consulat, qui siégeaient comme jurés, quand les bourgeois eurent perdu
l'habitude de venir siéger comme jurés, les bayle et consuls rendirent seuls la
basse justice.
Le bayle, aidé des
vassaux de l'archevêque, el au cas où l'archevêque était absent de Belvès,
présidait la cour seigneuriale. Quand les vassaux ne vinrent plus aux plaids,
l'archevêque nomma des fonctionnaires, chargés spécialement de rendre la
justice ; il y eut un juge pour la juridiction, un lieutenant de juge, à leur
défaut un ancien praticien, et, à côté d'eux, le procureur d'office,
représentant de l'archevêque, et jouant un rôle analogue à celui du ministère
public devant nos juridictions[407].
L'archevêque de
Bordeaux, comme seigneur de Belvès, était investi de la justice haute, moyenne
et basse, dans la paroisse de Belvès et dans toutes les paroisses faisant
partie de la châtellenie.
Mais, ces droits furent
limités, en premier lieu, par les aliénations consenties par l'archevêque sur
ses droits de justice, et en second lieu, par les empiétements que firent, au
détriment de ses droits, les seigneurs voisins.
a)
Aliénations par l'archevêque de ses droits de justice.
I. — En ce qui touche
la paroisse de Belvès et les quatre paroisses, qui, avec celle-là, formaient le
consulat de Belver (St-Amand, St-Pardoux, Montplaisant, Sagelat), l'archevêque
avait aliéné l'exercice de la basse justice, au profit du collège des bayle et
consuls ; par suite, les droits pécuniaires, perçus à l'occasion de la basse
justice, furent partagés par moitié ; l'archevêque eu eut la moitié ; l'autre
moitié appartint aux consuls[408].
Cet état de choses dura sans modification, jusqu'à la Révolution française.
II. Cependant, à une
certaine époque, l'archevêque avait modifié cette situation, en ce qui touche
la paroisse de St-Amand.
Il résulte des pièces
et documents conservés aux Archives départementales de la Gironde[409]
qu'en 1587 les agents du clergé fixèrent à 450 écus, la somme à fournir par
l'archevêque de Bordeaux sur son temporel, pour les besoins de l'Etat[410].
L'archevêque présenta
requête auxdits agents, à l’effet d'être autorisé à mettre en vente, pour le
paiement de la cotisation,
La moytié de la justice haulte,
moyenne, et la quarte partie de la basse justice et tous autres droits et
debvoirs seigneriaux, qui pourroient compéter et appartenir au dit seigneur
Prévost, sur la dite paroisse de St-Amand, juridiction de Belvès...[411].
Avant d'autoriser
ladite vente, les agents ordonnèrent qu'une enquête serait faite, sur la
commodité ou l'incommodité de la dite vente, par le lieutenant général de
Guyenne ; l’enquête fut favorable à la vente ; des affiches l'annonçant furent
apposées à Belvès, à St-Amand, à la cathédrale de Bordeaux, et l'adjudication
eut lieu en 1591, en faveur du sieur de Paleyrac, pour 450 écus.
Une fois l'adjudicalion
faite, les consuls de Belvès s'opposèrent à la prise de possession par de
Paleyrac, adjudicataire, remontrant que cette aliénation était onéreuse à
l'archevêque : car elle portait sur une paroisse joignant la ville et presque
les murs de Belvès et l'une des plus productives.
Vers 1599, Msr le
cardinal de Sourdis, successeur immédiat de Prévost, appréciant la valeur des
motifs mis en avant parles consuls, demanda à M. de Paleyrac de vouloir bien
renoncer au bénéfice de son adjudication ; l'archevêque lui offrait, en échange
des droits abandonnés par lui, toute la justice et juridiction de la paroisse
de Paleyrac.
L'adjudicataire refusa
cette proposition.
L'archevêque se pourvut
alors devant le Parlement de Bordeaux contre l'adjudication de 1591, et offrit
en échange la justice de Paleyrac.
Le Parlement ordonna
une enquête qu'il confia au lieutenant-général de Périgueux, sur l'opportunité
de l'échange proposé par l'archevêque. Le commissaire-enquêteur devait entendre
les habitants de Belvès et de St-Amand.
Nous avons la copie de
la délibération de l'assemblée municipale de Belvès. D'après les consuls,
l'échange proposé n'avait que des avantages.
La dite paroisse de St-Amand est
plus honorable, plus peuplée de toute la juridiction ; elle est aussi sise
contre les murs de la présente ville, située en lieu plus utile qu'aucune autre
paroisse de la juridiction, estant aussi la dite moytié de la dite paroisse de
St-Amand beaucoup plus profitable et revenante à mon dit seigneur le cardinal,
et aussi beaucoup plus utile et profitable à la présente ville... [412].
Et comme la paroisse de
Paleyrac était beaucoup plus éloignée, et de moindre revenu, l'échange
n'offrait à l'archevêque que des avantages.
Le procès-verbal
d'inquisition fut rapporté en la cour de Parlement, et le seigneur de Paleyrac,
voyant qu'il allait perdre son procès, et être contraint à subir l'échange, y
consentit amiablement, par transaction du 27 août 1600.
En conséquence, M. de
Paleyrac renonça en faveur de Mgr le cardinal de Sourdis au bénéfice de son
adjudication et reçut en échange de ses droits de justice dans la paroisse de
St-Amand,
Les droits de haute, moyenne et
basse justice, ensemble de tous les droicts, hommage, feudalité, et directité
et tous autres droicts quelconques dans la dite paroisse de Paleyrac... [413].
Vers l'an 1612, le
cardinal de Bordeaux, voulant user de la faculté accordée par le Roi au clergé
de racheter leur temporel aliéné, introduisit en conséquence, devant le Grand
Conseil, une demande en résiliation d'aliénation contre M. de Rastignac,
donataire de M. de Paleyrac et titulaire à ce titre de la paroisse de Paleyrac.
En l'état de ces faits,
il intervint entre M. de Rastignac et l'archevêque de Bordeaux, une transaction
en date du 9 mai 1614, suivant laquelle le cardinal abandonnait sa demande en
résiliation, confirmait l'aliénation de la justice de Paleyrac, moyennant un
supplément de 2100 livres, fournis ou à fournir par M. de Rastignac[414].
Dans la suite, les
Rastignac vendirent leurs droits sur Paleyrac aux Adhémar pour la somme de
34.500 livres ; mais il est vrai de reconnaître que dans la vente, étaient
compris, avec la justice de Paleyrac, d'autres biens qu'y possédaient les
Rastignac.
Il résulte des
documents[415] que
l'archevêque de Bordeaux eut, dans la suite et à diverses reprises, l'intention
de racheter les droits aliénés sur la paroisse de Paleyrac ; mais il ne fut
donné aucune suite à ce projet; et l'archevêque n'eut plus la justice de
Paleyrac. Mais il conserva sur cette paroisse la suzeraineté et supériorité,
puisque, postérieurement à l'échange de 1600, il continua à recevoir les
hommages des vassaux pour fiefs dépendants de Paleyrac.
Cette situation se
maintint jusqu'à la Révolution, et Paleyrac constitua une juridiction locale
particulière, la paroisse de Paleyrac en forma le ressort; la justice s'y
rendit au nom des seigneurs de Paleyrac (Paleyrac, Rastignac et Adhémar) ; les
appels des décisions rendues furent portées devant le sénéchal de Bigarroque,
juridiction seigneuriale supérieure, et devant les sénéchaussées royales,
Périgueux et Sarlat.
III. — Les mêmes
circonstances qui avaient forcé l'archevêque de Bordeaux à aliéner la justice
des paroisses de St-Amand et de Paleyrac, l'obligèrent à céder les justices de
Doissac et de Grives. Le 28 avril 1566, messire Geoffroy de Caumont avait
acquis, moyennant 7.000 livres, des subdélégués qui procédaient à l'aliénation
du temporel de l'église St-André et de l'archevêché, les justices de Grives et
de Doissac et les enclaves de la paroisse de St-Laurent, et les cens, rentes,
hommages et autres devoirs appartenant dans ces régions à l'archevêque de
Bordeaux[416].
En 1567, les consuls de
Belvès, d'accord avec les jurats, supplièrent l'archevêque de Bordeaux de
consentir à la vente du restant du bois de la Bécède, dévasté par les paysans,
pour racheter les paroisses de Douazac [Doissac] et Grives, qui avaient été
aliénées pour le paiement des deniers, imposés par le Roi sur le temporel des
archevêques de Bordeaux[417].
Cette proposition ne
fut pas suivie d'exécution.
