Source : Bulletin SHAP, tome
XXII (1895), pp. 292-300.
LES SEIGNEURS DE BERGERAC (Suite)
(1).
Hélie
Rudel ou Renaud IV de Pons, seigneur des villes et châtellenies de Bergerac,
Montignac, Mouleydier, Gensac, Pons, etc.
Ce seigneur était, comme nous l'avons
vu, héritier de sa mère, Marguerite de Tureune, pour les châteaux et
châtellenies de Bergerac, Mouleydier et Gensac.
Il épousa Yolande de Lusignan,
fille de Hugues XII, sire de Lusignan, comte de La Marche et d'Angoulême, mort
en 1282, et de Jeanne, dame de Fougères et sœur de Hugues XIII.
Par son testament fait avant la
fête de Saint-Barthélémy de l'an 1290, il institua Renaud de Pons, son fils
aîné (2), son héritier dans tous ses biens et
le mit sous la tutelle d'Arnaud, seigneur de Gironde, de Vivien de Barbezieux
et d'Adhémar Gifra, chevaliers. Il exprimait en même temps la volonté que son
cœur fût inhumé dans l'église des Frères mineurs de Pons.
Cette même année, il fut ordonné,
par arrêt du Parlement, que le seigneur et la dame de Bergerac devraient
reconstruire le pont sur la Dordogne, qui n'avait pas été relevé, malgré les
prescriptions contenues dans le testament d'Hélie Rudel (3).
Renaud de Pons, seigneur de
Bergerac, Mouleydier, Gensac, etc., et de Montignac.
Renaud de Pons succéda en 1290 à Hélie
Rudel de Pons, son père.
Quatre ans
après, la guerre éclatait entre les rois de France et d'Angleterre, à
l'occasion du duché de Guyenne. Nous trouvons, à la date de 1294, une lettre adressée par Guichard de
Marzac, sénéchal du Périgord et du Querci, au bailli de Sarlat, et lui
prescrivant d'envoyer à Bergerac, pour la défense des
droits du roi, tous ceux de son ressort, nobles ou non, cavaliers ou
fantassins, qui sont en état de porter les armes. L'exécution de l'ordre ne
comporte aucun délai. « Que le père, y est-il dit, n'excuse ou n'attende pas
son fils, ni le fils son père. » (V. Pièces
justificatives, I.)
« La lutte avec
l'Angleterre, dit M. Dessalles, avait introduit le désordre partout. C'est
ainsi qu'en 1300, Renaud de Pons, seigneur de Bergerac, à la tête d'environ 600
hommes armés, se porta sur Issigeac, pendant la nuit, s'y introduisit au point
du jour, en criant : Bergerac
! à mort
! à feu, ! attaqua
le moulin du doyen, mit le feu a plusieurs maisons, ruina les faubourgs, brûla
cinquante maisons, le moulin lui-même et les fourches patibulaires avec deux
pendus, blessa plusieurs hommes, pilla la ville, détruisit ou emporta les
provisions et commit des outrages de toute sorte, au point que le dommage fut
évalué à cinq mille livres, somme énorme pour le temps. Cette affaire ayant été
portée au Parlement, Renaud et ses complices furent condamnés à rétablir les
choses en leur état primitif et à payer les 5,000 livres. Pour se rendre compte
du motif qui dut guider le seigneur de Bergerac, il faut savoir que, dans le
cours de la même année, et probablement quelque temps avant son équipée, il
avait eu un démêlé avec le doyen d'Issigeac, à propos de la juridiction haute,
moyenne et basse des paroisses de Montaud, Saint-Perdoux, Montsaguel, Ribagnac,
moins le tènement appelé de Bonnefont, paroisse de Montsaguel, juridiction que
le doyen disait avoir joui paisiblement pendant trente ans, et qu'il avait été
tellement tracassé par Renaud, au sujet de cette juridiction, qu'il avait dû
s'adresser au Parlement pour obtenir que ce seigneur le laissât jouir en paix »
(4).
Renaud de Pons épousa, en 1296,
Isabeau de Lévis, fille de Gui de Lévis, troisième du nom, seigneur de
Mirepoix, maréchal de la Foi, et d'Isabelle, fille de Bouchard de Montmorency,
seigneur de Marly.
Lors de la campagne que
Philippe-le-Bel fit en Flandre avec le comte d'Artois, et qui fut snalée par la
victoire de Furnes en 1297, le sire de Pons était au nombre des seigneurs qui
accompagnèrent le roi.
