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Source : Bulletin SHAP, tome XXV (1898), pp. 164-167.

L'HOTEL NOBLE DE DOME A AGONAC

On trouve dans le Dictionnaire topographique de la Dordogne de M. de Gourgues, à l'article d'Agonac : «  Castrum Agoniacum: un des quatre châteaux construits en 980 par Frotaire, évêque de Périgueux, pour défendre cette ville contre les Normands ; autour du château de l'évêque, il y en avait quatre sur la motte d'Agonac, dont les noms étaient: Chabans, Chambarlhiac, Bruzac et Montardit. »

Je ne sais sur quel texte s'est appuyé le vicomte de Gourgues pour avancer ces chiffres et ces noms. Je me contenterai de citer le seul texte que je connaisse relatif à ce sujet; le fait y est relaté de la manière suivante :

« Hic episcopus (Froterius circa annum 980) magnum monasterium Sancti Frontonis aedificare cepit atque castrum Agoniacum, Craoniacum, Albam Rocham, Rupem Sancti Christophori, et Rupem de Basiliaco, ut essent munimen et refugium contra Normannos, tunc temporis paganis erroribus aberrantes ». (Labbe, Bibliotheca nova, t. II, fol. 787.)

Ce texte n'en dit pas davantage et ne fait que mentionner le château d'Agonac sans parler des autres châteaux que cite le vicomte de Gourgues.

En 1883, dans une communication faite à une des séances de la Société historique et archéologique du Périgord, (t. X, p. 133), M. Grellet-.Balguerie reprend la question, et nomme les châteaux placés sur la motte d'Agonac comme l'avait fait le vicomte de Gourgues, mais en substituant au mot Bruzac le mot Flamenc.

Les Chabans, qui, à cause de leur nom patronymique Faucher, me semblent avoir, comme les Chabannes, leur origine dans la paroisse de Sorges, où se trouvait un château de Chabans ou de Chabannes (de Cabanis en latin ou de las Chabannas en patois) sont signalés à Agonac depuis le xiie siècle, et nous verrons plus loin, prouvée par une pièce, l'existence d'un lieu de Chabans dans l'enceinte même de la forteresse.

La présence des Chambarlhiac à Agonac est aussi prouvée par nombre de titres du XIIIe et du XIVe siècle.

Nous allons voir qu'il existait aussi dans l'enceinte de la forteresse une maison de Montardit.

Quant aux Flamenc, ils ne me paraissent pas s'établir à Agonac avant le XVe siècle, et je crois qu'à partir de cette époque, il ne faut appeler ni Bruzac ni Flamenc le nom de leur demeure, comme l'ont indiqué le vicomte de Gourgues et M. Grellet-Balguerie, mais qu'il faut l'appeler maison ou hôtel noble de Dome.

D'après les nombreux documents que j'ai consultés, les Flamenc ne sont arrivés à Agonac qu'en 1420, par suite du mariage de Jean Flamenc dit de Bruzac avec comtesse (comitissa) de Montardit, fille de feu Laurent de Montardit, donzel d'Agonac. Dans ce contrat il est question de l'hôtel de Dome appartenant à ladite comtesse (hospicium vocatum de Doma dicte parrochie de Agonaco). Devenue Veuve, elle se remarie avec Jean de Lagut de Mussidan. En 1454 (20 mai), elle fait son testament : elle donne à son fils Jean Flamenc dit de Bruzac, qu'elle avait eu de son premier mariage, sa maison noble de Dome, appartenant autrefois à Faucher d'Agonac son oncle (à elle), et à son autre fils Faucher de Lagat, qu'elle avait eu de son second mariage, la maison noble et hérédité de Montardit. (Archives de Taillefer.)

La famille d'Agonac que nos auteurs semblent ignorer, quoique portant le nom du pays sans aucun nom patronymique, est connue par un grand nombre de chartes des XIIIe et XIVe siècles. Je me bornerai à citer les membres de cette famille que j'ai trouvés qualifiés seigneurs de Dome, ou plutôt dits de Dome, car en général à cette époque le titre de seigneur (dominus) n'était pas aussi répandu qu'il le fut plus tard ; il appartenait au suzerain, au chef de la forteresse. Ceux qui l'entouraient, qui gardaient les tours, étaient ses chevaliers et damoiseaux.