Le 15 janvier 1579,
dame Marguerite de Lustrac, veuve du dit Caumont, vendit à messire Geoffroy de
Vivans.gouverneur de Périgueux, les choses aliénées au profit de son mari, dans
les paroisses de Grives et Doissac.
En vertu du droit donné
par l'édit du Roi, de racheter le temporel aliéné, à la charge de rembourser le
prix d'aliénation, Mgr le cardinal de Sourdis fit assigner, au Grand Conseil,
Jean de Vivans, pour obtenir le délaissement des choses aliénées (justice,
etc.)
Le Grand Conseil
condamna Vivans, autorisa le rachat sous la condition du remboursement du prix
principal (7.000 livres), des loyaux coûts, frais et es dépenses utiles et
nécessaires, faites par les acquéreurs sur les choses aliénées.
L'archevêque n'opéra
pas ces remboursements, et Vivans était sur le point d'assigner l'archevêque au
Grand Conseil, en vue d'obtenir l'exécution de l'arrêt rendu, ou, à défaut, de
faire prononcer la déchéance de l'archevêque, au bénéfice de la décision.
L'archevêque avait peu
d'intérêt au rachat ; les revenus de ces justices étaient peu élevés, les
sommes à rembourser importantes. Il consulta le chapitre des chanoines, et il
fut convenu (1613) que si le sieur de Vivans consentait à donner à
l'archevêque, une somme de 3134 livres, à titre de plus-value des justices, du
jour de la première vente à l'époque actuelle, l'archevêque s'engagerait à
affecter cette somme à l'amélioration du palais archiépiscopal, et à la
réparation du mur de la ville et de la tour de l'archevêché et renoncerait au
bénéfice de l'arrêt, en résiliation de vente, obtenu par lui au Grand Conseil.
Cette transaction fut
acceptée par Vivans ; celui-ci fit confirmer à son profil, l'aliénation des
justices de Grives et de Doissac, aliénation dont les effets se continuèrent
jusqu'à la Révolution française[418]
et chacune des paroisses de Doissac et de Grives forma une juridiction
particulière distincte.
IV. — Probablement, à
la suite de circonstances analogues, la justice de la paroisse de Ste-Foy fut
aliénée, au profit de Blaise d'Aydie, chevalier, seigneur de Vaugoubert,
Campagnac, St-Laurent et autres lieux, moyennant le prix de 4.200 livres, et
sous l'hommage d'un écu d'or à chaque mouvance du seigneur ou du vassal. L'acte
d'aliénation fut passé devant Me Charbonnier, notaire à Bordeaux.
Cette aliénation ne
produisit ses effets que fort peu de temps. En effet, l'archevêque excipa que
la chose vendue était inaliénable, et en conséquence le 4 août 1661, il obtint
le rachat de la justice de Ste-Foy indûment aliénée, et remboursa à l'acquéreur
le prix avec les intérêts et loyaux coûts.
b) Empiétement par les
seigneurs voisins, dans le ressort de la justice de l'archevêque de Bordeaux.
Des causes d'une autre
nature firent perdre à l'archevêque de Bordeaux ses droits de justice, sur
certaines parties du territoire de la châtellenie : ce furent les usurpations
sanctionnées ou tolérées, sur le ressort de la justice de l'archevêque par les
seigneurs voisins.
L'exercice de la
justice dans une localité était la marque certaine de la souveraineté, et en
outre, à l'occasion de la justice, se percevaient des droits pécuniaires
importants; aussi les seigneurs devaient-ils veiller avec un soin scrupuleux
sur le maintien des circonscriptions judiciaires, et réprimer les usurpations,
si elles venaient à se produire : de là, l'usage de marquer au moyen de bornes
inscrites la limite des juridictions[419].
Mais ces précautions ne
suffisaient pas à empêcher les usurpations ; et il résulte des renseignements
que nous fournissent les Archives de la Gironde, que l'archevêque de Bordeaux
eut à défendre ses droits de justice, devant toutes les juridictions (sénéchal
de Périgueux et de Sarlat, Parlement de Bordeaux), contre les usurpations que
se permettaient à son préjudice, les seigneurs voisins[420].
Il en fut ainsi entre
l'archevêque de Bordeaux et les coseigneurs de Siorac [nobles Jean d'Abzac et
Bozon de Syreuil], à l'occasion de terres entre les territoires de Belvès et de
Siorac vers Raunel et touchant aux dépendances du Mas de Renardies[421]
; à l'occasion, du Mas de la Boissière, paroisse d'Urval[422],
et des dépendances de Castelréal[423]
(paroisse d'Urval).
Ces procès paraissent
avoir été terminés par des transactions dont nous ne connaissons pas les termes
et aussi quelquefois par abandon des prétentions de l'archevêque à suite de la
négligence de ses représentants[424].
Un autre débat eut lieu,
de ce côté de la juridiction, entre l'archevêque de Bordeaux et le couvent de
Cadouin, à l'occasion de territoires de la Bécède, et de la partie de la forêt
vers Cadouin, au delà de la Croix de la Palme ; à ce procès furent associés les
consuls de Belvès, comme propriétaires de la forêt avec l'archevêque et les
habitants du Buisson de Cabans, comme tenanciers, du chef du couvent de
Cadouin, de portions de la Bécède dépendantes de l'archevêque et des consuls de
Belvès.
Les habitants du
Buisson reconnaissaient le droit de l'archevêque et lui payaient les
redevances.
Dans ce procès, on
accusait l'abbé de Cadouin d'avoir déplacé la Croix de la Palme, et l'assiette
du chemin : il est rappelé à ce propos que Artus de Montauban, se trouvant à
Belvès en 1488[425]
[1478], fut invité par l'abbé à aller à Cadouin célébrer les fêtes de la
nativité de Notre Seigneur ; l'abbé avait fait fermer l'ancien chemin et en
avait fait ouvrir un nouveau ; l'archevêque, à son retour, s'étant aperçu du
changement dans l'état des lieux, fit fermer le nouveau chemin et ouvrir
l'ancien.
Ce procès fut
successivement porté devant la cour de Belvès, devant les sénéchaux de Sarlat
et de Périgueux et devant la cour de Parlement de Bordeaux « et dormit a parte
dicti Burdigalensis archiepiscopi[426] ».
A l'ouest, la
juridiction de Belvès touchaitaux juridictions des seigneurs de Montferrand et
de Montpazier ; une pierre levée vers la paroisse de Saint Marcory marquait la
séparation des territoires de Belvès, de Montferrand et de Montpazier[427].
De ce côté, la
juridiction englobait la paroisse de Vielvic, et, dans la paroisse de Bouillac,
le village de Soysials ; le seigneur de Montferrand, au xve siècle,
avait tenté d'usurper la juridiction de ce dernier village.
Où faut-il placer le
village de Soysials ? Ce nom n'a été conservé par aucun village des environs de
Bouillac, mais d'après la position que lui donne le texte suivant :
Mansi de Soysials, parrochie de
Bolhaco, ultra rivum de Soysials sive del Raffenc a parteé Montis ferrandi[428].
On doit admettre que
Soysials est un des villages de la paroisse de Bouillac, entre Bouillac et
Campagnac del Ruffenc, par exemple le village de Bourdon entre Bouillac et La
Brunie[429].
La juridiction de
Belvès comprenait la paroisse de Fongalop : là, encore un débat s'était élevé
entre l'archevêque de Bordeaux et Jean, seigneur de Montferrand de Périgord.
A l'occasion desmanses
« de la Peytamma(?), de la Subataria et del Ruffenc vielh, sitorum in parrochia
Fontis galam ».
Comment identifier ces
localités? Elles sont placées d'après le document (série G. 225) :
In parrochia Fontis galam, inter
mansum del Buc peytam, repayrium del Ruffenc, a parte Bellovidere, mansum de
Soyssials et nemus dicti domini Montisferrandi.
Or, le bois du seigneur
de Montferrand est cette partie boisée, désignée par la carte de l'état-major
sous le nom de Laforêt, le long de la frontière ouest de la paroisse de
Fongalop ; le buc Peytam, repaire relevant del Ruffenc, me paraît être le But de la carte d'état-major; nous
identifierions la Peytamma (?) ou Peytania avec le Pélonnier, sans pouvoir dire
où étaient les manses de la Subataria et del Ruffenc vielh.
Un débat s'était aussi élevé à
l'occasion des domaines de la Tholosania et del Plaisat,
Contiguorum sitorum in jurisdictione
de Bellovidere praedicta et super parrochia Fontisgalam, confrontatorum cum
pertinentiis dictorum mansorum de la Peytammia et del Buc Peytam et cum nemore
sive foresta dicti domini Montisferrandi et cum itinere quo itur de Bellovidere
versus Montemplasencium[430]
a parte Fontisgalam et cum pertinenciis de la Noylia et possessionum et
terrarum hominum parrochie Sancti Mercorii.