Il eut, en 1304,
rapporte encore M. Dessalles, a une contestation avec frère Dragonet de Montdragon, prieur
de Saint-Gilles, de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, chargé de la maison de
cet ordre à Saint-Nexans, près Bergerac, au sujet de diverses acquisitions
faites à Bergerac ou dans sa châtellenie, c'est-à-dire dans les paroisses de
Saint-Martin, de la Madeleine, de Lembras, de Queyssac, de Saint-Julien-de-Crempse,
de Campsegret et de Maurens, par frère Pierre de Villabeau, prédécesseur de
frère Montdragon, et dont l'ordre s'était mis en possession, sans la permission
de ce seigneur de Bergerac, et sans avoir rempli les obligations féodales du
temps, par suite de quoi ces biens, parmi lesquels figurait le moulin de
Pontbonne, dans Bergerac même, étaient, disait-il, tombés en commise, et lui
appartenaient. Après de longues controverses, survint un arrangement, qui
conserva tous ces domaines à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et lui en
laissa la libre jouissance » (5). Cette transaction fut passée le 21 septembre
1304.
Le seigneur de Bergerac s'était
aussi emparé, à la faveur du désordre causé par la guerre, des paroisses de
Faux, Mons, Saint-Germain, Verdon, Saint-Aigne et Pontromieu, dont il dut se
dessaisir sur l'ordre de la Cour de France, Lorsque la paix fut rétablie,
Philippe-le-Bel rendit la Guienne à Edouard ; les consuls de Beaumont, qui
avaient des droits sur les terres usurpées, demandèrent au roi-duc de prévenir
le retour de pareils faits (6).
Par un testament
en date du 25 août 1302, le sire de Pons avait disposé que, dans le cas où Isabeau
de Lévis décéderait sans autres enfants, Hélie Rudel serait son héritier
universel ; dans le cas où il décéderait sans enfants, il substituait à son
fils Hugues, comte de la Marche, son oncle ; et si son oncle mourait lui-même
sans postérité, il lui substituait ses sœurs.
Renaud de Pons mourut en 1308,
laissant deux enfants, Hélie Rudel et Jeanne.
Hélie Rudel de Pons, seigneur de Bergerac, Montignac,
etc.
En 1308, Isabeau de Lévis rendit
hommage à Philippe-le-Bel, au nom de son fils.
L'an 1310, Edouard II, roi d'Angleterre, et Isabeau de Lévis, dame de Bergerac et
de Pons, veuve de Renaud de Pons, agissant comme tutrice d'Hélie Rudel et de
Jeanne de Pons, ses enfants, firent un traité aux termes duquel cette dame
cédait au souverain anglais, à titre d'engagement, et pour deux ans seulement,
les châteaux et forteresses de Bergerac et de Castelmoron.
Hélie Rudel épousa, en 1314, à
l'âge de quatorze ans, Marthe d'Albret, veuve en premières noces d'Arnaud
Raymond III, vicomte de Tartas.
Il eut avec les bourgeois et
habitants de Bergerac des contestations qui se terminèrent par le traité de
1322, lequel forma la première partie des statuts et coutumes de la ville, en
29 articles. Charles-le-Bel sanctionna cette transaction par lettres patentes
du 22 juin 1322.
La même année, le seigneur de
Bergerac fit avec le roi une composition suivant laquelle il renonçait,
moyennant certains avantages, à ses droits sur les comtés de la Marche et
d'Angoulême (7).
En 1326, il accorda, sous
l'approbation du roi, aux consuls et à la ville de Bergerac un droit de rouanne
sur les tonneaux ou pipes de vin sortant de la ville, soit par terre, soit par
la rivière de la Dordogne. Cette marque devait représenter d'un côté une patte
de griffon et de l'autre une tour. Le droit consistait en deux deniers pour
chaque pièce de vin. Nous donnons aux annexes, sous les numéros II et III, les
pièces relatives à cette concession.
Hélie Rudel
mourut sans postérité en juin 1333. Ce fut le dernier représentant mâle de
cette branche de la maison de Pons ; Jeanne, sa sœur, recueillit son héritage,
qui était, parait-il, fort obéré (8).
Elie de Biran .
PIÈCES
JUSTIFICATIVES.