En 1345, Pons d'Agonac, chevalier, dit de Dome (miles, alias vocatus de Doma) maria sa fille comtesse d'Agonac avec Pierre de La Tour, chevalier. (Archives de Taillefer.)

En 1388, Jean Bordas, damoiseau, fils de feu Guillaume Bordas, damoiseau du lieu d'Agonac, fit une reconnaissance en faveur d'Adémar d'Agonac, damoiseau, alias de Dome dudit lieu d'Agonac. (Archives du château d'Agonac.)

Cet Adémar est probablement le père de Faucher d'Agonac nommé plus haut.

Cette maison noble de Dome était bien située près du château d'Agonac et dans l'enceinte de la forteresse ; car en 1512, Archambaud (Flamenc) de Bruzac, fils de Jean ci-dessus, se qualifie dans son testament de damoiseau, seigneur de l'hôtel noble de Dome, situé « infra castrum de Agonaco », et de la Borie appelée la Borie de Dome.

Or, dans ce cas infra doit être pris dans le sens de intra. (Voir : Ducange.) Quant à la Borie de Dome, c'était leur métairie nommée Dome pour rappeler que c'était celle qui dépendait spécialement de leur hôtel noble de Dome. On pourrait citer plusieurs exemples de doubles noms de ce genre qui ont créé bien des confusions.

De même, on trouve, dans un titre de 1513, que la maison de Chabans (de las Chabanas), possédée alors par Antoine de Bruzac, deuxième fils d'Archambaud ci-dessus, était aussi située « infra castrum de Agonaco, et ante ecclesiam sancti Asterii ». On sait que c'était l'église même du château qui se trouvait sous ce vocable. Dans le même titre, il est dit que la maison du Fossat appartenant aux Lagut était située à côté de la maison de Chabans. Malgré la tradition, qui, sans l'appui d'aucun texte de moi connu, veut qu'il n'y ait que quatre familles installées autour du château d'Agonac, je suis bien tenté, à cause de cette proximité, d'en ajouter une cinquième ; la famille du Fossat, dont l'existence au XIVe siècle est absolument prouvée à Agonac par plusieurs titres, et dont l'emplacement de la demeure est bien précisé parla pièce de 1513. (Archives du château d'Agonac.)

En 1529, le testament de Catherine de Montagrier, veuve d'Archambaud de Bruzac, est fait «infra castrum de Agonaco et in nobili domo de Doma. ». (Archives de Taillefer.)

Enfin, en 1542, Jacques de Bruzac, fils d'Archambaud, faisant son testament, précise encore davantage, et dit, après avoir fondé divers anniversaires et obits dans les églises de Saint-Martin et Saint-Astier d'Agonac : « Affin qu'il n'y ayt question ne débat entre mesdictz successeurs   sur le payement         des fondations susdites          j'ay assigné par mon présent testament généralement tous mes biens     et principalement        sur ma maison et tour noble de Dome assize au chastel d'Agonac » (Archives du château d'Agonac.)

Ainsi, dans la forteresse d'Agonac, il y avait une tour et un hôtel noble de Dome. Je pourrais citer d'autres preuves, mais maintenant je les crois inutiles.

Dès le milieu du XVe siècle, les Flamenc d'Agonac, probablement pour éviter des confusions de noms avec les membres des autres branches de leur famille, quittent leur nom de Flamenc pour porter exclusivement celui de Bruzac. Ils ne le reprennent qu'à la fin du xviiie siècle et s'intitulent alors Flamenc de Bruzac, écuyers, seigneurs de la Borie de Dome. La maison noble de Dome ne s'appelle plus, à partir de cette époque, que le château d'Agonac ; peut-être aussi l'appelait-on communément Bruzac, nom de la famille qui y habitait depuis trois cents ans, ce qui expliquerait l'erreur dans laquelle, à mon avis, est tombé le vicomte de Gourgues. C'est dans cette demeure que le dernier des Flamenc d'Agonac est mort en 1838, à l'âge de 83 ans, sans laisser de descendants directs. Il avait fait un testament en 1836 dans lequel il désignait pour son héritier universel M. François de Tessières de la Bertinie, maire de Montagnac-la-Crempse.

Paul Huet.

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