Les localités
contestées doivent donc être recherchées entre la forêt du seigneur de
Montferrand, le Pélonnier, le But, Fongalop et St-Marcory, d'après le texte
cité, et d'après les identifications antérieures ; malheureusement, aucun des
noms de la carte d'état-major, ni des cadastres, ne correspond aux vocables
anciens.
Nous n'avons pu nous
procurer aucun titre ancien, relatif à cette contrée et permettant une
identification certaine[431].
Enfin de ce côté, la
juridiction de l'archevêque comprenait la paroisse de St-Marcory ; mais des
difficultés s'étaient élevées entre l'archevêque et le seigneur de Montferrand,
sur la juridiction de la Peyronia, alias de las Speronias, du tenement de
Clopeyrat contigu au précédent, et des tenements del Mas Sancti Mercorii.
Ces tenements, sis dans
la paroisse de St-Marcory, étaient séparés des terres du seigneur de
Montferrand par un chemin : il est facile d'identifier la Peyronia ou las
Speronias, avec les Esperonnies de la carte d'état-major ; Clospeyrat est
probablement les Ombradoux, et les villages de mas modernes, qui suivent, n'ont
pas changé de nom. Tels étaient les tenements divers, depuis Soyssials
(paroisse de Bouillac) jusqu'à ceux du Mas (paroisse de St-Marcory), dont le
seigneur de Montferrand de Périgord cherchait à usurper la juridiction.
L'archevêque de
Bordeaux pouvait prouver ses droits et par des titres certains et par de
nombreux témoignages : pour Soyssials, par les titres de la Bourelie et de
Gaston de Verdon.
Pour les tenements de
la Sabataria et du Pélonnier par le titre de noble Bosco de Serval ; pour le
mas de la Tolosama, par le titre de Arnauld Albarel, de Belvès, dont les
ancêtres avaient eu la propriété ; pour le mans de Pleysac, par les titres du
seigneur de Blanquefort ; pour les tenements de las Esperonies et del
Clopeyrat, par un titre ancien de Pierre de Bosredon, qui proclame que ce
tenement est situé « in honore et jurisdictione de Bellovidere » et aussi par
les titres de la chapellenie du Caillau, seigneur féodal dudit tenement[432].
Et, malgré ces preuves
certaines au profit de l'archevêque, le seigneur de Montferrand, dit noire
titre, « tenuit suam curiam in dicto manso de las Speronias. »
Et le rédacteur ajoute
:
Ergo provocavi et relevavi in
curia domini senescalli Petragorencis et partes hinc et inde se presentaverunt
et processus dormit et pecie sunt in sacco quod fuit traditus magistro Johanni
de Cruce I [433]
Malgré le ton quelque
peu découragé du rédacteur, on peut affirmer que les droits de l'archevêque
furent reconnus ; car, jusqu'à la Révolution, l'archevêque de Bordeaux resta
seigneur sans contestation et justicier, dans les paroisses de Vielvic,
Fongalop et St-Marcory[434].
Au sud de la
juridiction, l'archevêque de Bordeaux eut aussi des difficultés avec ses
voisins, les consuls de Villefranche, relativement à la juridiction de La Trape
et d'une partie de celle de Prats, la partie, du côté de Villefranche, au-delà du
chemin qui sépare l'église de la maison seigneuriale. Un procès avait été
engagé sur ce point au Parlement de Bordeaux, à la fin du XVe siècle[435].
Mais le procès ne fut pas suivi par les officiers de l'archevêque « et
processus dormit ex negligentia officiariorum domini » et au xviie
siècle, les consuls de Villefranche (16 mars 1627) demandèrent au juge
seigneurial de Belvès, de déclarer qu'il n'avait aucun droit au nom de
l'archevêque à la juridiction de la partie de la paroisse « au delà de la rue
qui passe par le milieu du bourg de Pratz allant du bout du bourg à la fontaine
du dit lieu »[436].
C'était l'ancien débat,
qui reprenait ainsi, et il est certain que les consuls de Villefranche avaient
dans la partie indiquée, du côté de Villefranche, la juridiction ; leur
possession ancienne constituait leur droit et l'archevêque de Bordeaux ne garda
dans sa juridiction qu'une faible partie du territoire, celle qui, au-delà, de
la ligne sus-indiquée se trouve du côté de Belvès[437].
De ce côté,
l'archevêque avait perdu et compromis ses droits, et suivant le n° 225,
confirmé par d'autres documents, l'on peut résumer la série des faits.
La paroisse de Prats
avait appartenu à un certain Laboria, qui voulut se rendre indépendant ; sa
révolte entraîna, de la part du roi de France, la main-mise sur les paroisses
de Latrape et Prats.
L'archevêque de
Bordeaux en était seigneur suzerain, qualité qui était reconnue par les anciens
tenanciers (la famille de Paleyrat notamment) qui prêtaient hommage à
l'archevêque pour leurs possessions de Prats.
Ses droits résultaient
encore de la réserve faite par le roi de France dans la cession de ces
paroisses (en 1287) au roi d'Angleterre en paiement de 758 livres de rente ; le
roi expliquait que l'archevêque prétendait droit à la juridiction, et s'il
pouvait en justifier, on donnerait une indemnité raisonnable à l'anglais. En
fait, l'archevêque obtint à son profit la levée du séquestre royal.
Mais, comme pendant le
procès, la juridiction avait été mise sous séquestre (entre les mains du bayle
de Sauveterre d'Agenais [aujourd'hui Sauveterre la Lémance] et du bayle de
Villefranche), les consuls de Villefranche avaient usurpé la juridiction de la
partie la plus rapprochée de leur ville.
Les officiers de
l'archevêque, par la négligence à soutenir le procès engagé et rappelé plus
haut, et à exercer la juridiction, avaient entraîné la perte des droits de
l'archevêque, sur cette partie de la châtellenie de Belvès.
L'archevêque de
Bordeaux avait dû perdre de la même manière ses droits sur La Trape, qui,
jusqu'à la Révolution, fut comprise dans la juridiction de
Villefranche-de-Périgord [autrefois Villefranche-de-Belvès][438].
A l'Est, la juridiction
de l'archevêque de Bordeaux touchait aux domaines du seigneur de Castelnau ;
dans cette partie de son district judiciaire, l'archevêque de Bordeaux se
laissa dépouiller d'une partie de ses droits. Voici les renseignements que nous
fournit le catalogue des procès de l'archevêque[439].
Sur les confins de la
paroisse de Doissac, le seigneur de Castelnau s'était emparé de son autorité,
au xve siècle, de la juridiction sur la motte de Rauziac ou de Gasques [La
mothe haute] et sur la forêt d'Auriole, territoires antiques ; il fondait sa
prétention sur l'acquisition qu'il aurait faite de la fondalité de noble Pierre
de Paleyrac et de Bertrand, son fils.
C'est sur ces mêmes
titres que l'archevêque basait la contestation ; car ils prouvaient que les
vendeurs étaient des vassaux de l'archevêque.
Une transaction, dont
nous ne connaissons pas l'objet, eut lieu sur cette difficulté entre
l'archevêque Jean de Foix (1501 à 1529) et le sire de Caumont, seigneur de
Castelnau.
Sur un autre point de
la paroisse de Doissac, le seigneur de Castelnau prétendait aussi juridiction et
fondante, sur le territoire de Batbuoc et sur son église [aujourd'hui Babiot
(carte de l'état major) église en ruine].
Le fait en lui-même ne
pouvait être contesté, et il avait été mis en évidence par une enquête faite
par Philiparie, à Doissac, au résultat de laquelle il avait été constaté que la
paroisse de Doissac
Ultra jurisdictionem de
Bellovidere se extendit in jurisdictionem Castri novi in aliquibus partibus.
(G. 225) A. D. G.
Mais bientôt, nous l'avons
vu plus haut, l'archevêque vendait à M. de Caumont, la juridiction des
paroisses de Doissac et de Grives : et par là, se trouvaient n'avoir plus
d'intérêt les usurpations imputées à M. de Caumont sur ces paroisses.
La châtellenie de
Belvès, et partant les droits de l'archevêque, s'étendaient sur certaines
dépendances de la paroisse de St-Laurent-de-Castelnaud. Les lettres du duc
d'Anjou en 1372 l'ont constaté, et les actes de l'archevêque, soit antérieurs,
soit postérieurs à cette date, confirment ses droits : ainsi en 1279, nous
voyons l'archevêque de Bordeaux confirmer la fondation du prieuré de
Beaulieu...
Qui prioratus est situs inter
iter praedictum quo itur de Sancto Pomponio versus Bellovidere et mansos de la
Sudria inter parochias Sancti Laurentii et dicto Doyssaco... (G. 225).