I
Guichiardus de
Marziaco, senescallus Petragorensis et Caturcensis, bajulo de Sarlato... Vobis
prœcipimus... quatenus ex parte regis... requiratis omnes subditos vestros,
nobiles et ignobiles, et communitates et alios quoscumque baylidae vestrae.. .
ut sine dilatione... cum armis secundum statum suum,... tam equites quam
pedites, veniant apud Bergeracium , et quae eis erunt necessaria... ita quod
pater filium non excuset, nec expectet, nec filius patrem... pro defensione-et
tuitione juris et regni domini regis... Datum in Monte Domo, sabbato post
quindenam nativitatis Beati Johannis Baptistae 1294. Pendet sigillum.
(Lespine, v. 52, p. 234.)
II
Karolus, Dei
gratia Franciae et Navarrae rex. — Notum facimus universis tam presentibus quam
futuris. Nos duo paria litterarum sigillo Reginaldi Pontis et Brageraci domini
sigillatarum vidisse, quarum tenor primas litterae sequitur in haec verba.
Universis et singulis presentes litteras inspecturis, Reginaldus Pontis et
Brageraci dominus, salutem et presentibus litteris perpetuo dare fidem.
Noveritis quod nos actendens devotionem eximiam et fidei ac dilectionis probatae
constanciam, quam erga personam nostram consules et universitas Brageraci
habent et hactenus habuerunt, damus et concedimus et consulibus et universitati
predictis quod in dicta villa Brageraci sit merqua, cum qua signentur et
merquentur tonnelli et pipae vinorum qui portabuntur et exient seu extrahentur
de Brageriaco per flumen Dordoniae sive per terram, salvis et retentis nobis et
successoribus nostris conditionibus, modis et conventionibus infrascriptis,
videlicet medietas cum uno pede griphonis, et alia medietas cum quadam turri.
Item, quod pro predicta merqua non levetur ad plus nisi duo denarii pro
quolibet tonnello seu pipa, et id quod levabitur, sit consulum predictorum, pro
solvendis celariis, seu stipendiis illorum qui dictam merquam custodient et
tenebunt ; et si plus levaretur , et exigeretur ultra quantitatem superius
expressatam, illud plus reddatur et restituatur personis a quibus exactum
fuerit vel levatum. Item quod dicti consules eligant unum vel plures ad
tenendam et custodiendam merquam predictam ; qui, sic electi, nobis vel bajulo
nostro jurabunt, presentibus dictis consulibus, si voluerint interesse, quod
fîdeliter dolia, sive tonnellos et pipas merquabunt, et jura nostra et deveria
bona fide et diligenter custodient, ac etiam revelabunt. Item quod non obstante
constitutione dictae merquae, vina apud Brageracum, de extra vinetum dicti
loci, videlicet de honore et districtu Brageraci et pertinenciarum suarum, de
licencia nostra et successorum nostrorum, poterunt adportari, prout hactenus
est fieri consuetum. Item volumus quod vina quae apportabuntur apud Brageracum
de extra vinetum dicti loci, dum tamen adportentur de honore Brageraci,
merquentur, si dictis consulibus visum fuerit faciendum. Item volumus quod si
contingerit aliqua vina de vineto Brageraci extrahi, seu portari, sive per
flumen Dordoniae, seu par terram sine merqua, quod dicta vina cum doliis seu
tonnellis et pipis quibus extrahentur, nobis et successoribus nostris et ipso
incursa sint et commissa, et ultra hoc sexaginta solidi monetae currentis pro pena
nobis solvantur per illum cujus erant dicta vina. Et si cum falsa merqua vel
contrafacta aliqua vina signarentur, vel merquarentur, quod vina hujusmodi cum
doliis, seu tonnellis et pipis, in quibus erant, et successoribus nostris, ut
premissum est, incursa sint et commissa et quod signans cum falsa merqua seu
contrafacta predicta nihilominus ut falsarius puniatur. Item est actum inter
nos et consules memoratos, et per nos expresse retentum et salvatum quod infra
tres annos a data presentium computandos, si nobis et successoribus nostris
videatur expediens et utile, possimus concessionem dictee merquse et omnia
contenta et expressata in presentibus litteris totaliter tollere et revocare
sola voluntate et motu proprio, absque quacumque solemnitate vel causa,
postquam revocationem vina predicta nulla tenus merquabuntur, sed omnia erunt
in statu in quo sunt in presenti ; et juramus ad sancta Dei evangelia a nobis
corporaliter tacta contra contenta in presentibus litteris, ratione minoris
aetatis, nos aliquo tempore non venturos. In cujus rei testimonium nostrum
presentibus litteris fecimus apponi sigillum. Actum et datum Parisiis, die
sexta decima januarii, anno Domini millesimo trecentesimo vicesimo secundo.
