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Source : Bulletin SHAP, tome XXIII (1896), pp. 79-81.

 

PASSAGE DU ROI CHARLES IX EN PÉRIGORD. (1565).

 

L'édit de pacification d'Amboise (1563) ayant suspendu pour un temps les hostilités entre catholiques et protestants, la reine Catherine de Médicis crut de bonne politique de faire voyager le roi, son fils, dans les provinces les plus reculées du royaume, désirant mettre en rapports plus directs le monarque et ses sujets, et terminer, dans une entrevue qui eut lieu à Bayonne, diverses affaires avec la cour d'Espagne.

Le roi partit en janvier 1564, accompagné des princes du sang et de plusieurs hauts dignitaires de la couronne (1), visita successivement la Champagne, la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Périgord, etc., etc.

L'itinéraire de ce voyage a été écrit par Abel Jouan qui s'intitule : « serviteur du Roy », ce qui laisserait à penser qu'il suivait la cour en qualité d'historiographe. Du reste, la minutie et la précision des détails qu'il enregistre autorisent à supposer qu'il en fut ainsi (2).

Nous allons puiser dans cet ouvrage les quelques renseignements, un peu trop laconiques, qui regardent le passage du roi en Périgord :

Mercredi 8 août 1565. Le roi partit de Lauzun, où il avait séjourné quatre jours (3), « pour aller, dit Abel Jouan, passer la rivière de la Dordonne par dessus un pont de bois tout couvert de belle toile blanche, et en passant le dict pont, feit son entrée, disna et soupa à Bergerac, qui est une belle et bonne petite ville et première ville du Périgort ».

Il entrerait dans le plan de cette étude de faire figurer ici le compte-rendu, fait par un contemporain, de l'entrée du roi Charles IX à Bergerac, mais cette pièce, tirée des archives de l'hôtel de ville, a été reproduite bien des fois (4) et à ce titre ne peut être publiée dans le Bulletin. Nous nous contenterons de la résumer ainsi que ce qu'il pourra y avoir d'intéressant dans le détail des frais faits à cette occasion.

Les consuls de Bergerac ne négligèrent rien pour reconnaître l'honneur qui leur était fait. On avait élevé une chapelle de verdure au bourg de la Madeleine, le roi s'y arrêta un instant pour voir défiler les corporations toutes en costume d'apparat. Charles IX, après avoir traversé le bourg et le pont, fut reçu à l'entrée de la ville par les consuls. Il y avait à cet endroit un superbe arc-de-triomphe qui ne coûta pas moins de 200 écus, œuvre de Léonard Limousin, peintre émailleur (5). Le roi fut conduit à son logis, chez le sieur Daix, médecin. Les rues étaient tapissées de riches tentures, le sol couvert de sable fin ; la font Peyre coula du vin (6). L'allégresse était très grande. La cour alla jouer à la butte au terrier des Carmes (aujourd'hui jardin public), et le lendemain le roi, après avoir entendu la messe au couvent des Frères Prêcheurs, partit de Bergerac avec toute sa suite.

Reprenons la relation d'Abel Jouan :

«  Le jeudi 9e jour du dict mois , disner etc coucher à Laugat qui est un petit chasteau dans un bois (7).

Pour ce jour....................................................    4 lieues. »

Longa appartenait à la famille de Lur, représentée à l'époque par Jeanne de Cardaillac, veuve de Bertrand II de Lur, chevalier, seigneur de Longa, etc., et par son fils Michel de Lur, chevalier, seigneur de Longa, Barrière de la vicomte de Roussille et de la Sauvetat-Grasset, gentilhomme de la chambre du roi et chambellan du roi de Navarre, qui épousa, en 1572, Anne Raquier, dame d'Esternay (8).

Et le vendredi 10 e jour du dict mois, le roy alla en passant faire son entrée à Mensiden (Mussidan) qui est une belle petite ville. Au sortir d'icelle passa la rivière de l'Isle, et alla disner et coucher à Ribera, qui est un beau et grand village et chasteau sur montaigne. »

Pour ce jour....................................................    4 lieues. «

C'est à tort, on le voit, que de Thou fait passer Charles IX à Périgueux.

Et le samedi 11e jour du dict mois, disner et coucher à Roche-beaucour, petite ville et beau chasteau.