Et il ne pouvait faire
cet acte, qu'à titre de suzerain ; el de même, dans la suite, les officiers de
Pierre Berland arrentèrent les tenements du Pech ou Puy de Moncuc, jusqu'à la
fontaine de Sercus : ce qui était un acte démontrant la seigneurie de
l'archevêque sur ces tenements. Mais les droits de l'archevêque avaient été
méconnus, depuis bien des années, par le seigneur de Castelnau : celui-ci avait
occupé la juridiction du Pech de la Gaute, et des tenements de Moncuc, le long
du chemin qui joint St-Pompon et Belvès jusqu'à la combe qui sépare le bourg de
St-Laurent du mas du Bouysson.
Quae occupatio est et fuit multum
antiqua quia sunt bene octo viginti anni elapsi et ultra quod erat debatum
pendens. .. (G. 225)
De même, il y avait une
vingtaine d'années, dit le rédacteur du catalogue des procès, Guillaume
Philiparie, le seigneur de Castelnau avait occupé la juridiction du prieuré de
Beaulieu ; et enfin, dans la direction de Grives, des tours de la Gardelle au
mas de la Franconie, [probablement mas de la Cour de la carte de l'état-major]
et à l'occasion du chemin antique qui va de ce mas, vers le gué de Garanagara,
chemin qui rencontre etcoupe perpendiculairement à Signac, le chemin de Belvès
à Domme; des difficultés s'étaient élevées entre l'archevêque et le seigneur de
Castelnau, et elles durent entraîner sur ces points l'amoindrissement des
droits de l'archevêque, puisque jusqu'à la Révolution, ces tenements firent
partie de la juridiction de Castelnau.
Enfin, en suivant le
cercle du territoire, vers le nord-est, il existait des difficultés entre
l'archevêque et le seigneur de Berbiguières, à l'occasion de la juridiction sur
les terres et prés dépendants de Carves et St Germain, et qui, le long du
ruisseau de Grives ou de la Valetz [Valec
: de Gourgues] se trouvent entre le ruisseau et le chemin qui va de St-Laurent
au port de Fourques. Il parait qu'à l'occasion de ce conflit de juridiction, un
homicide fut commis entre le chemin et le ruisseau, vers 1482, et François de
Caumont, seigneur de Berbiguières, tint sa cour de justice, entre le ruisseau
et le chemin.
Un procès fut engagé
entre l'archevêque et de Caumont, un compromis y mit fin : le seigneur de
Berbiguières voulait en tenir compte ; mais l'arbitre de l'archevêque ne voulut
pas s'occuper de l'affaire : les choses restèrent en l'état et Charles de
Caumont, devenu seigneur de Berbiguières, garda la possession des terres et
prés contestés. Rien ne nous indique que les choses aient été modifiées dans la
suite ; au reste, le sire de Caumont devint bientôt acquéreur de la justice de
la paroisse de Grives, et partant le débat ne présentait plus d'intérêt.
Grives avec Doissac,
formèrent une juridiction locale et particulière, dont furent titulaires les
Caumont et les Vivans jusqu'à la Révolution; la juridiction de Grives fut
séparée par le ruisseau le Valec, de la juridiction de la paroisse de Carves,
juridiction locale relevant de Berbiguières, et qui au xviiie siècle eut pour
titulaire messire Joseph Geoffroy de Besson, chevalier, seigneur de la
Coste-Marobère.
Si la paroisse de
Carves forma une juridiction spéciale, cependant l'archevêque retint quelques
tenemens, qui étaient sur la rive gauche de la Valec, ce ruisseau devint la
limite des possessions de l'archevêque et du seigneur de Berbiguières[440].
La paroisse de
St-Germain relevait de la juridiction de Berbiguières.
Tels sont les
renseignements que nous avons pu réunir sur la juridiction, dans la
châtellenie de Belvès.
Ajoutons que l'abbaye
de Fongaufier formait une enclave au milieu du territoire et que l'abbaye avait
les droits de basse justice dans Fongaufier et quelques villages de la paroisse
de Sagelat, comme vassale de l'archevêque de Bordeaux.
CHAPITRE
IV.
Histoire
politique de Belvès depuis son origine jusqu'aux temps modernes.
Belvès a une origine
fort ancienne.
Mais nous ne savons
rien des premiers temps de son existence ; imitons donc la prudence du
vénérable M. Audierne, et disons avec lui : « l'ancienneté de Belvès est
incontestable, par les nombreuses médailles gauloises qu'on y trouve[441]
» et par les traces nombreuses d'établissements fort anciens.
Mais faut-il aller plus
loin, et dire avec quelques-uns, que Belvès fut le siège d'un oppidum gaulois ?
Sans doute, en face du plateau
de Belvès, au bord du plateau de la Bécède, sur les confins de la paroisse de
St-Pardoux, se trouvent les restes d'un camp romain, connu dans le pays sous le
nom de camp de César, ce qui permettrait de penser que non loin de là pouvait
se trouver quelque établissement gaulois, contre lequel les Romains eurent à se
prémunir.
Mais on doit s'en tenir
à cette seule supposition, car s'il y a eu à Belvès, un oppidum gaulois, il n'a
laissé dans l'histoire aucune trace de son existence ; et les constructions les
plus anciennes de Belvès ne présentent, en aucune de leur partie, le caractère
de constructions gauloises.
Cependant, il subsiste,
dans le territoire de Belvès, les preuves les plus certaines d'établissements
fort anciens; à côté des trouvailles de monnaies gauloises, mentionnons les
dolmens, les pierres levées, les instruments en silex de toute nature, taillés
ou polis, partout rencontrés à la surface du sol, preuves irrécusables du
stationnement ou du passage des anciennes populations[442].
Les Romains n'ont
laissé à Belvès aucune trace certaine de leur établissement ; et aucune des
constructions anciennes de Belvès ne présente le caractère des constructions
romaines.
Nous croyons donc plus
volontiers, que Belvès se rattache au haut moyen âge ; il fut le siège d'un
château important, dans l'enceinte duquel se forma la ville primitive.
Là se rencontraient les
conditions essentielles à la formation de tout centre de population ; un
établissement religieux voisin (le prieuré des Bénédictins) ; une forêt pour
fournir le bois et le gibier et la nourriture du bétail (la Bécède); une
situation forte par elle-même, et rendue plus forte par les fortifications du
château, et constituant une protection efficace contre tous les dangers de ces
époques troublées. Mais, pour cette période de formation, nous sommes obligés
de le reconnaître, les documents font complètetement défaut ; il est impossible
d'en présenter l'histoire.
Nous ne connaissons pas
le nom du seigneur, propriétaire du château; nous ne savons rien de l'histoire
de ce premier établissement et, au moment où des documents historiques
certains, s'appliquant à Belvès, deviennent nombreux, le château était détruit,
une ville, sur son emplacement et dans ses enceintes, était déjà formée. Nous
avons tâché, dans un autre chapitre, de présenter l'historique de son
développement.
Ce fut le besoin de
sécurité, qui, à Belvès, comme dans la France entière, détermina et
l'établissement du château et la fondation de la ville : en présence de
l'affaiblissement du pouvoir central, en l'absence de toute force de police
organisée, chacun ne dut compter que sur lui-même : de là les nombreux
châteaux, qui s'élevèrent partout à la place des villas et des domaines ruraux,
caractéristiques des époques romaine et carolingienne. La féodalité naquit
ainsi de la force des choses et se développa sur le pays tout entier.
La condition de Belvès,
pendant cette période, fut ce qu'a été la condition de toute agglomération
urbaine.
Cependant, de bonne
heure, sa population sut se faire, au regard de ses seigneurs, une situation
enviée, grâce à l'organisation du consulat ; et les nobles tinrent à honneur
d'assurer la paix et la tranquillité à leurs tenanciers.
Ne croyons pas
cependant, pour ces populations, à une existence très calme ; les guerres
privées furent le fléau de ces époques ; s'étendant de proche en proche, elles
intéressaient un grand nombre de familles et s'exerçaient sur de grandes
étendues de territoire : elles produisaient les effets désastreux de la guerre
étrangère, et en Périgord cette coutume se maintint fort longtemps[443].
Bien que le caractère
de son seigneur dût éviter à Belvès, dans une large mesure, le désastreux effet
des guerres privées, le territoire belvèsois eut souvent à subir les
conséquences déplorables de ces guerres que se déclaraient les seigneurs
voisins et les vassaux de l'archevêque.
En outre, situé dans
une région que se disputèrent avec acharnement les Anglais et les Français,
Belvès eut, à la fin du moyen âge, une existence fort troublée ; il fut
alternativement et à plusieurs reprises français ou anglais.
