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Source : Bulletin SHAP, tome XXIII (1896), pp. 64-66.

SOUMISSION DES CROQUANTS (septembre 1595).

 

M. de Roumejoux a publié, en 1881 (1), l'extrait de l'ancien Livre Noir de l'hôtel-de-ville de Périgueux relatif à la première révolte des Croquants en Périgord. C'est le document le plus complet qu'il soit donné de consulter sur ce soulèvement qui dura deux ans et aurait infailliblement dégénéré en une guerre sociale si l'on n'avait eu recours à d'énergiques mesures de répression.

Le greffier du consulat et, après lui, Chevalier de Cablanc, qui a suivi sa version, ont prétendu que la déroute subie par les Croquants le 21 août 1595, près du bourg de Saint-Crépin-d'Auberoche, avait été le dernier fait d'armes de la campagne dirigée contre eux avec autant de vigueur que de talent militaire par le sénéchal Henri de Bourdeille.

«  Ce fut, dit le premier, la fin de ce grand soulèvement qui avoit fait voir aux champs plus de quinze mille hommes.

On ne trouva plus après cela de résistance, — écrit de son côté le maire-historien de Périgueux, — et ainsi finit ce grand soulèvement qui avoit mis 15 à 20,000 hommes de cette canaille soubs les armes ».

Le mémorialiste consulaire ajoute cependant que le sieur de Bourdeille résolut de suivre les paroisses pour les désarmer ; mais que sur un ordre reçu à La Douze, huit jours après le combat de Saint-Crépin, il licencia ses troupes.

Une lettre que nous avons découverte dans le fonds Saint-Astier à la bibliothèque de Périgueux, donne sur la soumission des Croquants des détails ignorés qui prouvent que l'apaisement fut plus long à se produire, et qu'Henri de Bourdeille, loin de congédier ses troupes à la fin d'août, dut les employer encore le mois suivant contre les révoltés du Sarladais. Le dernier échec ne les avait point entièrement refroidis ni ruinés, et ils n'en étaient point retournés au « laborage », comme Tarde paraît aussi le croire.

Car le 4 septembre, il fallut encore faire le siège de Condat-sur-Vézère, gui fut emporté d'assaut : ce qui décida les chefs des Croquants à obéir définitivement aux sommations du sénéchal.

La lettre dont il s'agit fut écrite, deux jours après cet heureux événement, du château de Lardimalie, au sieur Guybert, receveur de la terre des Bories, par Marguerite de Saint-Astier, épouse de Jean de Foucauld, seigneur de Lardimalie, baron d'Auberoche, gentilhomme de la chambre du roi de Navarre, gouverneur des comté de Périgord et vicomte de Limoges.

Voici le texte de cette lettre, qui vient ajouter une page intéressante à nos annales périgourdines :

« A Guybert, recepveur aux Bories.

 

Je vous puis asseurer que mon nepveu (2) et mon fils (3) ce portent grâces à Dieu très bien ; nous an eumes yer dés nouyelles et Drole vient dever heux, qui les lessa à Condat, près Montignac, que Monsieur de Bourdellye print de force avant yer, tant le fort que l'esglize. M. Demblevile (4) sauva la vye à seux qui estoit dedans, qui avoit desjà la corde au col. Sabmedy dernier, tous les couronnels et aultres chefs des Croquans de delà la Dourdougne, ensemble ceux de la vile de St-Sibre, de Limeuil et autres anvyrons, sasemblarent à Siorac résolus et sinnarent de randre les harmes, ansegnes et tembour, dans trois jours après la publication de la déclaration de mondit sieur de Bourdellye ; laquelle publication eux mesmes firent fere partout lundi dernier, qui estoit avant hier. Et le mesme jour, Monsieur de Boursoles, qui, à leur prière, avoit assisté à ceste résolution, partit et mena avec soy leurs députés portans ledit arrêté insin singné de mondit sieur de Bourdellye, lequel, puis que cela est expédyé, nara affere sinon par desà ; et très sages seront seus qui, randant les armes es mains des offissiers de leurs segneurs, comme porte la dite déclaration, empêcheront qu'il ne retourne les visiter, et estant sa délibération de ne séparer ses forces jusques à ce que partout auront obey...

Priant Dieu qu'il vous ayt en sa très sainte garde.

De Lardymalye, ce vje septembre 1595.

 

Vostre bonne amye, M. des BORIES. •

 

A. Dujarric-Descombes.

 

(1) Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, tome XI, p.p. 487-403.

(2) Henri de Saint-Astier, seigneur des Bories, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de Navarre.

(3) Henri de Foucauld, qui épousa sa cousine-germaine, Lucrèce de Saint-Astier.

(4) François de Jussac, comte d'Ambleville, gouverneur de Cognac, marié à Isabeau de Bourdeille, sœur du sénéchal.

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