Pour ce jour.......................................................    4 lieues.

Et le dimanche 12 tout le jour au dict lieu. »

Le roi se dirigea le 13 vers Angoulème, en allant diner à la Tour-Garnier.

Sauf pour Bergerac, nous n'avons trouvé aucune tradition écrite du passage de Charles IX dans nos contrées ; nous le regrettons, car la relation d'Abel Jouan n'a, par elle-même, que fort peu d'intérêt. Nous serions heureux que ce petit travail donnât lieu à de nouvelles recherches, surtout en ce qui concerne le passage du roi à Mussidan.

Vte DU RlEU de MaYNADIÉ.

 

 

(1)  Aucun des personnages de la suite du roi n'est nommé dans la relation du voyage de Charles IX par Abel Jouan, — relation dont nous parlons plus loin ; toutefois, il est à présumer que parmi ces personnages figurent les suivants indiqués par de Thou comme envoyés par le roi pour former l'escorte d'honneur de la princesse Elisabeth, sa sœur, reine d'Espagne, lors de l'entrevue de Bayonne : François de Bourbon, fils du duc de Montpensier ; Henri de Lorraine, duc de Guise; Eléonor d'Orléans, duc de Longueville ; Damville, maréchal de France, Bis du connétable Anne de Montmorency ; Honorât de Savoie, comte de Villars ; Philippe Rheingrave ; François Just de Tournon; Ti moléon Cossé de Brissac ; Charles et Guillaume de Montmorency ; François de Carnavalet; René de Villequier; Jacques de Balaguier de Monsalez, etc., et peut-être le duc d'Anjou (depuis Henri III). La relation de l'entrée du roi à Bergerac n'indique de ces personnages que la reine-mère, M. d'Orléans et le connétable ; elle y ajoute le prince de Navarre (depuis Henri IV) et le chancelier de Lhopital.

(2)   Le bienveillant bibliothécaire de Périgueux a consulté pour nous l'édition des Pièces fugitives pour servir à l'Histoire de France, du marquis d'Aubais, que possède la bibliothèque de Périgueux, et qui renferme, au tome Ier, le voyage de Charles IX cité plus haut. Cet ouvrage porta la date de 1768. M. Cailliac ajoute, d'après le P. Lelong, que le travail d'Abel Jouan avait été imprimé à part, format in-8°, en 1566, simultanément à Paris, chez Bonfons, et à Lyon, chez Rigaud.

(3)  On chante encore, au temps des moissons, dans nos campagnes du Bergeracois et du Sarladais, une chanson qui relate le passage du roi à Lauzun.

(4)   Notamment dans les Annales de la ville de Bergerac, page 133.

(5)    Ce Léonard Limousin pouvait être le fils du célèbre peintre émailleur du même nom à qui François Ier confia la direction de la manufacture de Limoges et qui mourut en 1550.

(6)Cette fontaine est située à l'angle de la rue Saint-James et de la rue des Fontaines. L'usage des fontaines de vin était très répandu dans les fêtes populaires. Froissard en parle à l'occasion des réjouissances faites à l'entrée d'Isabeau de Bavière à Paris. Sans aller si loin, nous dirons que, lorsque Louis XIII vint à Bergerac, en 1621 pour recevoir la soumission de la ville, il put admirer « un rocher fait de mousse, ou il sourdoit plusieurs fontaines artificielles, les » unes iettant par petits luyenux de leau, les autres vin blanc et autres vin » rouge... (L'entrée royale et magnifique du Roy en sa ville de Bergerac, etc., etc., à Paris, chez Estienne de l'Oreille, rue Fleurette en Université. M. D. CXXI.)

Lorsque les Bourbons rentrèrent en France, en 1815, Bergerac partagea la joie universelle : la fontaine des Mazeaux coula du vin et les bourgeois jetèrent des canoles (sorte de gâteau) à la foule qui encombrait les rues. (Renseignement de M. Charrier.)

(7) Il est question de Longa, hameau, commune de Saint-Médard de Mussidan. Mol. de Longua (Cart. de Chancelade). Anc. repaire noble. (De Gourgues. Dict. topographique.)

(8) Fonds Périgord, vol. 150, 88 verso. (Bibl. nat.)

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