De plus placé sous la
temporalité des archevêques de Bordeaux, c'est-à-dire de seigneurs dont les
sympathies pour les Anglais étaient profondes[444]
; il dut se former au sein de sa population, grâce au consulat et à
l'indépendance de ses bourgeois, un parti français, et des luttes ont du se
produire entre le parti seigneurial et le parti français ; si la perte de nos
archives ne nous permet pas d'en fournir la preuve, notre supposition se
justifie par des événements analogues dans des cités de condition semblable à
celle de Belvès.
Enfin, au milieu d'un
pays sans cesse occupé ou traversé par les bandes armées, que n'eut pas à
souffrir Belvès des excès de tous genres, conséquences inséparables des actes
de guerre et aussi de la formation des bandes de brigands qui, la guerre finie,
pillaient et pressuraient le pays; ses fortifications le protégèrent souvent,
mais combien misérable dut être la situation de son territoire[445].
Ce sont ces points
multiples que nous voudrions étudier ; nous nous bornerons exclusivement à
Belvès et à son territoire, ne faisant quelque excursion dans l'histoire
générale que pour éclairer quelque point particulier de l'histoire belvésoise.
C'est par le traité
d'Abbeville, du 28 mai 1258, que le Périgord fut cédé à l'Angleterre :
Li rois de France donra au roi
d'Engleterre tote la droiture que li rois de France a e tient en ces trais
esveschiez e citez, c'est-à-dire de Limoges, de Cahors e de Pieregord, en fiez
e en domaines, sauf le homage de ses frères, s'il acune chose i tiennent, dont
il soient si homme, e sauves les choses que li rois de France ne peut mettre
hors de sa main par lettres de lui ou de ses anceisors[446]
.
Ce traité que, à
l'imitation des conseillers du Roi, des historiens modernes ont reproché à
saint Louis comme désavantageux :
Fut au contraire un chef-d'œuvre
de politique : il dessina nettement la situation, qui jusqu'alors avait été
fort incertaine ; il établit légalement la prédominance du Roi dans tout le
royaume en faisant reconnaître sa suzeraineté par un puissant adversaire... [447].
Et c'est par cette
considération que saint Louis répondait à ceux qui le blâmaient :
« ...Si li donna une terre
appelée Pierregort, ès contrée de Gascogne ; et la donna à li et à ses hoirs,
sur tel condition que toute la Gascogne, avec cele terre, d'ore en avant,
seroit tenue des rois de France en fieu et l'en feroit hommage ; car avant la terre de Gascogne ne
mouvoit pas des roys de France ne de leur règne... [448]
Si on objecte que les
rois d'Angleterre étaient des vassaux d'une espèce dangereuse ; tout au moins
était-il glorieux pour les rois de France d'avoir pour homme-lige le souverain
d'une des plus puissantes nations de l'Europe : au reste cette suzeraineté du
roi de France n'était pas un vain mot, et nos grands rois saint Louis,
Philippe-le-Bel, Charles V, surent en tirer un merveilleux parti dans leur
lutte contre l'Angleterre.
Au moment où le roi
d'Angleterre devenait ainsi le seigneur du Périgord, Belvès appartenait déjà,
ou était sur le point de devenir la propriété des archevêques de Bordeaux[449],
et ainsi ces derniers, pour leurs domaines du Périgord, allaient devenir les
vassaux, tout au moins les sujets du roi d'Angleterre, maitre du territoire.
Sans avoir à étudier en
détail le fonctionnement de l'administration anglaise eu France, constatons
combien les rois anglais furent attentifs à la direction des affaires du pays
conquis, prescrivant des enquêtes, ordonnant les mesures de nature à assurer
une bonne administration et à consolider leur établissement en France.
Le pays était peu
cultivé ; des bois et forêts couvraient la plus grande partie du territoire ;
la population était clairsemée. Les rois d'Angleterre, suivant en cela
l'exemple que leur avait donné Alphonse de Poitiers, au milieu des groupes
d'habitations déjà existants, fondèrent des villes nouvelles ou bastides ; ils leur donnèrent une
constitution libérale, des privilèges plus ou moins étendus, et en tirent des
foyers d'influence anglaise. Ainsi furent fondées, autour de Belvès, les
bastides de Montpazier (1273), de Beaumont (1279), devenues des chefs-lieux de
canton, de Molières, commune importante du canton de Cadouin ; à cette même
époque, fut agrandie et dotée de privilèges importants Villefranche de
Périgord, bastide fondée par Alphonse de Poitiers[450].
Les rois d'Angleterre,
devenus les souverains du pays, respectèrent les seigneuries déjà organisées :
celles-ci restèrent avec leur constitution particulière. Mais qui ne voit l'influence
que devait avoir, sur l'administration de ces seigneuries, le voisinage de
groupements urbains nouveaux, avec privilèges étendus et organisation libérale
!
Les conditions dans
lesquelles l'archevêque de Bordeaux possédait Belvès furent donc respectées par
les rois d'Angleterre : ceux-ci ne durent intervenir en rien.
Au reste, les
archevêques de Bordeaux étaient acquis à la cause des nouveaux maîtres :
ceux-ci consolidèrent leurs droits et respectèrent leurs domaines : c'est dans
ce sens que nous interprétons le traité d'échange, rapporté par Rymer, entre
l'archevêque de Bordeaux et le roi d'Angleterre[451]
: c'est une confirmation des concessions antérieurement faites à l'archevêque
de Bordeaux en Périgord.
Tout au plus peut-on
supposer que les archevêques de Bordeaux, par imitation des bastides voisines,
furent amenés à conférer à leurs seigneuries des privilèges importants,
auxquels feront allusion, en les confirmant pour l'avenir, les lettres du duc
d'Anjou, pour Belvès, en 1372, la capitulation de Belvès en 1442, et la
transaction entre la communauté de Belvès et l'archevêque de Bordeaux, Arthus
de Montauban, en 1470.
Le roi de France, à
aucune époque, n'avait accepté définitivement l'abandon de ses provinces à
l'anglais ; les réserves insérées dans le traité d'Abbeville furent habilement
exploitées par les légistes français qui surent arrêter bien des réclamations
anglaises[452].
Le roi de France
s'empressait d'approuver tout fait de nature à maintenir, à augmenter ou à
rétablir l'autorité française dans les territoires cédés ; toute entreprise
violente contre les droits du roi d'Angleterre, trouvait appui auprès du
Parlement de France[453]
ou du roi.
Si le roi de France se
plaignait des « excès, rébellions et désobéissances » du sénéchal de Gascogne,
pour lecompte du roi d'Angleterre, au « mépris et irrévérences » de l'autorité
du roi de France et pouvait en donner des preuves nombreuses[454],
le roi d'Angleterre se plaignait de son côté des nombreuses usurpations des
agents du roi de France faites au mépris des traités.
A cet égard, dans un
mémoire très important s'appliquant à la fin du XIIIe siècle, se
formulent les plaintes du roi d'Angleterre, contre les usurpations de toute
nature, imputées au roi de France ou à ses adhérents dans les pays cédés : à ce
moment Belvès était redevenu français.
Item supprisit idem dominus rex
Francie in prejudicium dicti domini regis Anglie, ducis Aquitaniae post tempus
dicte pacis, in Petragoricensi castra et castellanias de Bellovidere, de
Biguaruppe, de Castro novo et Dome veteris et loca castellaniarum predictarum ;
que quidem loca et castra dictus dominus Rex Anglie et Aquitanie dux tenuit
palam et publice longis temporibus, vel dictus dominus Bertrandus de
Cardalliaco, tum senescallus cum eo, et dominus Humbertus Gutr, tunc
senescallus post dictum dominum Bertrandum, et hoc probare liquide poterit per
dictos dominos Guillelmum de Engolisma, militem, dominum Raymundum de Acerio,
Arn. Motas [de Bellovidere] Guillelmum de Boychen et Stephanum de Albaruppe de
Bellovidere, Arn. de Viridariis et per plures alios locorum predictorum... [455].
Mais cette situation
pour Belvès ne devait pas durer longtemps, et, sans qu'on le sache exactement,
l'on peut présumer qu'à la suite de la campagne de lord Derby, en Périgord, en
1345, qui fit rentrer tant de villes sous l'autorité anglaise, Belvès fut
enlevé aux Français[456]
Les conquêtes de lord
Derby ne furent pas durables ; et à la rapidité avec laquelle les Français
rétablirent leur autorité dans la plupart des villes conquises, on peut juger
du mouvement patriotique qui anima les populations françaises contre l'anglais
dans certaines contrées.