III
Item
sequitur tenor alterius litterae.
Universis et
singulis pesentes litteras inspecturis Reginaldus, Pontis et Brageraci dominus,
salutem et presentibus perpetuo dare fidem. — Noveritis quod nos dudum
concesserimus ex nostra certa sciencia et animi gratuita voluntate dilectis et
fidelibus nostris consulibus et universitati Brageriaci quod ipsi pro se et
successoribus suis habeant in perpetuum merquam, pro merquandum seu signandum
tonnellis et pipis vinorum quae extrahentur de Brageriaco et alibi portabuntur
sub certo emolumento percipiendo pro quolibet tonnello et pipa per dictos
consules et universitatem, sub quibusdam conditionibus et pactis oppositis, et
per nos retentis in conditione predicta, prout in litteris superdicta
concessione per nos concessis et sigillo sigillatis plenius et latius continetur.
Nos attendentes grata servicia per dictos consules et universitatem nobis
impensa, et quae de die in diem impendere non cessant, et alias liberalitates,
gratias et amores quas nobis faciunt et impendunt, habita
deliberatione et consilio pleniori superdictis et predicta tangentibus,
attendentes quod concessio dictae merquae nobis damnosa in aliquo non existit,
nec propter hoc jus nostrum in aliquo leditur, nec nostra conditio deterior est
effecta, concessionem dictae merquae alias per nos factam dictis consulibus et
universitati contirmamus, emologamus, ac etiam approbamus et habere volumus
perpetui roboris firmitatem. Nolentes quod concessionem predictam nos a modo ,
vel successores nostri in perpetuum revocare possimus, aliis conditionibus et
pactis, in concessione predicta declaratis et exposatis, nobis et successoribus
nostris in suo robore duraturis. Et renuntiamus super haec omni juri per quod
in premissis et premissa tangentibus nos possimus deffendere vel jurare.
Juramusque ad sancta Dei evangelia per nos corporaliter tacta, quod contra
premissa, vel aliqua de premissis non veniemus aliquo tempore, aliquo jure vel
aliqua ratione minoris etatis, vel alia, licet nos majorem vigenti quinque
annis in veritate, et per nostrum proprium juramentum asseramus.
Et predictis tenendis et complendis, obligamus nos et omnia bona nostra
consulibus et universitati predictis, et supponimus foro, cohercioni et
juridictioni domini nostri Franciae regis et officialium et ministrorum suorum,
et specialiter et expresse senescallo Petrocoricensi qui nunc est, et qui pro
tempore fuerit pro domino nostro rege. Datum Parisiis sub sigillo nostro, in testimonium premissorum die
sabatti ante festum beatorum apostolorum Philipi et
Jacobi, anno Domini millesimo trecentesimo vicesimo tertio. Nos autem premissa
omnia et singula in supra scriptis contenta litteris rata habentes et grata, ea
volumus, ratificamus, laudamus, approbamus ac tenore
presentium, nostra auctoritate regia confirmamus, nostro et alieno in omnibus
jure salvo. Quod ut firmum et
stabile permaneat in futurum, presentibus litteris nostrum fecimus apponi
sigillum. Datum Parisiis anno Domini millesimo trecentesimo vicesimo sexto, mense aprili. Per dominum nostrum regem ad
relationem domni Andree de Floremia. Aubigny. Facta est collatio cum originalibus litteris. (Lespine, vol. 48,
p. 30.)
(1)
V. Bulletin de la Socie'té historique et archéologique du
Périgord, t. XIII, p. 384 et suiv., et t. XV,
p. 94 et suiv.
(2)
V.
Lespine, vol. 48, p. 334 et suiv. — Lespine ajoute les indications ci-après à
propos de cet acte : « scellé des sceaux d'Aymeric de Biron et de Radulphe de
Castro Novo et autres, apposés par Pierre de Lossa, tenant le sceau de
Montiniaco. Le seul qui reste est celui du
testateur qui écartèle de Bergerac, qui sont deux pattes de gryphon. » (Archives des Cordeliers de Montiniac, original en parchemin).
(3)
V. Dessalles, Histoire du Périgord, t. II, p. 62.
(4)
Histoire du
Périgord, t. II, p. 81 et 82.
(5)
V. Dessalles, Histoire du Pêrigord, t. Il, p. 80 et 81.
(6)
Ibid., p. 90 et 91.
(7)
V. Lespine, vol 48, p. 31 verso.
(8)
V. Dessalles, Histoire du Pêrigord, t. II, p. 174, 175 et 176.