Mais les revers
succédèrent bientôt à ces victoires : la fatale journée de Poitiers, la prise
et la captivité du roi Jean, et la paix de Brétigny (1360), nous amènent à une
des périodes les plus douloureuses de l'histoire de France.
Pendant cette première
période, le territoire belvesois eut beaucoup à souffrir des ravages des armées
; son église paroissiale fut détruite et Clément V, se souvenant de son ancienne
seigneurie, voulut bien autoriser les mesures nécessaires pour en assurer la
réfection[457]. Au
reste, si nous ne savons rien de particulier sur Belvès lui-même, nous pouvons
juger de sa situation par l'état dans lequel se trouvait à cette époque le Sarladais[458];
ainsi en 1349, Pierre, évêque de Sarlat, se plaignait de voir les droits de son
église occupés ou amoindris par des usurpateurs et des envahisseurs; en 1352,
l'abbaye bénédictine de Terrasson fut presque détruite, et Cadouin fut dans un
état tout à fait lamentable, dont nous avons le récit par Talleyrand de
Périgord, qui en avait été le témoin en 1358[459].
Le pays n'avait pas
seulement à souffrir des faits et des désastres, inséparables de la guerre,
mais les bandes de pillards parcouraient le pays et le soumettaient aux plus
dures exactions. En 1351, elles ravagèrent les environs de Belvès où elles
s'emparèrent de Sainte-Foy de Belvès[460].
Le traité de Brétigny
(en 1360), confirma les cessions antérieurement faites par le roi de France à
l'Angleterre, en y ajoutant de nouvelles provinces. Mais il est important de
remarquer que, par ce dernier traité, le roi de France n'avait pas abandonné,
sur les provinces cédées, la souveraineté tout entière, il avait subordonné sa
renonciation complète et définitive et en avait suspendu l'effet, jusqu'à
l'accomplissement des engagements pris à Calais par Edouard III, roi
d'Angleterre[461].
Les réserves faites au
nom de la France étaient précisées par le roi Jean dans les lettres par
lesquelles il donnait l'ordre aux autorités françaises de faire la remise de
leurs pouvoirs aux autorités anglaises. Voici les termes de ces documents :
Sauf et réservé à nous la
souveraineté et le dernier ressort jusques à tant que certaines renonciations
que notre dit frère (le roi d'Angleterre) doit faire soient faites, si comme il
est plus à plein contenu ez lettres sur ce faites[462].
Cette transmission de
pouvoir n'alla pas'sans difficulté : aux protestations des populations on
pouvait constater la naissance ou le réveil d'une idée féconde de patriotisme,
et prévoir que la France accepterait difficilement le joug de l'anglais[463].
Le roi d'Angleterre
persista à refuser les renonciations que le roi Jean réclama à plusieurs
reprises : aussi les légistes de Charles V purent-ils soutenir que le roi de France
avait conservé le ressort et la souveraineté[464]
sur le duché d'Aquitaine, organisé par le roi d'Angleterre, au profit de son
fils aîné, au moyen des territoires nouvellement cédés.
Ainsi s'explique que lorsque
les tenanciers de ce duché se crurent lésés dans leurs droits et eurent à se
plaindre de leur seigneur, le duc d'Aquitaine, ils durent porter leurs plaintes
au roi de France, suzerain du duc d'Aquitaine, par voie d'appel devant la cour
de Parlement.
« Pendant les sept
années qui suivirent le traité de Brétigny, les Anglais avaient traité la
France en pays conquis, les fouages étaient venus périodiquement... »[465]
et la patience était à bout.
L'établissement d'un
nouvel impôt, en 1368, sous forme de fouage, acheva d'exaspérer les
populations. On décida d'en appeler au roi de France.
L'initiative de l'appel
contre les actes du duc d'Aquitaine une fois prise par le comte d'Armagnac,
seigneur de l'Aveyron, un très grand nombre de seigneurs de l'Aveyron, du Quercy
et du Périgord s'y associèrent : ce fut un grand mouvement patriotique, dans le
sens français et contre l'étranger, qui traversa le.pays tout entier[466].
Belvès, le seigneur de
Campagnac, l'abbaye de Fongaufier, les seigneurs de Cugnac, de Montferrand, de
Biron, de Castelnaud, de Montravel, Villefranche de Périgord, Montpazier,
St-Cyprien, pour ne citer que les seigneurs et les villes du voisinage de
Belvès, firent leur déclaration d'appel contre le duc d'Aquitaine, dans les
mains du roi de France[467].
Adhérer à l'appel
n'était pas de la part des appelants se dégager de l'autorité du duc
d'Aquitaine, mais reconnaître la suzeraineté du roi de France et invoquer le
ressort et la souveraineté lui appartenant. Cette reconnaissance ne pouvait
rien préjuger sur les conséquences de l'appel, et le duc d'Aquitaine restait le
souverain légitime du pays, tant que la déchéance de ses droits et leur
confiscation n'auraient pas été prononcées par le Parlement.
On sait avec quelles
hésitations Charles V accepta l'appel: c'était, il le prévoyait, la rupture de
la paix de Brétigny et la guerre rallumée : son esprit prudent craignait les
conséquences qui pourraient en découler.
Il se décida cependant
à faire assigner devant le Parlement de Paris le duc d'Aquitaine[468]
: celui-ci, recevant l'assignation, entra dans une violente colère : a Oui,
répondit-il, j'irai au Parlement de Paris, mais le bassinet en tête et 60.000
hommes en ma compagnie[469]
».
La guerre fut alors
rallumée entre la France et l'Angleterre ; elle ne devait finir que par la
victoire de la France et l'expulsion complète et pour toujours des Anglais du
territoire français.
Tout le monde connaît
le mouvement patriotique que provoqua dans le Quercy, le Rouergue et le
Périgord, le duc d'Anjou : il se mit à la tête des troupes françaises, et
successivement furent perdues par les Anglais par conquête ou par rébellion, un
très grand nombre de places qui firent retour à la patrie française[470].
Charles V combla de
faveurs les seigneurs qui avaient adhéré à l'appel[471],
de même qu'il accorda des privilèges à toutes les villes qui avaient fait appel
contre le roi d'Angleterre et le duc de Guienne, pour inexécution des clauses
du traité de Brétigny[472].
Il en fut ainsi de
Sarlat en 1370. Et le duc d'Anjou proclama ses privilèges :
...Attendu que les consuls de
Sarlat, en vrais et fidèles sujets vinrent à nous et reconnurent notre seigneur
le roi, comme leur véritable seigneur... [473]
Il en fut de même de
Domme, de Carlux et de Montagrier qui redevinrent français[474].
Belvès fut dans le même
cas, et nous avons les lettres du duc d'Anjou, par lesquelles ce prince,
constatant le retour de Belvès à la patrie française, lui accorda d'importants
privilèges :
Le duc d'Anjou... comme il
convient au prince de favoriser tout particulièrement les sujets qui n'ont pas
craint d'exposer à des dangers leurs personnes et leurs biens, pour les droits
de leurs souverains, et d'accueillir leurs justes pétitions, leurs humbles
supplications et leurs requêtes, avec grande bienveillance et faveur, pour que la
dureté de cœur d'un grand nombre soit frappée par de tels exemples. .., tenant
pour constant que les consuls et les habitants de la châtellenie de Belvès,
avec les paroisses de leur territoire se sont replacés sous l'autorité du roi
de France... voulant, comme il convient récompenser ce mouvement, nous avons
concédé et concédons aux consuls et aux habitants de Belvès, par ces présentes,
de notre plein gré, et par la grâce spéciale et l'autorité du roi, dont nous
sommes investis, les franchises, libertés et immunités et privilèges qui
suivent...[475]
Vers la même époque, au
mois de mars 1373, Guibert de Domme, le sr de Comarque et la
communauté de Sarlat « faisant en tout 60 maistres et bon nombre
d'arbalestriers et pionniers, vont assaillir, de vive force, le lieu de Siourac
d'où les Anglais faisaient des courses et des voleries sur Sarlat, Domme et
Gourdon, et, après quelque résistance les Anglais capitulèrent et quittèrent la
place[476].
Belvès resta assez
longtemps français; ses habitants cependant ne rompirent pas toutes relations
avec les Anglais, puisqu'en 1396 nous les voyons demander au roi de Fiance des
lettres de rémission, à cause des relations qu'ils avaient entretenues avec les
Anglais[477].
Au reste, la ville
n'était pas encore rattachée d'une manière définitive à la patrie française,
elle retomba sous l'autorité anglaise.
Sans pouvoir déterminer
la date exacte de cet événement, on peut le placer au commencement du XVe
siècle.
A cette époque
Bertrandou d'Abzac tenait, pour le compte des Anglais, le château de
Berbiguières[478].
Cette forteresse, qui
occupait sur les bords de la Dordogne un point stratégique important,
permettait aux Anglais, qui en étaient les maîtres, d'étendre leur domination
sur les villes voisines, et Tarde est dans le vrai, en constatant qu'en 1417,
les Anglais occupaient un grand nombre de places dans notre région[479].
Cette situation se
maintint quelques années : la France divisée semblait devoir devenir anglaise ;
la folie de son roi, les discussions intérieures, la mettaient sans défenseau pouvoir
des Anglais. Mais bientôt, le patriotisme français, réveillé à la voix de la
pucelle, le siège d'Orléans est levé, et sur tous les points un grand effort
est tenté pour chasser les Anglais des places qu'ils occupaient encore en
France. A la suite d'un long siège, Belvès redevint français, le 16 septembre
1442, il fut repris sur les Anglais par Jean de Bretagne, après la capitulation
de la garnison anglaise[480].
L'instrument de ce
grand événement nous a été conservé: nous en donnons ici la transcription,
d'après la copie vidimée, faisant partie du fonds Périgord, à la Bibliothèque
nationale[481].
Nous,
Jean de Bretagne, comte de Penthièvre et de Périgord, vicomte de Limoges, etc.,
Pierre, comte de Beaufort, vicomte de Turenne, seigneur de Limeuil, Jacques, seigneur
de Pons, vicomte de Turenne, à tous ceux que ces présentes verront et oirront,
salut.
Savoir
faisons que comme le roy, nostre sire, nous ayt commis et ordonné ses
lieutenants, de par luy, pour nous mettre sus en armes et puissance de faire
mettre sus ses sujets des dites provinces, pour conquérir et réduire en son
obéissance leurs villes, châteaux et forteresses détenues et occupées par les
Anglais, anciens ennemis du dit royaume et dictes provinces et en spécial au
pays de Périgord et, avec ce, nous est donné pouvoir et authorité et puissance
de pardonner, abolir et remettre tous cas, crimes et forfaits aux manants et
habitants retrayants des dites villes, châteaux et forteresses, qui se voudront
mettre et réduire en l'obéissance du roy nostre dit sieur, pour avoir tenu le
party des dits ennemis, le temps passé, jusqu'au jour de la dite réduction ; et
il soit ainsi qu'en obéissant au roy notre sieur, nous soyons venus en
puissance tenir siège devant cette ville de Belver, détenue et occupée par les dits
ennemis où tout a été procédé pour la réduction dicelle, que entre nous et
Thomas Bontemps, natif du royaume d'Angleterre, capitaine de la dicte ville et
chastel de Belver, et aussi entre les consuls, bourgeois, manants et habitants
d'icelle ville, a été traicté, appoincté et accordé en la manière que
s'ensuit...
Les articles du traité avaient pour objet de faire
prêter aux habitants le serment d'être fidèles sujets au roi de France et leur
assurer pardon et rémission pour les
Excès, crimes et forfaits qu'ils
ont et peuvent avoir commis et perpétré envers le roy, nostre dit sire et à la
chose publique, pour avoir tenu le party des dits ennemis, tant en général
qu'en particulier.
Le traité assurait en
outre les bases de la capitulation imposée au capitaine anglais Thomas
Bontemps, et, tout en respectant les droits de l'archevêque sur Belvès, prenait
à son encontre quelques précautions, tant que son siège serait occupé par les
Anglais.
Belvès, pris et repris
plusieurs fois, eut beaucoup à souffrir de ces sièges multiples : ses faubourgs
furent saccagés ; l'église paroissiale (Moncuc), comme nous l'avons constaté,
eut beaucoup à souffrir ; le couvent des Frères prêcheurs, placé hors la ville,
fut plusieurs fois détruit et eut à subir d'une manière permanente d'innombrables
dommages[482] ; mais
ce fut surtout le plat pays, le territoire de la châtellenie, qui, pendant
cette période, fut dans la situation la plus misérable.
Pour s'en faire une
idée, il faut se rappeler qu'à cette époque, il n'y avait pas encore d'armée
permanente; les seigneurs, convoqués par le roi, appelaient auprès d'eux, pour
le service de guerre, leurs vassaux ; et comme ceux-ci ne devaient leur service
qu'un temps limité, et, souvent, à la condition de ne pas sortir de la
seigneurie, on était obligé de s'entendre avec des capitaines d'armes,
d'enrôler des mercenaires. Par là, l'armée était mieux composée, car ces hommes
qui vivaient du métier des armes, étaient d'une grande habileté et d'un courage
à toute épreuve. La guerre déclarée, c'était sur le pays traversé que portaient
toutes les charges ; la paix venue, les armées licenciées, ces aventuriers
formaient des corps indépendants, en s'associant avec leurs camarades,
s'emparaient de quelque donjon et pressuraient le pays autour d'eux : on peut ainsi
se faire une idée de ces dévastations dont le peuple était la victime pendant
notre période. ,
Froissart, qu'il ne
faut pas suivre aveuglément pour l'ordre des faits, l'indication des lieux et la
détermination des dates, mais qui peint exactement la guerre qu'il a vu faire,
raconte ainsi la chevauchée que firent, en 1369, au comté de Pierregorth, le
duc de Cambridge et le comte de Pennbroch.
Si chevauchièrent cel seigneurs
et ces gens d'armes et entrèrent efforcément en le comté de Pierregorth : si le
commencèrent à courir et à exilier et y firent plusieurs grandes apertises des
armes et mult dommages et quand ils eurent ars et couru le plus grand partie du
plat pays, ils s'en vinrent mettre le siège devant une forteresse qu'on appelle
Bourdeille...[483]
La guerre se faisait à
cette époque plus durement qu'aujourd'hui, et le père Denifle a bien
caractérisé la guerre de Cent ans :
« Une suite sans fin et
terriblement monotone de massacres, d'incendies, de pillages, de rançonnements,
de destructions, de pertes de récoltes et de bestiaux, de viols, enfin de
toutes les calamités»[484] ».
Tous les documents
s'accordent sur ce point : Robert de Avesbury faisant allusion à la course de
Derby :
Vint à St-Jean-d'Angely en
ardant, en robant, et en ravissant hommes et femmes sans nombre[485]
et à propos du siège de Bergerac, plus quam 4X castra et villas muratas in
Aquitania potestati regis Angliae subdiderunt et praecipue nobilem villam et
castrum de Bregrak ubi plus quam sexcentos armatos et infinitos pedes
occiderunt, in qua equos, arma et multas divitias habuerunt et multos captivos
nobiles abduxerunt [486].
Les consuls de Cahors,
dans leur description de la prise de cette ville étaient donc des historiens
véridiques[487], et sans
donner d'autres exemples, on peut se rendre compte de la condition des villes
conquises.
La guerre entraînait
avec elle le pillage du pays « sans guerre vous ne poes ne saves vivre», disait
Froissart des grandes compagnies, § 625.
La paix signée, les trêves
convenues, le pays n'était pas dans une meilleure situation ; les chefs de
bande opéraient alors pour eux-mêmes.
Ains gagnoient et
conquéroient villes et forts châteaux souvent li uns sur l'autre, par force ou
par pourcas, par combler ou par escheller de nuit ou de jour. Et leur avenoient
souvent de belles aventures, une fois ès Englés, l'autre fois ès Françoys et
tout dis, gagnoient povra brigant a desrober et pillier les villes et les
chastiaus et y conquéroient si grant avoir que c'estoit merveille...[488]
Le Périgord ne fut pas
plus épargné que les autres parties de la France par le fléau des grandes
compagnies, et nous voyons, en 1368, Urbain V donner pouvoir à l'évêque de
Périgueux d'absoudre tous ceux de qui les compagnons avaient reçu aide et secours
; notre pays fournit, même quelques-uns des grands chefs, notamment
l'archiprêtre de Vélines, le bâtard de Mareuil, etc., et si, suivant
l'observation du père Denifle, les compagnies restaient peu dans nos régions,
c'est que « la guerre les avait déjà appauvries, dépeuplées et dévastées [489] ».
Le pouvoir faisait ce
qu'il pouvait pour arrêter ces désordres; le roi d'Angleterre avait donné
l'ordre, en 1363, de poursuivre les chefs de bandes et pillards[490].
Plus tard, il les désavoua, mais il est vrai après s'en être servi[491].
Nous nous en voudrions de ne pas citer la belle lettre d'Edouard III à son
fils, en 1368[492] : des
routiers surpris par les troupes de Charles V, vers Montauban, avaient répondu
être au service de l'Angleterre, et cela, pendant la trêve,
Lesquelles choses seroient, se il
est ainsi, contre la paix et alliance, à grand deshonour et esclandre de nous
et de nostre estat et aussi de vous, et de nos fils et prélatz et austres gentz
de nostre roialme et nous desplairoit très durement, nous ne pourrions en nul
manière ces choses par dissimulation passer, sans y mettre remède.
Les rois de France, de
leur côté, n'avaient pas épargné leurs efforts pour débarrasser le pays de ces
terribles ravageurs.
La papauté fit aussi
les plus grands efforts pour délivrer la France du fléau des grandes
compagnies. A ce point de vue, Urbain V fit preuve de la plus grande énergie et
de la plus grande clairvoyance, en employant tous les moyens qu'il avait à sa
disposition par une série très remarquable de bulles[493].
Toutes ces mesures
restèrent inutiles, et les populations durent se protéger elles-mêmes par des
conventions avec les chefs de bandes (à
pactis, bullettes) ; par un sacrifice fixé à l'avance on évitait les
pillages et les réclamations arbitraires.
Au point de vue matériel,
la guerre de Cent Ans laissa le pays épuisé et la France couverte de ruines[494].
Le trouble le plus profond, dans les familles et les classes dirigeantes,
divisées qu'elles étaient, les uns tenant pour les Anglais, les autres pour les
Français. La situation s'aggravait encore des désastres de la nature, qui
souvent venaient se joindre aux malheurs de la guerre.
En icelui an (1363)
furent les plus grandes gelées et le greigneur yver que l'en eust oncques veu
ne ouy parler de plus de cent ans avant[495].
La peste ravagea le
pays : le Périgord et le Sarladais subirent une grande mortalité en hommes et
en bétail. Urbain V accorda à cette occasion de grandes indulgences à la ville
et au diocèse de Sarlat[496].
La situation mit
longtemps à s'améliorer ; les documents officiels, longtemps encore, feront du
Périgord une description vraie, mais lamentable[497].
Et, malgré tout, cette
période de l'histoire de France, si triste, à certains points de vue, fut
féconde : pour la première fois le sentiment national se fit jour; on comprit
le devoir au pays, et on n'hésita pas à le préférer à la satisfaction de ses
propres intérêts. Par là s'explique l'enthousiasme des populations du Quercy,
du Périgord et du Rouergue, s'associant à l'appel contrôle duc d'Aquitaine ;
les particuliers et les consuls de plusieurs villes refusant de devenir Anglais
et ne se soumettant que sur l'ordre formel du roi de France.
Les consuls de Cahors
méritent, parmi ces premiers Français, les félicitations et les louanges de la
postérité[498].
Belvès, la paix venue,
se relevait peu à peu des désastres de la guerre de Cent Ans ; les guerres de
religion renouvelèrent les calamités anciennes et couvrirent le pays de ruines.
Ce fut vers le milieu
du xvie siècle que le protestantisme fit son apparition en Périgord[499]
et, à partir de ce moment jusqu'au xvue siècle, la situation générale du pays
fut très mauvaise[500]
(2).
Rappelons les faits qui
intéressent particulièrement notre contrée.
Les guerres de religion
forment une des périodes les plus sombres de l'histoire de France. Les idées de
tolérance et de libre examen, que devaient prêcher les philosophes du xviiie
siècle, n'étaient pas encore entrées dans les mœurs; quelques esprits d'élite,
seuls, s'y rattachaient. Les catholiques, les uns par religion, les autres par
politique, étaient portés à considérer les protestants comme des rebelles :
ceux-ci voulaient conquérir le libre exercice de leur culte, une égale aptitude
aux fonctions avec les catholiques, une part dans la direction des affaires
publiques. La guerre éclata entre les deux partis. La part qu'y joua la
châtellenie de Belvès fut peu importante. Il est bon cependant de la faire
connaître.
Belvès, par ses
fortifications et sa situation restait une place importante du Périgord ; sa possession
assurait un point d'appui sérieux pour commander une partie du pays. En outre
l'existence, dans la cité d'un prieuré de Bénédictins, d'un couvent de Frères
prêcheurs, des congrégations locales, et le fait que Belvès était une
seigneurie appartenant à l'archevêque de Bordeaux, tout devait pousser les
religionnaires à l'occuper, à en faire une de leurs places, à y établir la
religion nouvelle.
Au reste les guerres de
religion n'eurent pas seulement la liberté de conscience pour objet : les
princes et les grands y prirent part pour des intérêts politiques.
Ces guerres
entraînèrent la formation d'armées importantes : les bandes qui les
constituaient exercèrent sur le pays les plus cruelles exactions. Ce ne fut «
qu'une longue » série de fureurs, de carnage, de réactions qui allaient » tenir
la France à l'état barbare jusqu'à Richelieu et Louis XIV »[501].
L'état du pays fut ce
qu'il avait été pendant les guerres anglaises. A côté des grands partis
politiques et religieux, et des armées organisées par eux, sur tous les points
de la Fiance, sous prétexte de religion, des capitaines levèrent et
organisèrent des bandes[502]
et le pays eut à souffrir des faits de guerre, et des oppressions de tout genre
que ces bandes armées lui imposèrent[503].
Pendant les premières
années de cette période, tandis que plusieurs villes voisines : Sarlat,
Issigeac, Montignac eurent à subir tous les désastres, conséquences de la
guerre, Belvès eut moins à souffrir. Il souffrit seulement de l'état général de
désorganisation : les passages de troupes, les réquisitions, les violences de
toute nature entraînèrent la disette et la famine et de grandes épidémies.
Mais bientôt allait
s'ouvrir pour notre cité, une période plus critique. En 1569 et le 26
septembre, le sieur de Limeuil[504],
accompagné du sieur de Fleurac[505],
son frère, et d'une troupe de gens à cheval, vint à Belvès et s'en rendit
maître, après deux jours de résistance de la part des gens de l'endroit; puis
ils l'abandonnèrent.
Le lendemain 29
septembre[506], le
sieur de Vivans la prit, la pilla et fit des prisonniers, notamment Philiparie,
auditeur de l'archevêque de Bordeaux. La résistance fut assez vive. Une tour,
dite de l'Auditeur, tint fort longtemps; Vivans même ne se serait pas emparé de
Belvès, s'il n'eut eu des intelligences dans la place[507].
Vivans aurait voulu
garder sa conquête, pour y rallier les gens de guerre ; mais il ne la trouva
pas assez forte, et ayant appris l'arrivée de troupes catholiques dirigées par
le sieur des Cars[508],
et n'étant pas en état de résister, il se retira à Beynac où il amena ses
prisonniers.
Le lendemain de son
départ arriva le sieur des Cars, à la tête d'une bande de catholiques. Mais,
suivant le mot de Tarde « après la mort le médecin », le mal était irréparable,
le pillage avait été complet ; les faubourgs et le couvent des Jacobins avaient
été saccagés.
L'édit de Paix de 1570
donna quelque repos au pays, pendant deux années ; mais bientôt les troubles
recommencèrent.
Vivans, quelque temps
après, s’empara de Montpazier (1574) d'où il tenait, suivant ses expressions,
le pays en cervelle, depuis Cahors jusqu'à Périgueux ; il interceptait les
passages de troupes catholiques qui passaient à sa portée.
Pendant ce temps, les
troupes catholiques de Belvès pillèrent le château de Bastes[509]
parce que le seigneur, quoiqu'il fût catholique, avait reçu les troupes de
Vivans.
De quoy de Vivans se voulant
venger, les envoya attirer le lendemain par le sieur de Basles, et s'étant mis
en embuscade avec sa cavalerie, donna entre la ville et eux et les tailla tous
en pièces. Leur capitaine, nommé Pecharry y fut tué et plusieurs des habitants.
Une arquebusade lui ouvrit le pommeau de son épée, que le jour s'en voyait, et
l'autre lui emporta l'arçon de la selle[510].
La religion réformée
fut bientôt rétablie à Belvès, et son exercice protégé par une garnison
protestante, pendant l'année 1575 : celle-ci frappa le pays de contributions[511]
; le culte fut alors installé dans la chapelle même du château, dite chapelle
St-Nicolas[512] .
Après l'édit de
Pacification de 1577, les réformés abandonnèrent la chapelle St-Nicolas, et
transportèrent ledit exercice :
A une maison appartenant à feu Me
Hélie Pecharry, prévôt des maréchaux, vulgairement appelée la Ferrière de
Prébos, située dans le faubourg de cette ville appelé Malbec[513].
En Périgord, les
religionnaires n'obéirent pas à l'édit de Paix et des faits de guerre se
produisirent sur plusieurs points ; à Belvès ils redevinrent les maîtres ; le
1er janvier 1577, la ville fut prise, mais d'une façon honteuse par le sieur de
la Bourrelie